FRÉDÉRIC BOREY ‘Butterflies Trio’ à Valenciennes
Première visite du chroniqueur aux concerts de jazz du Phénix de Valenciennes : cette programmation est une véritable institution, apparue voici près 25 ans à l’initiative de Gérard Dahan (aujourd’hui au Petit Duc d’Aix-en-Provence), et aussi Hugo Dewasmes, lequel officiait déjà dans cette Scène Nationale, et a pris le relais. Pour moi un retour dans cette ville où j’ai travaillé voici tout juste 50 ans, où j’ai encore beaucoup de souvenirs, et quelques ami.e.s.
Arrivé en gare de Valenciennes par le même train que les musiciens, je les rejoindrai bientôt sur le lieu du concert.
Surprise pour moi : le concert se tient non pas dans la petite salle de concert (le Phénix comporte aussi une grande salle), mais dans le restaurant du lieu. C’est là que, traditionnellement, les groupes jouent pour une soirée club le jeudi.
Pendant la balance qui se tient avant l’arrivée des dîneurs, on peaufine le son. Yoni Zelnik, qui remplace ce soir Damien Varaillon au sein du trio, a voyagé sans son instrument, car le problème du voyage SNCF avec contrebasse demeure entier : j’ai le droit de voyager avec mon outil, l’ordinateur qui me sert à vous rendre compte de la soirée, mais les musiciens peinent à faire valoir leurs droits. La contrebasse fournie sur place est très médiocre (son très sec, pas de puissance, ni timbre ni rondeur). Fort heureusement on en livrera une autre en fin de balance, et qui sera nettement meilleure….
Peu avant 19h les dîneurs arrivent : on sert le plat avant le premier set, ce qui évite à la musique la concurrence déloyale du bruit des fourchettes…. Mesure salutaire : j’ai conservé un horrible souvenir d’une soirée au Sweet Basil de New York, en octobre 1982, où les dîneurs bruyants gênaient le génial Phineas Newborn. J’en ai fait le récit dans le n° 314 de Jazz Magazine, daté de janvier 1983.
BUTTERFLIES TRIO
Frédéric Borey (saxophone ténor), Yoni Zelnik (contrebasse), Stéphane Adsuar (batterie)
Valenciennes, Le Phénix, 16 décembre 2021, 20h
Peu après 20h, quand les dîneurs ont joué le premier set de leur repas, le premier set du concert peut commencer. Le répertoire sera très majoritairement celui du double CD enregistré en 2019. Et il s’ouvre avec une composition du saxophoniste, le titre emblème du trio : Butterflies. Le décor est posé : interaction fine, expressivité, la musique en somme. Le titre suivant sera un standard immortalisé par Stanley Turrentine : My Girl Is Just Enough A Woman For Me. Le public est très attentif, concentré dans une belle écoute.
C’est maintenant une composition du tout nouveau CD, «Butterflies Trio featuring Lionel Loueke» (paru au début du mois chez Fresh Sound) : Cube, un thème du contrebassiste titulaire du groupe, Damien Varaillon. Puis un titre plus ancien, où va se déployer toute une dramaturgie, notamment dans un solo de batterie accompagné par le sax et la basse : subtil, toujours ; vivant, intensément ! Après A Flower Is A Lovesome Thing, de Billy Strayhorn, traité avec une infinie tendresse, Le set se conclura par Mister J.H., hommage à Joe Henderson composé voici pas mal de temps par Frédéric Borey, et repris dans le disque de 2019. C’est un démarquage de Inner Urge, introduit par un solo de sax puis, en trio, après une bribe de citation mélodico-rythmique, un sortilège mélodique autour des harmonies originelles qui dira toute l’admiration du disciple pour son Maître.
Après l’entracte, qui a permis aux dîneurs de manger le dessert, et aux musiciens de se désaltérer, c’est le deuxième set, qui commence par une composition du batteur Stéphane Adsuar, thème au titre énigmatique : Stephane Wants To Share An Uber With You…. Puis vient une composition du saxophoniste sur les fameux Rhythm Changes, cette suite d’accords que les jazzmen français appellent l’Anatole : intitulé Catch It, c’est comme souvent lorsque l’on se réfère à cette grille d’accords, simple autant que canonique, une course folle sur le fil. Retour au calme avec à nouveau le répertoire d’Ellington, et A Single Petal Of A Rose (co-signé Billy Strayhorn, l’irremplaçable), avant All Those Things / Let’s Hang Together, une sorte de suite qui enchaîne la mélancolie déchirée et la joie légère. Ce sera le dernier titre mais pas l’ultime : chaleureusement rappelés, les musiciens nous ont offert un bon vieux standard, en douceur, avant l’effervescence des échanges de 8 puis 4 mesures entre les solistes. Dans les règles de l’Art, le jazz à son état quintessentiel, si toutefois il existe une essence de cette musique. De longues controverses amicales avec Lucien Malson, à l’époque des Cahiers du Jazz nouvelle série (PUF, 1994-1996) ne m’ont jamais permis d’épuiser le débat….
Xavier Prévost
Prochain concert de jazz au Phénix de Valenciennes le 6 janvier avec le quartette Akagera