Éric Seva: des finesses dans la conversation jazz
Dix nouvelles compositions travaillées en lieu et place d’une réécriture initialement programmée. Pour son nouveau projet musical Éric Seva a repensé son choix initial « Au départ je voulais seulement réactualiser les thèmes de l’album Summit objet de la rencontre entre Gerry Mulligan et Astor Piazzolla enregistré en Italie en 1974. Mais la Sacem m’a octroyé une aide en tant que compositeur. Je suis donc parti pour composer des choses nouvelles dans cet univers de sonorités croisées sax baryton/accordéon »
Éric Seva (bas, ss), Alfio Origlio (p, elp), Daniel Mille (accor), Christophe Wallemme (b), Zaza Desiderio (dm)
Rocher de Palmer, Cenon (33150), 20 avril
Percussive ou lancée en douceur, originale toujours dans l’exposé instrumental, chaque attaque de thème se trouve soigneusement ouvragée. Sax baryton en surface large, accords plaqués secs à l’accordéon, entrelacs de couleurs dans l’union des deux instruments pour l’accroche de La Cordillère des Anches, morceau écrit en Argentine lors d’une tournée mémorable avec Minino Garay. « Dans la phase d’écriture j’ai veillé au placement le plus judicieux possible de chaque instrument au fil des morceaux » Effectivement les souffles des sax retrouvent souvent le soutien de lignes du piano, s’appuient sur des variations de timbre, des hauteurs de sons jaillis de l’accordéon. Daniel Mille, souvent procède par la douceur, couleurs et formes tracées au millimètre. Dans ce contexte d’une base musicale très construite une dominante s’lmpose : la prégnance de la mélodie. En ce sens, pour ce cinquième album (à venir comme objet d’automne, enregistré bientôt au studio La Buissonne) comme pour les précédents Éric Seva, compositeur, s’affrme tel un faiseur de phrases marquantes. À l’image du savoir faire d’un autre beau faiseur du genre, Henri Texier, les mélodies nées de la plume du musicien installé à Marmande s’inscrivent vite en clair dans les mémoires. Questions de couleurs données. D’une faculté à utiliser les rythmes également, de les laisser s’installer avant que de les basculer vers de savantes ruptures “ Je travaille pour que chaque album apporte son lot de choses nouvelles. Celui là importe des musiques différentes articulées autour de la notion essentielle de conversation entre les instruments, les sax et l’accordeon bien sûr, mais aussi le piano en tat que lien”
En ce sens les formules, passages d’accords, développements mélodiques, traits de couleurs tracés par Alfio Origlio au piano, acoustique ou électrique figurent une composante majeure de la tonalité de ce jazz vivant. Témoin cette introduction de Travelling day en appui sur des accords de piano électrique pour glisser progressivement sur la sonorité très nature des tambours “cariocas” de Zaza Desiderio, batteur de Rio débarqué à Lyon. “Travail d’équipe et de partage” aime à dire Éric Séva qui sait pouvoir compter aussi avec la justesse de ton, la sûreté dans le placement de la basse de Christophe Wallemme, résultante d’un fidèle compagnonnage.
Ce qui ne l’empêche pas au besoin de placer en mode saillie solo quelques chorus de haute volée type riffs de baryton façon Stax ou traits de sax soprano tranchant, quelque part entre Shorter et Liebman -sur une reprise de Close your eyes and listen en un hommage très sentí à Gerry Mulligan. Ce jazz filtré très “perso” révèle beaucoup de finesses en mélange dans le flux des essences musicales ainsi dégagées. Mother of Pearl, dans sa première cuvée tirée à Bordeaux tend à prouver que Éric Séva, de l’écrit vers l’improvisé, se plaît à jouer fin avec l’imprévisible. À suivre.
Robert Latxague