Festival de Saint-jacut, première!
Vendredi 7, Samedi 8, Dimanche 9 juillet le premier festival de jazz de Saint-jacut a tenu toutes ses promesses.
C’est chouette, un nouveau festival de jazz qui vient de naître ! Il vient de connaître sa première édition dans un petit village breton, Saint-Jacut de la Mer idéalement situé non loin du Mont saint Michel et de Saint-Malo. Le village a été préservé des ravages du tourisme de masse. Le bourg, avec ses maisons de granite aux volets bleus, conserve son allure de village de pêcheurs au maquereau. Et la nature est exceptionnelle, avec cette presqu’île rocheuse qui s’avance dans la mer, échancrée par une dizaine de petites plages qui se métamorphosent au rythme de la marée (dans ces parages, elle a tendance à filer comme un Vingegaard au galop…).
A la retraite depuis peu, Eric Lorang, épaulé par Chantal Cappo et Monique Froger-Collet a décidé de monter un festival de jazz valorisant les atouts naturels du village. D’où le nom de Jazz er Maez, Jazz en extérieur. L’autre idée forte des organisateurs du festival était de miser résolument sur une programmation éclectique. Il n’est guère courant de voir figurer dans le programme d’une même soirée du jazz manouche (Swing d’été) et le guitariste Marc Ducret, connu pour sa radicalité. Le pari n’était pas gagné d’avance. Mais l’accueil et la convivialité de toute l’équipe a permis de dépasser les clivages habituels.
Photo: Martin Casalis
La première soirée se déroule dans le décor grandiose du square du Châtelet. Les musiciens jouent tandis que le soleil couchant fait ses gammes sur la mer. Swing d’été ouvre le bal. C’est du jazz manouche infusé de swing, avec une chanteuse Faten, dont la voix claire et sans artifices porte ces chansons immortelles que les jazzmen s’amusent à tricoter (ou à détricoter) depuis des générations : Nature Boy, petite Fleur, What is this thing called love, ou encore Fly me to the moon. La chanteuse est accompagnée de deux guitaristes aux doigts agiles, Vincent Degroote et Mikael Petitjean. A tour de rôle ils font la pompe (c’est-à-dire posent la base rythmique et harmonique de la chanson) et les solos. Le groupe n’existe que depuis quelques mois. Les deux guitaristes sont orientés vers le jazz manouche traditionnel, tandis que la chanteuse enjambe allègrement les frontières stylistiques, swing, variété, jazz, ou pop : « J’adore Pomme, Anne Sylvestre, Juliette, Barbara, Joan Baz… J’aime les voix qui ont de la personnalité. Dans le jazz, et tant pis si ce n’est pas très original, j’adore Ella Fitzgerald. Ses chansons résonnent en moi d’une vibration particulière…».
Photo Eric Lorang
Après Swing d’été, Marc Ducret en solo. Marc Ducret, 65 ans, est un acteur majeur de la scène du jazz et des musiques improvisées. Difficile de résumer en quelques mots une carrière aussi riche. Sur sa page Wikipedia on trouve une formule qui vaut ce qu’elle vaut. Ducret est décrit comme « la rencontre entre Pierre Boulez et Jimi hendrix ». Voilà qui ne dit qu’une toute petite partie d’un univers musical profondément original. Depuis quelques années, Marc Ducret a puisé son inspiration dans des œuvres littéraires : ce fut le projet Tower (à partir de 2008), relecture du chef d’œuvre de Nabokov, Ada ou l’ardeur. Ou, plus récemment, son projet Lady M, où il revisitait le célèbre monologue de l’acte V de Macbeth avec un contre-tenor et une soprano entourés de cuivres et de cordes. Un projet d’une richesse sonore fabuleuse, inouïe, qui a laissé des souvenirs impérissables à tous ceux qui l’ont entendu.
Photo Martin casalis
Ce soir, Marc Ducret est en solo. On retrouve cet amour du son, cette manière unique de faire sonner une guitare électrique d’où ressort à la fois la richesse timbrale de l’instrument mais aussi son côté organique, à travers l’attaque, mais aussi le mouvement des doigts en train de produire et de pétrir le son. Le fil rouge de ce solo de Marc Ducret est le jeu de correspondances entre des phrases que le musicien prononce, et dont il donne un équivalent musical à la guitare. Par exemple, tout au début, quand il dit : « Nous sommes cinq amis. Le premier sort. Le deuxième glisse… ». A ce moment-là il effectue un petit glissando de guitare pour évoquer musicalement cette dégringolade. Simple jeu musical et littéraire de virtuose ? C’est en fait plus profond que cela. Il s’agit aussi d’une clé pour mieux comprendre son jeu. Cela suggère que la palette de sons et de timbres qu’il produit avec sa guitare et ses pédales a valeur de langage. Qu’il nous parle à travers eux. Et du reste, vers la fin du concert, Marc Ducret, a explicité sa démarche artistique. Conscient que l’essentiel du public n’était pas familier de sa musique, s’est adressé aux spectateurs avec des mots simples et justes. Il leur a dit en substance : « Vous n’êtes pas obligé d’aimer ce que je vous propose. Je vous demande de le recevoir comme une expérience. Je ne cherche pas à plaire à tout prix. Je cherche à vous montrer mon travail avec le plus de sincérité et d’honnêteté possible ». Il semble que ces mots ont eu un impact sur le public qui n’a pas relâché son attention jusqu’au bout. En rappel, Marc Ducret a joué une version très personnelle d’un magnifique standard de jazz, I remember Clifford de Benny Golson, et la cinquième danse roumaine de Bela Bartok.
Photo Martin Casalis
L’affiche du samedi soir, dans un jardin privé merveilleusement fleuri de saint-Jacut présentait deux groupes très différents mais qui ont en commun le même batteur Julien Defontaine, ancien élève de Thomas Patris (2004-2008) et de l’American school of modern music. Le premier groupe Blå Time est un très original mélange de jazz, folk,pop. Il s’appuie sur les textes d’une jeune poète et écrivaine danoise Sari Arent qui s’est installée à Paris il y a quelques années. Ses textes (en danois ou en anglais), volontiers nostalgiques, parlent de la magie de l’heure bleue dans les pays du nord, ou d’une fille perdue sur un pont de Copenhague. Dans sa bouche, la langue danoise prend une résonance brumeuse et poétique. Les musiques, du pianiste Yann Lorang, l’accompagnent avec des couleurs lyriques, flamboyantes. Il trouve des ostinato de piano irrésistibles que le batteur Julien Defontaine vient nourrir, étoffer, ou enrichir. Ce batteur possède un son d’une grande délicatesse. Il semble sculpter des dentelles sonores sur sa cymbale. Le groupe n’existe en trio que depuis un an et demi, mais un bel avenir lui semble promis.
Photo Eric Lorang
Avec le groupe NoCuts, on retrouve le batteur Julien Defontaine, mais aussi le clarinettiste Olivier Roch qui est à l’initiative du projet. NoCuts, qui existe depuis 2016, a sorti un très beau disque, Itinéraires en 2020. Nocuts est un quartet « crossover », où le jazz voisine avec d’autres influences world ou pop. La marque du trio suédois EST est perceptible sur le groupe qui lui a d’ailleurs dédié une composition. Une des originalités de NoCuts est d’avoir placé une clarinette dans un contexte de jazz moderne. Sur plusieurs morceaux, la section rythmique groove avec énergie, incisive, presque agressive, et cela fait un très beau contraste avec le timbre doux et chaleureux de la clarinette d’Olivier Roch (par exemple dans le morceau Unknown). On remarque aussi la pianiste Gaelle Coquempot (qui a écrit une partie des thèmes) et dont les solos de pianos, vifs, swingants, plein d’allant ont l’art de raconter une histoire en quelques mesures. Le groupe est à l’aise sur beaucoup de terrains de jeu : latin, oriental, ou même klezmer sur le dernier morceau où Olivier Roch prend un magnifique solo où sa clarinette montre tout ce qu’elle a dans le ventre. Le festival se terminait le lendemain de manière festive, avec la fanfare de Saint-Jacut et le groupe Jazz Potes.
On souhaite bon vent (et quelques subventions) à ce petit festival aux idées claires, généreuses, et ouvertes.
JF Mondot