D’Jazz Nevers : lever de rideau « entre les mers »
Hier, 6 novembre, le quatuor de François Corneloup et Jacky Molard « Entre les terres » ouvraient le 35ème D’jazz Festival Nevers.
Je me souviens avoir recouru de façon peut-être un peu audacieuse à l’expression « République des cordes » à propos d’une répétition d’une édition de la Kreiz Breizh d’Erik Marchand consacrée aux cordes, et « coachée », entre autres, par le violoniste Jacky Molard. Cela se déroulait à la fin de l’été 2015 à la Grande Boutique de Langonnet. « République des cordes » se référait dans mon esprit plus particulièrement à ces cordes au « souffle long » que sont les cordes frottées, l’archet (ou la roue) ayant ce pouvoir partagé avec le souffle de tenir la note. Une vaste communauté qui traverse l’espace et le temps, des premières vièles monocordes à la complexité organologique de la vielle à roue et aux secrets de fabrication des luthiers de Cremone, de la rudesse des violoneux du Poitou ou du Donegal à la grâce de ceux de Sligo (sous l’influence des premiers 78-tours enregistrés à New York par l’immigration irlandaise) ou de Scandinavie, une diversité dont le quatuor classique pourrait constituer une sorte de transcendance. Transcendance qu’il y aurait lieu de se réapproprier à lumière de ces arts de la polyrythmie, de la modalité, de l’oralité et de l’initiative musicale partagée en temps réel redécouverts au siècle dernier à travers le jazz et les héritages africains, l’ethnomusicologie, les folk revivals, les brassages culturels. Ce que firent, chacun centré à sa façon, cette Kreiz Breizh Akademi, la cinqième du nom, bretonnante et non tempérée, le Quatuor Ixi (héritier de Bethoven, Bartok, Ligetti et, pour faire court, John Coltrane) et aujourd’hui le quatuor « Entre les terres ».
J’oubliais les bois, j’oubliais le souffle, le vrai, le savoir musical de la colonne d’air et des perces cylindrique ou coniques dans le fruitier, le palissandre ou l’ébène, des anches simples ou doubles. Qui firent « république commune » avec les cordes (de la rencontre des cromornes et du chalumeau avec les violes de la Renaissance, au Quatuor pour la fin des temps). Loin du « tout cuivres, cymbales et tambours » du jazz, du tout électriques des musiques dites « actuelles », le violoniste Jacky Molard et le saxophoniste baryton François Corneloup ont donc choisi de « faire république », sur un vocabulaire empruntant largement à l’aire des fest-noz semé de musiques irlandaises, balkaniques, indiennes, etc. avec le jazz pour engrais. Corneloup compose lui avec son acquis d’improvisateur, de répertoire à improviser, son aptitude à faire groover le baryton, son goût pour les musiques qui « font peuple » et un « son » qui renvoie à la grande tradition menant de Harry Carney à John Surman, où l’on surprend quelque chose de boisé qui pourrait venir du baryton de Jimmy Giuffre, mais aussi de la nécessité de s’ajuster au volume des cordes, pari admirablement réussi. S’y sont associés la clarinettiste Catherine Delaunay et le violoncelle de Vincent Courtois, deux virtuoses aux héritages multiples (classique, contemporain, rock, impro jazz ou non idiomatique, cirque et fanfare) qui ont su s’emparer des propositions de leurs compères, y prendre initiative, tous quatre se répartissant lignes mélodiques, contrepoints, variations, dérives, improvisations sur des ostinatos, des basses continues, des trames dramatiques, des réservoirs harmoniques, des phrases rendez-vous, la musique circulant fluide, de dispersions polyphoniques en tutti explosifs, le tout à taille humaine, sans surenchère de décibels dans l’acoustique idéale du petite Théâtre municipal de Nevers en son architecture à l’italienne.
C’était le premier concert de ce 35ème D’Jazz Nevers Festival, en début de soirée. Il fallait ensuite descendre vers La Maison, l’ancienne Maison de la Culture, en bord de Loire, pour entendre le solo de Benjamin Moussay pour un moment d’émotion que trahit la discrétion avec laquelle j’ai volé la photo ci-dessous, du fond de la salle, préoccupé que j’étais de ne pas (me) distraire.
Inspiration au diapason d’une acoustique et d’une écoute en or, d’un piano d’où surgirent ici et là de profondes harmoniques faisant imaginer quelque fantôme de l’instrument. De la transe d’un ostinato à l’abstraction d’un averse de doigts dans l’aigu, d’un nocturne frissonnant à de lumineux jeux d’eau, d’un obsédant tourbillon au tumulte où il nous entraîne, j’ai retenu tout particulièrement une « chanson » endeuillée comme celles qui inspirèrent à Randy Newman ses plus poignants lyrics.
Ensuite vint Avishai Cohen, le contrebassiste, et son trio composé du pianiste Eichin Shirinov et de la batteuse Roni Kaspi : beaucoup de technique, beaucoup de systématisme, beaucoup de redite, beaucoup de pose… Cet homme a dû apprendre à jouer de la contrebasse devant son miroir. Ne partageant pas l’enthousiasme général, je suis sorti de salle après une bonne moitié de concert et n’en dirais pas plus. Franck Bergerot