Henri Texier, pur produit de la SNCF et du Service public
“Je suis un pur produit de la SNCF et du service public”. Ainsi s’intitule et commence le grand entretien accordé par Henri Texier à Nathalie Piolé sur France Musique du 16 au 20 avril de 13h03 à 13h30. Relire à l’occasion le grand entretien accordé par le même Henri Texier à Stéphane Ollivier pour Jazz Magazine en février-mars 2013, n°646-647. Ça commençait comme ça:
Vous êtes né à Paris le 27 janvier 1945. Comment se déroule votre petite enfance dans cet immédiat après-guerre ? Dans quel milieu grandissez vous ?
On habitait rue Cardinet, un vieil immeuble austère à l’intérieur même de la Gare des Batignolles. C’est là que je suis né. On ne peut pas faire plus parigot. Mais la vérité c’est qu’à l’époque, je suis avant tout fils d’émigré breton – toute ma famille était originaire de Bretagne depuis des générations avant que mes parents ne viennent s’installer à Paris, et s’ils l’ont fait c’est qu’ils n’avaient pas le choix, il fallait bosser, survivre. C’était un milieu extrêmement modeste. Mon père était poseur de rail, le bas de l’échelle à la SNCF… Ma mère était concierge, faisait des ménages… Et puis j’avais deux soeurs, plus vieilles que moi de dix et douze ans… La vie était très dure. Ma mère faisait aussi un peu de confection pour nous habiller et faire entrer de l’argent dans le foyer – je me souviens, on allait chez Bouchara sur les Grands Boulevards acheter du tissu pas cher… Malgré ça dès le 25 du mois on n’avait plus rien à manger. Je ne veux pas en rajouter dans le misérabilisme mais c’était un peu Zola à la maison… Le Paris en noir et blanc des films de Carné et Prévert. Au niveau de l’ambiance, du look des gens, des bagnoles, on était encore dans les années 40 à ce moment-là. Mais le truc, quand on travaillait à la SNCF, c’est qu’en dehors de la paie qui était ridicule, on bénéficiait d’un tas d’avantages : on habitait un appartement de fonction, on avait accès à un économat, on partait en colonies de vacances, et surtout on avait le train gratuit. Ça c’était énorme ! Ça nous permettait de retourner toutes les semaines à Rennes. Vite après le boulot le samedi soir on prenait le tortillard en 3e classe, on arrivait de nuit chez ma grand-mère, et le lendemain midi, le dimanche, c’était la grande réunion familiale… On revenait avec le beurre salé, les galettes de sarrasin, les oeufs frais,la saucisse bretonne, et on mangeait ça pendant la semaine, avec les doigts s’il vous plaît, selon la tradition… Je n’en avais pas vraiment conscience à l’époque mais je m’aperçois aujourd’hui que durant toute mon enfance, le cordon avec la Bretagne n’a jamais été coupé… [À suivre dans les numéros 646 et 647 de Jazz Magazine de février et mars 2013]