Flash Pig, un lyrisme qui creuse le temps
Flash Pig a donné un avant goût prometteur de son cinquième disque, consacré à la musique du chef d’œuvre de Wong Kar Wai, In the Mood for Love. Belleville, Show-case, mardi 30 janvier 2024
La bande originale de In the mood for love (film sorti en 2000) qui accompagne les amours de Maggie Cheung et de Tony Leung dans le Hong Kong des années 60, est composite : elle comprend à la fois les célébrissimes boléros chantés par Nat King Cole, des airs de variété chinois, et des originaux composés par Shigeru Umebayashi, en particulier le poignant Yumeji’s theme, qui exprimait les sentiments, échevelés et retenus, des deux personnages.
Face à cette musique d’un romantisme assumé, les musiciens de Flash Pig déjouent tous les pièges. Les célébrissimes versions de Nat King Cole autour de Quizas, Quizas et de Aquellos ojos verdes sont traités sans mièvrerie ni ironie. Le groupe réussit à être fidèle aux morceaux originaux, tout en les réinventant par petites touches discrètes. Sur Quizas, Adrien Sanchez expose la mélodie au ténor avec un goût exquis. Sur Aquellos ojos verdes le batteur Gautier Garrigue invente un délicieux petit roulement aux balais qui donne un air pimpant au morceau. Les musiciens montrent une capacité à être là mais légèrement en retrait. Le pianiste Maxime Sanchez excelle dans cet art du filigrane. Il sait se placer à l’arrière plan pour laisser plus de place à ses collègues. A certains moments piano et sax ténor diminuent de volume pour laisser la contrebasse de Florent Nisse énoncer la mélodie. Les configurations évoluent avec souplesse. On sent un travail collectif du son où chacun sait exactement comment se placer par rapport aux autres : le genre de réflexes qui nécessite un long compagnonnage musical. Il y a dans ce groupe un art de la douceur, de la retenue, et de ce point de vue leur geste musical est parfaitement cohérent avec la thématique de In the Mood for Love.
Tout n’est pas que retenue dans cette musique. Des fulgurantes échappées d’énergie, en particulier avec Adrien Sanchez, d’une intensité gatobarbieresque au ténor, emportent. Florent Nisse contribue lui aussi à cette intensité. Sur le fameux Yumeji’s theme, ses notes, d’une profondeur impressionnante, coulent comme du plomb fondu. Le concert se termine sur un unisson d’une douceur inouïe, où le temps semble s’étirer sans que la musique ne perde en intensité. Les musiciens semblent à la recherche d’un lyrisme un peu différent, qui creuse l’espace. ce que confirme, après le concert, quelques échanges avec les musiciens. « A 20 ans, on était tous des prix de conservatoire, on jouait tous très vite, comme on nous l’avait appris. Aujourd’hui ce qui nous intéresse, c’est d’explorer tout ce qui se passe quand on ralentit: à la fois ce qui se passe entre les musiciens et ce qui se passe pour les auditeurs » explique Adrien Sanchez, saxophoniste décroissant (mais lyrique). Quant au contrebassiste Florent Nisse, il revient sur l’absence d’ironie délibérée de cette musique : « C’est quelque chose qui a toujours été clair pour nous. L’humour en musique, on s’en méfie. Souvent, c’est un peu facile. La petite citation marrante dans un solo, ce n’est vraiment pas notre truc. Si on joue un standard, on le joue vraiment. On aime le film et ses ambiances. On voulait les restituer tout en gardant notre identité musicale ». L’auditeur est prévenu de ce qui l’attend à un concert de Flash Pig: un lyrisme inventif, profond, et sans second degré.
Texte: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (autres dessins, peintures à découvrir sur www.annieclaire.com)