Djazz Nevers : L’orchestre incandescent de Sylvaine Hélary
Avec sa partition onirique dédiée à la poésie d’Emily Dickinson, Sylvaine Hélary à la tête de son mini big band l’Orchestre incandescent confirme ses talents de compositrice et s’impose définitivement comme l’une des fortes personnalités de la le scène jazz hexagonale.
Pour inaugurer la 37e édition du festival Djazz Nevers, son directeur Roger Fontanel avait vu grand et ambitieux en présentant dans la grande salle de la Maison de la Culture le nouveau projet orchestral de la flûtiste et compositrice française Sylvaine Hélary en première partie du trio du légendaire guitariste américain Bill Frisell. Une programmation éclectique en forme de manifeste esthétique réaffirmant une fois encore, à travers et au-delà l’évidence même de leurs différences, l’extraordinaire capacité qu’ont en commun les musiques très diverses regroupées aujourd’hui sous l’étiquette jazz d’accueillir tous les idiomes et toutes les traditions pour générer des formes nouvelles capables non seulement de rendre compte des tensions et contradictions spécifiques à notre époque mais d’en extraire d’inédites “harmonies”.
Ce fut donc à Sylvaine Hélary que revint l’honneur d’ouvrir devant près de 600 personnes cette soirée de gala en proposant à la tête de son Orchestre incandescent un programme aussi original que pointu élaboré autour de la personnalité complexe d’Emily Dickinson et de la singularité de sa parole poétique. Tout au long de cette partition ambitieuse aux formes et textures mouvantes servant d’écrin à une sélection de textes de la grande poétesse américaine du 19e siècle (avec un petit détour du côté de l’univers de la chanteuse rock P.J. Harvey histoire de suggérer quelque continuité avec notre époque !), la compositrice nous a impressionné par sa capacité à mettre en valeur toutes les potentialités de son orchestration résolument composite. Jouant avec beaucoup de subtilité sur la richesse et la diversité des textures sonores et des dynamiques orchestrales engendrées par un instrumentarium relevant tout autant du champ de la musique baroque (la délicatesse et la fragilité des sonorités de la viole et de la viole d’amour de Maëlle Desbrosses et du violone de Chloé Lucas), de la musique improvisée (Élodie Pasquier aux diverses clarinettes et Alexis Persignan au trombone et au saqueboute), de la musique électronique expérimentale (la vocaliste Lynn Cassiers), voire d’une sorte de néo-prog-rock avec une section rythmique résolument pulsative (Antonin Rayon aux synthétiseurs et Fender Rhodes, Guillaume Magne à la guitare électrique et Jim Hart à la batterie) — Sylvaine Hélary propose au final dans “Rare Birds” une série de chansons mutantes jetant des ponts entre le post-rock contemporain, le jazz, la musique nouvelle et la musique traditionnelle anglo-saxonne sous toutes ses formes (de Purcell au folk en passant par l’école de Canterbury…). Au fil des plages chaque membre du groupe se trouve à un moment en position concertante, invité à faire évoluer la forme générale par le geste de l’improvisation — l’attention portée par la compositrice à la diversité des dispositifs mis en place pour articuler écriture et expression individuelle s’avérant incontestablement une des grandes réussites de la pièce. A la fois savante et populaire, exigeante et évidente, élégiaque et expérimentale ; accumulant les clins d’œil plus ou moins subliminaux à Frank Zappa, Marc Ducret ou encore Olivier Messiaen sans jamais que cette érudition ne vienne entraver la fluidité du discours — la musique imaginée par Sylvaine Hélary pour son Orchestre incandescent est de celles qui redonnent espoir en ces temps mortifères.
Stéphane Ollivier