Les émouvantes, Marseille, chapelle des Bernardines: Pierrick Hardy quartet, Marc Ducret-Sarah Lee Lefevre;:
Les Emouvantes continuent encore en ce vendredi 15 septembre, toujours à Marseille, chapelle des Bernardines. Et j’y suis.
Pierrick Hardy quartet : « L’ogre intact »
La Soirée commence avec un premier concert chambriste, décomplexé, actuel qui sied à l’architecture du lieu. Instrumentation de ce quartet acoustique de bois et de cordes : guitare six cordes d’acier ( Pierrick Hardy qui a la double habileté de jouer aussi de la clarinette), violon (Régis Huby), contrebasse ( Claude Tchamitchian), clarinette et cor de basset (Catherine Delaunay). Le cor de basset ressemble à une clarinette basse mais n’en est pas une. Mozart, amoureux des clarinettes, a utilisé le cor de basset pour écrire son concerto pour clarinette, ce que me souffle Philippe Méziat ayant interrogé Michel Portal qui, on le sait, a pratiqué ce concerto !
Un univers difficile à appréhender : si la musique est belle, quand on n’a pas la possibilité d’y revenir par le disque, se fier à sa seule mémoire auditive, peut ne pas être très efficace. Les compositions sont de Pierrick Hardy, passionné de littérature qui a œuvré pour la scène, théâtre et cinéma. S’il donne le titre des morceaux, le premier étant intitulé « Avant dire » du poète et traducteur Philippe Jacottet, il n’en dira pas plus sur ce qui l’inspire . La « Violence du terrain », autre titre frappant, reste dans ma mémoire: est-ce celui où, soudain Claude Tchamitchian explose, martelant sa basse, tirant sur les cordes avec une violence inhabituelle?
A un autre moment, sur un autre titre, je me souviens d’ avoir vu Régis Huby faire des pizz bartokiens un peu énervés aussi. Catherine Delaunay soufflait, grondait dans son anche; seul le compositeur, calme, dans son rêve, grattait doucement sa guitare, plus attentif encore à voir comment ça fonctionnait avec ses camarades de jeu. Et pourtant, ce concert me laisse une impression de musique qui tourne, apaisante, un univers onirique qui se déploie, à la recherche de points d’ équilibre entre des contraires.
Je sors perplexe, et ce n’est pas le premier tableau de l’exposition de Marc Ducret intitulé » Morse » qui va me rassurer.
Marc Ducret- Sarah Lee Lefèvre: Morse/ vers les ruines/ histoire
Je fixe un peu obstinément l’écran sur lequel s’affiche une figure concentrique, un cercle d’ intensité lumineuse variable, tel un soleil pâle qui se déplacerait de nuit. Il est certain que je n’y « vois » rien, et que les travaux des vidéastes me demeurent souvent étranges, pour ne pas dire étrangers.
Cela va s’arranger quand je m’habitue à la nuit du plateau et repère sur la droite, assis à sa table d’écoute Marc Ducret, devant une guitare posée à plat, qu’il va triturer, selon un dispositif connu, agacer avec un mug. Il se fait bruiteur des images qui défilent, enfin des points et faisceaux lumineux qui composent ce signal…. Morse évidemment, ce qui me paraissait de l’astro-physique. Puis il joue d’une deuxième guitare en bandoulière sur un motif de point d’eau, qui se déforme comme sous l’effet d’une lame de microscope.
Deuxième tableau de cette suite, ça y est, je suis en terrain connu, la randonnée touristique en espace rural, ça me connaît, vers des ruines. Ces témoins qui « valaient le détour » étaient indiqués dans ces ouvrages de littérature touristique qui ne sont plus guère lus aujourd’hui à l’heure du GPS, des applis et des mobiles, ces premiers guides qui avaient pour nom Baedeker, Guide Bleu. Sur la gauche, un acteur, enfin, une voix éclairée, lit un texte de Marc Ducret, racontant sa quête désespérée et désespérante de la ruine à visiter. Tentation romantique des premiers touristes du 18 ème siècle?Nous allons le suivre dans ce parcours semé d’embûches. Le personnage qui raconte est tout sauf immobile, il n’attend rien, il va à la rencontre de, s’essouffle dans ce parcours qui deviendrait un raid dangereux, si nous n’étions dans ces contrées tempérées que montre le travail de Sarah Lee Lefèvre sur des cartes postales noir et blanc, ces vieilles reliques que l’on trouve dans les brocantes et vide grenier. Qui rappellent les photos qui ornaient les compartiments à 8 en seconde classe, SNCF, si peu confortables d’avant le Corail qui fut un temps pimpant. Sauf que ces vues de Dordogne ou de Namur s’animent et deviennent elles aussi abstraites.
Dernière partie, une histoire extraordinaire que ne renierait ni Poe ni Kafka d’un locataire qui devient peu à peu fou (Polanski ?) qui tend à fixer le mur rafraichi ( ce terme a son importance) jusqu’ à ce qu’apparaissent palimpsestueusement des traces d’ inscriptions du précédent habitant qui, son logeur l’a mis en garde, s’est suicidé.
La voix de Laurent Poitrenaux son timbre, ses accentuations, son rythme, tout est prenant, saisissant ; il met le texte remarquablement en valeur et nous tient en haleine. La musique devient plus sombre et nous assistons alors à un duel entre père et fils : la relation des Ducret les renvoie dans l(eu)rs cordes, guitare et violoncelle. Ils se ressemblent et le fils, Bruno, regarde Marc, le père, penché sur sa guitare. Quelque chose d’ émouvant, de fragile dans ce tendre affrontement.
Je remarque, tout entière tendue vers la voix du récitant une reprise, qui, sur le moment me surprend, m’agace. Au point que je demanderai après, à l’auteur du texte de m’éclairer. Et je dois reconnaître que j’apprécie la « pédagogie active » de Marc Ducret. Assurément il sait expliquer, démonter quelques mécanismes de ses créations. Très gentiment, il me donne quelques clés, il est clair ( je l’avais compris tout de même) que cette répétition n’était pas prévue pour gagner du temps, augmenter la longueur du texte, simuler un effet hypnotique. C’est que dans un deuxième temps, après avoir observé ce phénomène, l’écriture qui ressort littéralement du mur, le nouveau locataire va prendre la place du premier, occuper le pan de mur libre et écrire à son tour, à l’envers, le même texte. Avant le final, parfaitement énoncé par Laurent Poitrenaux, où le personnage en arrive à devenir plâtre, à se fondre dans le mur, à être absorbé, alors que les fissures du mur grossi macroscopiquement ( à la façon des textures granuleuses d’un Dubuffet ou d’un Fautrier) reviennent régulièrement sur l’écran. A moins que ce ne soient les dégoulinures qui sinuent, se répandent, comme un virus qui prolifère.
Les Emouvantes s’achèvent pour moi . Une fois encore, elles ont atteint leur objectif, nous faire plonger dans le travail et la pensée des artistes, nous faire assister à de singuliers « sons et images ».
Sophie Chambon
|Les Emouvantes continuent encore en ce vendredi 15 septembre, toujours à Marseille, chapelle des Bernardines. Et j’y suis.
Pierrick Hardy quartet : « L’ogre intact »
La Soirée commence avec un premier concert chambriste, décomplexé, actuel qui sied à l’architecture du lieu. Instrumentation de ce quartet acoustique de bois et de cordes : guitare six cordes d’acier ( Pierrick Hardy qui a la double habileté de jouer aussi de la clarinette), violon (Régis Huby), contrebasse ( Claude Tchamitchian), clarinette et cor de basset (Catherine Delaunay). Le cor de basset ressemble à une clarinette basse mais n’en est pas une. Mozart, amoureux des clarinettes, a utilisé le cor de basset pour écrire son concerto pour clarinette, ce que me souffle Philippe Méziat ayant interrogé Michel Portal qui, on le sait, a pratiqué ce concerto !
Un univers difficile à appréhender : si la musique est belle, quand on n’a pas la possibilité d’y revenir par le disque, se fier à sa seule mémoire auditive, peut ne pas être très efficace. Les compositions sont de Pierrick Hardy, passionné de littérature qui a œuvré pour la scène, théâtre et cinéma. S’il donne le titre des morceaux, le premier étant intitulé « Avant dire » du poète et traducteur Philippe Jacottet, il n’en dira pas plus sur ce qui l’inspire . La « Violence du terrain », autre titre frappant, reste dans ma mémoire: est-ce celui où, soudain Claude Tchamitchian explose, martelant sa basse, tirant sur les cordes avec une violence inhabituelle?
A un autre moment, sur un autre titre, je me souviens d’ avoir vu Régis Huby faire des pizz bartokiens un peu énervés aussi. Catherine Delaunay soufflait, grondait dans son anche; seul le compositeur, calme, dans son rêve, grattait doucement sa guitare, plus attentif encore à voir comment ça fonctionnait avec ses camarades de jeu. Et pourtant, ce concert me laisse une impression de musique qui tourne, apaisante, un univers onirique qui se déploie, à la recherche de points d’ équilibre entre des contraires.
Je sors perplexe, et ce n’est pas le premier tableau de l’exposition de Marc Ducret intitulé » Morse » qui va me rassurer.
Marc Ducret- Sarah Lee Lefèvre: Morse/ vers les ruines/ histoire
Je fixe un peu obstinément l’écran sur lequel s’affiche une figure concentrique, un cercle d’ intensité lumineuse variable, tel un soleil pâle qui se déplacerait de nuit. Il est certain que je n’y « vois » rien, et que les travaux des vidéastes me demeurent souvent étranges, pour ne pas dire étrangers.
Cela va s’arranger quand je m’habitue à la nuit du plateau et repère sur la droite, assis à sa table d’écoute Marc Ducret, devant une guitare posée à plat, qu’il va triturer, selon un dispositif connu, agacer avec un mug. Il se fait bruiteur des images qui défilent, enfin des points et faisceaux lumineux qui composent ce signal…. Morse évidemment, ce qui me paraissait de l’astro-physique. Puis il joue d’une deuxième guitare en bandoulière sur un motif de point d’eau, qui se déforme comme sous l’effet d’une lame de microscope.
Deuxième tableau de cette suite, ça y est, je suis en terrain connu, la randonnée touristique en espace rural, ça me connaît, vers des ruines. Ces témoins qui « valaient le détour » étaient indiqués dans ces ouvrages de littérature touristique qui ne sont plus guère lus aujourd’hui à l’heure du GPS, des applis et des mobiles, ces premiers guides qui avaient pour nom Baedeker, Guide Bleu. Sur la gauche, un acteur, enfin, une voix éclairée, lit un texte de Marc Ducret, racontant sa quête désespérée et désespérante de la ruine à visiter. Tentation romantique des premiers touristes du 18 ème siècle?Nous allons le suivre dans ce parcours semé d’embûches. Le personnage qui raconte est tout sauf immobile, il n’attend rien, il va à la rencontre de, s’essouffle dans ce parcours qui deviendrait un raid dangereux, si nous n’étions dans ces contrées tempérées que montre le travail de Sarah Lee Lefèvre sur des cartes postales noir et blanc, ces vieilles reliques que l’on trouve dans les brocantes et vide grenier. Qui rappellent les photos qui ornaient les compartiments à 8 en seconde classe, SNCF, si peu confortables d’avant le Corail qui fut un temps pimpant. Sauf que ces vues de Dordogne ou de Namur s’animent et deviennent elles aussi abstraites.
Dernière partie, une histoire extraordinaire que ne renierait ni Poe ni Kafka d’un locataire qui devient peu à peu fou (Polanski ?) qui tend à fixer le mur rafraichi ( ce terme a son importance) jusqu’ à ce qu’apparaissent palimpsestueusement des traces d’ inscriptions du précédent habitant qui, son logeur l’a mis en garde, s’est suicidé.
La voix de Laurent Poitrenaux son timbre, ses accentuations, son rythme, tout est prenant, saisissant ; il met le texte remarquablement en valeur et nous tient en haleine. La musique devient plus sombre et nous assistons alors à un duel entre père et fils : la relation des Ducret les renvoie dans l(eu)rs cordes, guitare et violoncelle. Ils se ressemblent et le fils, Bruno, regarde Marc, le père, penché sur sa guitare. Quelque chose d’ émouvant, de fragile dans ce tendre affrontement.
Je remarque, tout entière tendue vers la voix du récitant une reprise, qui, sur le moment me surprend, m’agace. Au point que je demanderai après, à l’auteur du texte de m’éclairer. Et je dois reconnaître que j’apprécie la « pédagogie active » de Marc Ducret. Assurément il sait expliquer, démonter quelques mécanismes de ses créations. Très gentiment, il me donne quelques clés, il est clair ( je l’avais compris tout de même) que cette répétition n’était pas prévue pour gagner du temps, augmenter la longueur du texte, simuler un effet hypnotique. C’est que dans un deuxième temps, après avoir observé ce phénomène, l’écriture qui ressort littéralement du mur, le nouveau locataire va prendre la place du premier, occuper le pan de mur libre et écrire à son tour, à l’envers, le même texte. Avant le final, parfaitement énoncé par Laurent Poitrenaux, où le personnage en arrive à devenir plâtre, à se fondre dans le mur, à être absorbé, alors que les fissures du mur grossi macroscopiquement ( à la façon des textures granuleuses d’un Dubuffet ou d’un Fautrier) reviennent régulièrement sur l’écran. A moins que ce ne soient les dégoulinures qui sinuent, se répandent, comme un virus qui prolifère.
Les Emouvantes s’achèvent pour moi . Une fois encore, elles ont atteint leur objectif, nous faire plonger dans le travail et la pensée des artistes, nous faire assister à de singuliers « sons et images ».
Sophie Chambon
|Les Emouvantes continuent encore en ce vendredi 15 septembre, toujours à Marseille, chapelle des Bernardines. Et j’y suis.
Pierrick Hardy quartet : « L’ogre intact »
La Soirée commence avec un premier concert chambriste, décomplexé, actuel qui sied à l’architecture du lieu. Instrumentation de ce quartet acoustique de bois et de cordes : guitare six cordes d’acier ( Pierrick Hardy qui a la double habileté de jouer aussi de la clarinette), violon (Régis Huby), contrebasse ( Claude Tchamitchian), clarinette et cor de basset (Catherine Delaunay). Le cor de basset ressemble à une clarinette basse mais n’en est pas une. Mozart, amoureux des clarinettes, a utilisé le cor de basset pour écrire son concerto pour clarinette, ce que me souffle Philippe Méziat ayant interrogé Michel Portal qui, on le sait, a pratiqué ce concerto !
Un univers difficile à appréhender : si la musique est belle, quand on n’a pas la possibilité d’y revenir par le disque, se fier à sa seule mémoire auditive, peut ne pas être très efficace. Les compositions sont de Pierrick Hardy, passionné de littérature qui a œuvré pour la scène, théâtre et cinéma. S’il donne le titre des morceaux, le premier étant intitulé « Avant dire » du poète et traducteur Philippe Jacottet, il n’en dira pas plus sur ce qui l’inspire . La « Violence du terrain », autre titre frappant, reste dans ma mémoire: est-ce celui où, soudain Claude Tchamitchian explose, martelant sa basse, tirant sur les cordes avec une violence inhabituelle?
A un autre moment, sur un autre titre, je me souviens d’ avoir vu Régis Huby faire des pizz bartokiens un peu énervés aussi. Catherine Delaunay soufflait, grondait dans son anche; seul le compositeur, calme, dans son rêve, grattait doucement sa guitare, plus attentif encore à voir comment ça fonctionnait avec ses camarades de jeu. Et pourtant, ce concert me laisse une impression de musique qui tourne, apaisante, un univers onirique qui se déploie, à la recherche de points d’ équilibre entre des contraires.
Je sors perplexe, et ce n’est pas le premier tableau de l’exposition de Marc Ducret intitulé » Morse » qui va me rassurer.
Marc Ducret- Sarah Lee Lefèvre: Morse/ vers les ruines/ histoire
Je fixe un peu obstinément l’écran sur lequel s’affiche une figure concentrique, un cercle d’ intensité lumineuse variable, tel un soleil pâle qui se déplacerait de nuit. Il est certain que je n’y « vois » rien, et que les travaux des vidéastes me demeurent souvent étranges, pour ne pas dire étrangers.
Cela va s’arranger quand je m’habitue à la nuit du plateau et repère sur la droite, assis à sa table d’écoute Marc Ducret, devant une guitare posée à plat, qu’il va triturer, selon un dispositif connu, agacer avec un mug. Il se fait bruiteur des images qui défilent, enfin des points et faisceaux lumineux qui composent ce signal…. Morse évidemment, ce qui me paraissait de l’astro-physique. Puis il joue d’une deuxième guitare en bandoulière sur un motif de point d’eau, qui se déforme comme sous l’effet d’une lame de microscope.
Deuxième tableau de cette suite, ça y est, je suis en terrain connu, la randonnée touristique en espace rural, ça me connaît, vers des ruines. Ces témoins qui « valaient le détour » étaient indiqués dans ces ouvrages de littérature touristique qui ne sont plus guère lus aujourd’hui à l’heure du GPS, des applis et des mobiles, ces premiers guides qui avaient pour nom Baedeker, Guide Bleu. Sur la gauche, un acteur, enfin, une voix éclairée, lit un texte de Marc Ducret, racontant sa quête désespérée et désespérante de la ruine à visiter. Tentation romantique des premiers touristes du 18 ème siècle?Nous allons le suivre dans ce parcours semé d’embûches. Le personnage qui raconte est tout sauf immobile, il n’attend rien, il va à la rencontre de, s’essouffle dans ce parcours qui deviendrait un raid dangereux, si nous n’étions dans ces contrées tempérées que montre le travail de Sarah Lee Lefèvre sur des cartes postales noir et blanc, ces vieilles reliques que l’on trouve dans les brocantes et vide grenier. Qui rappellent les photos qui ornaient les compartiments à 8 en seconde classe, SNCF, si peu confortables d’avant le Corail qui fut un temps pimpant. Sauf que ces vues de Dordogne ou de Namur s’animent et deviennent elles aussi abstraites.
Dernière partie, une histoire extraordinaire que ne renierait ni Poe ni Kafka d’un locataire qui devient peu à peu fou (Polanski ?) qui tend à fixer le mur rafraichi ( ce terme a son importance) jusqu’ à ce qu’apparaissent palimpsestueusement des traces d’ inscriptions du précédent habitant qui, son logeur l’a mis en garde, s’est suicidé.
La voix de Laurent Poitrenaux son timbre, ses accentuations, son rythme, tout est prenant, saisissant ; il met le texte remarquablement en valeur et nous tient en haleine. La musique devient plus sombre et nous assistons alors à un duel entre père et fils : la relation des Ducret les renvoie dans l(eu)rs cordes, guitare et violoncelle. Ils se ressemblent et le fils, Bruno, regarde Marc, le père, penché sur sa guitare. Quelque chose d’ émouvant, de fragile dans ce tendre affrontement.
Je remarque, tout entière tendue vers la voix du récitant une reprise, qui, sur le moment me surprend, m’agace. Au point que je demanderai après, à l’auteur du texte de m’éclairer. Et je dois reconnaître que j’apprécie la « pédagogie active » de Marc Ducret. Assurément il sait expliquer, démonter quelques mécanismes de ses créations. Très gentiment, il me donne quelques clés, il est clair ( je l’avais compris tout de même) que cette répétition n’était pas prévue pour gagner du temps, augmenter la longueur du texte, simuler un effet hypnotique. C’est que dans un deuxième temps, après avoir observé ce phénomène, l’écriture qui ressort littéralement du mur, le nouveau locataire va prendre la place du premier, occuper le pan de mur libre et écrire à son tour, à l’envers, le même texte. Avant le final, parfaitement énoncé par Laurent Poitrenaux, où le personnage en arrive à devenir plâtre, à se fondre dans le mur, à être absorbé, alors que les fissures du mur grossi macroscopiquement ( à la façon des textures granuleuses d’un Dubuffet ou d’un Fautrier) reviennent régulièrement sur l’écran. A moins que ce ne soient les dégoulinures qui sinuent, se répandent, comme un virus qui prolifère.
Les Emouvantes s’achèvent pour moi . Une fois encore, elles ont atteint leur objectif, nous faire plonger dans le travail et la pensée des artistes, nous faire assister à de singuliers « sons et images ».
Sophie Chambon
|Les Emouvantes continuent encore en ce vendredi 15 septembre, toujours à Marseille, chapelle des Bernardines. Et j’y suis.
Pierrick Hardy quartet : « L’ogre intact »
La Soirée commence avec un premier concert chambriste, décomplexé, actuel qui sied à l’architecture du lieu. Instrumentation de ce quartet acoustique de bois et de cordes : guitare six cordes d’acier ( Pierrick Hardy qui a la double habileté de jouer aussi de la clarinette), violon (Régis Huby), contrebasse ( Claude Tchamitchian), clarinette et cor de basset (Catherine Delaunay). Le cor de basset ressemble à une clarinette basse mais n’en est pas une. Mozart, amoureux des clarinettes, a utilisé le cor de basset pour écrire son concerto pour clarinette, ce que me souffle Philippe Méziat ayant interrogé Michel Portal qui, on le sait, a pratiqué ce concerto !
Un univers difficile à appréhender : si la musique est belle, quand on n’a pas la possibilité d’y revenir par le disque, se fier à sa seule mémoire auditive, peut ne pas être très efficace. Les compositions sont de Pierrick Hardy, passionné de littérature qui a œuvré pour la scène, théâtre et cinéma. S’il donne le titre des morceaux, le premier étant intitulé « Avant dire » du poète et traducteur Philippe Jacottet, il n’en dira pas plus sur ce qui l’inspire . La « Violence du terrain », autre titre frappant, reste dans ma mémoire: est-ce celui où, soudain Claude Tchamitchian explose, martelant sa basse, tirant sur les cordes avec une violence inhabituelle?
A un autre moment, sur un autre titre, je me souviens d’ avoir vu Régis Huby faire des pizz bartokiens un peu énervés aussi. Catherine Delaunay soufflait, grondait dans son anche; seul le compositeur, calme, dans son rêve, grattait doucement sa guitare, plus attentif encore à voir comment ça fonctionnait avec ses camarades de jeu. Et pourtant, ce concert me laisse une impression de musique qui tourne, apaisante, un univers onirique qui se déploie, à la recherche de points d’ équilibre entre des contraires.
Je sors perplexe, et ce n’est pas le premier tableau de l’exposition de Marc Ducret intitulé » Morse » qui va me rassurer.
Marc Ducret- Sarah Lee Lefèvre: Morse/ vers les ruines/ histoire
Je fixe un peu obstinément l’écran sur lequel s’affiche une figure concentrique, un cercle d’ intensité lumineuse variable, tel un soleil pâle qui se déplacerait de nuit. Il est certain que je n’y « vois » rien, et que les travaux des vidéastes me demeurent souvent étranges, pour ne pas dire étrangers.
Cela va s’arranger quand je m’habitue à la nuit du plateau et repère sur la droite, assis à sa table d’écoute Marc Ducret, devant une guitare posée à plat, qu’il va triturer, selon un dispositif connu, agacer avec un mug. Il se fait bruiteur des images qui défilent, enfin des points et faisceaux lumineux qui composent ce signal…. Morse évidemment, ce qui me paraissait de l’astro-physique. Puis il joue d’une deuxième guitare en bandoulière sur un motif de point d’eau, qui se déforme comme sous l’effet d’une lame de microscope.
Deuxième tableau de cette suite, ça y est, je suis en terrain connu, la randonnée touristique en espace rural, ça me connaît, vers des ruines. Ces témoins qui « valaient le détour » étaient indiqués dans ces ouvrages de littérature touristique qui ne sont plus guère lus aujourd’hui à l’heure du GPS, des applis et des mobiles, ces premiers guides qui avaient pour nom Baedeker, Guide Bleu. Sur la gauche, un acteur, enfin, une voix éclairée, lit un texte de Marc Ducret, racontant sa quête désespérée et désespérante de la ruine à visiter. Tentation romantique des premiers touristes du 18 ème siècle?Nous allons le suivre dans ce parcours semé d’embûches. Le personnage qui raconte est tout sauf immobile, il n’attend rien, il va à la rencontre de, s’essouffle dans ce parcours qui deviendrait un raid dangereux, si nous n’étions dans ces contrées tempérées que montre le travail de Sarah Lee Lefèvre sur des cartes postales noir et blanc, ces vieilles reliques que l’on trouve dans les brocantes et vide grenier. Qui rappellent les photos qui ornaient les compartiments à 8 en seconde classe, SNCF, si peu confortables d’avant le Corail qui fut un temps pimpant. Sauf que ces vues de Dordogne ou de Namur s’animent et deviennent elles aussi abstraites.
Dernière partie, une histoire extraordinaire que ne renierait ni Poe ni Kafka d’un locataire qui devient peu à peu fou (Polanski ?) qui tend à fixer le mur rafraichi ( ce terme a son importance) jusqu’ à ce qu’apparaissent palimpsestueusement des traces d’ inscriptions du précédent habitant qui, son logeur l’a mis en garde, s’est suicidé.
La voix de Laurent Poitrenaux son timbre, ses accentuations, son rythme, tout est prenant, saisissant ; il met le texte remarquablement en valeur et nous tient en haleine. La musique devient plus sombre et nous assistons alors à un duel entre père et fils : la relation des Ducret les renvoie dans l(eu)rs cordes, guitare et violoncelle. Ils se ressemblent et le fils, Bruno, regarde Marc, le père, penché sur sa guitare. Quelque chose d’ émouvant, de fragile dans ce tendre affrontement.
Je remarque, tout entière tendue vers la voix du récitant une reprise, qui, sur le moment me surprend, m’agace. Au point que je demanderai après, à l’auteur du texte de m’éclairer. Et je dois reconnaître que j’apprécie la « pédagogie active » de Marc Ducret. Assurément il sait expliquer, démonter quelques mécanismes de ses créations. Très gentiment, il me donne quelques clés, il est clair ( je l’avais compris tout de même) que cette répétition n’était pas prévue pour gagner du temps, augmenter la longueur du texte, simuler un effet hypnotique. C’est que dans un deuxième temps, après avoir observé ce phénomène, l’écriture qui ressort littéralement du mur, le nouveau locataire va prendre la place du premier, occuper le pan de mur libre et écrire à son tour, à l’envers, le même texte. Avant le final, parfaitement énoncé par Laurent Poitrenaux, où le personnage en arrive à devenir plâtre, à se fondre dans le mur, à être absorbé, alors que les fissures du mur grossi macroscopiquement ( à la façon des textures granuleuses d’un Dubuffet ou d’un Fautrier) reviennent régulièrement sur l’écran. A moins que ce ne soient les dégoulinures qui sinuent, se répandent, comme un virus qui prolifère.
Les Emouvantes s’achèvent pour moi . Une fois encore, elles ont atteint leur objectif, nous faire plonger dans le travail et la pensée des artistes, nous faire assister à de singuliers « sons et images ».
Sophie Chambon