D’Jazz Nevers 2023, deuxième escale
Arrivé à Nevers pour le quatrième jour du festival, je me réjouis de retrouver les Bords de Loire, même sous la pluie
Stéphane Ollivier vous a narré le début de la soirée du 11 novembre : c’est ici
EQUILIBRIUM
Sissel Vera Pettersen (voix, saxophone soprano, électronique) Joachim Badenhorst (clarinette basse, clarinette), Mikkel Ploug (guitare)
La Maison (de la culture), petite salle Jean Laubry, 14 novembre 2023, 12h15
photo Maxim François D’Jazz Nevers
Un trio européen, transnational (Norvège, Danemark, Belgique), et une musique fondée sur un parti-pris de retenue et d’étrangeté. C’est lyrique, assurément, nourri des apports technologiques, mais sans excès : l’intégrité des instruments, voix comprise, est préservée. Au début du concert le traitement de la voix est un peu saturé, faisant perdre une partie des finesses engendrées par les frottements harmoniques. Mais ce petit désagrément est passager. La musique se déroule et s’enroule, comme un long ruban de mélancolie interactive, qui serpente entre des univers musicaux qui sembleraient distants, n’était la cohérence du trio. Une musique qui parle aux sens et trouve son sens dans les émotions qu’elle suscite
photo Maxim François D’Jazz Nevers
Andreas Schaerer (voix), Kalle Kalima (guitare), Tim Lefevre (contrebasse, guitare basse)
Théâtre Municipal, 14 novembre 2023,18h30
Plaisir de retrouver le chanteur suisse dans une nouvelle configuration, et un nouveau programme, celui du disque «Evolution» qui vient de paraître chez Act Music. Il commence en voix de falsetto, un peu fâché pendant un court instant avec le diapason, puis en changeant de registre trouve la note juste. Après ce premier titre le chanteur nous explique son souhait de proposer un musique différente, plus simple, qui se rapproche des chansons (que l’on devine un peu pop). Mais c’est de la pop très sophistiquée. D’ailleurs le premier thème se situait plutôt du côté du rock progressif le plus sinueux, et les chansons suivantes, dans leur simplicité revendiquée, sont largement pourvues de chromatismes, de sinuosités mélodiques et de progressions harmoniques tendues. Le guitariste et le bassiste maîtrisent parfaitement ce cheminement escarpé, et au fil du concert Andreas Schaerer nous offre les vertiges vocaux de beatboxing que nous lui connaissions, et tous ses talents d’improvisateur. Étape par étape ce groupe en rodage (c’est l’une des premières représentations) affirme son assurance, et nous laisse conquis quand le chanteur annonce l’heure de l’apéro : pour lui vin et fromage de Suisse !
TOUT-MOUN
Héla Fattoumi & Éric Lamoureux (chorégraphes), Raphaël Imbert (saxophone ténor), Benjamin Lévy (traitement du son en temps réel, système Omax), Sarath Amarasingham, Meriem Bouajaja, Juliette Bouissou, Mohamed Chniti, Chourouk El Mahati, Mohamed Fouad, Mohamed Lamqayssi, Johanna Mandonnet, AngelaVanoni, Yaël Réunif (danse)
La Maison, grande salle Philippe Genty, 14 novembre 2023, 21h
photo Maxim François D’Jazz Nevers
Un spectacle-concert produit par le Centre chorégraphique national de Bourgogne Franche-Comté. C’est inspiré par le livre Tout Monde d’Édouard Glissant, roman-fable multiforme et plutôt baroque publié en 2015 (que j’avais lu en son temps), et surtout par le Traité du Tout-monde (publié 2 ans plus tard, et que je n’ai pas lu), essai qui théorise une certaine idée de la créolité et de l’identité-relation qui fonde son système de pensée
photo Maxim François D’Jazz Nevers
C’est une espèce de dialogue entre la musique (jouée sur scène par Raphaël Imbert et traitée en temps réel, et en dialogue instrumentiste-machine, par Benjamin Lévy avec le logiciel OMax de l’IRCAM) et la chorégraphie, la danse et le dispositif scénique (lequel est relativement simple, mais très éloquent). La pluralité des langues maternelles des danseurs et danseuses qui sont sur le plateau est l’un des éléments de la dramaturgie. Le rythme de ces langues sera l’une des sources du dialogue corps-musique. La voix d’Édouard Glissant surgit à plusieurs reprises dans le champ sonore, notamment pour dire et redire, comme en leitmotiv «la Relation est la quantité réalisée de toutes les différences du monde». Je ne vais pas vous narrer, en tentant de décrire, forcément maladroitement, cette chorégraphie envoûtante. Sachez simplement qu’elle se termine en apothéose par une sorte de groove très inspiré par la musique afro-américaine sur lequel les danseurs, devenus choristes, scandent très rythmiquement les mots de leurs langues respectives. Un spectacle musico-chorégraphique d’une très grande force, d’une grande beauté, et puissamment chargé de sens sans lourdeur didactique.
Xavier Prévost