Hélène Labarrière : la cohérence du “Puzzle”
Hier 18 mars, direction l’Ille-et-Vilaine, où la saison “Bordures et Alentours” accueillait le quintette d’Hélène Labarrière et son programme “Puzzle”.
En Loire-Atlantique, sur la rive gauche de la Vilaine dans sa dernière ou avant-dernière étape vers l’Océan, petite sœur et mitoyenne de Redon qui lui fait face sur la rive droite en Ille-et-Vilaine, Saint-Nicolas-de-Redon est associé à Langon, autre ville en amont sur la rive droite (et donc de l’autre côté de la frontière départementale) autour d’un programme de découvertes musicales en territoire rural, “Bordures et Alentours”. Sous la direction artistique de Gerald Martin, créée par François-Xavier Ruan, l’affiche se fait itinérante entre Saint-Nicolas-de-Redon et Langon où ce dernier vit, mais que l’on connut programmateur de La Péniche bleue puis fondateur du Pannonica à Nantes, co-organisateur d’un festival de rues à Besançon, directeur de l’ONJ. Le jazz et les musiques improvisées y ont évidemment leur place. Le 22 janvier s’y produisaient l’acteur Frédéric Pierrot, le contrebassiste Claude Tchmitchian et le le batteur Christophe Marguet dans leur “lecture” de l’Intranquillité de Fernando Pessoa.
Hier soir, le bel Espace socioculturel Pierre Etrillard accueillait le quintette de la contrebassiste Hélène Labarrière dans son programme “Puzzle”. Soit un hommage à quelques grandes figures féminines de l’Histoire (Louise Michel, Thérèse Clerc, Jeanne Avril, Angela Davis et Emma Goldman) à chacune desquelles Hélène Labarrière a consacré une partition confiée à cinq arrangeurs qui furent d’importants partenaires de sa carrière : Marc Ducret, François Corneloup, Jacky Molard, Sylvain Kassap et Dominique Pifarély.
De l’amère et cependant très tendre douceur des premiers contrepoints imaginés par Ducret pour évoquer l’exil calédonien de Louise Michel à la véhémence qu’Angela Davis et les luttes afro-américaines ont inspiré à Kassap, on est frappé par la cohérence de ce puzzle. L’objectif d’un puzzle, direz-vous, c’est de parvenir à rassembler sa cohérence, mais c’est un exercice qui exige de la patience, du temps et de la régularité. C’est la régularité qui a manqué à la suite de sa création à l’occasion de plusieurs concerts il y a un an, le groupe n’ayant eu l’occasion de se retrouver qu’une seule fois en septembre aux Émouvantes de Marseille. Pour Bordures Alentours, le groupe a pu profiter d’un tir groupé : le 16, le Comptoir de Fontenay-sous-Bois, le 17 le Pannonica de Nantes, le 18 Saint-Nicolas-de-Redon, le 19 le Café Boulevard de Melle. Et la cohérence s’en ressent en dépit de la diversité des ambiances chambristes, presque baroques, plus contemporaines, festives, jusqu’à la colère free-rock à l’issue de laquelle émerge, allusive, une citation de Lonely Woman d’Ornette Coleman par Robin Fincker.
Le saxophone et la clarinette de ce dernier s’entendent à merveille avec la clarinette de Catherine Delaunay, de la fusion acoustique à la faconde des jeux polyphoniques que propulse ou auxquels se mêle la contrebasse. Simon Goubert est d’une présence de tous les instants, comme s’il tenait une partie de percussions contemporaines, mais avec des gestes de jazzmen et un vocabulaire inépuisable. La révélation de ce programme, c’est le guitariste Stéphane Bartelt qui en serait comme le poil à gratter. Il gratte, il cogne, avec une palette timbrale qui doit moins à ses pédales d’effet qu’à la diversité de son jeu de main droite, avec des gestes de frailin’ banjo, mais rageur et frénétique, un son de métal (s’il se défend d’avoir jamais joué de banjo, il reconnaît l’usage d’onglets métalliques de banjoïste). On pense à cette génération de guitaristes apparus dans les années 1970, les Fred Frith, Eugene Chadbourne, Henry Kaiser… Et l’on pense aussi à la fluidité et à la plasticité sauvage de Jimi Hendrix. Bartelt ne menace cependant par la cohérence de l’ensemble, tendrait plutôt à la révéler, et à souligner ou surligner l’adéquation de ces programmes avec l’identité des femmes auxquelles il est rendu hommage. Franck Bergerot