Hélène Duret, toute eau
Hier, 4 décembre, premier des trois concerts d’une résidence accueillie par l’Atelier du Plateau, la clarinettiste Hélène Duret rêvait, en solo, d’eau et d’eaux.
Hier, me rendant à l’Atelier du Plateau pour entendre le premier concert d’une résidence qui en comportera trois, je lisais le dernier numéro de La Hulotte trouvé dans ma boîte aux lettres, consacré au “petit fer à cheval”, ou “petit rhinolophe”. Et j’y découvrais que cette chauve-souris, émet par les narines, et non par la bouche, les ultra-sons qui lui permettent de se guider parmi les branchages serrés, feuillages et broussailles où elle évolue en virtuose de haute-voltige. Or cette émission par les narines lui permet d’ingurgiter en continu tous les insectes qui se présentent devant sa bouche sans cesser d’émettre, contrairement à d’autres chiroptères comme la pipistrelle obligée, à chaque proie happée, d’interrompre ses émissions le temps de la mastication.
Image qui m’habitait encore en observant Hélène Duret pratiquer le souffle continu, et donc de continuer à modeler le son de sa clarinette entre ses lèvres sans cesser d’alimenter sa colonne d’air par ses inspirations nasales. S’agissait-il d’ailleurs de cela ? De regarder cela ? Rien de spectaculaire et tandis que je me laissais distraire par l’intense, et néanmoins discret, travail de son masque facial, je remarquais que voisins et voisines écoutaient les yeux fermés, négligeant le spectacle – un musicienne assise face à deux micros, l’un sur le côté vers lequel Hélène Duret dirigeait sa clarinette, l’autre devant une table où se trouvaient disposés deux petits synthétiseurs (Korg et Mellotron), une clarinette basse dressée à gauche sur son stand.
Fermons donc les yeux et concentrons-nous sur ce flux sonore qu’elle produit, dans un souffle qui n’est d’ailleurs nullement systématiquement continu, mais surtout tellement naturel, qu’il n’a rien ni de spectaculaire, ni de forcé, ni de superfétatoire. Concentrons-nous donc sur ce qui est tout à la fois l’objet et le sujet de ce programme solo et “sensationnel” en ce qu’il fait appel à la sensation : l’eau. Le flux, l’écoulement continu… ou non. L’eau qui goutte, qui frappe à la vitre, perle d’une toiture, qui crève la surface de l’élément liquide qu’elle rejoint, qui perle sur la peau, qui ruisselle, cascade, repose et puis gicle, où l’on plonge, où l’on glisse, où l’on planche, où, à trop d’abandon, on risque la noyade et peut-être, est-ce pourquoi, rouvrant les yeux, je remarque qu’autour de moi les yeux se sont rouverts.
L’émerveillement cédant à la curiosité pour cet air, cette ébène et ce roseau, ces clés et surtout ces lacunes du clétage qui mettent la pulpe du doigt en contact direct avec la colonne d’air, jusqu’à la frapper comme mailloche sur la lame de balafon, jusqu’à glisser dessus d’une note à l’autre, entre les notes, trillant même à l’intérieur de la micro-tonalité, ou crevant finalement, d’une harmonique aigüe, la limite supérieure du spectre audible, alors qu’Hélène Duret commence à toucher ses claviers, abandonnant finalement la clarinette le temps d’une brève chanson aux paroles indistinctes, qui nous fait songer à Robert Wyatt et nous rappelle que l’univers d’Hélène Duret communique avec les mondes du théâtre, de la danse et de la chanson. Pont jeté vers la pop acidulée du Couple Sympathique, son tandem avec le saxophoniste (et en l’ocurence multi-instrumentiste) Quentin Biardeau, qui ouvrira le 6 février 2025 le second volet de sa résidence à l’Atelier du Plateau. Mais hier, l’instrument reprit ces droits, cette fois-ci la clarinette basse, sur un ostinato de synthétiseur qui conclura le concert. Trois quarts d’heure se sont écoulés et on n’en aurait rien su. Franck Bergerot