Festival Jazz Sous Les Pommiers – Pierrick Pédron & Gonzalo Rubalcaba : Duo au sommet !
La journée avait beau avoir été riche en propositions de toutes sortes (dans le cadre du dispositif Jazz Export Days, les vignettes impressionnistes du trio Rouge de la pianiste Madeleine Cazenave et la fougue juvénile et lyrique du quartet du batteur Arnaud Dolmen avaient notamment marqués les esprits…) — tout le monde attendait avec impatience le concert en duo du saxophoniste Pierrick Pédron (grand habitué du festival !) et de la légende cubaine du piano Gonzalo Rubalcaba. Un an après l’enregistrement dans l’intimité d’un studio new-yorkais d’un album splendide amené à faire date dans leur discographie respective, les deux hommes, qui ne s’étaient plus recroisés depuis, allaient enfin avoir l’occasion de présenter sur scène le répertoire de standards qui avait servi de matière à leur prise de langue et développer plus avant des affinités électives qui indéniablement s’étaient révélées à cette occasion. Dès les premiers instants du concert l’intensité lyrique avec laquelle les deux musiciens s’emparaient des méandres labyrinthiques de la composition “Ezz-Thetic” de George Russell donnait la mesure du degré d’engagement technique, intellectuel et émotionnel qui tout du long allait présider à la rencontre. Face à une audience impressionnante d’attention et de concentration, Pédron et Rubalcaba, constamment inventifs et profondément égalitaires dans la fabrique du discours commun (chacun faisant preuve d’une écoute très fine de l’autre en l’“accompagnant” dans ses intuitions sans jamais renoncer pour autant à énoncer son propre point de vue, immédiatement intégré dans la trame de l’improvisation), allaient égrener avec un mélange de pudeur et de hardiesse un répertoire de standard couvrant tous les styles de jazz du 20e siècle (des classiques “The Song is You” de Jerome Kern ou “Pretty Girl” de Billy Strayhorn aux moderniste “Lawns” de Carla Bley en passant par le joyeux et bluesy “Si tu vois ma mère” de Sidney Bechet) pour en offrir d’authentiques “ interprétations” renouvelant considérablement la perception que l’on pouvait en avoir. Suivant le fil de petits scénarios d’une grande sophistication formelle et savamment dramaturgiques servant à la fois d’écrin et d’orientation aux improvisations sans jamais en brider pour autant la spontanéité ; mettant en œuvre leur profonde connaissance du jazz et notamment de l’idiome bop, magistralement réinvesti et actualisé, — Pierrick Pédron & Gonzalo Rubalcaba ont porté ce mercredi soir à Coutances l’exigeante formule du duo à des sommets de musicalité et d’émotion.
Stéphane Ollivier