Final à D’Jazz Nevers : les cimes et rien d’autre
Hier soir, 13 novembre, après avoir entendu Lionel Martin, puis Jean-Marie Machado, notre chroniqueur est tombé de fatigue pendant le concert du trio Fresu-Sosa-Gurtu et a rêvé de “cimes” dessinées par Élodie Pasquier, Clément Janinet et Bruno Ducret.
Revoici le violon de Clément Janinet. Et revoici un violoncelle, celui de Bruno Ducret, et encore une clarinette, celle d’Élodie Pasquier. Soit le trio La Litanie des Cimes. Et revoici le Morvan évoqué hier par les Space Galvachers, avec cette fois-ci une Gigue avec Steve, entendez Steve Reich, le compositeur de musique répétitive, esthétique très présente dans le répertoire du trio.
Ce matin, entre œufs au bacon et tartine beurrée, Xavier Prévost me confiait qu’il avait entendu de la vielle à roue hier dans le violon de Clément Janinet. Rien de tel que la roue, cet archet sans fin, pour s’aventurer sur les traces de Steve Reich. Mais si l’on entend de la vielle à roue sous les doigts de Janinet, on peut aussi y reconnaître des gestes de violoneux, tout comme on put entendre sur son violon et sur le violoncelle de Bruno Ducret des échos de kora malienne… et bien d’autres choses.
Déjà, lorsque j’interrogeais il y a une dizaine d’années Clément Janinet et Benjamin Flament au nom de l’Ensemble Radiation 10, premier noyau dur du collectif Coax, où l’on venait de les découvrir à leur sortie du CNSM, ils avaient à cœur de préciser que le jazz n’était que l’une de leurs musiques de référence. Et interrogé, lors de la rencontre avec le public en sortie de concert, sur son absence de la scène dans les années 2010, Clément Janinet précisait qu’il n’avait pas quitté la scène mais qu’il avait navigué d’une esthétique à l’autre et tourné notamment, principalement à l’étranger, avec le groupe du bassiste camerounais Étienne Mbappé. Aussi ne faut-il pas s’étonner de retrouver toutes sortes d’influences dans les compositions et les improvisations de La Litanie des Cimes qu’il ne faut pas chercher à rattacher à un genre précis, même si le jazz, ce qu’il est devenu aujourd’hui, aura pu être pour chacun d’eux une école de l’improvisation, de l’initiative en temps réel et de la gestion de cette relation tendue entre enracinement dans le temps et indépendance rythmique.
Où les questionnements du jazz fin de siècle sur la métrique, nourris par la compréhension des musiques du monde, rejoint les préoccupations des compositeurs répétitifs, notamment dans « l’enchevêtrement rythmique » du morceau intitulé Pattes d’oie, allusion à la notion de bifurcation où il est question pour tous trois d’arriver au même moment au même endroit, non pas dans cette espèce de « rendez-vous au tas de sable » par lequel l’argot des musiciens désigne une perte de contrôle de la forme et du tempo en cours d’une improvisation que résoudra le retour au thème, mais une véritable écoute mutuelle axée sur le pivot du tempo. Quoique qu’il y ait aussi des moments « free » qu’Élodie Pasquier confessait – s’inquiétant de la question d’un auditeur qui disait y perdre le fil de l’émotion –, tout en revendiquant le droit à l’égarement.
Reste un identité forte : celle du bois dont sont faits ces trois instruments acoustiques destinés plus à la « chambre », au « salon », à la « veillée au coin du feu », qu’à la fanfare ou à l’une de ces salles de « musiques amplifiées » que Bruno Ducret disait rejoindre le lendemain pour une musique tout autrement bruyante.
Les cordes, les bois, la neige, un feu au coin duquel se réchauffer… Un souvenir me revient. Saxophoniste, patron de club et créateur de l’une des deux premières écoles de jazz en France au milieu des années 1970 (le Cim), Alain Guerrini m’avait raconté avec émoi s’être égaré dans la neige en jeep, pendant son service militaire en Bavière. Abandonnant son véhicule avec son co-équipier, ils avaient tous deux marché vers la lumière la plus proche et étaient parvenus à une ferme où ils avaient été invités à souper et à dormir. On les prévint tout de suite, comme pour s’excuser du dérangement, que des voisins étaient également invités ce soir-là car c’était le soir de la semaine où ils faisaient de la musique ensemble. En effet, après le repas, s’était constitué un petit orchestre de chambre qui avait joué notamment du Mozart.
Voilà, je tire un peu à la ligne, le souffle court après une semaine de festival et plus de quarante pages de comptes rendus rédigés à la hâte dans la nuit ou chaque matin avant de reprendre le chemin des concerts du jour. C’est aussi que, en dépit de la « verve » de Benjamin Flao dessinant en direct à l’écran et de l’enthousiasme du leader, je n’ai pas bien compris à quoi rimait le spectacle Afrique of Count Basie revisité, dessiné et dansé donné au Café charbon par le saxophoniste Lionel Martin avec le concours du batteur Sangoma Everett (et d’un danseur quasiment invisible tant nous étions accaparés par l’écran).
Je retrouvais ensuite, dans la grande salle de La Maison, le programme Majakka du pianiste Jean-Marie Machado, formation à nouveau très boisée avec Jean-Charles Richard (saxes soprano et baryton), Vincent Ségal (violoncelle), Keyvan Chemirani (percussions). Déjà chroniqué le 23 septembre dans ces pages à l’occasion du festival marseillais Les Émouvantes et entendu dans des conditions de proximité inégalables.
Enfin, devant le trio réunissant Paolo Fresu (bugle et harmonizer), Omar Sosa (piano, claviers, voix) et Trilok Gurtu (percussions, voix), je m’endormis rapidement en dépit de tous les efforts qu’avec le concours de leur sonorisateur ils firent pour me tenir en éveil.
Je rêvais d’un soir de tempête de neige sur le Morvan. Je plantais ma twingo dans une congère, marchais longuement dans la nuit vers une lumière, trouvant refuge dans une ferme dont le propriétaire m’invitait à souper. Nous nous mirent à table et je vis entrer Élodie Pasquier et Bruno Ducret avec leurs instruments. Et, lorsque d’un étui de violon, mon hôte tira un curieux monocorde monté sur une calebasse, je reconnus mon hôte qui n’était autre que Clément Janinet. Franck Bergerot (photos © x.Deher)