Festival Radio France Occitanie Montpellier : ANDY EMLER MegaOctet
Soirée d’ouverture pour le jazz au Festival de Radio France au Domaine d’O, avec comme toujours désormais, en début de soirée, un concert sous les micocouliers d’un groupe de la région puis, dans le grand amphithéâtre d’O, les têtes d’affiche, françaises et étrangères.
À 20h, dans l’Amphithéâtre des Micocouliers, tout près du Château d’O qui donne son nom au Domaine départemental, la programmation de début de soirée, conçue par Serge Lazarevitch, accueille Les Ânes de Palinkov. C’est un sextette qui mêle hardiment toutes les influences des musiques populaires d’Europe de l’Est. On navigue entre toutes les formes musicales eurorientales, dans un esprit de ‘musiques du Monde’, avec aussi de fortes connotations de jazz modal dans certaines improvisations. Autour de Vincent Boisseau (clarinette, clarinette basse, voix), Matia Levréro (guitare, compositions, voix),et Vladimir Gourko (voix, et une étonnante contrebasse balalaïka), sont rassemblés Guillaume Gardey de Soos (trompette, bugle), Mickaël Pernet (saxophone ténor), et Valentin Jam (batterie). Presque tous donnent d’ailleurs aussi de la voix dans des ensembles à caractère choral. Les rythmes impairs sur tempo vif succèdent aux mélodies nostalgiques, c’est extrêmement expressif, émaillé de fulgurantes improvisations, bref c’est très vivant, et profondément musical.
Le MegaOctet pendant la balance vers 19h
ANDY EMLER MegaOctet «No Rush»
Laurent Blondiau (trompette, bugle), Guillaume Orti & Philippe Sellam (saxophones altos), Laurent Dehors (saxophone ténor, clarinette, clarinette basse, cornemuse du Centre), François Thuillier (tuba, saxhorn), Andy Emler (piano, composition), Claude Tchamitchian (contrebasse), Éric Échampard (batterie), François Verly (percussions)
Montpellier, Amphithéâtre d’O, 15 juillet 2022, 22h
C’est l’ouverture de la programmation conçue par Pascal Rozat. Les concerts de la semaine suivante seront présentés par ses soins en direct sur France Musique.
©David Abécassis
On ne connaît pas pour l’instant la date de diffusion sur France Musique du concert enregistré ce soir. En revanche deux concerts, celui du lendemain, et celui du samedi 23 juillet qui conclura le cycle, ne seront pas enregistrés : signe des temps où la radio de service public diminue ses moyens techniques, et donc ses diffusions en direct ou en différé. On annonce déjà une saison 2022-2023 avec un strict quota de retransmissions, pour le jazz, et je suppose pour les autres musiques….
Avec son désormais historique MegaOctet (plus de trente années d’existence !), Andy Emler nous propose un tout nouveau programme intitulé «No Rush». Cette musique a d’ores et déjà été enregistrée, et paraîtra dans quelques mois sous le label La Buissonne. En août 2021, les spectateurs de Jazz Campus en Clunisois avaient eu la primeur de plusieurs titres, mais c’est ce soir la vraie première intégrale sur scène. Dès les premiers instants, on est de plain pied dans l’univers du pianiste-compositeur : un dialogue entre la cornemuse du Centre chère à Laurent Dehors et le tuba volubile de François Thuillier, le tout conduisant à un groove d’enfer, toujours finement habillé de détails virtuoses. Riffs ravageurs des soufflants, pulsation conjointe de la batterie et des percussions tandis que la contrebasse obsède le rythme jusqu’au vertige. Dès les premières minutes, alors que je découvre ce répertoire neuf, je me dis qu’Andy Emler, comme Carla Bley, Gil Evans et quelques autres, a cette ‘patte’ singulière qui place d’emblée chaque nouvelle œuvre dans les arcanes de notre mémoire. Le pianiste-compositeur est comme un metteur en scène qui met tous les membres de cet orchestre de solistes dans des situations de récit singulier, alors même que par ailleurs ils sont une phalange indivisible, et solidaire dans les méandres d’une écriture intense, ludique autant que virtuose, et profondément jouissive. Bientôt Philippe Sellam va nous livrer l’un de ces récits, lyrique et enflammé, bientôt fracturé par des tutti rythmiques que n’aurait pas désavoué le Grand Igor, celui du Sacre en 1913 au Théâtre des Champs-Élysées. Après cette ouverture sur une composition antérieure, voici le nouveau programme. Le piano nous y fait accéder, pianississimo. C’est un dramaturgie un peu mystérieuse, qui progressivement met en scène les instruments et les instrumentistes. Il y a des moments de surprise, des fausses fins humoristiques, des transitions énigmatiques dont on ne sait pas toujours si elles relèvent de l’intention ou du hasard. Je suis bien incapable de vous détailler par le menu toute cette musique qui m’a saisi dès le début du concert, captif consentant d’une cérémonie presque ésotérique.
©David Abécassis
Le clou du programme fut une pièce d’écriture serrée, polyphonie tendue et mélancolique, dirigée par le pianiste d’un pupitre face à l’orchestre. Il le quittera pour le piano puis reviendra. C’est une grande forme, complexe et captivante, avec comme toujours de l’espace individuel d’expression pour tous les membres du groupe. C’est comme un grand concerto pour l’orchestre et ses solistes. La basse de Claude Tchamitchian ouvrira la cérémonie et conduira l’architecture, Philippe Sellam et Guillaume Orti, aux langages si différents, y trouveront un espace privilégié d’improvisation ; Laurent Dehors nous surprendra par des couleurs insoupçonnées, à la clarinette (et à la clarinette basse, qu’il va jouer sans bec, comme une flûte, avec un timbre qui tutoie le souvenir de la flûte basse). Au fil du concert Laurent Blondiau nous aura livré des cadences vertigineuses, et les échanges de François Verly avec le piano d’Andy Emler ou la batterie d’Éric Échampard nous auront transportés dans une autre dimension. Le chroniqueur en est tourneboulé, lui qui suit pourtant l’orchestre depuis sa prime jeunesse (la jeunesse de l’orchestre, pas celle du chroniqueur : quand j’ai écouté pour la première fois cet orchestre qui ne s‘appelait pas encore le MegaOctet, dans les dernières semaines de l’année 1989, j’avais quand même déjà 40 ans….). Bref ce fut un formidable concert, une fête de la musique : musique tellement vivante, si forte, à la fois complexe et directe, musique pour les pieds qui dansent en douce sous le fauteuil, pour le cœur et pour l’esprit.
Xavier Prévost
©David Abécassis