ERUPTIONS SOLAIRES A JAZZ A LA VILLETTE : MEGAOCTET ET SACRE DU TYMPAN
Le Sacre du Tympan
Photographie de Sylvain Gripoix
Ce samedi 8 septembre après-midi, le soleil qui baignait le Parc de la Villette pénétra dans la Salle des concerts de la Cité de la Musique, prit possession de la scène, jeta sur la salle des rafales de vent brûlant, conséquence de deux éruptions, celle du Sacre du Tympan venant immédiatement après le MegaOctet d’Andy Emler. Ce fut un bombardement d’énergie sans dommages pour l’auditoire qui acclama la double canonnade.
Le MegaOctet donnait un avant-goût de son disque à venir intitulé “A Moment For…”. Andy Emler en présenta l’enjeu qui consiste à prendre le temps de la réflexion pour contrer, sans doute avant qu’il ne soit trop tard, nos jours actuels marchant à reculons. Et ce n’était pas une formule que l’on lance pour faire sensation.
Cela allait ressembler, dans une certaine mesure, à un pétillant hourvari d’assemblée générale où les idées fusent en solo (Laurent Dehors et ses puissantes clameurs, les propositions orientales de Claude Tchamitchian), en duo (les percutantes conversations d’Éric Échampard et de François Verly), puis en commun, volant au secours d’une révolution provisoirement musicale. On assistait à un rassemblement de forces, de grondements joyeux et indignés qui mettent le jazz en ordre de bataille dans le sillage de ses sources rebelles.
Photographie de Sylvain Gripoix
Fred Pallem déployait à sa façon une armada de cordes, de cuivres et d’effets synthétiques dans un nouveau format, avec de nouveaux mutins pour nous conter “L’Odyssée”, titre de son prochain album. Le propos consistait à peindre, sur fond d’images cinétiques, fantomales parfois (« belles comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » aurait dit Lautréamont), des climats d’épouvante sortis de l’univers métamorphique de György Ligeti, du langage musical vaudou ou, plus simplement, d’une salle de cinéma quand elles étaient de quartier.
Car Fred Pallem est de ceux qui produisent des images pour les oreilles, développant de petits scénarios qu’il nous appartient de filmer dans nos têtes. La pièce qui donne son nom à l’album, fortement colorée par la présence de Thomas de Pourquery à la barbe toujours plus assyrienne, était à elle seule un péplum. Sur Hemophilus Aphrophilus, le freak Théo Ceccaldi élevant son violon toujours plus haut, atteignait des sommets vertigineux avec une passion du risque quasiment hendrixienne.
Photographie de Sylvain Gripoix
Le Sacre du Tympan, désormais augmenté d’un quatuor à cordes, faisait groover la salle avec ses accents de soul ou de solutions sonores trempées dans le souvenir de François de Roubaix et de Jean-Claude Vannier. Surtout, il aimantait l’attention à coups de symphonies épiques et chamanes, pigmentées par les saxophones déchirants de Rémi Sciuto et de Christine Roch, le trombone envoûtant de Robinson Khoury, la guitare inventive de Guillaume Magne, les claviers planants de Sébatien Palis et cette basse vive comme la poudre dont Fred Pallem est le maître pyrotechnique. Magnifiant, selon son style, la culture soundtrack de Lalo Schifrin et de Bernard Hermann, il est parvenu à créer une musique en relief, une sorte d’IMAX 3D qui permet de voyager dans toutes les directions du temps. Exemple, il termine son programme par une relecture du thème axial de Bernard Hermann pour la BO de Taxi Driver. D’une croisière dans les années 1970, il fait une odyssée anticipatrice et mémorielle. Jazz à la Villette a permis ce miracle : aller à la rencontre de l’Homère du futur.
Guy Darol
Les illustrations sont de Sylvain Gripoix