Jazz live
Publié le 7 Mar 2020

Fidel à Charlie

 

 

A l’Atelier du Plateau , Fidel Fourneyron donnait un hommage enthousiasmant et décalé à la musique de Charlie Parker pour fêter la sortie du disque Ornithologie.

 

Fidel Fourneyron (trombone), Geoffroy Gesser ( clarinette, sax ténor), Sébastien Beliah (Contrebasse), à l’Atelier du Plateau, 28 février 2020

 

Fidel Fourneyron et ses copains s’emparent du répertoire de Charlie Parker. Ils le déconstruisent avec une créativité enthousiasmante: aucun thème n’est traité de la même façon. Les compositions de Charlie Parker prennent parfois des allures cubistes, mais avec des retours soudains au figuratif. Tout est permis du moment que ça sonne. Charlie Parker est dispersé façon puzzle, puis retrouvé, cajolé, et à nouveau désarticulé. L’invention est permanente. Les arrangements (auxquels les trois musiciens ont contribué) sont appris par cœur. C’est de la folie, mais au cordeau. Les trois musiciens inventent des effets spéciaux sonores sans recourir à d’autres artifices que leur maîtrise instrumentale (on devrait passer chaque musicien en revue, mais si l’on prend le saxophoniste-clarinettiste Geoffroy Gesser sa maîtrise des slaps, et des sons organiques et gutturaux qu’il tire de ses instruments est vraiment stupéfiante).

On entend donc un Shaw Nuff qui subitement et magiquement se ralentit à la fin, un Anthropology qui semble vu dans un miroir déformant, un magnifique Salt Peanuts, où certaines des pêches sont effectuées juste avec le souffle, un Groovin High qui ressemble à un disque légèrement rayé, un Segment dont le thème est réparti entre les trois musiciens (une note par personne à certains moments) ce qui crée un effet de stéréo particulièrement brillant. Nos oreilles n’en croient pas nos yeux, si l’on nous autorise cette hardie métaphore.

 

C’est virtuose, insolent, joyeux. Les styles et les époques se mélangent: Everything happens to me est joué dans l’esprit ellingtonien, la main sur le cœur, avec un trombone tout en velours. Yardbird Suite est interprété à la Lee Konitz, avec de délicieux contrepoints et un chorus de clarinette free qui vient pimenter le tout. Sacrilèges, ces trois lascars? Mais non, ils sont au contraires fidèles à l’esprit de Parker, à son énergie, à son humour.

 

Bien sûr, il y a une virtuosité savante chez ces enfants qui font des moustaches à la Joconde. Le public devine cette virtuosité, sans avoir besoin de comprendre tout ce qui se passe: exactement comme pour un tour de magie où l’on plus envie d’être émerveillé que de connaître les mécanismes qui permettent à la femme coupée en deux de ressortir intacte. Mais quand même, une chose m’intrigue. Cet Anthropology vu dans un miroir déformant, ou passé à travers un filtre mystérieux: Comment on fait ça? Alors je téléphone le lendemain à Fidel Fourneyron qui me donne la clé: « C’est un arrangement de Sébastien Béliah. ça vient d’une histoire assez connue chez les jazzmen, qui est peut-être une légende, ou peut-être pas, on ne sait plus. C’est un chef d’orchestre médiocre qui réunit ses musiciens, eux-mêmes très médiocres, et leur dit: « Bon, on va d’abord jouer le thème sans les bémols et ensuite on les réintroduira progressivement…« .(il se marre) Alors Sébastien Béliah nous a demandé de faire pareil. On a joué Anthropology en si bémol, mais en enlevant les bémols. D’où cette impression de perte de repères…« . Bande de petits galopins, va…

 

Texte: JF Mondot

Dessins: AC Alvoët (autres dessins, peintures , gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com )