Herbie Hancock
On retrouve le pianiste globe-trotter avec un programme ménageant surprises et éléments familiers, et un son à décrocher les lustres. Hancock n’était pas passé par Toulouse depuis le milieu des années 90. Cela se déroulait alors salle Nougaro autour du répertoire de « The New Standard », sorti sur le label Verve.
Herbie Hancock
Halle aux grains, Toulouse, 21 novembre
Herbie Hancock (p, cla, voc), Lionel Loueke (g, voc), James Genus (elb), Justin Tyson (dm).
Ce soir, le pianiste est entouré de la même formation qu’à Montréal l’année précédente, avec pour seule variation de personnel le nouveau venu Justin Tyson (« emprunté » à Robert Glasper) en lieu et place de Trevor Lawrence, qui n’aura fait qu’un passage express dans le groupe. Un quartette donc, et non le quintette qui a inauguré la tournée, la flûtiste Elena Pinderhugues partie honorer d’autres engagements. Le répertoire puise largement dans les années 70, fait l’impasse sur les années 80 et laisse entrevoir des compositions inédites, tandis qu’une place non négligeable est consacrée à des œuvres de Lionel Loueke, homme-orchestre aux mille sons afro-animistes, allié de longue date d’un Hancock détendu, mu par une légèreté quasi-enfantine, essayant de nouvelles idées sans s’attarder sur aucune. Il en est ainsi de la machine à voyager dans le temps du Maître. Le passé est revisité sans nostalgie, au profit d’une actualisation souvent impressionnante de pièces sans cesse remises sur le métier, l’apport de jeunes musiciens et une passion jamais démentie pour la technologie permettant d’éviter la routine. On a parcouru un large spectre musical allant, mais oui, de Bill Evans à George Clinton – dont les styles ô combien distincts se superposent, s’accordent ou se télescopent ici à tout moment. Herbie est une incarnation crédible de l’histoire du jazz et des musiques américaines des soixante dernières années, peu de branches, croisements et possibilités esthétiques ayant échappé à son attention. Riffs dansants et passages d’une grande complexité s’emboîtent avec bonheur.
Justin Tyson est celui vers lequel tous les regards se tournent. Animé d’un furieux drive, le batteur rebondit sur la moindre proposition et changement de cap avec entrain et mordant. Herbie admet « voler les idées » de ceux dont il s’entoure, reprenant à son compte l’adage de Pablo Picasso sur les bienfaits du vol en art, préféré à la copie. Dans un éclat de rire, le pianiste envoie une pique à l’actuel résident de la Maison-Blanche : « Si je n’étais pas avec vous ce soir, je serais devant la télé à suivre les avancées de l’impeachment ». Il faut dire qu’Herbie est l’ami de Barack Obama…
Actual Proof n’a rien perdu de ses caractéristiques propulsives : la science rythmique y est à son comble. Le thème de Cantaloupe Island est réduit à un prétexte, la musique filant dans d’autres directions et développements épiques, après quelques mesures seulement. Le Vocoder exerce toujours ses charmes. Il apparaît sur une composition sensible de Loueke, quelque peu bousculée sitôt que Hancock s’empare d’un keytar (clavier portable dont il a toute une panoplie), dont la sonorité astringente perturbe l’ambiance réflexive de la pièce. Le Vocoder et le chant sont encore au centre de Come Running to Me, prolongé par de tendres accords ne figurant pas sur l’original. Pour le reste Mr Jazz et Dr Funk (c’est une seule et même personne) alterne entre claviers électriques et piano, quand il ne joue pas des deux en même temps.
On eut souhaité, au milieu de la déferlante jazz-rock, quinze minutes de beau piano non accompagné, à l’instar de la rêverie impressionniste improvisée sur la scène de Marciac voici une dizaine d’années, d’autant que l’instrument de la Halle aux Grains bénéficiait d’une sonorisation remarquable. Ce sera pour une autre fois. Si James Genus est un fabuleux rythmicien, son solo s’est avéré dispensable, même si l’on aime les généreux espaces d’expression alloués à chaque membre. De Chameleon, en inévitable rappel, ne subsiste que le riff initial, occasion pour le claviériste d’arpenter la scène et faire chanter le public, avant de marquer la fin du concert par un bond, affichant une forme insolente et s’abstenant tout juste d’effectuer quelques saltos, mais se prêtant au jeu des selfies auprès de jeunes admirateurs avant de quitter la scène en courant. Aux occupants du parterre raides comme des piquets, on a préféré retenir la présence d’un groupe d’étudiants ayant compris le message et dansé avec allégresse : une euphorie contagieuse. DC
Lionel Loueke se produira le 9 janvier salle Nougaro au côté de Michel Portal. A la Halle aux grains, le prochain concert de jazz aura lieu le 26 février avec le trio de Chick Corea.