Ermitage: Andy Emler au bal des clarinettes

Andy Emler (p), Nicolas Fargeix (cl), Florent Pujuila, Louis Sclavis, Thomas Savy, Catherine Delaunay, Emmanuelle Brunat (cl, bcl), Laurent Dehors (cbcl), Claude Tchamitchian (b), Eric Échampard (dm)
Studio de l’Ermitage, Paris, 6 février

Bois noirs lustrés et métal rutilant sous les spots: on ne peut qu’être impressionné par un tel alignement de clarinettes bolides sur la ligne de départ. Á peine le drapeau du concert inaugural baissé dans une enceinte aux gradins surchargés en cette nuit froide parisienne, que quelques coups secs sont donnés illico en rythmes syncopés et repétés juste troublés par une petite conversation particulière improvisée entre les pilotes en forme de clin d’oeil. Et allons-y gaiement c’est le cas de le dire, dans cette course sous couleurs d’un jazz bien d’aujourd’hui: les clarinettes prennent le dessus. Les compositions d’Emler s’avèrent longues autant que d’un abord complexe. La première, prise en virages plutôt à angles droit porte un titre évocateur “Des nuages dans la tête” Cinq clarinettes basses résonnent de front, gros son, beaucoup d’air pulsé en une vibration entretenue. Louis Sclavis fait monter la tension. Sans beaucoup de temps de transition il passe en phase de saturation du grave à l’hyper aigu. De quoi déchire l’espace. Il termine decrescendo comme unique source sonore sur la scène. La basse de Claude Tchamitchian – fidèle parmi les fidéles das la compagnonnage Emler, il tient sólidamente les fondements de la barraque orchestrale et ne répugne pas à l‘’exercice de l’impro- vient le rejoindre, moment d’un duo plongé dans les courants de l’univers des graves. Cinq clarinettes basses sonnent à nouveau, augmentées de la clarinette contrebasse, plus sombre encore. Elles se rejoignent sur une séquence de notes tenues. Mais en contrôle de la force engagée. Alors le piano fait son entrée, prend sa place au centre du flux musical, arpèges déroulés, accords progressifs frappés, plus une échappée de grappes de main droite vers des pics d’aigues.

Andy Emler, concentré mais un sourire quasi permanent accroché à ses lèvres présente dans ce voyage en profondeur de sons la figure d’un Capitaine Nemo. Il affirme sans ambage “ Vous sa vez, ils s’agit bien d’un projet de barjot. Bravo à l’Errmitage pour nous avoir programmé. Et re- bravo de continuer à entretenir ainsi le feu sacré du spectacle vivant”
Le pianiste et compositeur surtout, tient à inscrire le travail inhérent à ce projet inédit “un peu fou” dans le présent de son parcours. Et sur le fil rouge de son écriture prolixe dans les mondes du jazz et plus si affinité. Le titre éponyme de l’album “Le temps est partí pour rester” en porte témoignage. Se dégagent alors dans un corpus sonore éclaté des sortes de cris poussés à l’unisson sous les tirs tendus du bataillon de clarinettes au beau milieu du champ rythmique hyper tendu, dur au mal, façonné façon Magma. Andy Emler ne s’échappe pas pour autant lancé dans des effets de piano en mouvements circulaires, autant de phrases exacerbées lancées sur le clavier en échanges immédiats de celles flashées des clarinettes. Des jets comme un magma (décidémént…) volcanique. À cette secousse tellurique Il fallait une fin, un échappatoire. Au bout de la tourmente le souffle doux de la clarinette d’Emmanuelle Brunat conduit le piano lui aussi à s’appaiser enfin.

La mise en place serrée des clarinettes en front line sur le devant de la scène de l’Ermitage tutoyant presque le premier rang des spectaeurs; le jeu de chacun et chacune en proximité avec ses instruments (celui de Laurent Dehors en particulier, clarinette contrebasse, très imposant); la succession de solos intenses; la projection d’un haut volume sonore en direct. Toutes les composantes du concert donné en une formation orchestrale originale contribuent à là notion de spectacle. Le titre annoncé en un jeu de mot involontaire par le chef en personne pose le climat ressenti par tous, musiciens comme public “Chaud et…show”. Nicolas Fargeix, par ailleurs prolixe en notes fínement soignées y colle en solo une série de phrases en brut, tranchantes. Puis Florent Pujuila à son tour offre un chorus de clarinette supplémentaire, linéaire celui là, davantage aérien malgré les secousses et trous d’air ambiants. Catherine Delaunay elle, se lâche soudain dans un tourbillon, souffle d’un vent violent poussé sans crainte jusqu’ à l’atonalité. Ce pourrait représenter une autre imprimatur pour l’orchestre: les solos sont longs, s’affichent libres de droit à pouvoir se prolonger. Visiblement Andy Emler tient a ce qu’ils laissent dans sa musique une trace palpable pour chaque membre musicien(ne) choisi à cet effet . Avec valeur de signature. La séquence finale décollera en un joyeux désordre organisé de notes qui portent.

Sept clarinettes en ordre de marche, mises en jeu pour un défi simultané, ça marque un terrain ! De jazz et musiques voisines, facteur X de séduction potentielle.

Robert Latxague