Dominique Pifarély présente un nouveau quartette
Après une création poitevine, Dominique Pifarély présentait hier, 20 juin, son nouveau quartette au public parisien. Les noms de ses trois comparses parlent d’eux-mêmes : Antonin Rayon, Bruno Chevillon et François Merville. Mais ce n’est pas tout…
19 rue Paul Fort, Paris (75), le 20 juin 2014.
Dominique Pifarély (violon, compositions), Antonin Rayon (piano), Bruno Chevilon (contrebasse), François Merville (batterie).
Redisons le, le petit immeuble du 19 de la rue Paul Fort admirablement réaménagé, est le lieu où Hélène Aziza accueille plasticiens et musiciens. N’était pas spécialiste des arts plastiques, j’irai droit au but, la musique, où l’on verra que j’ai déjà là suffisamment à faire.
Les musiciens s’installent, dans un silence gêné que rompt Antonin Rayon : « Ouh là ! Il y beaucoup de partitions ! J’ai tout ça à lire ? » (je cite de mémoire, j’aurais pu résumer par le bon mot des professionnels : « Ouh là ! Y’a du courrier. ») Manière de retarder mon entrée en matière, mais la réaction, feinte ou non, de Rayon n’est pas anodine. Vous allez voir. Hanté par la page blanche, je crois détenir une information qui aurait dû être démentie par les premières minutes de musique, car ce qui pourrait avoir été écrit semble d’abord ne tenir qu’à un coup d’archet répété sur une note cinglante qui éveille à intervalles réguliers les réactions des comparses de “Pif”, combinant un bel ensemble dans la réaction mais une authentique autonomie individuelle. Ce qui s’ensuit repose tout au plus sur des consignes minimales, avec du côté du violon des convocations ponctuelles d’éléments qui me semblent venir de traditions violonistiques populaires européennes, sans que je parvienne à les situer précisément, puis une espèce de transe prolongée sur un flux sonore que, bien que l’on soit à l’écart de toute intention “world”, ma mémoire associe à un vague souvenir, un disque Ocora intitulé “Le Sipsi des Yayla”. Or ce disque sorti de mes tiroirs au moment de rédiger cette chronique révèle que le sipsi n’est pas un violon mais une « petite clarinette idioglotte » (je cite le livret) du Taurus en Turquie.
Mon impression persiste, pure impression, car ils sont rares dans le métier du jazz critic en France à savoir identifier précisément (donc nommer) un intervalle, un mode, une couleur harmonique, à la volée d’un concert, et je ne fais pas partie de ceux-là. Ce qui amuse toujours nos “amis” musiciens. M’autoriserait-on à commenter le mondial alors que je ne sais rien des règles du hors jeu et de la ligne des 22 mètres ? Voici pourtant que, depuis 40 ans cette année, on m’autorise à écrire dans la presse musicale. Sans vouloir me couvrir de cendres ni aspirer à une quelconque retraite, il y a là sujet de méditation dont la conclusion ne me paraît d’ailleurs par forcément gagnée.
Pure impression et totalement anecdotique, car il ne s’agit ici que d’un évènement parmi mille autres qui témoignent d’un vocabulaire large acquis à la fréquentation de mille recoins de la littérature violonistique baroque, classique, romantique, post-romantique et “contemporaine” d’où Pifarély tire des lignes qui se tressent avec l’expérience de ses complices et avec sa propre fréquentation du jazz de Joe Venuit à Jean-Luc Ponty… pour ne nous en tenir au monde du violon si l’on songe que sa pratique est passée du langage du blues à ceux de Louis, Sclavis, Tim Berne et Marc Ducret, en passant par le jazz-rock.
Et c’est tout cela qu’il faudrait appréhender dans ce concert sur lequel je garde l’oreille, sans parvenir à la nommer, tout en espionnant le regard des protagonistes sur la partition. À ma gauche dans le public, au bout du rang, le violoniste alto Guillaume Roy fronce le sourcil et cligne des paupières comme s’il cherchait à lire, par dessus l’épaule d’Antonin Rayon derrière lequel il est placé, sa partie de piano. De ma place, elle paraît en effet très dense et le regard du pianiste s’y porte constamment. Des grimaces de mousquetaire bougon déforment le visage de Pifarély sur des yeux clos et ne laissent rien paraître, sinon quelques regards furieux qu’il ouvre de temps à autre sans que l’on sache s’ils se portent sur la partition où sur le théâtre des opérations. D’où je suis, le pupitre de Chevillon m’est caché. Quant à Merville, ses partitions sont jetées au sol et il ne semble y jeter que de rares regards distraits. Je reste néanmoins sur mon idée de partition serrée, où l’improvisation se fraierait un chemin parmi des motifs qu’elle exploite, varie, développe, mue, déplaçant les paramètres et passant d’un instrument à l’autres, jouant sur les équivalences métriques… tel cet ostinato “binaire-impair” qui change plusieurs fois d’allure ou tel autre ostinato (faux ostinato ou plutôt ostinato étendu, tellement étendu qu’il n’en est plus un) qui me rappelle les pratiques de Tim Berne. Soudain un chabada…
À la sortie du concert j’interroge Pifarély qui avoue peu d’écriture, sinon sur de brèves séquences où elle se trouve si dense qu’elle pourrait faire oublier que le reste repose sur la complicité éprouvée de Chevillon et Merville, le cas de Rayon encore peu familier de ces musiciens étant à part, mais révélant une écoute exceptionnnelle. Sur le trottoir, je croise ce dernier qui me confirme qu’hors de ces passages, les consignes sont ici beaucoup plus rares que chez Marc Ducret, par exemple. Mais s’il voit un rapprochement entre Ducret et Pifarély, c’est que tout deux, lorsqu’ils écrivent pour le piano, écrivent vraiment, pas seulement de simples grilles ou de simples mises en place, mais de véritables partitions de piano.
« Alors tonton », me dirait Sigmund le Chat, s’il était encore là, comme autrefois, à venir se chauffer sur mon amplificateur dans la position du tobogan pendant que j’écris mes papiers, « finalement, qu’est-ce que t’as entendu ? » Une musique d’une extrême fluidité et d’une remarquable fraîcheur malgré cette impression d’écriture redevable probablement à ‘lélan d’une cohérence folle, porté par des maîtres de leurs instruments qui nous entraînent pour mieux nous égarer et nous étourdissent pour mieux nous entraîner dans leur course, sans jamais tout à fait nous lâcher, ni nous laisser l
e loisir de nous installer quelque part, nous plongeant dans un état d’excitation constamment renouvelé. Dans le métro, je conclue des visages et de conversations que la France a gagné. Tout va bien…
Mercredi 25 juin, à 20h, au même endroit, la contrebassiste Joëlle Léandre et l’accordéoniste Pascal Contet fêteront leurs vingt ans de collaboration.
Franck Bergerot
|
Après une création poitevine, Dominique Pifarély présentait hier, 20 juin, son nouveau quartette au public parisien. Les noms de ses trois comparses parlent d’eux-mêmes : Antonin Rayon, Bruno Chevillon et François Merville. Mais ce n’est pas tout…
19 rue Paul Fort, Paris (75), le 20 juin 2014.
Dominique Pifarély (violon, compositions), Antonin Rayon (piano), Bruno Chevilon (contrebasse), François Merville (batterie).
Redisons le, le petit immeuble du 19 de la rue Paul Fort admirablement réaménagé, est le lieu où Hélène Aziza accueille plasticiens et musiciens. N’était pas spécialiste des arts plastiques, j’irai droit au but, la musique, où l’on verra que j’ai déjà là suffisamment à faire.
Les musiciens s’installent, dans un silence gêné que rompt Antonin Rayon : « Ouh là ! Il y beaucoup de partitions ! J’ai tout ça à lire ? » (je cite de mémoire, j’aurais pu résumer par le bon mot des professionnels : « Ouh là ! Y’a du courrier. ») Manière de retarder mon entrée en matière, mais la réaction, feinte ou non, de Rayon n’est pas anodine. Vous allez voir. Hanté par la page blanche, je crois détenir une information qui aurait dû être démentie par les premières minutes de musique, car ce qui pourrait avoir été écrit semble d’abord ne tenir qu’à un coup d’archet répété sur une note cinglante qui éveille à intervalles réguliers les réactions des comparses de “Pif”, combinant un bel ensemble dans la réaction mais une authentique autonomie individuelle. Ce qui s’ensuit repose tout au plus sur des consignes minimales, avec du côté du violon des convocations ponctuelles d’éléments qui me semblent venir de traditions violonistiques populaires européennes, sans que je parvienne à les situer précisément, puis une espèce de transe prolongée sur un flux sonore que, bien que l’on soit à l’écart de toute intention “world”, ma mémoire associe à un vague souvenir, un disque Ocora intitulé “Le Sipsi des Yayla”. Or ce disque sorti de mes tiroirs au moment de rédiger cette chronique révèle que le sipsi n’est pas un violon mais une « petite clarinette idioglotte » (je cite le livret) du Taurus en Turquie.
Mon impression persiste, pure impression, car ils sont rares dans le métier du jazz critic en France à savoir identifier précisément (donc nommer) un intervalle, un mode, une couleur harmonique, à la volée d’un concert, et je ne fais pas partie de ceux-là. Ce qui amuse toujours nos “amis” musiciens. M’autoriserait-on à commenter le mondial alors que je ne sais rien des règles du hors jeu et de la ligne des 22 mètres ? Voici pourtant que, depuis 40 ans cette année, on m’autorise à écrire dans la presse musicale. Sans vouloir me couvrir de cendres ni aspirer à une quelconque retraite, il y a là sujet de méditation dont la conclusion ne me paraît d’ailleurs par forcément gagnée.
Pure impression et totalement anecdotique, car il ne s’agit ici que d’un évènement parmi mille autres qui témoignent d’un vocabulaire large acquis à la fréquentation de mille recoins de la littérature violonistique baroque, classique, romantique, post-romantique et “contemporaine” d’où Pifarély tire des lignes qui se tressent avec l’expérience de ses complices et avec sa propre fréquentation du jazz de Joe Venuit à Jean-Luc Ponty… pour ne nous en tenir au monde du violon si l’on songe que sa pratique est passée du langage du blues à ceux de Louis, Sclavis, Tim Berne et Marc Ducret, en passant par le jazz-rock.
Et c’est tout cela qu’il faudrait appréhender dans ce concert sur lequel je garde l’oreille, sans parvenir à la nommer, tout en espionnant le regard des protagonistes sur la partition. À ma gauche dans le public, au bout du rang, le violoniste alto Guillaume Roy fronce le sourcil et cligne des paupières comme s’il cherchait à lire, par dessus l’épaule d’Antonin Rayon derrière lequel il est placé, sa partie de piano. De ma place, elle paraît en effet très dense et le regard du pianiste s’y porte constamment. Des grimaces de mousquetaire bougon déforment le visage de Pifarély sur des yeux clos et ne laissent rien paraître, sinon quelques regards furieux qu’il ouvre de temps à autre sans que l’on sache s’ils se portent sur la partition où sur le théâtre des opérations. D’où je suis, le pupitre de Chevillon m’est caché. Quant à Merville, ses partitions sont jetées au sol et il ne semble y jeter que de rares regards distraits. Je reste néanmoins sur mon idée de partition serrée, où l’improvisation se fraierait un chemin parmi des motifs qu’elle exploite, varie, développe, mue, déplaçant les paramètres et passant d’un instrument à l’autres, jouant sur les équivalences métriques… tel cet ostinato “binaire-impair” qui change plusieurs fois d’allure ou tel autre ostinato (faux ostinato ou plutôt ostinato étendu, tellement étendu qu’il n’en est plus un) qui me rappelle les pratiques de Tim Berne. Soudain un chabada…
À la sortie du concert j’interroge Pifarély qui avoue peu d’écriture, sinon sur de brèves séquences où elle se trouve si dense qu’elle pourrait faire oublier que le reste repose sur la complicité éprouvée de Chevillon et Merville, le cas de Rayon encore peu familier de ces musiciens étant à part, mais révélant une écoute exceptionnnelle. Sur le trottoir, je croise ce dernier qui me confirme qu’hors de ces passages, les consignes sont ici beaucoup plus rares que chez Marc Ducret, par exemple. Mais s’il voit un rapprochement entre Ducret et Pifarély, c’est que tout deux, lorsqu’ils écrivent pour le piano, écrivent vraiment, pas seulement de simples grilles ou de simples mises en place, mais de véritables partitions de piano.
« Alors tonton », me dirait Sigmund le Chat, s’il était encore là, comme autrefois, à venir se chauffer sur mon amplificateur dans la position du tobogan pendant que j’écris mes papiers, « finalement, qu’est-ce que t’as entendu ? » Une musique d’une extrême fluidité et d’une remarquable fraîcheur malgré cette impression d’écriture redevable probablement à ‘lélan d’une cohérence folle, porté par des maîtres de leurs instruments qui nous entraînent pour mieux nous égarer et nous étourdissent pour mieux nous entraîner dans leur course, sans jamais tout à fait nous lâcher, ni nous laisser l
e loisir de nous installer quelque part, nous plongeant dans un état d’excitation constamment renouvelé. Dans le métro, je conclue des visages et de conversations que la France a gagné. Tout va bien…
Mercredi 25 juin, à 20h, au même endroit, la contrebassiste Joëlle Léandre et l’accordéoniste Pascal Contet fêteront leurs vingt ans de collaboration.
Franck Bergerot
|
Après une création poitevine, Dominique Pifarély présentait hier, 20 juin, son nouveau quartette au public parisien. Les noms de ses trois comparses parlent d’eux-mêmes : Antonin Rayon, Bruno Chevillon et François Merville. Mais ce n’est pas tout…
19 rue Paul Fort, Paris (75), le 20 juin 2014.
Dominique Pifarély (violon, compositions), Antonin Rayon (piano), Bruno Chevilon (contrebasse), François Merville (batterie).
Redisons le, le petit immeuble du 19 de la rue Paul Fort admirablement réaménagé, est le lieu où Hélène Aziza accueille plasticiens et musiciens. N’était pas spécialiste des arts plastiques, j’irai droit au but, la musique, où l’on verra que j’ai déjà là suffisamment à faire.
Les musiciens s’installent, dans un silence gêné que rompt Antonin Rayon : « Ouh là ! Il y beaucoup de partitions ! J’ai tout ça à lire ? » (je cite de mémoire, j’aurais pu résumer par le bon mot des professionnels : « Ouh là ! Y’a du courrier. ») Manière de retarder mon entrée en matière, mais la réaction, feinte ou non, de Rayon n’est pas anodine. Vous allez voir. Hanté par la page blanche, je crois détenir une information qui aurait dû être démentie par les premières minutes de musique, car ce qui pourrait avoir été écrit semble d’abord ne tenir qu’à un coup d’archet répété sur une note cinglante qui éveille à intervalles réguliers les réactions des comparses de “Pif”, combinant un bel ensemble dans la réaction mais une authentique autonomie individuelle. Ce qui s’ensuit repose tout au plus sur des consignes minimales, avec du côté du violon des convocations ponctuelles d’éléments qui me semblent venir de traditions violonistiques populaires européennes, sans que je parvienne à les situer précisément, puis une espèce de transe prolongée sur un flux sonore que, bien que l’on soit à l’écart de toute intention “world”, ma mémoire associe à un vague souvenir, un disque Ocora intitulé “Le Sipsi des Yayla”. Or ce disque sorti de mes tiroirs au moment de rédiger cette chronique révèle que le sipsi n’est pas un violon mais une « petite clarinette idioglotte » (je cite le livret) du Taurus en Turquie.
Mon impression persiste, pure impression, car ils sont rares dans le métier du jazz critic en France à savoir identifier précisément (donc nommer) un intervalle, un mode, une couleur harmonique, à la volée d’un concert, et je ne fais pas partie de ceux-là. Ce qui amuse toujours nos “amis” musiciens. M’autoriserait-on à commenter le mondial alors que je ne sais rien des règles du hors jeu et de la ligne des 22 mètres ? Voici pourtant que, depuis 40 ans cette année, on m’autorise à écrire dans la presse musicale. Sans vouloir me couvrir de cendres ni aspirer à une quelconque retraite, il y a là sujet de méditation dont la conclusion ne me paraît d’ailleurs par forcément gagnée.
Pure impression et totalement anecdotique, car il ne s’agit ici que d’un évènement parmi mille autres qui témoignent d’un vocabulaire large acquis à la fréquentation de mille recoins de la littérature violonistique baroque, classique, romantique, post-romantique et “contemporaine” d’où Pifarély tire des lignes qui se tressent avec l’expérience de ses complices et avec sa propre fréquentation du jazz de Joe Venuit à Jean-Luc Ponty… pour ne nous en tenir au monde du violon si l’on songe que sa pratique est passée du langage du blues à ceux de Louis, Sclavis, Tim Berne et Marc Ducret, en passant par le jazz-rock.
Et c’est tout cela qu’il faudrait appréhender dans ce concert sur lequel je garde l’oreille, sans parvenir à la nommer, tout en espionnant le regard des protagonistes sur la partition. À ma gauche dans le public, au bout du rang, le violoniste alto Guillaume Roy fronce le sourcil et cligne des paupières comme s’il cherchait à lire, par dessus l’épaule d’Antonin Rayon derrière lequel il est placé, sa partie de piano. De ma place, elle paraît en effet très dense et le regard du pianiste s’y porte constamment. Des grimaces de mousquetaire bougon déforment le visage de Pifarély sur des yeux clos et ne laissent rien paraître, sinon quelques regards furieux qu’il ouvre de temps à autre sans que l’on sache s’ils se portent sur la partition où sur le théâtre des opérations. D’où je suis, le pupitre de Chevillon m’est caché. Quant à Merville, ses partitions sont jetées au sol et il ne semble y jeter que de rares regards distraits. Je reste néanmoins sur mon idée de partition serrée, où l’improvisation se fraierait un chemin parmi des motifs qu’elle exploite, varie, développe, mue, déplaçant les paramètres et passant d’un instrument à l’autres, jouant sur les équivalences métriques… tel cet ostinato “binaire-impair” qui change plusieurs fois d’allure ou tel autre ostinato (faux ostinato ou plutôt ostinato étendu, tellement étendu qu’il n’en est plus un) qui me rappelle les pratiques de Tim Berne. Soudain un chabada…
À la sortie du concert j’interroge Pifarély qui avoue peu d’écriture, sinon sur de brèves séquences où elle se trouve si dense qu’elle pourrait faire oublier que le reste repose sur la complicité éprouvée de Chevillon et Merville, le cas de Rayon encore peu familier de ces musiciens étant à part, mais révélant une écoute exceptionnnelle. Sur le trottoir, je croise ce dernier qui me confirme qu’hors de ces passages, les consignes sont ici beaucoup plus rares que chez Marc Ducret, par exemple. Mais s’il voit un rapprochement entre Ducret et Pifarély, c’est que tout deux, lorsqu’ils écrivent pour le piano, écrivent vraiment, pas seulement de simples grilles ou de simples mises en place, mais de véritables partitions de piano.
« Alors tonton », me dirait Sigmund le Chat, s’il était encore là, comme autrefois, à venir se chauffer sur mon amplificateur dans la position du tobogan pendant que j’écris mes papiers, « finalement, qu’est-ce que t’as entendu ? » Une musique d’une extrême fluidité et d’une remarquable fraîcheur malgré cette impression d’écriture redevable probablement à ‘lélan d’une cohérence folle, porté par des maîtres de leurs instruments qui nous entraînent pour mieux nous égarer et nous étourdissent pour mieux nous entraîner dans leur course, sans jamais tout à fait nous lâcher, ni nous laisser l
e loisir de nous installer quelque part, nous plongeant dans un état d’excitation constamment renouvelé. Dans le métro, je conclue des visages et de conversations que la France a gagné. Tout va bien…
Mercredi 25 juin, à 20h, au même endroit, la contrebassiste Joëlle Léandre et l’accordéoniste Pascal Contet fêteront leurs vingt ans de collaboration.
Franck Bergerot
|
Après une création poitevine, Dominique Pifarély présentait hier, 20 juin, son nouveau quartette au public parisien. Les noms de ses trois comparses parlent d’eux-mêmes : Antonin Rayon, Bruno Chevillon et François Merville. Mais ce n’est pas tout…
19 rue Paul Fort, Paris (75), le 20 juin 2014.
Dominique Pifarély (violon, compositions), Antonin Rayon (piano), Bruno Chevilon (contrebasse), François Merville (batterie).
Redisons le, le petit immeuble du 19 de la rue Paul Fort admirablement réaménagé, est le lieu où Hélène Aziza accueille plasticiens et musiciens. N’était pas spécialiste des arts plastiques, j’irai droit au but, la musique, où l’on verra que j’ai déjà là suffisamment à faire.
Les musiciens s’installent, dans un silence gêné que rompt Antonin Rayon : « Ouh là ! Il y beaucoup de partitions ! J’ai tout ça à lire ? » (je cite de mémoire, j’aurais pu résumer par le bon mot des professionnels : « Ouh là ! Y’a du courrier. ») Manière de retarder mon entrée en matière, mais la réaction, feinte ou non, de Rayon n’est pas anodine. Vous allez voir. Hanté par la page blanche, je crois détenir une information qui aurait dû être démentie par les premières minutes de musique, car ce qui pourrait avoir été écrit semble d’abord ne tenir qu’à un coup d’archet répété sur une note cinglante qui éveille à intervalles réguliers les réactions des comparses de “Pif”, combinant un bel ensemble dans la réaction mais une authentique autonomie individuelle. Ce qui s’ensuit repose tout au plus sur des consignes minimales, avec du côté du violon des convocations ponctuelles d’éléments qui me semblent venir de traditions violonistiques populaires européennes, sans que je parvienne à les situer précisément, puis une espèce de transe prolongée sur un flux sonore que, bien que l’on soit à l’écart de toute intention “world”, ma mémoire associe à un vague souvenir, un disque Ocora intitulé “Le Sipsi des Yayla”. Or ce disque sorti de mes tiroirs au moment de rédiger cette chronique révèle que le sipsi n’est pas un violon mais une « petite clarinette idioglotte » (je cite le livret) du Taurus en Turquie.
Mon impression persiste, pure impression, car ils sont rares dans le métier du jazz critic en France à savoir identifier précisément (donc nommer) un intervalle, un mode, une couleur harmonique, à la volée d’un concert, et je ne fais pas partie de ceux-là. Ce qui amuse toujours nos “amis” musiciens. M’autoriserait-on à commenter le mondial alors que je ne sais rien des règles du hors jeu et de la ligne des 22 mètres ? Voici pourtant que, depuis 40 ans cette année, on m’autorise à écrire dans la presse musicale. Sans vouloir me couvrir de cendres ni aspirer à une quelconque retraite, il y a là sujet de méditation dont la conclusion ne me paraît d’ailleurs par forcément gagnée.
Pure impression et totalement anecdotique, car il ne s’agit ici que d’un évènement parmi mille autres qui témoignent d’un vocabulaire large acquis à la fréquentation de mille recoins de la littérature violonistique baroque, classique, romantique, post-romantique et “contemporaine” d’où Pifarély tire des lignes qui se tressent avec l’expérience de ses complices et avec sa propre fréquentation du jazz de Joe Venuit à Jean-Luc Ponty… pour ne nous en tenir au monde du violon si l’on songe que sa pratique est passée du langage du blues à ceux de Louis, Sclavis, Tim Berne et Marc Ducret, en passant par le jazz-rock.
Et c’est tout cela qu’il faudrait appréhender dans ce concert sur lequel je garde l’oreille, sans parvenir à la nommer, tout en espionnant le regard des protagonistes sur la partition. À ma gauche dans le public, au bout du rang, le violoniste alto Guillaume Roy fronce le sourcil et cligne des paupières comme s’il cherchait à lire, par dessus l’épaule d’Antonin Rayon derrière lequel il est placé, sa partie de piano. De ma place, elle paraît en effet très dense et le regard du pianiste s’y porte constamment. Des grimaces de mousquetaire bougon déforment le visage de Pifarély sur des yeux clos et ne laissent rien paraître, sinon quelques regards furieux qu’il ouvre de temps à autre sans que l’on sache s’ils se portent sur la partition où sur le théâtre des opérations. D’où je suis, le pupitre de Chevillon m’est caché. Quant à Merville, ses partitions sont jetées au sol et il ne semble y jeter que de rares regards distraits. Je reste néanmoins sur mon idée de partition serrée, où l’improvisation se fraierait un chemin parmi des motifs qu’elle exploite, varie, développe, mue, déplaçant les paramètres et passant d’un instrument à l’autres, jouant sur les équivalences métriques… tel cet ostinato “binaire-impair” qui change plusieurs fois d’allure ou tel autre ostinato (faux ostinato ou plutôt ostinato étendu, tellement étendu qu’il n’en est plus un) qui me rappelle les pratiques de Tim Berne. Soudain un chabada…
À la sortie du concert j’interroge Pifarély qui avoue peu d’écriture, sinon sur de brèves séquences où elle se trouve si dense qu’elle pourrait faire oublier que le reste repose sur la complicité éprouvée de Chevillon et Merville, le cas de Rayon encore peu familier de ces musiciens étant à part, mais révélant une écoute exceptionnnelle. Sur le trottoir, je croise ce dernier qui me confirme qu’hors de ces passages, les consignes sont ici beaucoup plus rares que chez Marc Ducret, par exemple. Mais s’il voit un rapprochement entre Ducret et Pifarély, c’est que tout deux, lorsqu’ils écrivent pour le piano, écrivent vraiment, pas seulement de simples grilles ou de simples mises en place, mais de véritables partitions de piano.
« Alors tonton », me dirait Sigmund le Chat, s’il était encore là, comme autrefois, à venir se chauffer sur mon amplificateur dans la position du tobogan pendant que j’écris mes papiers, « finalement, qu’est-ce que t’as entendu ? » Une musique d’une extrême fluidité et d’une remarquable fraîcheur malgré cette impression d’écriture redevable probablement à ‘lélan d’une cohérence folle, porté par des maîtres de leurs instruments qui nous entraînent pour mieux nous égarer et nous étourdissent pour mieux nous entraîner dans leur course, sans jamais tout à fait nous lâcher, ni nous laisser l
e loisir de nous installer quelque part, nous plongeant dans un état d’excitation constamment renouvelé. Dans le métro, je conclue des visages et de conversations que la France a gagné. Tout va bien…
Mercredi 25 juin, à 20h, au même endroit, la contrebassiste Joëlle Léandre et l’accordéoniste Pascal Contet fêteront leurs vingt ans de collaboration.
Franck Bergerot