Getxo: Entre Dave Holland et Al Di Meola
À Getxo au dessus de Bilbao le 46 e festival de Jazz de la cité chic vizcaienne proposait des noms partie prenante de bifurcations récentes du jazz. Pas de tête de gondole de festivals d’été, la jauge de la salle ne le permet pas. Mais des noms reconnus. Il convient pourtant de porter à son crédit le maintien d’une formule que quelques rassemblements festivaliers font le choix de promouvoir (Des Rives et des Notes Oloron par exemple) : les concours d’orchestre. Ouvert à des musiciens issus de différents pays, jeunes pour la plupart, celui de Getxo permet des découvertes, un brassage de personnalités et de vécu, une ouverture vers des formules en devenir. Reste au.jury à ne pas se tromper de routes musicales â valoriser. Là se situe la limite de l’exercice.
Jan Jarecki (p), Michal Aftyka (b),Max Mills Kreft (dm), Dominik Michal Lucaszczyk (tb), Rafal Edward Jackiewicz (as, ss), Symon Kowalik (ts), David Jan Toklowicz (cl b), Fili Zoltlowski (tp)
Concours d’Orchestre, Muxikaberri, 1er juillet
Un son d’ensemble prononcé avec du volume, une écriture précise pour cet octet polonais. Des effets de timbre, des additions de souffles pour le pupitre vents et bois marquent d’un sceau actuel des compositions architecturées avec soin. Des solistes encore en devenir même si le soprano paraît sortir du lot. À suivre.
Al Di Meola (g), Paolo Alfonsi (g) Sergio Martinez (perc), Robert Arder (tabla)
Ce pourrait paraître un cliché, mais non à l’évidence on a affaire à un topique dès lors que l’on franchit les Pyrénées. Quelle que soit la résonance de la musique la guitare règne en instrument phare dans la péninsule ibérique . Al Di Meola fort de ses touches jazz, pop et flamenco symbolise le héraut rêvé pour ce public curieux et aficionado des six cordes. Sur la scène immense de l’auditorium Muxikebarri avec le concours d’un autre guitariste, sur de son savoir faire et de sa virtuosité, de sa vélocité travaillée, entretenue, il avait ici au cœur du Neuilly de Bilbao, un jour d’étape de départ du Tour terminée au sprint toutes les chances de s’imposer sans forcer son talent.
Bon reconnaissons tout de même que sur le terrain d’une balade, son aisance, sa capacité de délicatesse dans les doigtés imprimés sur le manche, son habileté à produire des séquences marquées de nuances peuvent faire l’affaire ( Fandango) Mais chez le guitariste natif du New Jersey, starisé dès la fin du siècle dernier pour ces tournées mondiales en trio ou quartet aux côtés de John Mc Laughlin, Paco de Lucía ou autres Larry Corryell notamment, demeure toujours ce risque de course folles, d’accélérations gratuites. de poussées sous plusieurs G, de chevauchées de guitare Grand Prux à vitesse gran V,. Lesquels tics ou toques ont marqué sa réputation ( Mediterranean )
À Getxo, au présent cette fois, c’est bien sur le tempo moyen que son expression artistique se manifeste le plus naturellement (Esmeralda) Joli moment à deux guitares arpégées, qui rappellent justement les instants de musiques au bon feeling vécues avec d’autres guitariste heroe….
Et pour revenir à l’instrument béni en Espagne, à noter que Al Di Meola pratiquait ce soir là sur une élégante guitare acoustique à la robe couleur d’ébène lustrée comme on peut en trouver exposée parmi mille autres instruments au Musée de la Musique Plaza las Glorias, Barcelona.
Giulio Ottanelli (as), Jérémie Lucchese (ts): Cyril Drapé (b), Émile Rameau (dm)
1er Juillet 2023
Le quartet du saxophoniste italien de Florence passé par le Conservatoire National de Paris est sorti gagnant du concours d’orchestres de cette 46 édition du Festival. Expression impulsée dans un mano a mano ténor/alto ( ce dernier plus tranchant, plus incisif dans ses attaques ) mais dans un cadre assez classique. Bien fait, bien exécuté, mais au final un jazz plutôt sage pour un carré d’as de jeunes musiciens sacrés à quelques encablures acier du Guggenheim.
Michele Bonifati ( g), Manuel Calium (as), Federico Pierantoni (tb), Évita Polidoro (dm)
Eux ne faisaient pas eux partie du concours mais se produisaient sur la Geltikio Plaza d’Algorta au cœur de la vieille ville. Ce quartet italien secrète un jazz ouvert, éclaté dans ses structures, basé sur des riffs de guitare très métalliques et boosté par des échanges, sorte de «chases» multipliés entre trombone et alto sax. Une sonorité collective originale entre jets de free et traces de blues. Un disque à retenir :Three Knots (musica.org)
Dave Holland (b), Nasjeet Waits (dm), Joe Shaw (as), Kris Davis (p, elp)
Un plaisir que de retrouver ce beau son, ce jeu de basse fluide, construit sans anicroche. La manière de Dave Holland procède de l’intelligence musicale. Avec lui Il n’est plus question de technique mais d’une pensée du jeu. Paradoxalement autant dans l’exercice son visage s’affiche tendu autant la gestuelle de ses mains apparaît claire sur le manche de sa contrebasse. Avec une présence permanente dans le contenu musical exposé même si le discours de l’instrument ne paraît pas toujours figurer en premier plan.
Le sax alto de Joe Shaw- Dave Holland est amateur de ce cuivre on le sait, ses choix orchestraux effectués en tant que leader l’ont prouvé- alliant maitrise et volubilité apporte une sonorité chaude, des lignes complexes décortiquées avec autorité. La surprise viendrait plutôt cette fois du côté de la pianiste, une découverte pour beaucoup à coup sûr, par exemple dans cet épisode d’introduction où Kris Davis fit exploser la quadrature habituelle du piano solo, brisant les lignes, secouant l’harmonie jusqu’à des pics d’atonalité assumée.
Car le talent, l ‘histoire, le parcours du contrebassiste anglais le disent clairement. Dave Holland sait choisir les personnalités des musiciens de ses orchestres dans le but de renforcer plus que de servir ses axes de composition. S’en suit reproduites sur scène de longues pièces très contrastées, nourries de beaucoup d’improvisation, des pans d’ouvertures musicales bâties à partit d’une écoute mutuelle constante.( Between nothingness and eternity) Le concert du quartet à Getxo Jazz a produit un jazz très élaboré, bien de son temps dans la jonction tradition et modernité, soit l’exploitation du passé (récent) et du présent en matière de création. Offrant du plaisir en sus à l’écoute. Avec en final «Jumpin ‘ in» et pour l’occasion au cœur de ce thème éponyme d’un de ses albums le moment privilégié d’un beau passage à l’archet, solo construit dans l’équilibre de la sonorité autant que dans celui de savantes digressions harmonique. Comme si Dave Holland au passage avait tenu à rappeler mine de rien qu’il reste aussi un bassiste de jazz de référence.
Robert Latxague