D’Jazz Nevers, 8ème journée : Madeleine & Salomon, Ellinoa
Pour cette dernière après-midi de festival, la voix était à l’honneur avec les chanteuses Clotilde Rullaud et Camille Durand chacune sous son nom de scène.
Théâtre de Nevers, 15h : après des débuts déjà remarqués sous son vrai nom, Clotilde Rullaud s’est associée au pianiste Alexandre Saada pour constituer le duo Madeleine & Salomon dont on n’a pas tardé à saluer le premier programme “A Woman’s Journey” consacré aux chanteuses américaines engagées. Depuis, en souvenir du “Printemps arabe”, le tandem s’est penché sur un répertoire resté méconnu de ce côté de la Méditerranée et voué à l’oubli, celui qu’ont inspiré en ces temps troublés les révoltes dans le monde arabe et en Moyen-Orient, Turquie, Iran, Israël compris. La plupart des textes ont été traduits en anglais, parfois en français, afin d’éviter les risques que comporterait l’interprétation mal maîtrisée dans les langues originales, mais il reste quelques rimes et quelque chose d’indissociable des tournures mélodiques du crû, le tout interprété avec pudeur et dignité, avec cette voix de Clotilde Rulaud qui n’est pas sans évoquer Nina Simone, mais de façon très naturelle, sans mimétisme aucun.
Alexandre Saada donne au piano une place où la mémoire classique de l’instrument est évoquée toujours avec justesse, ajoutant ici et là un peu de sa voix, ponctuant simplement les rimes d’une chanson égyptienne, ou surlignant comme d’un trait de pastel la voix de la chanteuse à l’unisson, à l’octave inférieure ou en harmonie. On regrettera à deux reprises le recours à des effets électroniques qui font un peu artificiels, même si l’usage du studio les intègre mieux au programme sur le disque. Mais ce sont des parenthèses vite refermées et oubliées.
Toujours au Théâtre de Nevers, à 17h : Ellinoa, elle, est en sextette. Je me souviens de sa prestation, il y a neuf ans au Respire Jazz Festival de Pierre Perchaud où elle faisait partie de la délégation de l’école de Didier Lockwood. J’étais impressionné par la musicalité de cette chanteuse, compositrice, chef d’orchestre et improvisatrice, sans trop vouloir me prononcer sur cette jeune femme “trop douée” pour ne pas risquer de se perdre dans quelque dispersion esthétique. Je fus une fois de plus impressionné lorsqu’en mars 2021 elle partagea l’impossible partition vocale de la “jazz cantata” d’André Hodeir Anna Livia Plurabelle par l’ONJ de Fred Maurin sous la direction de Patrice Caratini. Mais on a chacun ses marottes dans une actualité musicale toujours plus prolifique… il aura fallu cette édition D’jazz Nevers pour la redécouvrir à travers la renaissance d’un projet mort-né avec la parution en pleine crise du covid de son album “The Ballad of Ophelia”.
“Ophelia Rebirth”, le titre adopté pour ce retour est presque trompeur, car il s’agit d’une métamorphose avec un personnel entièrement renouvelé et acoustique : Juliette Serrad (violoncelle, chœurs), Pierre Tereygeol (guitare, chœurs), Arthur Henn (contrebasse, chœurs) et, remplaçant quasiment au pied levé Paul Jarret, Pierre Perchaud (guitare électrique). En dépouillant son projet initial d’un environnement électro-planant avec l’adoption d’arrangements pour cordes d’une simplicité raffinée et d’une invention constante, l’écriture de chœurs admirablement conduits par de vrais instrumentistes chanteurs, en donnant à son personnage d’Ophelia une vraie présence scénique parfaitement assumée et une véritable épaisseur à sa réappropriation du mythe d’Ophélie, elle nous tient en haleine tout du long de cette heure de théâtre musical. Et lorsque soudain, elle improvise un “scat”, elle évite tous les clichés de la “chanteuse de jazz”, restant ainsi dans la peau de son personnage et le fil de son histoire. Franck Bergerot