Jazz live
Publié le 24 Sep 2024

Festival des Abbayes: Paul Lay désacralise Beethoven

 Paul Lay (p)

Festival des Abbayes, Lévignacq (40172)

Ce programme consacré à Beethoven, Paul Lay l’a inauguré passé au premier filtre des Folles Journées de Nantes. Ces jours ci il le transportait jusque à à Warszawa (Varsovie) pour deux journées libellée d’ailleurs en Pologne sous le même titre. Il figure aussi dans un album consacré au même contenu sous l’intitulé Full Solo, ce qui déjà dit tout de ce qu’il y a dire…dans sa manière pianistique. « Lors de mon apprentissage de pianiste classique à l’Ecole de Musique de ma ville, Orthez, en Béarn j’avais déjà abordé ce géant de la composition. En connaissance de cause. Dans l’optique du pianiste de jazz que je suis devenu, j’ai puisé ce répertoire dans l’immense catalogue qu’il nous a laissé. Je n’oublie pas pour autant la leçon de mon prof de jazz, Didier Datcharry bien trop tôt disparu. Il m’a donné ces clefs du jazz qui est devenu mon terrain de jeu favori. Il me faut donc toujours garder ce jeu.ouvert Le challenge consiste à savoir mixer au mieux l’écrit et l’improvisé »

Le concert donné en milieu d’après midi résonne dans la très belle église à la splendide voute de bois peinte en multi-couleurs, d’un village niché au beau milieu de la non moins immense  forêt de pins landaise. Un décor singulier doublé d’une assistance inhabituelle: Le sous préfet, l’évêque et le maire se trouvent assis au premier rang, face à l’autel. Ils sont bien là en tête de gondole de l’audience. Et en introduction Paul Lay toujours très concentrée leur offre « Bagatelle » Une entrée en matière rythmée, un mécanisme de cadence affirmée infiltré de petits précis de chromatisme comme autant de repaires, le système des petits cailloux afin de pouvoir se guider dans une harmonie lisse et parfaite en apparence. Puis viennent des variations que « Beethoven avait écrites dès ses dix ans… » annonce le pianiste. Là le vrai Paul Lay révèle sa nature profonde. Il part sur la partition avant de changer de cap. Il l’a précisé dans des interviews. Il fait partie des pianistes de jazz de cette génération actuelle  ( on peut citer également à cet effet les américains  Jason Moran ou Sullivan Fortner) qui ont intégré dans leur bagage les bénéfices d’un moment de l’histoire de cet instrument, le rag time ou par la suite début XXe le dit piano stride magnifié par Fats Waller.  De ce champ de virtuosité certaine sur les touches noires et blanches, de célérité et de syncopes dominantes Paul Lay sur les terrains de Beethoven en tire une application pleine d’inventivité. Non pas en forme de clin d’oeil à ces points d’histoires musicales distinctes, mais de part son propre savoir faire, sa patte stylistique propre. D’où la dynamique apportée dans deux compositions personnelles exécutées dans la foulée (si l’on ose dire) des écrits propres au compositeur et pianiste allemand. « Helligenstadt » signale une dynamique apportée au toucher sur le clavier, secteur basse ou algues. « In Vienna blues » place la main gauche en tant que vecteur d’appel d’air direct, d’élan donné au contenu musical. On se retrouve là proche de séquences d’un Herbie Hancock période Blue Note par exemple, riche de ces incursions carrément bluesy sur l’espace de nombre de  mesures, lesquelles délivrent un sceau, une pierre de touche propre à Paul Lay. Le contraste est saisissant alors, bien entendu lorsque parait La Sonate Clair de lune ensuite ou l‘introduction restituant la magie de l’Hymne à la joie joués en  toute fidélité à la plume du compositeur. Pourtant allant plus loin dans l’interprétation de ce thème beethovien iconique Paul Lay en revient à son esprit de déconstruction-reconstructiion, traits rythmiques dévoyés, lignes harmoniques transgressées, griffées vers une certaine atonalité. Idem pour sa version revisitée très libertaire de la Lettre à Elise. Le piano de Paul Lay cède avec élan, un certain empressement, sans doute une question de tempérament, à l’esprit d’aventure, partant du « classique » pour jouer avec son feu intérieur. Improviser au ras du regroupement d’accords, tenter des passes croisées des deux mains, laisser aller sa nature à des percées plein chants, goûter à but de partage aux jouissifs décalages de métriques ou de tonalités. Paul Lay, là dans la Haute Landes, hier en bord de Vistule, sans nul doute demain ailleurs, s’affiche volontiers comme un pianiste des bords du Gave, torrent dévalant libre sur les galets des Pyrénées.

/

Paul Lay et l’organisateur du festival, musicien chef d’orchestre et amateur de jazz, Vincent Caup


Bonne nouvelle pour conclure: le Festival des Abbayes qui s’est tenu cette année dans 14 communes des Landes présentera pour sa 55 e édition en 2025 encore un concert de jazz.

À suivre.

Robert Latxague/