Hermon Mehari et le quartette No(w) Beauty
Le quartette No(w) Beauty – Hermon Mehari / Enzo Carniel / Damien Varaillon / Stéphane Adsuar – célébrait hier 31 mars à La Petite Halle la sortie de son premier album sur le label “Menace” devant un public enthousiaste.
Lorsqu’en avril 2017, débarquant du Texas, le trompettiste Hermon Mehari fit irruption sur la scène du concours mensuel organisé par Buffet Crampon au Popup !, il ne se présenta aucun concurrent pour le défier. Déjà lauréat de la Carmine Caruso International Trumpet Competition en 2015 et signataire l’année suivante de son disque “Bleu” en toute complicité avec Aaron Parks et Logan Richardson, il affichait… d’ailleurs non, il n’affichait rien, aucune frime ; émanait de lui une décontraction si naturelle, si désarmante, qu’il nous sembla le voir s’emparer de la scène, non comme s’il venait quérir auprès d’un jury quelque reconnaissance, mais comme s’il y était né, comme s’il y était chez lui, improvisant sur les standards imposés pour l’occasion, comme on chante les chansons de son enfance. Nous l’avions perdu un peu de vue… mais pas Jazz Magazine qui l’accueillit dans ces pages en octobre 2021 sous la plume de Jean-François Mondot (Hermon Mehari et Alessandro Lanzoni, Téléphatique Duo ) et dans son édition papier sous celle de Katia Kouloughli (notre numéro de décembre dernier), tandis que ses collaborations sur la scène française se multipliaient.
Le voici désormais au cœur d’un quartette français sans leader, No(w) Beauty, avec le pianiste Enzo Carniel, le contrebassiste Damien Varaillon et le batteur Stéphane Adsuar. Ce serait mentir que de prétendre que nous n’avons pas pensé à Ambrose Akinmusire en l’écoutant, mais se serait se méprendre que d’en déduire une forme de mimétisme. Voyons y plutôt un air du temps, des affinités que les complices de Mehari ont en commun avec ceux d’Akinmusire. Il y a cette trompette puissante et douce, ample et intime, cette façon anguleuse et sensuelle de faire chanter la phrase et puis il y a ce quartette et son répertoire dont les différentes partitions sont signées par ses membres à tour de rôle, avec un sens de la narration qui captive sans répit, aussi souple que précis dans ses arrangements, cette façon de vous tordre l’âme au détour d’une phrase que vous n’attendiez pas ou de faire tarder l’avènement d’une épiphanie devinée. Enzo Carniel contribue à cette fluidité qui rend la musique insaisissable ; non qu’elle exclue l’auditeur, elle l’entraine au contraire à sa poursuite, dérobant constamment la main qu’elle lui tend pour l’emmener toujours plus loin. Et son compagnon d’une décennie, Damien Varaillon joue de même de la solidité de ces grooves qui pourtant tout à la fois portent et se dérobent en toute complicité avec le drumming de Stéphane Adsuar, précis et attentif, ménageant l’espace jusque dans malices polyrythmiques les plus extrêmes. Hier, No(w) Beauty offrit au public de la Petite Halle pleine comme un œuf, un immense concert. Franck Bergerot