ENRICO PIERANUNZI à LAON : l'Art de la métamorphose
Lieu insolite, et circonstances particulières : le pianiste italien, en trio avec Diego Imbert et André Ceccarelli, jouait à l’interconnexion du festival de Laon et du festival Jazz’titudes dans l’entrepôt d’une entreprise partenaire qui fêtait ses 170 ans !
Le festival de Laon, bientôt trente ans d’âge et orienté vers la musique classique, s’est associé au 20ème festival Jazz’titudes pour un événement singulier. Il s’agissait de faire entendre le trio d’Enrico Pieranunzi, et le programme de son disque «Ménage à Trois», publié l’an dernier, dans lequel le pianiste et ses partenaires entraînent Bach, Schumann, Fauré, Debussy, Satie, Poulenc et Milhaud sur les territoires du jazz. Pour ce programme légèrement déviant qui s’accordait à la thématique choisie cette année par le festival de Laon, ‘Passages’ , un cadre très inusité : les entrepôts du Groupe Caille, entreprise laonnoise mécène du festival, et qui fêtait en cette occasion 170 années d’activités, inaugurées sous la Monarchie de Juillet avec la régie municipale de l’éclairage au gaz, et poursuivie dans le commerce du charbon, puis les transports, déménagements et logistique, jusqu’à offrir désormais également des services de numérisation et de stockage de données. C’est ainsi que, dans un entrepôt provisoirement transformé en salle de concert, et a proximité des travées voisines envahies de palettes empilées jusqu’au faîte, un très beau concert s’est déroulé dans le plus inattendu des décors.
L’entrepôt se métamorphose…. en salle de concert !
ENRICO PIERANUNZI TRIO
Enrico Pieranunzi (piano, arrangements), Diego Imbert (contrebasse), André Ceccarelli (batterie)
Laon, Groupe Caille, 23 septembre 2017, 20h
Missionné en ces lieux par mes joyeux camarades de Jazz Magazine, peut-être parce que je suis un Axonien (dans la novlangue des Conseils départementaux, un natif du département de l’Aisne….), c’est avec enthousiasme que je me suis précipité, à quelques kilomètres de ma ruralité originelle, pour écouter des musiciens que j’admire. Intrigué par la singularité du lieu de concert, je suis venu dès la balance, pour observer les préparatifs studieux des musiciens, qui peaufinaient la précision diabolique d’une relecture pour le moins virtuose. Et j’en profitais pour constater que les sonorisateurs parvenaient à tirer un parti plus que satisfaisant d’une acoustique a priori peu adéquate.
pendant la balance Dominique Capelle, de Jazz’titudes, photographie le trio
Le concert commence avec la Première Gymnopédie de Satie, exposée comme s’il s’agissait d’une ballade de Broadway, avant d’ouvrir des échappatoires qui, déjà, frisent le vertige. Puis vient le Crépuscule de Darius Milhaud, entonné plein jazz, et qui va bien vite se laisser entraîner vers le blues (tendance All Blues), offrant aux trois partenaires toute latitude pour une verve que plus rien ne viendra démentir. C’est maintenant le tour de Robert Schumann, qui va subir les assauts enthousiastes (mais pas irrespectueux) des métamorphoses musicales pratiquées par Enrico Pieranunzi. Un extrait du Carnaval de Vienne, après un exposé littéral et recueilli, va tourner tempo di jazz, comme on dit en Italie, avec des breaks de contrebasse et de batterie qui vont installer durablement une effervescence souvent torride. Liebestraum n° 2, de Liszt, joué dans le romantisme le plus idoine, va soudain basculer façon Caraïbes tendance calypso, avec des échanges d’une belle intensité entre le piano et la batterie, bientôt rejoints par la basse. La Sicilienne de Bach va hésiter entre Brésil et Trinidad, avant d’ouvrir le champ à Diego Imbert pour un phrasé des plus lyriques… mais très vite on reviendra vers Trinidad pour une bribe de Saint Thomas, de Sonny Rollins ! Pour la Romance de Darius Milhaud, après un exposé qui oscille entre l’univers de Bill Evans et celui de la Bossa Nova (doucement balancé par les balais d’André Ceccarelli), la musique va se mettre à pétiller de plus en plus, jusqu’à des explosions paroxystiques. Sur La Plus que lente de Debussy, le pianiste s’en donne à cœur joie, jouant d’inflexions et de rubato avant de plonger dans le jazz, en garnérisant un peu, puis de foncer bille en tête dans la cursivité du jazz le plus moderne. Debussy toujours, pour l’escale suivante, avec une relecture très libre du Gollywogg’s Cake-Walk, davantage entraîné vers la musique afro-cubaine que vers le ragtime dont il est contemporain, avant un atterrissage en standard au cœur de Night and Day…. A cette occasion Enrico Pieranunzi, comme il l’a fait tout au long du concert, armé d’un humour pince sans rire qui rappelle un peu Martial Solal (dont il est un admirateur fervent !), s’adresse au public. Mais cette fois il reste en terrain sérieux, afin d’annoncer que, pour 2018 et le centenaire de la disparition de Debussy, il prépare un hommage en jazz avec ce trio et quelques invités : on attend cela avec une impatience gourmande. Les spectateurs sont conquis. Cette soirée mêle les publics des deux festivals, amateurs de musique classique et jazzfans, ainsi qu’une bonne centaine de salariés du Groupe Caille manifestement ravis de voir leur entreprise sous un jour festif. Le trio sera rappelé à deux reprises : d’abord pour une version très renouvelée de l’Hommage à Édith Piaf de Francis Poulenc dans ses Improvisations (le piano chante avec nostalgie) ; puis avec un dernier retour à Schumann, et à la Danse n° 2 de l’opus 6. Les musiciens reviennent encore pour saluer un public aussi comblé que votre serviteur, et quand les spectateurs sortent de l’entrepôt pour regagner leurs pénates, un spectaculaire feu d’artifice va clore dignement le 170ème anniversaire de l’entreprise qui nous a accueillis.
Xavier Prévost
Sous le nom de Diego Imbert, ce trio vient de publier «Tribute to Charlie Haden» (Trebim Music/ L’Autre distribution), avec le concours de sections de cordes et de bois arrangées par Pierre Bertrand. Un concert de sortie accueillera l’équipe au grand complet à Paris, le 29 novembre
|Lieu insolite, et circonstances particulières : le pianiste italien, en trio avec Diego Imbert et André Ceccarelli, jouait à l’interconnexion du festival de Laon et du festival Jazz’titudes dans l’entrepôt d’une entreprise partenaire qui fêtait ses 170 ans !
Le festival de Laon, bientôt trente ans d’âge et orienté vers la musique classique, s’est associé au 20ème festival Jazz’titudes pour un événement singulier. Il s’agissait de faire entendre le trio d’Enrico Pieranunzi, et le programme de son disque «Ménage à Trois», publié l’an dernier, dans lequel le pianiste et ses partenaires entraînent Bach, Schumann, Fauré, Debussy, Satie, Poulenc et Milhaud sur les territoires du jazz. Pour ce programme légèrement déviant qui s’accordait à la thématique choisie cette année par le festival de Laon, ‘Passages’ , un cadre très inusité : les entrepôts du Groupe Caille, entreprise laonnoise mécène du festival, et qui fêtait en cette occasion 170 années d’activités, inaugurées sous la Monarchie de Juillet avec la régie municipale de l’éclairage au gaz, et poursuivie dans le commerce du charbon, puis les transports, déménagements et logistique, jusqu’à offrir désormais également des services de numérisation et de stockage de données. C’est ainsi que, dans un entrepôt provisoirement transformé en salle de concert, et a proximité des travées voisines envahies de palettes empilées jusqu’au faîte, un très beau concert s’est déroulé dans le plus inattendu des décors.
L’entrepôt se métamorphose…. en salle de concert !
ENRICO PIERANUNZI TRIO
Enrico Pieranunzi (piano, arrangements), Diego Imbert (contrebasse), André Ceccarelli (batterie)
Laon, Groupe Caille, 23 septembre 2017, 20h
Missionné en ces lieux par mes joyeux camarades de Jazz Magazine, peut-être parce que je suis un Axonien (dans la novlangue des Conseils départementaux, un natif du département de l’Aisne….), c’est avec enthousiasme que je me suis précipité, à quelques kilomètres de ma ruralité originelle, pour écouter des musiciens que j’admire. Intrigué par la singularité du lieu de concert, je suis venu dès la balance, pour observer les préparatifs studieux des musiciens, qui peaufinaient la précision diabolique d’une relecture pour le moins virtuose. Et j’en profitais pour constater que les sonorisateurs parvenaient à tirer un parti plus que satisfaisant d’une acoustique a priori peu adéquate.
pendant la balance Dominique Capelle, de Jazz’titudes, photographie le trio
Le concert commence avec la Première Gymnopédie de Satie, exposée comme s’il s’agissait d’une ballade de Broadway, avant d’ouvrir des échappatoires qui, déjà, frisent le vertige. Puis vient le Crépuscule de Darius Milhaud, entonné plein jazz, et qui va bien vite se laisser entraîner vers le blues (tendance All Blues), offrant aux trois partenaires toute latitude pour une verve que plus rien ne viendra démentir. C’est maintenant le tour de Robert Schumann, qui va subir les assauts enthousiastes (mais pas irrespectueux) des métamorphoses musicales pratiquées par Enrico Pieranunzi. Un extrait du Carnaval de Vienne, après un exposé littéral et recueilli, va tourner tempo di jazz, comme on dit en Italie, avec des breaks de contrebasse et de batterie qui vont installer durablement une effervescence souvent torride. Liebestraum n° 2, de Liszt, joué dans le romantisme le plus idoine, va soudain basculer façon Caraïbes tendance calypso, avec des échanges d’une belle intensité entre le piano et la batterie, bientôt rejoints par la basse. La Sicilienne de Bach va hésiter entre Brésil et Trinidad, avant d’ouvrir le champ à Diego Imbert pour un phrasé des plus lyriques… mais très vite on reviendra vers Trinidad pour une bribe de Saint Thomas, de Sonny Rollins ! Pour la Romance de Darius Milhaud, après un exposé qui oscille entre l’univers de Bill Evans et celui de la Bossa Nova (doucement balancé par les balais d’André Ceccarelli), la musique va se mettre à pétiller de plus en plus, jusqu’à des explosions paroxystiques. Sur La Plus que lente de Debussy, le pianiste s’en donne à cœur joie, jouant d’inflexions et de rubato avant de plonger dans le jazz, en garnérisant un peu, puis de foncer bille en tête dans la cursivité du jazz le plus moderne. Debussy toujours, pour l’escale suivante, avec une relecture très libre du Gollywogg’s Cake-Walk, davantage entraîné vers la musique afro-cubaine que vers le ragtime dont il est contemporain, avant un atterrissage en standard au cœur de Night and Day…. A cette occasion Enrico Pieranunzi, comme il l’a fait tout au long du concert, armé d’un humour pince sans rire qui rappelle un peu Martial Solal (dont il est un admirateur fervent !), s’adresse au public. Mais cette fois il reste en terrain sérieux, afin d’annoncer que, pour 2018 et le centenaire de la disparition de Debussy, il prépare un hommage en jazz avec ce trio et quelques invités : on attend cela avec une impatience gourmande. Les spectateurs sont conquis. Cette soirée mêle les publics des deux festivals, amateurs de musique classique et jazzfans, ainsi qu’une bonne centaine de salariés du Groupe Caille manifestement ravis de voir leur entreprise sous un jour festif. Le trio sera rappelé à deux reprises : d’abord pour une version très renouvelée de l’Hommage à Édith Piaf de Francis Poulenc dans ses Improvisations (le piano chante avec nostalgie) ; puis avec un dernier retour à Schumann, et à la Danse n° 2 de l’opus 6. Les musiciens reviennent encore pour saluer un public aussi comblé que votre serviteur, et quand les spectateurs sortent de l’entrepôt pour regagner leurs pénates, un spectaculaire feu d’artifice va clore dignement le 170ème anniversaire de l’entreprise qui nous a accueillis.
Xavier Prévost
Sous le nom de Diego Imbert, ce trio vient de publier «Tribute to Charlie Haden» (Trebim Music/ L’Autre distribution), avec le concours de sections de cordes et de bois arrangées par Pierre Bertrand. Un concert de sortie accueillera l’équipe au grand complet à Paris, le 29 novembre
|Lieu insolite, et circonstances particulières : le pianiste italien, en trio avec Diego Imbert et André Ceccarelli, jouait à l’interconnexion du festival de Laon et du festival Jazz’titudes dans l’entrepôt d’une entreprise partenaire qui fêtait ses 170 ans !
Le festival de Laon, bientôt trente ans d’âge et orienté vers la musique classique, s’est associé au 20ème festival Jazz’titudes pour un événement singulier. Il s’agissait de faire entendre le trio d’Enrico Pieranunzi, et le programme de son disque «Ménage à Trois», publié l’an dernier, dans lequel le pianiste et ses partenaires entraînent Bach, Schumann, Fauré, Debussy, Satie, Poulenc et Milhaud sur les territoires du jazz. Pour ce programme légèrement déviant qui s’accordait à la thématique choisie cette année par le festival de Laon, ‘Passages’ , un cadre très inusité : les entrepôts du Groupe Caille, entreprise laonnoise mécène du festival, et qui fêtait en cette occasion 170 années d’activités, inaugurées sous la Monarchie de Juillet avec la régie municipale de l’éclairage au gaz, et poursuivie dans le commerce du charbon, puis les transports, déménagements et logistique, jusqu’à offrir désormais également des services de numérisation et de stockage de données. C’est ainsi que, dans un entrepôt provisoirement transformé en salle de concert, et a proximité des travées voisines envahies de palettes empilées jusqu’au faîte, un très beau concert s’est déroulé dans le plus inattendu des décors.
L’entrepôt se métamorphose…. en salle de concert !
ENRICO PIERANUNZI TRIO
Enrico Pieranunzi (piano, arrangements), Diego Imbert (contrebasse), André Ceccarelli (batterie)
Laon, Groupe Caille, 23 septembre 2017, 20h
Missionné en ces lieux par mes joyeux camarades de Jazz Magazine, peut-être parce que je suis un Axonien (dans la novlangue des Conseils départementaux, un natif du département de l’Aisne….), c’est avec enthousiasme que je me suis précipité, à quelques kilomètres de ma ruralité originelle, pour écouter des musiciens que j’admire. Intrigué par la singularité du lieu de concert, je suis venu dès la balance, pour observer les préparatifs studieux des musiciens, qui peaufinaient la précision diabolique d’une relecture pour le moins virtuose. Et j’en profitais pour constater que les sonorisateurs parvenaient à tirer un parti plus que satisfaisant d’une acoustique a priori peu adéquate.
pendant la balance Dominique Capelle, de Jazz’titudes, photographie le trio
Le concert commence avec la Première Gymnopédie de Satie, exposée comme s’il s’agissait d’une ballade de Broadway, avant d’ouvrir des échappatoires qui, déjà, frisent le vertige. Puis vient le Crépuscule de Darius Milhaud, entonné plein jazz, et qui va bien vite se laisser entraîner vers le blues (tendance All Blues), offrant aux trois partenaires toute latitude pour une verve que plus rien ne viendra démentir. C’est maintenant le tour de Robert Schumann, qui va subir les assauts enthousiastes (mais pas irrespectueux) des métamorphoses musicales pratiquées par Enrico Pieranunzi. Un extrait du Carnaval de Vienne, après un exposé littéral et recueilli, va tourner tempo di jazz, comme on dit en Italie, avec des breaks de contrebasse et de batterie qui vont installer durablement une effervescence souvent torride. Liebestraum n° 2, de Liszt, joué dans le romantisme le plus idoine, va soudain basculer façon Caraïbes tendance calypso, avec des échanges d’une belle intensité entre le piano et la batterie, bientôt rejoints par la basse. La Sicilienne de Bach va hésiter entre Brésil et Trinidad, avant d’ouvrir le champ à Diego Imbert pour un phrasé des plus lyriques… mais très vite on reviendra vers Trinidad pour une bribe de Saint Thomas, de Sonny Rollins ! Pour la Romance de Darius Milhaud, après un exposé qui oscille entre l’univers de Bill Evans et celui de la Bossa Nova (doucement balancé par les balais d’André Ceccarelli), la musique va se mettre à pétiller de plus en plus, jusqu’à des explosions paroxystiques. Sur La Plus que lente de Debussy, le pianiste s’en donne à cœur joie, jouant d’inflexions et de rubato avant de plonger dans le jazz, en garnérisant un peu, puis de foncer bille en tête dans la cursivité du jazz le plus moderne. Debussy toujours, pour l’escale suivante, avec une relecture très libre du Gollywogg’s Cake-Walk, davantage entraîné vers la musique afro-cubaine que vers le ragtime dont il est contemporain, avant un atterrissage en standard au cœur de Night and Day…. A cette occasion Enrico Pieranunzi, comme il l’a fait tout au long du concert, armé d’un humour pince sans rire qui rappelle un peu Martial Solal (dont il est un admirateur fervent !), s’adresse au public. Mais cette fois il reste en terrain sérieux, afin d’annoncer que, pour 2018 et le centenaire de la disparition de Debussy, il prépare un hommage en jazz avec ce trio et quelques invités : on attend cela avec une impatience gourmande. Les spectateurs sont conquis. Cette soirée mêle les publics des deux festivals, amateurs de musique classique et jazzfans, ainsi qu’une bonne centaine de salariés du Groupe Caille manifestement ravis de voir leur entreprise sous un jour festif. Le trio sera rappelé à deux reprises : d’abord pour une version très renouvelée de l’Hommage à Édith Piaf de Francis Poulenc dans ses Improvisations (le piano chante avec nostalgie) ; puis avec un dernier retour à Schumann, et à la Danse n° 2 de l’opus 6. Les musiciens reviennent encore pour saluer un public aussi comblé que votre serviteur, et quand les spectateurs sortent de l’entrepôt pour regagner leurs pénates, un spectaculaire feu d’artifice va clore dignement le 170ème anniversaire de l’entreprise qui nous a accueillis.
Xavier Prévost
Sous le nom de Diego Imbert, ce trio vient de publier «Tribute to Charlie Haden» (Trebim Music/ L’Autre distribution), avec le concours de sections de cordes et de bois arrangées par Pierre Bertrand. Un concert de sortie accueillera l’équipe au grand complet à Paris, le 29 novembre
|Lieu insolite, et circonstances particulières : le pianiste italien, en trio avec Diego Imbert et André Ceccarelli, jouait à l’interconnexion du festival de Laon et du festival Jazz’titudes dans l’entrepôt d’une entreprise partenaire qui fêtait ses 170 ans !
Le festival de Laon, bientôt trente ans d’âge et orienté vers la musique classique, s’est associé au 20ème festival Jazz’titudes pour un événement singulier. Il s’agissait de faire entendre le trio d’Enrico Pieranunzi, et le programme de son disque «Ménage à Trois», publié l’an dernier, dans lequel le pianiste et ses partenaires entraînent Bach, Schumann, Fauré, Debussy, Satie, Poulenc et Milhaud sur les territoires du jazz. Pour ce programme légèrement déviant qui s’accordait à la thématique choisie cette année par le festival de Laon, ‘Passages’ , un cadre très inusité : les entrepôts du Groupe Caille, entreprise laonnoise mécène du festival, et qui fêtait en cette occasion 170 années d’activités, inaugurées sous la Monarchie de Juillet avec la régie municipale de l’éclairage au gaz, et poursuivie dans le commerce du charbon, puis les transports, déménagements et logistique, jusqu’à offrir désormais également des services de numérisation et de stockage de données. C’est ainsi que, dans un entrepôt provisoirement transformé en salle de concert, et a proximité des travées voisines envahies de palettes empilées jusqu’au faîte, un très beau concert s’est déroulé dans le plus inattendu des décors.
L’entrepôt se métamorphose…. en salle de concert !
ENRICO PIERANUNZI TRIO
Enrico Pieranunzi (piano, arrangements), Diego Imbert (contrebasse), André Ceccarelli (batterie)
Laon, Groupe Caille, 23 septembre 2017, 20h
Missionné en ces lieux par mes joyeux camarades de Jazz Magazine, peut-être parce que je suis un Axonien (dans la novlangue des Conseils départementaux, un natif du département de l’Aisne….), c’est avec enthousiasme que je me suis précipité, à quelques kilomètres de ma ruralité originelle, pour écouter des musiciens que j’admire. Intrigué par la singularité du lieu de concert, je suis venu dès la balance, pour observer les préparatifs studieux des musiciens, qui peaufinaient la précision diabolique d’une relecture pour le moins virtuose. Et j’en profitais pour constater que les sonorisateurs parvenaient à tirer un parti plus que satisfaisant d’une acoustique a priori peu adéquate.
pendant la balance Dominique Capelle, de Jazz’titudes, photographie le trio
Le concert commence avec la Première Gymnopédie de Satie, exposée comme s’il s’agissait d’une ballade de Broadway, avant d’ouvrir des échappatoires qui, déjà, frisent le vertige. Puis vient le Crépuscule de Darius Milhaud, entonné plein jazz, et qui va bien vite se laisser entraîner vers le blues (tendance All Blues), offrant aux trois partenaires toute latitude pour une verve que plus rien ne viendra démentir. C’est maintenant le tour de Robert Schumann, qui va subir les assauts enthousiastes (mais pas irrespectueux) des métamorphoses musicales pratiquées par Enrico Pieranunzi. Un extrait du Carnaval de Vienne, après un exposé littéral et recueilli, va tourner tempo di jazz, comme on dit en Italie, avec des breaks de contrebasse et de batterie qui vont installer durablement une effervescence souvent torride. Liebestraum n° 2, de Liszt, joué dans le romantisme le plus idoine, va soudain basculer façon Caraïbes tendance calypso, avec des échanges d’une belle intensité entre le piano et la batterie, bientôt rejoints par la basse. La Sicilienne de Bach va hésiter entre Brésil et Trinidad, avant d’ouvrir le champ à Diego Imbert pour un phrasé des plus lyriques… mais très vite on reviendra vers Trinidad pour une bribe de Saint Thomas, de Sonny Rollins ! Pour la Romance de Darius Milhaud, après un exposé qui oscille entre l’univers de Bill Evans et celui de la Bossa Nova (doucement balancé par les balais d’André Ceccarelli), la musique va se mettre à pétiller de plus en plus, jusqu’à des explosions paroxystiques. Sur La Plus que lente de Debussy, le pianiste s’en donne à cœur joie, jouant d’inflexions et de rubato avant de plonger dans le jazz, en garnérisant un peu, puis de foncer bille en tête dans la cursivité du jazz le plus moderne. Debussy toujours, pour l’escale suivante, avec une relecture très libre du Gollywogg’s Cake-Walk, davantage entraîné vers la musique afro-cubaine que vers le ragtime dont il est contemporain, avant un atterrissage en standard au cœur de Night and Day…. A cette occasion Enrico Pieranunzi, comme il l’a fait tout au long du concert, armé d’un humour pince sans rire qui rappelle un peu Martial Solal (dont il est un admirateur fervent !), s’adresse au public. Mais cette fois il reste en terrain sérieux, afin d’annoncer que, pour 2018 et le centenaire de la disparition de Debussy, il prépare un hommage en jazz avec ce trio et quelques invités : on attend cela avec une impatience gourmande. Les spectateurs sont conquis. Cette soirée mêle les publics des deux festivals, amateurs de musique classique et jazzfans, ainsi qu’une bonne centaine de salariés du Groupe Caille manifestement ravis de voir leur entreprise sous un jour festif. Le trio sera rappelé à deux reprises : d’abord pour une version très renouvelée de l’Hommage à Édith Piaf de Francis Poulenc dans ses Improvisations (le piano chante avec nostalgie) ; puis avec un dernier retour à Schumann, et à la Danse n° 2 de l’opus 6. Les musiciens reviennent encore pour saluer un public aussi comblé que votre serviteur, et quand les spectateurs sortent de l’entrepôt pour regagner leurs pénates, un spectaculaire feu d’artifice va clore dignement le 170ème anniversaire de l’entreprise qui nous a accueillis.
Xavier Prévost
Sous le nom de Diego Imbert, ce trio vient de publier «Tribute to Charlie Haden» (Trebim Music/ L’Autre distribution), avec le concours de sections de cordes et de bois arrangées par Pierre Bertrand. Un concert de sortie accueillera l’équipe au grand complet à Paris, le 29 novembre