Festival International de Jazz de Montréal : François Bourassa, Chet Doxas
Soirée québécoise, avec une valeur sûre et une étoile montante.
L’Astral – série “jazz d’ici”
Francois Bourassa Quartet
Francois Bourassa (p), Andre Leroux (s, fl), Guy Boisvert (b), Greg Ritchie (dm)
3 juillet
La valeur sûre, c’est François Bourassa, tenant d’un jazz-jazz de bon aloi dont il explore avec gourmandise divers angles et possibilités, sans quitter ses codes. Il y a deux ans, le pianiste rendait hommage à Paul Bley. Cette fois c’est en quartette qu’il se présente, sur la vague des bonnes recensions de son dernier album. Il se produira, lors de cette même édition, en un autre lieu, l’Upstairs jazz Bar & Grill, avec un programme consacré à Bill Evans. Ce jazz acoustique propose des compositions aussi élaborées que l’interprétation est enlevée, avec de nombreux virages et changements au sein d’un même morceau. Si André Leroux est aussi stimulant au saxophone qu’à la flûte, décochant des flèches imprévisibles entre deux phrases ciselées, la rythmique se fend d’un jeu trop fourni et appuyé. Quant au pianiste, il fait montre d’une aisance de tous les instants, dans toutes les formes abordées. Un jazz virtuose, à la fois inventif et dans les clous, fait de solos concis, drivé par un pianiste plein de ressort, ménageant des surprises à chaque recoin, dimension appréciable dans cette configuration archiclassique.
Bourassa joue des extraits de son dernier disque : Five and less (en référence à Four and More), Frozen, Past ich, Remous, Lostage (« le plaisir d’être perdu »), 18 rue de l’hôtel de ville (adresse du pianiste à Paris pendant quelques mois), et un « jeu rythmique en 11 » : 11 baigne. Humour toujours, et une tendance à nommer et/ou décrire ses compositions par le découpage de leurs mesures. On espère que cette musique ne s’adresse pas seulement aux comptables. Le pianiste a aussi des échanges drolatiques avec un public avec lequel il semble entretenir une relation de fidélité réciproque, employant des expressions locales qui provoquent l’hilarité dans la salle.
Une composition remonte à la jeunesse du musicien. Elle est empreinte de sérénité, et d’un sens de l’espace qui manque un peu à ce qui précède. Plus naïve peut-être, plus simple dans sa forme, moins empressée et cérébrale, un changement de tempo et d’état d’esprit bienvenu. Un jazz pastoral évocateur de certaines séances ECM et pour ce rapporteur le meilleur moment du show.
Gesu – série “jazz dans la nuit”
Chet Doxas – Rich in Symbols
Chet Doxas (ts), Rob Ritchie (elg), Brad Shepik (elg), Zack Lober (elb, platines), Jerad Lippi (dm)
3 juillet
Le set de Chet Doxas, joué d’un seul tenant et sans palabres intermédiaires, déploie un honnête artisanat jazz-rock, aux thèmes lancinants, sans prétention et rempli de beaux moments. Cette musique est présentée comme « le parfait équilibre entre jazz et sonorités indie rock caractéristiques de notre métropole ». Allons-y voir. On y entend aussi l’influence du classique en conclusion de Starcrossings. Est exploré le répertoire de l’album « Rich in Symbols », dans des arrangements similaires, avec la même approche « immersion totale » et un nouveau line-up à l’exception de Zack Lober. Sur l’album figuraient également des invités, dont le pianiste John Escreet et le trompettiste Dave Douglas, parrain officieux de Doxas. Douglas et Doxas jouaient ensemble l’année précédente au sein du groupe Riverside. La formation comprenait également Jim Doxas, frère de Chet, mais aussi Steve Swallow et Carla Bley ! Cette dernière devait d’ailleurs diriger l’ONJ de Montréal sur un florilège de ses compositions lors de cette édition 2018, mais s’est faite porter pâle. Représentant connu de la scène de Montréal, le saxophoniste vit depuis quatre ans à New York, où il affine ses talents au contact des musiciens compétitifs de la Grosse Pomme. La version scénique éclaire la démarche du musicien et permet de mieux apprécier le disque, ainsi que c’est souvent le cas. Attention portée aux sons, implication des musiciens, le leader défendant un son plein et puissant, quand il ne se frotte pas à la fée électricité. C’est aussi l’occasion de retrouver Brad Shepik, jadis apprécié dans le drolatique quartet Killer Joey de Joey Baron, et ici face à un autre guitariste électrique au style complémentaire. A la fin du set, le bassiste devient DJ, mixant sur des platines deux titres disco-rap. Cocasse et amusante conclusion à un concert qui nous aura tiré un moment du tumulte extérieur et embarqué dans un périple quasi-cinématographique, d’autant que des images, liées à la vie et l’œuvre du photographe Robert Mapplethorpe, sont projetées au-dessus des musiciens. Bonne pioche.
Austin B. Coe