Hannah Tolf hier chez Paul Jarret, demain chez Isabel Sörling
Hannah Tolf hier chez Paul Jarret, demain chez Isabel Sörling
Hier, 17 mai, à Nanterre, Paul Jarret recevait la chanteuse suédoise Hannah Tolf dans son jardin pour un duo improvisé. Celle-ci sera demain au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines l’invitée d’un dispositif orchestrale réuni par sa concitoyenne Isabel Sörling.
C’était une invitation entre voisins et j’aurais pu m’y rendre en pantoufles. Je n’avais jamais imaginé, longeant cette rue autrefois pour aller chaque matin chercher mon bus pour La Défense, que les petites maisons bordant les trottoirs dont elles sont séparées par de minuscules jardinets dissimulaient de longues et étroites bandes de terrains, vestiges d’un Nanterre maraîcher et viticole. J’y avais croisé parfois le guitariste Paul Jarret ou certains des musiciens de son quintette chargeant ou déchargeant leur matériel devant la maison de ce dernier. Hier, me joignant sur ces trottoirs à quelques voisins que j’ai pu voir quitter leurs maisons – à la main un panier contenant quelque bouteille, quelque tarte maison – pour se rendre chez leur voisin, j’ai découvert à l’arrière de l’habitat principal, coupant ce long jardin en deux, parmi pruniers, cerisier, rosiers et amandier, un petit pavillon de jardin réaménagé tout en bois blond lui donnant une petite touche scandinave, à l’intérieur duquel sont nées les musiques de PJ5, “Emma” et autres projets de ce père de famille, artiste hyperactif et rassembleur, aux apparences calmes, avenantes, presque nonchalantes.
Pendant le premier confinement, il avait déjà sorti son ampli pour faire profiter ses voisins de concerts solos, mais ceux-ci étaient loin de connaître tous les contours de la musique de Paul Jarret qui hier leur présentait son amie Hannah Tolf. C’est pendant ce confinement qu’il avait déposé dans la boîte aux lettres de mon immeuble le disque “Emma”, hommage à ses ancêtres suédois, évocation des épreuves du peuple suédois traversant l’océan vers les États-Unis pour fuir la famine. Il y revisitait les chansons du folklore suédois qui avaient séduit les jazzmen américains nombreux à se produire en Suède à partir du boom du bop et du cool, de Stan Getz ramenant aux Etats-Unis Ack Värmeland devenu sous les doigts de Miles Davis Dear Old Stockholm, à Art Farmer avec Jim Hall, Steve Swallow et Pete La Roca enregistrant l’album “To Sweden With Love”. Sans le savoir, Paul et Hannah Tolf reprenait le bouleversant De Salde Sinne Heman dont le verso de la pochette Atlantic nous apprenait que ça signifiait « Ils vendirent tous leurs biens. » Mais relativise la chanteuse avant le concert qu’elle s’apprête à donner chez son hôte, cette mélodie – ce timbre dirait un musicologue – a connu beaucoup de paroles différentes… « et d’ailleurs, ce soir nous n’allons pas chanter ce répertoire. Nous avons prévu d’improviser. » On se rend alors vers ce pavillon de jardin, invité à verser notre obole dans un chapeau, destinée à contribuer au frais de voyage de la chanteuse, venue de son pays en train, par conviction écologique. Et nous nous installons autour des deux musiciens qui, chacun environné d’un rack impressionnant de pédales d’effets, se regardent un instant comme pour deviner par quoi l’autre va commencer… C’est le guitariste qui se jette à l’eau avec de ces gestes de guitariste – finger picking et voicings iconoclastes – qu’ont en commun le folk et le rock. Paul Jarret me rappellera qu’il est venu à la guitare – son premier instrument ayant été l’harmonica – d’abord pour s’accompagner “à la Dylan” puis, entrant dans l’adolescence en écoutant, LE groupe d’alors Nirvana.
Mais nous sommes ici loin de ces orages dont on devine néanmoins l’influence lorsqu’il pratique l’improvisation libre avec Julien Soro et Ariel Tessier (Sweet Dog) ou lorsqu’il invite Jim Black pour son projet (Ghost Songs), mais il y a un mélange de tendresse et de tension, de lyrisme et d’abstraction commun à tous ces projets, ici l’arpège s’étirant par boucles répétitives reprises au long des systèmes de delay et de traitement du son, tandis qu’il y superpose toutes sortes de nappes de son, d’irisations, de granulations, de sourds grondements et de lignes claires mélodiques parfois tout juste discernables auxquelles se joint la voix d’Hannah Tolf, tantôt flûtée, tantôt grondante, avec une qualité d’écoute et d’intonation qui lui permet cette osmose inespérée avec la guitare, cessant parfois de chanter pour laisser sa voix vivre seule et vagabonder au travers des dédales électroniques où elle l’entraine du bout des doigts manipulant curseurs et boutons de potentiomètre.
Demain, jeudi 19 mai à 19h30, on pourra entendre Hannah Tolf au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines où elle aura collaboré plusieurs jours à la création de Maried (mot suédois désignant la bioluminescence du plancton) de son amie suédoise, la chanteuse Isabel Sörling, en compagnie de leur compatriote Linda Oláh, d’un chœur et d’un dispositif instrumental constitué d’Akemi Fujimori (synthétiseurs, percussions, voix), Gauthier Toux (synthétiseurs), Myrtille Hetzel (violoncelle), Giani Caserotto (guitare électrique), Nicolas Charlier et Julien Loutelier (batterie) (personnel indiqué sous réserve). Franck Bergerot