Quartet européen au 38 Riv'
Mercredi soir, le 38 Riv’ accueillait un quartet improvisé formé de jeunes musiciens qui se sont croisés dans différents conservatoires européens. Ce quartet éphémère formé de deux Français, d’une italienne, et d’un Anglais n’avait disposé en tout et pour tout que d’une toute petite heure de répétition. Cela ne les a pas empêchés de produire une musique fraîche, joyeuse, et d’une éclatante vitalité.
Philippe Maniez (dm) , Mark Pringle (p) , Rosa Brunello (b), pascal mabit (saxophone alto), 27 avril 2016, au 38 Riv’, rue de Rivoli, 75004 Paris
Ce quartet regroupe donc des jeunes musiciens doués et brillants, passant des standards de jazz aux musiques plus ouvertes comme d’une chemise à carreaux à une chemise rayée. La première composition, Sam, est de la plume du batteur Philippe Maniez. C’est une composition ouverte, harmoniquement assez dépouillée, qui émerge d’un environnement bruitiste où chacun prend son instrument à rebrousse-poil.
Ensuite vient une composition très lyrique de la contrebassiste Rosa Brunello, que Pascal Mabit expose avec une délicatesse qui n’est pas exempte de gourmandise.
Je saisis l’occasion aussitôt, de dire tout le bien que je pense de ce saxophoniste actuellement en dernière année du CNSM. Ce que j’aime chez Pascal Mabit, c’est que son attirance pour certaines musiques complexes et sophistiquées, en particulier les algèbres rythmiques d’Aka Moon et de Magik Malik, ne l’empêche pas de savoir faire sonner des mélodies toutes simples, de les jouer avec un lyrisme sans mièvrerie. Ses solos sont parfaitement construits, sans phrases supersoniques en rideau de fumée. Bref, j’aime beaucoup ce musicien, je sais qu’il fera de grandes et belles choses.
Le troisième morceau , toujours de la plume de Rosa Brunello, s’ouvre par une introduction énoncée par le piano et la contrebasse à l’unisson. C’est simple, frais, bouleversant, je me demande pourquoi l’on n’entend jamais cela.
Rosa Brunello est une compositrice douée, elle est même celle dont les compositions m’ont semblé les plus prometteuses. Sur ce morceau, Pascal Mabit et le pianiste Mark Pringle ont une sorte de dialogue frôlant parfois le mano a mano. Le pianiste anticipe les phrases du saxophoniste ou s’en empare pour les conduire ailleurs. Philippe Maniez jette de l’huile sur le feu. Mabit dépose son jeu diaphane comme une peau morte et va chercher des aigus frémissants.
Ensuite, c’est aux compositions du pianiste que le quartet s’attaque dans les deux morceaux suivants. Disons donc un mot de ce pianiste. Il s’appelle Mark Pringle, c’est un jeune anglais de 25 ans tout au plus, passé par le conservatoire de Birmingham puis celui de Berlin. Il est la délicatesse même. Son écoute est tellement parfaite qu’elle me semble confiner à une sorte d’empathie de l’âme (expression grandiloquente mais que j’assume cependant à cent pour cent, ou plutôt, disons, à 47%). Il a des phrases en casacade qu’il délivre dans un balancement de tout le corps, comme si son piano naviguait sur une mer démontée. Mais sur une autre de ses compositions, Thigs, il se montre capable de phrases plus nerveuses, plus mordantes. Maniez à la batterie élabore une sorte de feu crépitant qui attise les ardeurs de chacun.
Le quartet s’empare ensuite du I got it bad and that aint good. Mabit déroule des phrases suaves et ondoyantes à la Johnny Hodges . Il a un magnifique contrôle du son, et sait comment ralentir ou accélérer subtilement son débit. La paire rythmique Rosa Brunello-Philippe Maniez fomente un swing chaleureux et irrésistible derrière lui. Ça groove, ça groove irréfutablement. Puis, quand vient le chorus de Rosa Brunello, elle montre une qualité de lyrisme très particulière, avec quelque chose de vocal dans sa manière de résonner ses notes.
Et le quartet termine le concert en roue libre par deux compositions de Philippe Maniez, Just in passing et Gremlins. Depuis le début du concert, Maniez s’était montré dans un registre feutré et délicat, adoptant d’ailleurs souvent une posture intriguante, main gauche sur la caisse claire, baguette à la main droite seulement. Mais pour le dernier morceau, Maniez tire de sa batterie toute l’explosivité dont il est capable. Ça barde. Il ouvre une brèche d’énergie où s’engouffrent ses copains. Après s’être écoutés respirer pendant une heure, ils se lancent dans une explosion de sons , de timbres, de textures comme s’ils se roulaient dans l’herbe.Peut-être qu’ils se rappellent à ce moment là qu’ils ont 25 ans. Ainsi se finit le concert.
Mais pas encore tout-à-fait le compte-rendu. Je tenais à interviewer le batteur Philippe Maniez,au coeur de la musique jouée ce soir. C’est un musicien complet (sachant le cas échéant se débrouiller fort honorablement à la contrebasse et au piano), un esprit ouvert, curieux, avide d’expériences musicales multiples. Pour son concert de sortie du CNSM, il avait composé un morceau qui visait à retranscrire musicalement la conversation de deux personnes. Philippe Maniez sait faire parler ses tambours. Lui aussi est un jeune musicien que j’aime beaucoup. Je l’ai entendu souvent, mais je ne l’avais jamais vu adopter aussi souvent cette posture que je viens de décrire, main gauche nue sur la caisse claire, et baguette à la main droite. Il m’explique: « Certains de mes batteurs favoris font ça, comme Brian Blade. Je trouve que ça donne un son chaleureux et tendre à la musique. C’est Jon Hollenbeck, le grand batteur, qui donne des cours au Conservatoire de Berlin, qui m’a fait évoluer vers ça. Il m’a demandé un jour un exercice qui m’a marqué. Il m’a dit de réfléchir à tous les sons que je pouvais produire avec, justement, main gauche sur la caisse claire, et baguette dans la main droite. Il m’a demandé de tracer deux colonnes. Dans la colonne de gauche je devais mettre par écrit une description objetive des gestes que je faisais, par exemple, à quel endroit exact se trouve la main sur la caisse claire, à quel moment je frappe avec la baguette, comment je la tiens etc. Et dans la colonne de droite je devais écrire la version subjective de ces différents sons, ce que cela m’évoquait. Cela pouvait être le crissement d’une craie sur un tableau, ou le cri de la baleine. Jon Hollenbeck m’a demandé de trouver cent sons différents. Cet exercice m’a tellement apporté qu’aujourd’hui, je continue de le pratiquer pour moi-même. récemment j’ai fait une liste des sons que je peux produire aux balais… ».
Et moi j’inclus sans l’ombre d’une hésitation Philippe Maniez dans la liste des jeunes musiciens à suivre absolument…
Au stylo: JF Mondot
Au pinceau : Annie-Claire Alvoët
(sur son site www.annie-claire.com on peut trouver beaucoup d’autres dessins de musiciens de jazz)
PS : Au 38 Riv’, tous les soirs, des musiciens du XIIIe siècle (mais bien ventilés) dans une cave de qualité, souvent sortié du conservatoire. Voici le programme des prochains jours:
-3 mai: Jeremy Hinneckens Trio
-4 mai: Dukeja
-6 mai: Sphère Quartet pour un hommage au groupe Police avant la jam session du vendredi (baptisée beuf sauce tard-tard par Vincent Charbonnier le patron) qui se termine à trois heures du matin.|
Mercredi soir, le 38 Riv’ accueillait un quartet improvisé formé de jeunes musiciens qui se sont croisés dans différents conservatoires européens. Ce quartet éphémère formé de deux Français, d’une italienne, et d’un Anglais n’avait disposé en tout et pour tout que d’une toute petite heure de répétition. Cela ne les a pas empêchés de produire une musique fraîche, joyeuse, et d’une éclatante vitalité.
Philippe Maniez (dm) , Mark Pringle (p) , Rosa Brunello (b), pascal mabit (saxophone alto), 27 avril 2016, au 38 Riv’, rue de Rivoli, 75004 Paris
Ce quartet regroupe donc des jeunes musiciens doués et brillants, passant des standards de jazz aux musiques plus ouvertes comme d’une chemise à carreaux à une chemise rayée. La première composition, Sam, est de la plume du batteur Philippe Maniez. C’est une composition ouverte, harmoniquement assez dépouillée, qui émerge d’un environnement bruitiste où chacun prend son instrument à rebrousse-poil.
Ensuite vient une composition très lyrique de la contrebassiste Rosa Brunello, que Pascal Mabit expose avec une délicatesse qui n’est pas exempte de gourmandise.
Je saisis l’occasion aussitôt, de dire tout le bien que je pense de ce saxophoniste actuellement en dernière année du CNSM. Ce que j’aime chez Pascal Mabit, c’est que son attirance pour certaines musiques complexes et sophistiquées, en particulier les algèbres rythmiques d’Aka Moon et de Magik Malik, ne l’empêche pas de savoir faire sonner des mélodies toutes simples, de les jouer avec un lyrisme sans mièvrerie. Ses solos sont parfaitement construits, sans phrases supersoniques en rideau de fumée. Bref, j’aime beaucoup ce musicien, je sais qu’il fera de grandes et belles choses.
Le troisième morceau , toujours de la plume de Rosa Brunello, s’ouvre par une introduction énoncée par le piano et la contrebasse à l’unisson. C’est simple, frais, bouleversant, je me demande pourquoi l’on n’entend jamais cela.
Rosa Brunello est une compositrice douée, elle est même celle dont les compositions m’ont semblé les plus prometteuses. Sur ce morceau, Pascal Mabit et le pianiste Mark Pringle ont une sorte de dialogue frôlant parfois le mano a mano. Le pianiste anticipe les phrases du saxophoniste ou s’en empare pour les conduire ailleurs. Philippe Maniez jette de l’huile sur le feu. Mabit dépose son jeu diaphane comme une peau morte et va chercher des aigus frémissants.
Ensuite, c’est aux compositions du pianiste que le quartet s’attaque dans les deux morceaux suivants. Disons donc un mot de ce pianiste. Il s’appelle Mark Pringle, c’est un jeune anglais de 25 ans tout au plus, passé par le conservatoire de Birmingham puis celui de Berlin. Il est la délicatesse même. Son écoute est tellement parfaite qu’elle me semble confiner à une sorte d’empathie de l’âme (expression grandiloquente mais que j’assume cependant à cent pour cent, ou plutôt, disons, à 47%). Il a des phrases en casacade qu’il délivre dans un balancement de tout le corps, comme si son piano naviguait sur une mer démontée. Mais sur une autre de ses compositions, Thigs, il se montre capable de phrases plus nerveuses, plus mordantes. Maniez à la batterie élabore une sorte de feu crépitant qui attise les ardeurs de chacun.
Le quartet s’empare ensuite du I got it bad and that aint good. Mabit déroule des phrases suaves et ondoyantes à la Johnny Hodges . Il a un magnifique contrôle du son, et sait comment ralentir ou accélérer subtilement son débit. La paire rythmique Rosa Brunello-Philippe Maniez fomente un swing chaleureux et irrésistible derrière lui. Ça groove, ça groove irréfutablement. Puis, quand vient le chorus de Rosa Brunello, elle montre une qualité de lyrisme très particulière, avec quelque chose de vocal dans sa manière de résonner ses notes.
Et le quartet termine le concert en roue libre par deux compositions de Philippe Maniez, Just in passing et Gremlins. Depuis le début du concert, Maniez s’était montré dans un registre feutré et délicat, adoptant d’ailleurs souvent une posture intriguante, main gauche sur la caisse claire, baguette à la main droite seulement. Mais pour le dernier morceau, Maniez tire de sa batterie toute l’explosivité dont il est capable. Ça barde. Il ouvre une brèche d’énergie où s’engouffrent ses copains. Après s’être écoutés respirer pendant une heure, ils se lancent dans une explosion de sons , de timbres, de textures comme s’ils se roulaient dans l’herbe.Peut-être qu’ils se rappellent à ce moment là qu’ils ont 25 ans. Ainsi se finit le concert.
Mais pas encore tout-à-fait le compte-rendu. Je tenais à interviewer le batteur Philippe Maniez,au coeur de la musique jouée ce soir. C’est un musicien complet (sachant le cas échéant se débrouiller fort honorablement à la contrebasse et au piano), un esprit ouvert, curieux, avide d’expériences musicales multiples. Pour son concert de sortie du CNSM, il avait composé un morceau qui visait à retranscrire musicalement la conversation de deux personnes. Philippe Maniez sait faire parler ses tambours. Lui aussi est un jeune musicien que j’aime beaucoup. Je l’ai entendu souvent, mais je ne l’avais jamais vu adopter aussi souvent cette posture que je viens de décrire, main gauche nue sur la caisse claire, et baguette à la main droite. Il m’explique: « Certains de mes batteurs favoris font ça, comme Brian Blade. Je trouve que ça donne un son chaleureux et tendre à la musique. C’est Jon Hollenbeck, le grand batteur, qui donne des cours au Conservatoire de Berlin, qui m’a fait évoluer vers ça. Il m’a demandé un jour un exercice qui m’a marqué. Il m’a dit de réfléchir à tous les sons que je pouvais produire avec, justement, main gauche sur la caisse claire, et baguette dans la main droite. Il m’a demandé de tracer deux colonnes. Dans la colonne de gauche je devais mettre par écrit une description objetive des gestes que je faisais, par exemple, à quel endroit exact se trouve la main sur la caisse claire, à quel moment je frappe avec la baguette, comment je la tiens etc. Et dans la colonne de droite je devais écrire la version subjective de ces différents sons, ce que cela m’évoquait. Cela pouvait être le crissement d’une craie sur un tableau, ou le cri de la baleine. Jon Hollenbeck m’a demandé de trouver cent sons différents. Cet exercice m’a tellement apporté qu’aujourd’hui, je continue de le pratiquer pour moi-même. récemment j’ai fait une liste des sons que je peux produire aux balais… ».
Et moi j’inclus sans l’ombre d’une hésitation Philippe Maniez dans la liste des jeunes musiciens à suivre absolument…
Au stylo: JF Mondot
Au pinceau : Annie-Claire Alvoët
(sur son site www.annie-claire.com on peut trouver beaucoup d’autres dessins de musiciens de jazz)
PS : Au 38 Riv’, tous les soirs, des musiciens du XIIIe siècle (mais bien ventilés) dans une cave de qualité, souvent sortié du conservatoire. Voici le programme des prochains jours:
-3 mai: Jeremy Hinneckens Trio
-4 mai: Dukeja
-6 mai: Sphère Quartet pour un hommage au groupe Police avant la jam session du vendredi (baptisée beuf sauce tard-tard par Vincent Charbonnier le patron) qui se termine à trois heures du matin.|
Mercredi soir, le 38 Riv’ accueillait un quartet improvisé formé de jeunes musiciens qui se sont croisés dans différents conservatoires européens. Ce quartet éphémère formé de deux Français, d’une italienne, et d’un Anglais n’avait disposé en tout et pour tout que d’une toute petite heure de répétition. Cela ne les a pas empêchés de produire une musique fraîche, joyeuse, et d’une éclatante vitalité.
Philippe Maniez (dm) , Mark Pringle (p) , Rosa Brunello (b), pascal mabit (saxophone alto), 27 avril 2016, au 38 Riv’, rue de Rivoli, 75004 Paris
Ce quartet regroupe donc des jeunes musiciens doués et brillants, passant des standards de jazz aux musiques plus ouvertes comme d’une chemise à carreaux à une chemise rayée. La première composition, Sam, est de la plume du batteur Philippe Maniez. C’est une composition ouverte, harmoniquement assez dépouillée, qui émerge d’un environnement bruitiste où chacun prend son instrument à rebrousse-poil.
Ensuite vient une composition très lyrique de la contrebassiste Rosa Brunello, que Pascal Mabit expose avec une délicatesse qui n’est pas exempte de gourmandise.
Je saisis l’occasion aussitôt, de dire tout le bien que je pense de ce saxophoniste actuellement en dernière année du CNSM. Ce que j’aime chez Pascal Mabit, c’est que son attirance pour certaines musiques complexes et sophistiquées, en particulier les algèbres rythmiques d’Aka Moon et de Magik Malik, ne l’empêche pas de savoir faire sonner des mélodies toutes simples, de les jouer avec un lyrisme sans mièvrerie. Ses solos sont parfaitement construits, sans phrases supersoniques en rideau de fumée. Bref, j’aime beaucoup ce musicien, je sais qu’il fera de grandes et belles choses.
Le troisième morceau , toujours de la plume de Rosa Brunello, s’ouvre par une introduction énoncée par le piano et la contrebasse à l’unisson. C’est simple, frais, bouleversant, je me demande pourquoi l’on n’entend jamais cela.
Rosa Brunello est une compositrice douée, elle est même celle dont les compositions m’ont semblé les plus prometteuses. Sur ce morceau, Pascal Mabit et le pianiste Mark Pringle ont une sorte de dialogue frôlant parfois le mano a mano. Le pianiste anticipe les phrases du saxophoniste ou s’en empare pour les conduire ailleurs. Philippe Maniez jette de l’huile sur le feu. Mabit dépose son jeu diaphane comme une peau morte et va chercher des aigus frémissants.
Ensuite, c’est aux compositions du pianiste que le quartet s’attaque dans les deux morceaux suivants. Disons donc un mot de ce pianiste. Il s’appelle Mark Pringle, c’est un jeune anglais de 25 ans tout au plus, passé par le conservatoire de Birmingham puis celui de Berlin. Il est la délicatesse même. Son écoute est tellement parfaite qu’elle me semble confiner à une sorte d’empathie de l’âme (expression grandiloquente mais que j’assume cependant à cent pour cent, ou plutôt, disons, à 47%). Il a des phrases en casacade qu’il délivre dans un balancement de tout le corps, comme si son piano naviguait sur une mer démontée. Mais sur une autre de ses compositions, Thigs, il se montre capable de phrases plus nerveuses, plus mordantes. Maniez à la batterie élabore une sorte de feu crépitant qui attise les ardeurs de chacun.
Le quartet s’empare ensuite du I got it bad and that aint good. Mabit déroule des phrases suaves et ondoyantes à la Johnny Hodges . Il a un magnifique contrôle du son, et sait comment ralentir ou accélérer subtilement son débit. La paire rythmique Rosa Brunello-Philippe Maniez fomente un swing chaleureux et irrésistible derrière lui. Ça groove, ça groove irréfutablement. Puis, quand vient le chorus de Rosa Brunello, elle montre une qualité de lyrisme très particulière, avec quelque chose de vocal dans sa manière de résonner ses notes.
Et le quartet termine le concert en roue libre par deux compositions de Philippe Maniez, Just in passing et Gremlins. Depuis le début du concert, Maniez s’était montré dans un registre feutré et délicat, adoptant d’ailleurs souvent une posture intriguante, main gauche sur la caisse claire, baguette à la main droite seulement. Mais pour le dernier morceau, Maniez tire de sa batterie toute l’explosivité dont il est capable. Ça barde. Il ouvre une brèche d’énergie où s’engouffrent ses copains. Après s’être écoutés respirer pendant une heure, ils se lancent dans une explosion de sons , de timbres, de textures comme s’ils se roulaient dans l’herbe.Peut-être qu’ils se rappellent à ce moment là qu’ils ont 25 ans. Ainsi se finit le concert.
Mais pas encore tout-à-fait le compte-rendu. Je tenais à interviewer le batteur Philippe Maniez,au coeur de la musique jouée ce soir. C’est un musicien complet (sachant le cas échéant se débrouiller fort honorablement à la contrebasse et au piano), un esprit ouvert, curieux, avide d’expériences musicales multiples. Pour son concert de sortie du CNSM, il avait composé un morceau qui visait à retranscrire musicalement la conversation de deux personnes. Philippe Maniez sait faire parler ses tambours. Lui aussi est un jeune musicien que j’aime beaucoup. Je l’ai entendu souvent, mais je ne l’avais jamais vu adopter aussi souvent cette posture que je viens de décrire, main gauche nue sur la caisse claire, et baguette à la main droite. Il m’explique: « Certains de mes batteurs favoris font ça, comme Brian Blade. Je trouve que ça donne un son chaleureux et tendre à la musique. C’est Jon Hollenbeck, le grand batteur, qui donne des cours au Conservatoire de Berlin, qui m’a fait évoluer vers ça. Il m’a demandé un jour un exercice qui m’a marqué. Il m’a dit de réfléchir à tous les sons que je pouvais produire avec, justement, main gauche sur la caisse claire, et baguette dans la main droite. Il m’a demandé de tracer deux colonnes. Dans la colonne de gauche je devais mettre par écrit une description objetive des gestes que je faisais, par exemple, à quel endroit exact se trouve la main sur la caisse claire, à quel moment je frappe avec la baguette, comment je la tiens etc. Et dans la colonne de droite je devais écrire la version subjective de ces différents sons, ce que cela m’évoquait. Cela pouvait être le crissement d’une craie sur un tableau, ou le cri de la baleine. Jon Hollenbeck m’a demandé de trouver cent sons différents. Cet exercice m’a tellement apporté qu’aujourd’hui, je continue de le pratiquer pour moi-même. récemment j’ai fait une liste des sons que je peux produire aux balais… ».
Et moi j’inclus sans l’ombre d’une hésitation Philippe Maniez dans la liste des jeunes musiciens à suivre absolument…
Au stylo: JF Mondot
Au pinceau : Annie-Claire Alvoët
(sur son site www.annie-claire.com on peut trouver beaucoup d’autres dessins de musiciens de jazz)
PS : Au 38 Riv’, tous les soirs, des musiciens du XIIIe siècle (mais bien ventilés) dans une cave de qualité, souvent sortié du conservatoire. Voici le programme des prochains jours:
-3 mai: Jeremy Hinneckens Trio
-4 mai: Dukeja
-6 mai: Sphère Quartet pour un hommage au groupe Police avant la jam session du vendredi (baptisée beuf sauce tard-tard par Vincent Charbonnier le patron) qui se termine à trois heures du matin.|
Mercredi soir, le 38 Riv’ accueillait un quartet improvisé formé de jeunes musiciens qui se sont croisés dans différents conservatoires européens. Ce quartet éphémère formé de deux Français, d’une italienne, et d’un Anglais n’avait disposé en tout et pour tout que d’une toute petite heure de répétition. Cela ne les a pas empêchés de produire une musique fraîche, joyeuse, et d’une éclatante vitalité.
Philippe Maniez (dm) , Mark Pringle (p) , Rosa Brunello (b), pascal mabit (saxophone alto), 27 avril 2016, au 38 Riv’, rue de Rivoli, 75004 Paris
Ce quartet regroupe donc des jeunes musiciens doués et brillants, passant des standards de jazz aux musiques plus ouvertes comme d’une chemise à carreaux à une chemise rayée. La première composition, Sam, est de la plume du batteur Philippe Maniez. C’est une composition ouverte, harmoniquement assez dépouillée, qui émerge d’un environnement bruitiste où chacun prend son instrument à rebrousse-poil.
Ensuite vient une composition très lyrique de la contrebassiste Rosa Brunello, que Pascal Mabit expose avec une délicatesse qui n’est pas exempte de gourmandise.
Je saisis l’occasion aussitôt, de dire tout le bien que je pense de ce saxophoniste actuellement en dernière année du CNSM. Ce que j’aime chez Pascal Mabit, c’est que son attirance pour certaines musiques complexes et sophistiquées, en particulier les algèbres rythmiques d’Aka Moon et de Magik Malik, ne l’empêche pas de savoir faire sonner des mélodies toutes simples, de les jouer avec un lyrisme sans mièvrerie. Ses solos sont parfaitement construits, sans phrases supersoniques en rideau de fumée. Bref, j’aime beaucoup ce musicien, je sais qu’il fera de grandes et belles choses.
Le troisième morceau , toujours de la plume de Rosa Brunello, s’ouvre par une introduction énoncée par le piano et la contrebasse à l’unisson. C’est simple, frais, bouleversant, je me demande pourquoi l’on n’entend jamais cela.
Rosa Brunello est une compositrice douée, elle est même celle dont les compositions m’ont semblé les plus prometteuses. Sur ce morceau, Pascal Mabit et le pianiste Mark Pringle ont une sorte de dialogue frôlant parfois le mano a mano. Le pianiste anticipe les phrases du saxophoniste ou s’en empare pour les conduire ailleurs. Philippe Maniez jette de l’huile sur le feu. Mabit dépose son jeu diaphane comme une peau morte et va chercher des aigus frémissants.
Ensuite, c’est aux compositions du pianiste que le quartet s’attaque dans les deux morceaux suivants. Disons donc un mot de ce pianiste. Il s’appelle Mark Pringle, c’est un jeune anglais de 25 ans tout au plus, passé par le conservatoire de Birmingham puis celui de Berlin. Il est la délicatesse même. Son écoute est tellement parfaite qu’elle me semble confiner à une sorte d’empathie de l’âme (expression grandiloquente mais que j’assume cependant à cent pour cent, ou plutôt, disons, à 47%). Il a des phrases en casacade qu’il délivre dans un balancement de tout le corps, comme si son piano naviguait sur une mer démontée. Mais sur une autre de ses compositions, Thigs, il se montre capable de phrases plus nerveuses, plus mordantes. Maniez à la batterie élabore une sorte de feu crépitant qui attise les ardeurs de chacun.
Le quartet s’empare ensuite du I got it bad and that aint good. Mabit déroule des phrases suaves et ondoyantes à la Johnny Hodges . Il a un magnifique contrôle du son, et sait comment ralentir ou accélérer subtilement son débit. La paire rythmique Rosa Brunello-Philippe Maniez fomente un swing chaleureux et irrésistible derrière lui. Ça groove, ça groove irréfutablement. Puis, quand vient le chorus de Rosa Brunello, elle montre une qualité de lyrisme très particulière, avec quelque chose de vocal dans sa manière de résonner ses notes.
Et le quartet termine le concert en roue libre par deux compositions de Philippe Maniez, Just in passing et Gremlins. Depuis le début du concert, Maniez s’était montré dans un registre feutré et délicat, adoptant d’ailleurs souvent une posture intriguante, main gauche sur la caisse claire, baguette à la main droite seulement. Mais pour le dernier morceau, Maniez tire de sa batterie toute l’explosivité dont il est capable. Ça barde. Il ouvre une brèche d’énergie où s’engouffrent ses copains. Après s’être écoutés respirer pendant une heure, ils se lancent dans une explosion de sons , de timbres, de textures comme s’ils se roulaient dans l’herbe.Peut-être qu’ils se rappellent à ce moment là qu’ils ont 25 ans. Ainsi se finit le concert.
Mais pas encore tout-à-fait le compte-rendu. Je tenais à interviewer le batteur Philippe Maniez,au coeur de la musique jouée ce soir. C’est un musicien complet (sachant le cas échéant se débrouiller fort honorablement à la contrebasse et au piano), un esprit ouvert, curieux, avide d’expériences musicales multiples. Pour son concert de sortie du CNSM, il avait composé un morceau qui visait à retranscrire musicalement la conversation de deux personnes. Philippe Maniez sait faire parler ses tambours. Lui aussi est un jeune musicien que j’aime beaucoup. Je l’ai entendu souvent, mais je ne l’avais jamais vu adopter aussi souvent cette posture que je viens de décrire, main gauche nue sur la caisse claire, et baguette à la main droite. Il m’explique: « Certains de mes batteurs favoris font ça, comme Brian Blade. Je trouve que ça donne un son chaleureux et tendre à la musique. C’est Jon Hollenbeck, le grand batteur, qui donne des cours au Conservatoire de Berlin, qui m’a fait évoluer vers ça. Il m’a demandé un jour un exercice qui m’a marqué. Il m’a dit de réfléchir à tous les sons que je pouvais produire avec, justement, main gauche sur la caisse claire, et baguette dans la main droite. Il m’a demandé de tracer deux colonnes. Dans la colonne de gauche je devais mettre par écrit une description objetive des gestes que je faisais, par exemple, à quel endroit exact se trouve la main sur la caisse claire, à quel moment je frappe avec la baguette, comment je la tiens etc. Et dans la colonne de droite je devais écrire la version subjective de ces différents sons, ce que cela m’évoquait. Cela pouvait être le crissement d’une craie sur un tableau, ou le cri de la baleine. Jon Hollenbeck m’a demandé de trouver cent sons différents. Cet exercice m’a tellement apporté qu’aujourd’hui, je continue de le pratiquer pour moi-même. récemment j’ai fait une liste des sons que je peux produire aux balais… ».
Et moi j’inclus sans l’ombre d’une hésitation Philippe Maniez dans la liste des jeunes musiciens à suivre absolument…
Au stylo: JF Mondot
Au pinceau : Annie-Claire Alvoët
(sur son site www.annie-claire.com on peut trouver beaucoup d’autres dessins de musiciens de jazz)
PS : Au 38 Riv’, tous les soirs, des musiciens du XIIIe siècle (mais bien ventilés) dans une cave de qualité, souvent sortié du conservatoire. Voici le programme des prochains jours:
-3 mai: Jeremy Hinneckens Trio
-4 mai: Dukeja
-6 mai: Sphère Quartet pour un hommage au groupe Police avant la jam session du vendredi (baptisée beuf sauce tard-tard par Vincent Charbonnier le patron) qui se termine à trois heures du matin.