Eric Le Lann pavillon haut au Bal Blomet
Eric Le Lann, à l’occasion de sortie de son dernier disque (Thanks a million) a donné un concert éblouissant.
Eric Le Lann (trompette), Paul Lay (piano), Bal Blomet, 7 novembre 2018
Quel son! Je ne m’en suis pas encore remis. A quelques mètres d’Eric le Lann, je reçois ses premières notes comme une gifle. Puissance de l’attaque. Force de la projection. On a l’impression qu’on pourrait toucher, modeler, soupeser ce son. Le premier morceau, c’est Dinah, un vieux standard des années 20 qu’aimait jouer Louis Armstrong, auquel le disque Thanks a million rend hommage.
Au fil des morceaux je suis sensible aussi à ce contraste entre la force du son, et toutes ces fendillures et cabossures, ces notes écrasées, élimées, arasées, ces notes fantômes, ces fameuses ghost notes, passagères clandestines de l’écoute (on croit les avoir entendues alors qu’elles n’ont pas été jouées) qui coexistent avec d’autres somptueusement tenues, des notes de diamant pur, en particulier dans les aigus. Cette maîtrise des aigus, le registre le plus difficile et le plus éprouvant à la trompette, montre que ces notes volontairement altérées ne sont pas des ratages mais le fruit d’une esthétique. La perfection, Le Lann s’en fout, ce qui compte pour lui c’est l’expressivité. Exprimer la musique, et s’exprimer soi. Sans mentir. Sans se la raconter. Cela confère à son jeu une sorte d’honnêteté un peu rude qui ressemble au personnage.
Cette force du son et de la projection relie Le Lann à Louis Armstrong (dont il dit, dans une de ses brèves interventions, faisant allusion aux disques de son père, qu’il est « l’une des premières personnes que j’aie rencontrées quand j’étais petit » ). Mais pour le reste, Le Lann garde son phrasé, forgé à l’écoute de Miles et de Chet, mais qui a son originalité propre, et ne tombe pas dans le ridicule de vouloir jouer vieux style.
Son pianiste Paul Lay navigue entre les styles, capable de swinguer dans les clous, à la manière d’un Earl Hines, avant de s’échapper vers des zones plus escarpées, et de trouver des couleurs abstraites au bout de quelques chorus. Quand on écoute Paul Lay, on est frappé d’abord par l’élégance, la maîtrise , le swing, mais aussi par les injections de sauvagerie qui viennent par moments chahuter son jeu.
Plusieurs grands moments dans ce concert: Tight like this, (dont on sait depuis Jacques Réda à quel point elle est un monument armstrongien) sur laquelle Eric Le lann donne tout, absolument tout, se montrant d’une intensité déchirante. Et Saint James Infirmary, où le pathos du thème reflue devant la vitalité du blues est toute aussi bouleversant.
On arrive à la fin du concert, Le Lann joue Body and Soul associé à The Man I love, un de ses standards favoris (il existe au moins deux versions de référence, celle jouée avec Michel Graillier sur le disque Trois heures du matin, et celle avec Martial Solal sur le merveilleux Portrait in black and white) et c’est splendide. On sent chez lui une allégresse qui remplace son lyrisme un peu tendu du début du concert. Et deux joyaux pour la fin, Just one of those things suivi de Azalea, délicat morceau ellingtonien joué avec la sourdine. Magnifique soirée avec un petit côté : « Alors, c’est qui le patron? ». La réponse est claire. Eric Le Lann joue terrible. Chapeau bas devant ce pavillon haut.
TEXTE: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët autres dessins et peintures à découvrir sur son site www.annie-claire.com. (Pour acquérir l’un des dessins de cette chronique, s’adresser à l’artiste à l’adresse suivante annie_claire@hotmail.com )