Jazz live
Publié le 4 Fév 2019

FESTIVAL SONS d’HIVER : HEROES ARE GANG LEADERS et AMBROSE AKINMUSIRE ‘Origami Harvest’

 

Belle soirée d’ouverture pour le festival Sons d’Hiver, et très vive affluence pour un programme en forme de manifeste afro-américain, entre passé et présent

La soirée commence vers la fin d’après-midi, avec la première des ‘Tambours-Conférences’. Sur la petite scène de l’espace-bar Thomas Sayers Ellis, James Brandon Lewis et Randall Horton répondent aux questions d’Alexandre Pierrepont, qui organise ces rencontres, et à celles du public, autour de la personnalité d’Amiri Baraka. Le débat est vif et fécond, entre souvenirs de lectures et d’événements, à propos de cette figure majeure d’une seconde renaissance, combative, de la culture afro-américaine. Poésie, action culturelle, idéologique et politique seront abordées, dans toute la richesse et la complexité d’un parcours entre deux identités : Leroi Jones et Amiri Baraka. La rumeur du bar tout proche se faisant progressivement plus présente, à l’approche de l’horaire du concert, il fallut tendre l’oreille, mais le débat n’en fut pas entaché.

HEROES ARE GANG LEADERS «Tribute to Amiri Baraka»

Thomas Sayers Ellis (voix, direction), James Brandon Ellis (saxophone ténor), Randall Horton (voix) , Nettie Chickering, Bonita Penn (voix), Jenna Camille (piano, voix), Heru Shabaka-Ra (trompette), Devin Brahja Waldman (saxophone alto, synthétiseur), Melanie Dyer (violon alto), Brandon Moses (guitare), Luke Stewart (contrebasse), Waren Trae Crudup (batterie)

Le Kremlin-Bicêtre, Espace Culturel André Malraux, 1er février 2019, 20h30

 

Le concert tient de la célébration, de la cérémonie et de l’émeute. Un peu desservi par une sonorisation qui maîtrise mal les dynamiques et les spectres sonores, il nous immerge cependant dans une chaude ferveur où se croisent la pantomime de Thomas Sayers Ellis sur l’avant-scène, la parole véhémente de Randall Horton, le saxophone lyrique de James Brandon Ellis, la voix chaude de Nettie Chickering, celle troublante de Jenna Camille, et d’une façon générale la participation de chacun(e) à l’ardeur combative du propos. La musique oscille entre le bon vieux free jazz, avec ses partis-pris d’unissons flottants, la Soul et le Hip-Hop. C’est une jam session et un meeting politique tout à la fois, bref une image fidèle de l’empreinte laissée par Amiri Baraka. Et cette atmosphère ravive, s’il en était besoin, des souvenirs musicaux teintés d’agitprop qui firent les délices de la génération des amateurs de jazz nés au tournant des années 40 et 50 fortement représentée (dont votre serviteur….) dans la salle !

 

AMBROSE AKINMUSIRE «Origami Harvest»

Ambrose Akinmusire (trompette, composition, synthétiseurs), Kokayi (rap), Sam Harris (piano, synthétiseurs), Justin Brown(batterie) & Quatour Mivos : Olivia De Prato, Lauren Cauley Kalal (violons), Victor Lowrie Tafoya (alto), Tyler J. Borden (violoncelle)

Le Kremlin-Bicêtre, Espace Culturel André Malraux, 1er février 2019, 22h

 

Avec Ambrose Akinmusire et son programme «Origami Harvest», c’est un autre paysage musical qui se dessine. Mais on est pourtant bien encore dans un champ où esthétique et politique se croisent, s’épaulent et s’affrontent. Le disque «Origami Harvest» est la concrétisation phonographique d’une commande de l’Ecstatic Music Festival. Il reflète la prise de conscience du musicien à son retour à Oakland, où il a grandi. Et le concert reprend le répertoire du disque, construit autour de tout ce dont le trompettiste est issu : musicalement, socialement, politiquement. Son amour du violoncelle et des cordes croise son goût du backbeat, son sens de l’improvisation se confronte à sa passion pour la forme, et les mots composent avec la musique une fusion effervescente. Kool A.D., annoncé dans le programme, et qui participait au disque, est remplacé par Kokayi, entendu notamment avec Steve Coleman. Ici le message n’est pas en conflit avec la forme, et ne lui dispute pas la prééminence. On peut dire que, d’une certaine manière, la forme sublime le message, le sublime tout en l’incarnant, au plus près des sensations. Les séquences musicales sont très contrastées, parfois violemment, mais toujours avec ce sens des nuances qui ravive l’urgence de la beauté. Les parties de cordes évoquent autant la musique européenne du début (et de la fin) du vingtième siècle que les répétitifs américains. Les interactions entre le groupe de jazz, le quatuor, le soliste et le rappeur sont d’un pertinence absolue, les tensions existent, demeurent, mais elles sont fécondes : grand moment de musique, vraiment ! En rappel le trompettiste, s’excusant presque d’avoir joué tout le répertoire disponible pour ce double quartette, nous offert, avec son pianiste, un duo d’une belle intensité.

Xavier Prévost

Le festival bat son plein jusqu’au 23 février

Tous les détails sur https://www.sonsdhiver.org/fr/