Georges Paczynski aurait 80 ans !
Ce jeudi 30 Mars, au Sunside, le batteur-pédagogue-écrivain Georges Paczynski fêtait ses 80 ans entouré de ses élèves, anciens élèves, amis et fans.
Ce soir-là, un premier anniversaire m’avait tiré de ma banlieue, les 50 ans de Frédéric Maurin, fondateur de Ping Machine et directeur artistique de l’actuelle et exceptionnelle édition de l’Orchestre national de jazz. Dans la partie privatisée d’un bar du 19e arrondissement, nous plaisantions sur nos âges, Fred 50 ans, Arnaud Merlin filant cette année vers ses 60 ans, tout comme moi vers mes 70. Le contrebassiste Raphaël Schwab (pas même 30) vint prendre congé, annonçant qu’il se rendait au Sunside où il était attendu pour célébrer les 80 ans de Georges Paczynski.
Georges Paczynski ! Mes années aux Cim, l’école de jazz fondée par Alain Guerrini, où Georges enseignait la batterie ; mes années de responsable de la discothèque de Montrouge où je le fis venir plusieurs fois. La première pour parler de sa thèse de doctorat d’État Genèse de l’anthropologie du geste percussif dans la préhistoire et les grandes civilisations, anthropologie de ce geste vertical, de ce lâcher prise, de cet apprentissage de l’abandon du bras pour une frappe juste. La deuxième fois pour un concert de son trio avec l’oublié pianiste Jean-Christophe Levinson et Jean-Jenny-Clark (dont j’espère que tout le monde se souvient quel contrebassiste il fut). La troisième fois, si mes souvenirs sont bons, autour d’un recueil de compositions, pour un concert en duo avec la pianiste classique Evelyne Stroh. Et aussi mes années au Jazzophone et à Jazz Hot où je rendis compte de quelques-uns de ces concerts, Jazz Hot pour lequel je me rendis un jour au Conservatoire de Colombes où il enseignait alors pour prendre un cours de balais… un premier cours de batterie ! On ne commence pas par les balais, m’avait-il dit, laissant entendre qu’il fallait commencer par ce « geste vertical » et ce « lâcher prise » qu’il enseignait en priorité. Mais c’était pour la bonne cause : un plaidoyer dans les pages de Jazz Hot pour l’art des balais qui nous semblait menacé d’extinction, plaidoyer balais en mains, pour comprendre ce délicat geste du balayage des peaux.
Deux heures plus tard, après la célébration des 50 ans de Fred Maurin, évidemment, j’étais au Sunside. À l’entrée, une diversion à laquelle je résiste : le KLM trio est programmé au Sunset, au sous-sol, entendez Kerecki (Stéphane), Loustalot (Yoann) et Macé (Philippe) qu’il me tarde d’entendre. Je résiste et entre au Sunside au moment où Jean-Michel Proust entame un chorus sur le blues avec les premières notes du Blue Seven de Sonny Rollins, blues qui s’avèrera être Blues March, esthétique que je ne m’attendais pas à croiser là. C’est que Georges Paczynski est aussi un historien de la batterie, raporteur d’une formidable épopée en trois volumes des origines à Tony Williams parus chez Outre-Mesure, en passant par Baby Dodds, Zutty Singleton, Sidney Catlett, et toute la descendance ; histoire dont il s’est souvent entretenu avec Alain Gerber dans Black and Blue, en un temps où la musique instrumentale était encore admise sur France Culture et où le mot musicologie n’était pas encore devenu un gros mot et ne servait pas encore à dénoncer la moindre connaissance soupçonnée d’excluante dans les couloirs de la Maison de la Radio qui se targue aussi d’être la Maison de la Musique, perfide entreprise de communication.
Ainsi, me précise-t-ton que la soirée a commencé par le Rigodon d’honneur dont la seule évocation a toujours fait rosir de plaisir les joues de Georges Paczynski. Je ne me risquerai pas à nommer les différents musiciens programmés sur scène ou dans la salle tant l’expansion de la scène française ces dernières années échappe désormais à mon appréhension et je me contenterai de recopier l’affiche du Sunside :
Jean-Michel Proust – saxophone ténor ; Léo Kiefer – trompette ; Alain Meunier – violoncelle ; Armel Dupas / Georges Pludermacher / Didier Benetti / Etienne Guéreau / Christophe Henry – piano ; Marc Buronfosse / Raphaël Schwab / Jules Billé / Bernard Cazauran – contrebasse ; Georges Paczynski / Guy-Joël Cipriani / Franck Hemmerlé / Patrick Mendez / Oded Kafri / Gilles Le Rest – batterie & percussion.
Notons que le grand contrebassiste et pédagogue Bernard Cazauran, souffrant, s’est excusé, mais que le violoncelliste Alain Meunier nous livra un splendide suite Bach et que la prestation du painise Georges Pludemacher ami de longue date, complice et mentor de Georges Paczynski, consista un autre grand moment de la soirée… C’est que l’univers de Georges Paczynski ne s’arrêtait pas aux portes du jazz mais reposait sur une connaissance intime de la musique classique d’où il tira, de ses compositeurs comme de ses interprètes, nombre d’enseignements. Et c’est cet enseignement qu’il dispensa lui-même qui lui vaut cette estime palpable chaque fois que l’on prononce son nom dans les milieux avertis de la batterie, et ce soir cette affluence de talents.
Mais le moment attendu arriva, lorsque le Monsieur Loyal de la soirée, le pianiste Armel Dupas appela Raphaël Schwab à rejoindre la contrebasse pour se joindre à l’Homme de la soirée. Je retrouvais alors les gestes de Georges Paczynski, ses mimiques trahissant l’extrême tension comparable à la concentration du tireur à l’arc, la qualité de la noire tombant sur la cymbale au creux de la walking bass, la délicatesse extrême des balais sur le grain de la peau, et ses soudains emportements sur les tambours comme on embrasse impatiemment un ami trop longtemps absent. Et voici, cette composition entendue autrefois dans l’atmosphère de l’auditorium de Montrouge, Dans l’Escalier, signée Jean-Christophe Levinson, dont les enroulements mélodiques me reviennent et où désormais Raphaël Schwab marche sur les pas de Jean-François Jenny-Clark, marchant l’amble avec le tempo de Georges, pour mieux jouer l’échappée belle une fois le décor installé. C’était il y a quelques 35 ou 40 ans. Depuis d’autre disques ont témoigné de cet amour du trio, “Présences” (2009) avec Armel Dupas et Joachim Govin, “Le But c’est le chemin” (2014) avec Stéphane Tapsis et Marc Buronfosse présent sur la scène de cet anniversaire tout comme le pianiste Stéphane Guéreau auquel est associé ce dernier sur “Les Voix du Silence” (2019), tous produits sur le label Arts & Spectacles. Franck Bergerot (photo © Franck Bergerot, ce qui n’est qu’une supposition ne demandant qu’à être confirmée… ou détrompée)