Hommages à Jean-François Canape
Le 17 octobre dernier, le trompettiste Jean-François Canape nous a quitté à l’âge de 67 ans. Ironie de l’histoire, ce bon vivant est mort en bonne santé (cela l’aurait fait rire !)… des suites infectieuses d’un double pontage qui n’avait rien d’urgent. C’est rageant. Pascal Anquetil lui rendra hommage dans notre numéro de décembre, mais on pourra lire auparavant les témoignages qu’il a recueillis auprès de ses anciens compagnons de route.
Qui parle mieux d’un musicien qu’un autre musicien qui a croisé sa route et joué à ses côtés ? Face à l’émotion qu’a suscitée sa brutale disparition s’est imposée l’évidence de demander un témoignage à quelques uns de ses compagnons de musiques et de rires. Ceux de ses débuts au sein du Machi-Oul Big Band des frères Villarroel et du Cohelmec Ensemble des frères Mechali, dans les années 70, jusqu’à ceux de l’aventure de l’ONJ Barthélemy (89/90), de l’Arfi et des formations de Gérard Marais, Sylvain Kassap ou Didier Levallet. Jusqu’à Médéric Collignon, bouleversé par la mort de celui qui l’avait, lors d’un stage, révélé (réveillé ?) à lui-même à l’âge de 15 ans.
Devant l’avalanche de témoignages que nous avons reçus, nous avons décidé, afin de ne pas les tronquer ni les censurer, de les publier tout de suite en intégralité sur ce blog, sans attendre le portrait que nous lui consacrerons dans le prochain numéro de Jazz Magazine.
Evidence : tous ces musiciens ont bien du talent quand ils disent leur amitié pour Jean-François et qu’ils se souviennent à cœur ouvert de ce trompettiste finalement trop méconnu à force de discrétion excessive.
Pascal Anquetil
Manuel Villarroel
Jean-François est entré à Machi-Oul Big Band à l’automne 1971 et y resta jusqu’en 1977. C’est le tromboniste autrichien Joseph Traindl et le saxophoniste Jean Querlier qui l’ont amené au moment où l’on cherchait un trompettiste déchiffreur et improvisateur, la perle rare à l’époque. On a été bien servi. Jean-François s’intégra rapidement à l’orchestre pour devenir indispensable. Toujours présent pour lancer des bonnes vannes avec un œil perçant et un sens aigu de la situation. Un dimanche après-midi d’hiver, les gars de l’orchestre m’ont donné rendez-vous à Pigalle à L’Omnibus, grande brasserie en pleine place où se tenait le marché des musiciens. Moi qui venais de débarquer en France, j’étais curieux de voir de quoi s’agissait et comment ça se passait. A un moment donné un type m’a demandé si je pourrais assurer une soirée dans un bal quelque part à la campagne. Je lui ait expliqué que ça n’était pas trop ma tasse de thé, mes intérêts étaient plutôt portés par le jazz et que je me débrouillais pour gagner ma vie. Comme notre ami ne comprenait pas trop mon fonctionnement, Jean-François lui a dit tout droit: « Manuel c’est un pur, il ne fait pas musicalement autre chose que son orchestre… » Jean-François avait saisi la balle au bond, fini la discussion. Je n’ai jamais oublié cette anecdote. Peut-être parce que, en plus d’être un excellent musicien, il avait en lui une profonde humanité à l’égard de ses pairs. Ce trait de caractère commun aux grands hommes.
Jean-Louis Mechali
Il entra en jazz sur la pointe des notes. C’est par un petit matin de 1971, par une porte de la MJC, rue de Saussure, que l’on vit son emblématique boîte de trompette pour la première fois. Il fut amené là par le tromboniste Josef Traindl, disparu en 2008. « Un compagnon de galère » disait-il, faisant référence aux orchestres de bal et accompagnements de chanteurs où ils évoluaient ensemble. Il s’assit au pupitre du Machi-Oul. Nous répétions là. Beau gosse ascendant parisien, doté d’un franc parler tonitruant au grand cœur, toujours prêt à la plaisanterie, il fut presque surpris par l’accueil unanime qu’il suscita. Un an après, il entra au Cohelmec et put ensuite tracer la route dont il avait toujours rêvé. Acrobate des tessitures, équilibriste des modes de jeux, redresseur de doubles croches, volontiers vilipendeur des conforts esthétiques, Jean-François Canape fut un ami indéfectible pendant quarante et un ans, un compagnon toujours zélé et impliqué dans mes créations et un collègue précieux au département de jazz du conservatoire de Bagnolet. Josef [Déjean, le guitariste du Cohelmec, tué sur la route en 1976 avec en poche un Prix Django Reinhardt fraîchement et fort mérité] et Jean-François sont partis. Il est vraiment des jours où il fait nuit !
Jacques Mahieux
En 1972, au sein du Machi-Oul, il n’arborait pas encore sa superbe moustache “cavanienne”, mais il nous faisait déjà mourir de rire en nous narrant ses exploits passés de vendeur d’encyclopédies au porte à porte, avec leur lot de consolations de ménagères esseulées. Son idole absolue, c’était Clifford Brown, ce qui ne l’a pas empêché de jouer très vite comme Jean-François Canape et d’entrer dans la catégorie pas si pléthorique des musiciens qu’on reconnaît au bout de trois notes. Je sens bien qu’on va célébrer sa modestie et sa discrétion qui, en fait, étaient surtout de la répulsion absolue à solliciter quoi que ce soit de qui que ce soit, ce qui n’est pas sans risque depuis que le faire-savoir a pris le pas sur le savoir-faire. Que voulez-vous, on a beau être musicien, on a sa fierté… La mienne réside entre autres dans le fait d’avoir été avec Michel Godard de son seul et unique enregistrement en tant que leader (merci M’sieur Postel) et d’avoir souvent croisé sa route pendant quatre décennies de musiques sans concessions. Jean-François, je ne pensais pas qu’un jour tu me ferais pleurer autrement que de rire. J’espère que ce n’est qu’un au revoir, sinon à quoi bon mourir ?
Michel Godard
Un (vrai) ami, un grand frère, un compagnon de magnifiques musiques et de superbes fêtes, un passeur comme savent l’être quelquefois les (vrais) improvisateurs. Un immense cadeau de le rencontrer
François Raulin
Il était LE trompettiste « open » avec cette li
berté, ce son et ce lyrisme qui n’appartenaient qu’à lui. Il me rappelait parfois un peu Kenny Wheeler ou Don Cherry. Il pouvait nous émouvoir aux larmes, comme sur l’intro de “Potemkine”. Mais on pouvait aussi rire aux larmes avec lui ! C’était un bon vivant, un compagnon solide et amical, avec une bonne pointe de Audiard dans les dialogues !
Jean Méreu
Je me souviens de son solo sur la première scène du “Cuirassé Potemkine”. L’orchestre joue Eifu, une composition de François Raulin. Après l’exposé du thème, maintenu par un ostinato contrebasse / batterie, l’espace s’ouvre pour le son solo. Chuintements, sons saturés, attaques, effets de demi-pistons, coups de langue dans l’embouchure de son bugle, il organise son improvisation dans une parfaite cohérence. Jouant de tous ces éléments, il les entrecoupe de phrases mélodiques teintées d’accents hispanisants et bluesy. Avec une ductilité insolente, ses phrases s’élèvent dans le suraigu pour aussitôt plonger dans les graves extrêmes. Dans le dialogue direct et sensible à l’image, par l’oralité du discours, il nous annonce aussi le drame à venir et les promesses de lendemains qui chanteraient, enfin !
Claude Barthélemy
Styliste élégant, timidement drôle donc exubérant, il pouvait parfaitement faire hennir sa trompette. Il possédait un don rare : il rendait beau l’orchestre dès qu’il prenait un solo…..
Didier Levallet
Le swing, le be-bop, bref le ternaire n’étaient pas son terrain natif. Intégrant la famille du jazz, Jean-François s’est construit un langage personnel qui lui permettait de s’inscrire dans ce paysage sans en adopter les codes convenus. Bel exemple d’une personnalité originale prenant sa part de parole dans la musique la plus individuelle qui soit. D’où une liberté dans le propos qui a été le plus souvent la marque d’un artiste, sans doute modeste dans son attitude, mais tout à fait identifiable, avec un cœur “gros comme ça” qui cachait mal une sensibilité très affinée. Une voix comme populaire ayant trouvé son chemin lyrique dans les musiques improvisées. Compagnon de pupitre d’instrumentistes aussi divers que remarquables (Roger Guérin, Michel Marre et aussi Glenn Ferris) dans diverses formations que j’ai pu conduire entre les années 70 et 90, il savait trouver tout naturellement son exacte place.
Sylvain Kassap
Fanfounet, mon p’tit lapin, tu nous manques déjà… Ça fait un petit moment que je n’ai pas entendu ta trompette, mais de savoir que maintenant il n’y a plus que les disques pour ça, ça ne met pas de bonne humeur…
Il y a plein de blagues de musicien sur le supposé orchestre mirifique du Paradis… Si jamais ce truc là existe (ce dont tu as toujours douté), les anges qu’on voit souvent jouer de la trompette sur les images pieuses ont du mouron à se faire !
Médéric Collignon
C’est avec Jean-François que tout s’est débloqué, à 15 ans, lors d’un stage à Sedan avec la “garde royale” du jazz français. Il m’a secoué, engueulé, poussé dans le vide afin de réaliser qu’il m’était permis de jouer de la musique, ma musique, celle du corps, en toute liberté, sans contrainte esthétique de séduction, sans vouloir vendre un son, juste en étant soi-même, avec défauts et qualités non délimités. Je me souviens d’avoir joué dans « La Nouvelle Orleans » de Claude Barthélémy avec lui. A la fin d’un solo vocal au centre du groupe, je cours en chaussettes vers Canape pour jouer une note aiguë que je rate avec la plus grande assurance, au demi-ton et à la double croche près, et tout le monde a trouvé ça génial. Et le son du groupe a gonflé comme une équipe de rugby pour fracasser sur les rochers (le public) une fin dantesque. Qu’est-ce qu’on a ri ! C’est de sa faute si je défends plus mes fausses notes que les bonnes, car elles sont les plus fragiles.
Patrick Fabert
A l’âge 20 ans, Jean François avait étudié avec l’un des Maîtres de la trompette classique, Roger Delmotte, légendaire trompette solo de l’Opéra de Paris, concertiste international et professeur au Conservatoire de Versailles. Son enseignement assez rigoureux était de grande qualité, mais le courant n’était pas vraiment passé, d’après les dires de JF. Quand nous étions dans l’ONJ, il me disait souvent qu’il regrettait de ne jamais avoir travaillé professionnellement dans le domaine de la musique classique et qu’il auraitt bien aimé connaître au moins une ou deux expériences dans ce domaine. Nous avons eu alors une proposition avec Eutépé, l’Ensemble de trompettes de Paris (quintette de trompettes) pour donner deux concerts à Istambul. J’ai profité de l’occasion pour proposer à JF de faire ces concerts avec nous. Il a tout de suite accepté. Nous avons tous les deux travaillé avec acharnement le répertoire (renaissance, baroque romantique…). Bien qu’il ne fût pas habitué à cette musique, j’ai constaté qu’il avait très rapidement assimilé ce répertoire difficile. Les deux concerts se sont passés de la meilleure manière. JF était tout heureux et très fier de donner un concert en frac pour la première fois de sa vie. Les copains d’Eutépé étaient ravis de cette expérience au point de lui commander une pièce pour trompette solo et quintette de trompettes à Claude Barthélemy que nous avons créée avec évidement JF dans le rôle du soliste au cours d’un concert du collectif Zhivaro. Quand nous avons fêté les quinze ans d’Eutépé en 1997, nous avions donné trois concerts à Paris dont un au Théâtre de l’Empire, sous le parrainage de Jacques Martin, avec de nombreux de nombreux invités et plusieurs centaines de trompettes venus de toute la France dans le public. J’avais réservé une place de choix à JF avec un arrangement que j’avais écrit, pour le final du concert. Il y jouait en soliste accompagné par une vingtaine de trompettistes, à savoir l’élite des trompettistes classiques français (quelques concertistes, les profs du CNSMDP, les solistes des plus grands orchestres symphoniques et lyriques français), ainsi que Jacques Mahieux à la batterie, Jacques Bolognesi l’accordéon, François Thuillier au tuba et François Mechali à la contrebasse. Il était vraiment tout ému de jouer devant cette salle remplie de trompettistes et, quand il se retournait, de voir l’élite des trompettistes français qui l’accompagnaient avec respect et sourire.
Je pourrais en dire beaucoup plus sur JF. Le sujet est inépuisable, mais en anecdotes pas toujours racontables…
Poème original du compositeur américain Hugh Levick
THE MUSIC
For Jean-François Canape
Life is a mask
Worn by time
The hand touches stone
Or brings wine
To the lips
And nothing is revealed
But today my friend,
Whose trumpets made moments
Intact and whole
Our hearts,
Took off his mask
And in my grief
I immediately heard
The music
We had all been playing
|
Le 17 octobre dernier, le trompettiste Jean-François Canape nous a quitté à l’âge de 67 ans. Ironie de l’histoire, ce bon vivant est mort en bonne santé (cela l’aurait fait rire !)… des suites infectieuses d’un double pontage qui n’avait rien d’urgent. C’est rageant. Pascal Anquetil lui rendra hommage dans notre numéro de décembre, mais on pourra lire auparavant les témoignages qu’il a recueillis auprès de ses anciens compagnons de route.
Qui parle mieux d’un musicien qu’un autre musicien qui a croisé sa route et joué à ses côtés ? Face à l’émotion qu’a suscitée sa brutale disparition s’est imposée l’évidence de demander un témoignage à quelques uns de ses compagnons de musiques et de rires. Ceux de ses débuts au sein du Machi-Oul Big Band des frères Villarroel et du Cohelmec Ensemble des frères Mechali, dans les années 70, jusqu’à ceux de l’aventure de l’ONJ Barthélemy (89/90), de l’Arfi et des formations de Gérard Marais, Sylvain Kassap ou Didier Levallet. Jusqu’à Médéric Collignon, bouleversé par la mort de celui qui l’avait, lors d’un stage, révélé (réveillé ?) à lui-même à l’âge de 15 ans.
Devant l’avalanche de témoignages que nous avons reçus, nous avons décidé, afin de ne pas les tronquer ni les censurer, de les publier tout de suite en intégralité sur ce blog, sans attendre le portrait que nous lui consacrerons dans le prochain numéro de Jazz Magazine.
Evidence : tous ces musiciens ont bien du talent quand ils disent leur amitié pour Jean-François et qu’ils se souviennent à cœur ouvert de ce trompettiste finalement trop méconnu à force de discrétion excessive.
Pascal Anquetil
Manuel Villarroel
Jean-François est entré à Machi-Oul Big Band à l’automne 1971 et y resta jusqu’en 1977. C’est le tromboniste autrichien Joseph Traindl et le saxophoniste Jean Querlier qui l’ont amené au moment où l’on cherchait un trompettiste déchiffreur et improvisateur, la perle rare à l’époque. On a été bien servi. Jean-François s’intégra rapidement à l’orchestre pour devenir indispensable. Toujours présent pour lancer des bonnes vannes avec un œil perçant et un sens aigu de la situation. Un dimanche après-midi d’hiver, les gars de l’orchestre m’ont donné rendez-vous à Pigalle à L’Omnibus, grande brasserie en pleine place où se tenait le marché des musiciens. Moi qui venais de débarquer en France, j’étais curieux de voir de quoi s’agissait et comment ça se passait. A un moment donné un type m’a demandé si je pourrais assurer une soirée dans un bal quelque part à la campagne. Je lui ait expliqué que ça n’était pas trop ma tasse de thé, mes intérêts étaient plutôt portés par le jazz et que je me débrouillais pour gagner ma vie. Comme notre ami ne comprenait pas trop mon fonctionnement, Jean-François lui a dit tout droit: « Manuel c’est un pur, il ne fait pas musicalement autre chose que son orchestre… » Jean-François avait saisi la balle au bond, fini la discussion. Je n’ai jamais oublié cette anecdote. Peut-être parce que, en plus d’être un excellent musicien, il avait en lui une profonde humanité à l’égard de ses pairs. Ce trait de caractère commun aux grands hommes.
Jean-Louis Mechali
Il entra en jazz sur la pointe des notes. C’est par un petit matin de 1971, par une porte de la MJC, rue de Saussure, que l’on vit son emblématique boîte de trompette pour la première fois. Il fut amené là par le tromboniste Josef Traindl, disparu en 2008. « Un compagnon de galère » disait-il, faisant référence aux orchestres de bal et accompagnements de chanteurs où ils évoluaient ensemble. Il s’assit au pupitre du Machi-Oul. Nous répétions là. Beau gosse ascendant parisien, doté d’un franc parler tonitruant au grand cœur, toujours prêt à la plaisanterie, il fut presque surpris par l’accueil unanime qu’il suscita. Un an après, il entra au Cohelmec et put ensuite tracer la route dont il avait toujours rêvé. Acrobate des tessitures, équilibriste des modes de jeux, redresseur de doubles croches, volontiers vilipendeur des conforts esthétiques, Jean-François Canape fut un ami indéfectible pendant quarante et un ans, un compagnon toujours zélé et impliqué dans mes créations et un collègue précieux au département de jazz du conservatoire de Bagnolet. Josef [Déjean, le guitariste du Cohelmec, tué sur la route en 1976 avec en poche un Prix Django Reinhardt fraîchement et fort mérité] et Jean-François sont partis. Il est vraiment des jours où il fait nuit !
Jacques Mahieux
En 1972, au sein du Machi-Oul, il n’arborait pas encore sa superbe moustache “cavanienne”, mais il nous faisait déjà mourir de rire en nous narrant ses exploits passés de vendeur d’encyclopédies au porte à porte, avec leur lot de consolations de ménagères esseulées. Son idole absolue, c’était Clifford Brown, ce qui ne l’a pas empêché de jouer très vite comme Jean-François Canape et d’entrer dans la catégorie pas si pléthorique des musiciens qu’on reconnaît au bout de trois notes. Je sens bien qu’on va célébrer sa modestie et sa discrétion qui, en fait, étaient surtout de la répulsion absolue à solliciter quoi que ce soit de qui que ce soit, ce qui n’est pas sans risque depuis que le faire-savoir a pris le pas sur le savoir-faire. Que voulez-vous, on a beau être musicien, on a sa fierté… La mienne réside entre autres dans le fait d’avoir été avec Michel Godard de son seul et unique enregistrement en tant que leader (merci M’sieur Postel) et d’avoir souvent croisé sa route pendant quatre décennies de musiques sans concessions. Jean-François, je ne pensais pas qu’un jour tu me ferais pleurer autrement que de rire. J’espère que ce n’est qu’un au revoir, sinon à quoi bon mourir ?
Michel Godard
Un (vrai) ami, un grand frère, un compagnon de magnifiques musiques et de superbes fêtes, un passeur comme savent l’être quelquefois les (vrais) improvisateurs. Un immense cadeau de le rencontrer
François Raulin
Il était LE trompettiste « open » avec cette li
berté, ce son et ce lyrisme qui n’appartenaient qu’à lui. Il me rappelait parfois un peu Kenny Wheeler ou Don Cherry. Il pouvait nous émouvoir aux larmes, comme sur l’intro de “Potemkine”. Mais on pouvait aussi rire aux larmes avec lui ! C’était un bon vivant, un compagnon solide et amical, avec une bonne pointe de Audiard dans les dialogues !
Jean Méreu
Je me souviens de son solo sur la première scène du “Cuirassé Potemkine”. L’orchestre joue Eifu, une composition de François Raulin. Après l’exposé du thème, maintenu par un ostinato contrebasse / batterie, l’espace s’ouvre pour le son solo. Chuintements, sons saturés, attaques, effets de demi-pistons, coups de langue dans l’embouchure de son bugle, il organise son improvisation dans une parfaite cohérence. Jouant de tous ces éléments, il les entrecoupe de phrases mélodiques teintées d’accents hispanisants et bluesy. Avec une ductilité insolente, ses phrases s’élèvent dans le suraigu pour aussitôt plonger dans les graves extrêmes. Dans le dialogue direct et sensible à l’image, par l’oralité du discours, il nous annonce aussi le drame à venir et les promesses de lendemains qui chanteraient, enfin !
Claude Barthélemy
Styliste élégant, timidement drôle donc exubérant, il pouvait parfaitement faire hennir sa trompette. Il possédait un don rare : il rendait beau l’orchestre dès qu’il prenait un solo…..
Didier Levallet
Le swing, le be-bop, bref le ternaire n’étaient pas son terrain natif. Intégrant la famille du jazz, Jean-François s’est construit un langage personnel qui lui permettait de s’inscrire dans ce paysage sans en adopter les codes convenus. Bel exemple d’une personnalité originale prenant sa part de parole dans la musique la plus individuelle qui soit. D’où une liberté dans le propos qui a été le plus souvent la marque d’un artiste, sans doute modeste dans son attitude, mais tout à fait identifiable, avec un cœur “gros comme ça” qui cachait mal une sensibilité très affinée. Une voix comme populaire ayant trouvé son chemin lyrique dans les musiques improvisées. Compagnon de pupitre d’instrumentistes aussi divers que remarquables (Roger Guérin, Michel Marre et aussi Glenn Ferris) dans diverses formations que j’ai pu conduire entre les années 70 et 90, il savait trouver tout naturellement son exacte place.
Sylvain Kassap
Fanfounet, mon p’tit lapin, tu nous manques déjà… Ça fait un petit moment que je n’ai pas entendu ta trompette, mais de savoir que maintenant il n’y a plus que les disques pour ça, ça ne met pas de bonne humeur…
Il y a plein de blagues de musicien sur le supposé orchestre mirifique du Paradis… Si jamais ce truc là existe (ce dont tu as toujours douté), les anges qu’on voit souvent jouer de la trompette sur les images pieuses ont du mouron à se faire !
Médéric Collignon
C’est avec Jean-François que tout s’est débloqué, à 15 ans, lors d’un stage à Sedan avec la “garde royale” du jazz français. Il m’a secoué, engueulé, poussé dans le vide afin de réaliser qu’il m’était permis de jouer de la musique, ma musique, celle du corps, en toute liberté, sans contrainte esthétique de séduction, sans vouloir vendre un son, juste en étant soi-même, avec défauts et qualités non délimités. Je me souviens d’avoir joué dans « La Nouvelle Orleans » de Claude Barthélémy avec lui. A la fin d’un solo vocal au centre du groupe, je cours en chaussettes vers Canape pour jouer une note aiguë que je rate avec la plus grande assurance, au demi-ton et à la double croche près, et tout le monde a trouvé ça génial. Et le son du groupe a gonflé comme une équipe de rugby pour fracasser sur les rochers (le public) une fin dantesque. Qu’est-ce qu’on a ri ! C’est de sa faute si je défends plus mes fausses notes que les bonnes, car elles sont les plus fragiles.
Patrick Fabert
A l’âge 20 ans, Jean François avait étudié avec l’un des Maîtres de la trompette classique, Roger Delmotte, légendaire trompette solo de l’Opéra de Paris, concertiste international et professeur au Conservatoire de Versailles. Son enseignement assez rigoureux était de grande qualité, mais le courant n’était pas vraiment passé, d’après les dires de JF. Quand nous étions dans l’ONJ, il me disait souvent qu’il regrettait de ne jamais avoir travaillé professionnellement dans le domaine de la musique classique et qu’il auraitt bien aimé connaître au moins une ou deux expériences dans ce domaine. Nous avons eu alors une proposition avec Eutépé, l’Ensemble de trompettes de Paris (quintette de trompettes) pour donner deux concerts à Istambul. J’ai profité de l’occasion pour proposer à JF de faire ces concerts avec nous. Il a tout de suite accepté. Nous avons tous les deux travaillé avec acharnement le répertoire (renaissance, baroque romantique…). Bien qu’il ne fût pas habitué à cette musique, j’ai constaté qu’il avait très rapidement assimilé ce répertoire difficile. Les deux concerts se sont passés de la meilleure manière. JF était tout heureux et très fier de donner un concert en frac pour la première fois de sa vie. Les copains d’Eutépé étaient ravis de cette expérience au point de lui commander une pièce pour trompette solo et quintette de trompettes à Claude Barthélemy que nous avons créée avec évidement JF dans le rôle du soliste au cours d’un concert du collectif Zhivaro. Quand nous avons fêté les quinze ans d’Eutépé en 1997, nous avions donné trois concerts à Paris dont un au Théâtre de l’Empire, sous le parrainage de Jacques Martin, avec de nombreux de nombreux invités et plusieurs centaines de trompettes venus de toute la France dans le public. J’avais réservé une place de choix à JF avec un arrangement que j’avais écrit, pour le final du concert. Il y jouait en soliste accompagné par une vingtaine de trompettistes, à savoir l’élite des trompettistes classiques français (quelques concertistes, les profs du CNSMDP, les solistes des plus grands orchestres symphoniques et lyriques français), ainsi que Jacques Mahieux à la batterie, Jacques Bolognesi l’accordéon, François Thuillier au tuba et François Mechali à la contrebasse. Il était vraiment tout ému de jouer devant cette salle remplie de trompettistes et, quand il se retournait, de voir l’élite des trompettistes français qui l’accompagnaient avec respect et sourire.
Je pourrais en dire beaucoup plus sur JF. Le sujet est inépuisable, mais en anecdotes pas toujours racontables…
Poème original du compositeur américain Hugh Levick
THE MUSIC
For Jean-François Canape
Life is a mask
Worn by time
The hand touches stone
Or brings wine
To the lips
And nothing is revealed
But today my friend,
Whose trumpets made moments
Intact and whole
Our hearts,
Took off his mask
And in my grief
I immediately heard
The music
We had all been playing
|
Le 17 octobre dernier, le trompettiste Jean-François Canape nous a quitté à l’âge de 67 ans. Ironie de l’histoire, ce bon vivant est mort en bonne santé (cela l’aurait fait rire !)… des suites infectieuses d’un double pontage qui n’avait rien d’urgent. C’est rageant. Pascal Anquetil lui rendra hommage dans notre numéro de décembre, mais on pourra lire auparavant les témoignages qu’il a recueillis auprès de ses anciens compagnons de route.
Qui parle mieux d’un musicien qu’un autre musicien qui a croisé sa route et joué à ses côtés ? Face à l’émotion qu’a suscitée sa brutale disparition s’est imposée l’évidence de demander un témoignage à quelques uns de ses compagnons de musiques et de rires. Ceux de ses débuts au sein du Machi-Oul Big Band des frères Villarroel et du Cohelmec Ensemble des frères Mechali, dans les années 70, jusqu’à ceux de l’aventure de l’ONJ Barthélemy (89/90), de l’Arfi et des formations de Gérard Marais, Sylvain Kassap ou Didier Levallet. Jusqu’à Médéric Collignon, bouleversé par la mort de celui qui l’avait, lors d’un stage, révélé (réveillé ?) à lui-même à l’âge de 15 ans.
Devant l’avalanche de témoignages que nous avons reçus, nous avons décidé, afin de ne pas les tronquer ni les censurer, de les publier tout de suite en intégralité sur ce blog, sans attendre le portrait que nous lui consacrerons dans le prochain numéro de Jazz Magazine.
Evidence : tous ces musiciens ont bien du talent quand ils disent leur amitié pour Jean-François et qu’ils se souviennent à cœur ouvert de ce trompettiste finalement trop méconnu à force de discrétion excessive.
Pascal Anquetil
Manuel Villarroel
Jean-François est entré à Machi-Oul Big Band à l’automne 1971 et y resta jusqu’en 1977. C’est le tromboniste autrichien Joseph Traindl et le saxophoniste Jean Querlier qui l’ont amené au moment où l’on cherchait un trompettiste déchiffreur et improvisateur, la perle rare à l’époque. On a été bien servi. Jean-François s’intégra rapidement à l’orchestre pour devenir indispensable. Toujours présent pour lancer des bonnes vannes avec un œil perçant et un sens aigu de la situation. Un dimanche après-midi d’hiver, les gars de l’orchestre m’ont donné rendez-vous à Pigalle à L’Omnibus, grande brasserie en pleine place où se tenait le marché des musiciens. Moi qui venais de débarquer en France, j’étais curieux de voir de quoi s’agissait et comment ça se passait. A un moment donné un type m’a demandé si je pourrais assurer une soirée dans un bal quelque part à la campagne. Je lui ait expliqué que ça n’était pas trop ma tasse de thé, mes intérêts étaient plutôt portés par le jazz et que je me débrouillais pour gagner ma vie. Comme notre ami ne comprenait pas trop mon fonctionnement, Jean-François lui a dit tout droit: « Manuel c’est un pur, il ne fait pas musicalement autre chose que son orchestre… » Jean-François avait saisi la balle au bond, fini la discussion. Je n’ai jamais oublié cette anecdote. Peut-être parce que, en plus d’être un excellent musicien, il avait en lui une profonde humanité à l’égard de ses pairs. Ce trait de caractère commun aux grands hommes.
Jean-Louis Mechali
Il entra en jazz sur la pointe des notes. C’est par un petit matin de 1971, par une porte de la MJC, rue de Saussure, que l’on vit son emblématique boîte de trompette pour la première fois. Il fut amené là par le tromboniste Josef Traindl, disparu en 2008. « Un compagnon de galère » disait-il, faisant référence aux orchestres de bal et accompagnements de chanteurs où ils évoluaient ensemble. Il s’assit au pupitre du Machi-Oul. Nous répétions là. Beau gosse ascendant parisien, doté d’un franc parler tonitruant au grand cœur, toujours prêt à la plaisanterie, il fut presque surpris par l’accueil unanime qu’il suscita. Un an après, il entra au Cohelmec et put ensuite tracer la route dont il avait toujours rêvé. Acrobate des tessitures, équilibriste des modes de jeux, redresseur de doubles croches, volontiers vilipendeur des conforts esthétiques, Jean-François Canape fut un ami indéfectible pendant quarante et un ans, un compagnon toujours zélé et impliqué dans mes créations et un collègue précieux au département de jazz du conservatoire de Bagnolet. Josef [Déjean, le guitariste du Cohelmec, tué sur la route en 1976 avec en poche un Prix Django Reinhardt fraîchement et fort mérité] et Jean-François sont partis. Il est vraiment des jours où il fait nuit !
Jacques Mahieux
En 1972, au sein du Machi-Oul, il n’arborait pas encore sa superbe moustache “cavanienne”, mais il nous faisait déjà mourir de rire en nous narrant ses exploits passés de vendeur d’encyclopédies au porte à porte, avec leur lot de consolations de ménagères esseulées. Son idole absolue, c’était Clifford Brown, ce qui ne l’a pas empêché de jouer très vite comme Jean-François Canape et d’entrer dans la catégorie pas si pléthorique des musiciens qu’on reconnaît au bout de trois notes. Je sens bien qu’on va célébrer sa modestie et sa discrétion qui, en fait, étaient surtout de la répulsion absolue à solliciter quoi que ce soit de qui que ce soit, ce qui n’est pas sans risque depuis que le faire-savoir a pris le pas sur le savoir-faire. Que voulez-vous, on a beau être musicien, on a sa fierté… La mienne réside entre autres dans le fait d’avoir été avec Michel Godard de son seul et unique enregistrement en tant que leader (merci M’sieur Postel) et d’avoir souvent croisé sa route pendant quatre décennies de musiques sans concessions. Jean-François, je ne pensais pas qu’un jour tu me ferais pleurer autrement que de rire. J’espère que ce n’est qu’un au revoir, sinon à quoi bon mourir ?
Michel Godard
Un (vrai) ami, un grand frère, un compagnon de magnifiques musiques et de superbes fêtes, un passeur comme savent l’être quelquefois les (vrais) improvisateurs. Un immense cadeau de le rencontrer
François Raulin
Il était LE trompettiste « open » avec cette li
berté, ce son et ce lyrisme qui n’appartenaient qu’à lui. Il me rappelait parfois un peu Kenny Wheeler ou Don Cherry. Il pouvait nous émouvoir aux larmes, comme sur l’intro de “Potemkine”. Mais on pouvait aussi rire aux larmes avec lui ! C’était un bon vivant, un compagnon solide et amical, avec une bonne pointe de Audiard dans les dialogues !
Jean Méreu
Je me souviens de son solo sur la première scène du “Cuirassé Potemkine”. L’orchestre joue Eifu, une composition de François Raulin. Après l’exposé du thème, maintenu par un ostinato contrebasse / batterie, l’espace s’ouvre pour le son solo. Chuintements, sons saturés, attaques, effets de demi-pistons, coups de langue dans l’embouchure de son bugle, il organise son improvisation dans une parfaite cohérence. Jouant de tous ces éléments, il les entrecoupe de phrases mélodiques teintées d’accents hispanisants et bluesy. Avec une ductilité insolente, ses phrases s’élèvent dans le suraigu pour aussitôt plonger dans les graves extrêmes. Dans le dialogue direct et sensible à l’image, par l’oralité du discours, il nous annonce aussi le drame à venir et les promesses de lendemains qui chanteraient, enfin !
Claude Barthélemy
Styliste élégant, timidement drôle donc exubérant, il pouvait parfaitement faire hennir sa trompette. Il possédait un don rare : il rendait beau l’orchestre dès qu’il prenait un solo…..
Didier Levallet
Le swing, le be-bop, bref le ternaire n’étaient pas son terrain natif. Intégrant la famille du jazz, Jean-François s’est construit un langage personnel qui lui permettait de s’inscrire dans ce paysage sans en adopter les codes convenus. Bel exemple d’une personnalité originale prenant sa part de parole dans la musique la plus individuelle qui soit. D’où une liberté dans le propos qui a été le plus souvent la marque d’un artiste, sans doute modeste dans son attitude, mais tout à fait identifiable, avec un cœur “gros comme ça” qui cachait mal une sensibilité très affinée. Une voix comme populaire ayant trouvé son chemin lyrique dans les musiques improvisées. Compagnon de pupitre d’instrumentistes aussi divers que remarquables (Roger Guérin, Michel Marre et aussi Glenn Ferris) dans diverses formations que j’ai pu conduire entre les années 70 et 90, il savait trouver tout naturellement son exacte place.
Sylvain Kassap
Fanfounet, mon p’tit lapin, tu nous manques déjà… Ça fait un petit moment que je n’ai pas entendu ta trompette, mais de savoir que maintenant il n’y a plus que les disques pour ça, ça ne met pas de bonne humeur…
Il y a plein de blagues de musicien sur le supposé orchestre mirifique du Paradis… Si jamais ce truc là existe (ce dont tu as toujours douté), les anges qu’on voit souvent jouer de la trompette sur les images pieuses ont du mouron à se faire !
Médéric Collignon
C’est avec Jean-François que tout s’est débloqué, à 15 ans, lors d’un stage à Sedan avec la “garde royale” du jazz français. Il m’a secoué, engueulé, poussé dans le vide afin de réaliser qu’il m’était permis de jouer de la musique, ma musique, celle du corps, en toute liberté, sans contrainte esthétique de séduction, sans vouloir vendre un son, juste en étant soi-même, avec défauts et qualités non délimités. Je me souviens d’avoir joué dans « La Nouvelle Orleans » de Claude Barthélémy avec lui. A la fin d’un solo vocal au centre du groupe, je cours en chaussettes vers Canape pour jouer une note aiguë que je rate avec la plus grande assurance, au demi-ton et à la double croche près, et tout le monde a trouvé ça génial. Et le son du groupe a gonflé comme une équipe de rugby pour fracasser sur les rochers (le public) une fin dantesque. Qu’est-ce qu’on a ri ! C’est de sa faute si je défends plus mes fausses notes que les bonnes, car elles sont les plus fragiles.
Patrick Fabert
A l’âge 20 ans, Jean François avait étudié avec l’un des Maîtres de la trompette classique, Roger Delmotte, légendaire trompette solo de l’Opéra de Paris, concertiste international et professeur au Conservatoire de Versailles. Son enseignement assez rigoureux était de grande qualité, mais le courant n’était pas vraiment passé, d’après les dires de JF. Quand nous étions dans l’ONJ, il me disait souvent qu’il regrettait de ne jamais avoir travaillé professionnellement dans le domaine de la musique classique et qu’il auraitt bien aimé connaître au moins une ou deux expériences dans ce domaine. Nous avons eu alors une proposition avec Eutépé, l’Ensemble de trompettes de Paris (quintette de trompettes) pour donner deux concerts à Istambul. J’ai profité de l’occasion pour proposer à JF de faire ces concerts avec nous. Il a tout de suite accepté. Nous avons tous les deux travaillé avec acharnement le répertoire (renaissance, baroque romantique…). Bien qu’il ne fût pas habitué à cette musique, j’ai constaté qu’il avait très rapidement assimilé ce répertoire difficile. Les deux concerts se sont passés de la meilleure manière. JF était tout heureux et très fier de donner un concert en frac pour la première fois de sa vie. Les copains d’Eutépé étaient ravis de cette expérience au point de lui commander une pièce pour trompette solo et quintette de trompettes à Claude Barthélemy que nous avons créée avec évidement JF dans le rôle du soliste au cours d’un concert du collectif Zhivaro. Quand nous avons fêté les quinze ans d’Eutépé en 1997, nous avions donné trois concerts à Paris dont un au Théâtre de l’Empire, sous le parrainage de Jacques Martin, avec de nombreux de nombreux invités et plusieurs centaines de trompettes venus de toute la France dans le public. J’avais réservé une place de choix à JF avec un arrangement que j’avais écrit, pour le final du concert. Il y jouait en soliste accompagné par une vingtaine de trompettistes, à savoir l’élite des trompettistes classiques français (quelques concertistes, les profs du CNSMDP, les solistes des plus grands orchestres symphoniques et lyriques français), ainsi que Jacques Mahieux à la batterie, Jacques Bolognesi l’accordéon, François Thuillier au tuba et François Mechali à la contrebasse. Il était vraiment tout ému de jouer devant cette salle remplie de trompettistes et, quand il se retournait, de voir l’élite des trompettistes français qui l’accompagnaient avec respect et sourire.
Je pourrais en dire beaucoup plus sur JF. Le sujet est inépuisable, mais en anecdotes pas toujours racontables…
Poème original du compositeur américain Hugh Levick
THE MUSIC
For Jean-François Canape
Life is a mask
Worn by time
The hand touches stone
Or brings wine
To the lips
And nothing is revealed
But today my friend,
Whose trumpets made moments
Intact and whole
Our hearts,
Took off his mask
And in my grief
I immediately heard
The music
We had all been playing
|
Le 17 octobre dernier, le trompettiste Jean-François Canape nous a quitté à l’âge de 67 ans. Ironie de l’histoire, ce bon vivant est mort en bonne santé (cela l’aurait fait rire !)… des suites infectieuses d’un double pontage qui n’avait rien d’urgent. C’est rageant. Pascal Anquetil lui rendra hommage dans notre numéro de décembre, mais on pourra lire auparavant les témoignages qu’il a recueillis auprès de ses anciens compagnons de route.
Qui parle mieux d’un musicien qu’un autre musicien qui a croisé sa route et joué à ses côtés ? Face à l’émotion qu’a suscitée sa brutale disparition s’est imposée l’évidence de demander un témoignage à quelques uns de ses compagnons de musiques et de rires. Ceux de ses débuts au sein du Machi-Oul Big Band des frères Villarroel et du Cohelmec Ensemble des frères Mechali, dans les années 70, jusqu’à ceux de l’aventure de l’ONJ Barthélemy (89/90), de l’Arfi et des formations de Gérard Marais, Sylvain Kassap ou Didier Levallet. Jusqu’à Médéric Collignon, bouleversé par la mort de celui qui l’avait, lors d’un stage, révélé (réveillé ?) à lui-même à l’âge de 15 ans.
Devant l’avalanche de témoignages que nous avons reçus, nous avons décidé, afin de ne pas les tronquer ni les censurer, de les publier tout de suite en intégralité sur ce blog, sans attendre le portrait que nous lui consacrerons dans le prochain numéro de Jazz Magazine.
Evidence : tous ces musiciens ont bien du talent quand ils disent leur amitié pour Jean-François et qu’ils se souviennent à cœur ouvert de ce trompettiste finalement trop méconnu à force de discrétion excessive.
Pascal Anquetil
Manuel Villarroel
Jean-François est entré à Machi-Oul Big Band à l’automne 1971 et y resta jusqu’en 1977. C’est le tromboniste autrichien Joseph Traindl et le saxophoniste Jean Querlier qui l’ont amené au moment où l’on cherchait un trompettiste déchiffreur et improvisateur, la perle rare à l’époque. On a été bien servi. Jean-François s’intégra rapidement à l’orchestre pour devenir indispensable. Toujours présent pour lancer des bonnes vannes avec un œil perçant et un sens aigu de la situation. Un dimanche après-midi d’hiver, les gars de l’orchestre m’ont donné rendez-vous à Pigalle à L’Omnibus, grande brasserie en pleine place où se tenait le marché des musiciens. Moi qui venais de débarquer en France, j’étais curieux de voir de quoi s’agissait et comment ça se passait. A un moment donné un type m’a demandé si je pourrais assurer une soirée dans un bal quelque part à la campagne. Je lui ait expliqué que ça n’était pas trop ma tasse de thé, mes intérêts étaient plutôt portés par le jazz et que je me débrouillais pour gagner ma vie. Comme notre ami ne comprenait pas trop mon fonctionnement, Jean-François lui a dit tout droit: « Manuel c’est un pur, il ne fait pas musicalement autre chose que son orchestre… » Jean-François avait saisi la balle au bond, fini la discussion. Je n’ai jamais oublié cette anecdote. Peut-être parce que, en plus d’être un excellent musicien, il avait en lui une profonde humanité à l’égard de ses pairs. Ce trait de caractère commun aux grands hommes.
Jean-Louis Mechali
Il entra en jazz sur la pointe des notes. C’est par un petit matin de 1971, par une porte de la MJC, rue de Saussure, que l’on vit son emblématique boîte de trompette pour la première fois. Il fut amené là par le tromboniste Josef Traindl, disparu en 2008. « Un compagnon de galère » disait-il, faisant référence aux orchestres de bal et accompagnements de chanteurs où ils évoluaient ensemble. Il s’assit au pupitre du Machi-Oul. Nous répétions là. Beau gosse ascendant parisien, doté d’un franc parler tonitruant au grand cœur, toujours prêt à la plaisanterie, il fut presque surpris par l’accueil unanime qu’il suscita. Un an après, il entra au Cohelmec et put ensuite tracer la route dont il avait toujours rêvé. Acrobate des tessitures, équilibriste des modes de jeux, redresseur de doubles croches, volontiers vilipendeur des conforts esthétiques, Jean-François Canape fut un ami indéfectible pendant quarante et un ans, un compagnon toujours zélé et impliqué dans mes créations et un collègue précieux au département de jazz du conservatoire de Bagnolet. Josef [Déjean, le guitariste du Cohelmec, tué sur la route en 1976 avec en poche un Prix Django Reinhardt fraîchement et fort mérité] et Jean-François sont partis. Il est vraiment des jours où il fait nuit !
Jacques Mahieux
En 1972, au sein du Machi-Oul, il n’arborait pas encore sa superbe moustache “cavanienne”, mais il nous faisait déjà mourir de rire en nous narrant ses exploits passés de vendeur d’encyclopédies au porte à porte, avec leur lot de consolations de ménagères esseulées. Son idole absolue, c’était Clifford Brown, ce qui ne l’a pas empêché de jouer très vite comme Jean-François Canape et d’entrer dans la catégorie pas si pléthorique des musiciens qu’on reconnaît au bout de trois notes. Je sens bien qu’on va célébrer sa modestie et sa discrétion qui, en fait, étaient surtout de la répulsion absolue à solliciter quoi que ce soit de qui que ce soit, ce qui n’est pas sans risque depuis que le faire-savoir a pris le pas sur le savoir-faire. Que voulez-vous, on a beau être musicien, on a sa fierté… La mienne réside entre autres dans le fait d’avoir été avec Michel Godard de son seul et unique enregistrement en tant que leader (merci M’sieur Postel) et d’avoir souvent croisé sa route pendant quatre décennies de musiques sans concessions. Jean-François, je ne pensais pas qu’un jour tu me ferais pleurer autrement que de rire. J’espère que ce n’est qu’un au revoir, sinon à quoi bon mourir ?
Michel Godard
Un (vrai) ami, un grand frère, un compagnon de magnifiques musiques et de superbes fêtes, un passeur comme savent l’être quelquefois les (vrais) improvisateurs. Un immense cadeau de le rencontrer
François Raulin
Il était LE trompettiste « open » avec cette li
berté, ce son et ce lyrisme qui n’appartenaient qu’à lui. Il me rappelait parfois un peu Kenny Wheeler ou Don Cherry. Il pouvait nous émouvoir aux larmes, comme sur l’intro de “Potemkine”. Mais on pouvait aussi rire aux larmes avec lui ! C’était un bon vivant, un compagnon solide et amical, avec une bonne pointe de Audiard dans les dialogues !
Jean Méreu
Je me souviens de son solo sur la première scène du “Cuirassé Potemkine”. L’orchestre joue Eifu, une composition de François Raulin. Après l’exposé du thème, maintenu par un ostinato contrebasse / batterie, l’espace s’ouvre pour le son solo. Chuintements, sons saturés, attaques, effets de demi-pistons, coups de langue dans l’embouchure de son bugle, il organise son improvisation dans une parfaite cohérence. Jouant de tous ces éléments, il les entrecoupe de phrases mélodiques teintées d’accents hispanisants et bluesy. Avec une ductilité insolente, ses phrases s’élèvent dans le suraigu pour aussitôt plonger dans les graves extrêmes. Dans le dialogue direct et sensible à l’image, par l’oralité du discours, il nous annonce aussi le drame à venir et les promesses de lendemains qui chanteraient, enfin !
Claude Barthélemy
Styliste élégant, timidement drôle donc exubérant, il pouvait parfaitement faire hennir sa trompette. Il possédait un don rare : il rendait beau l’orchestre dès qu’il prenait un solo…..
Didier Levallet
Le swing, le be-bop, bref le ternaire n’étaient pas son terrain natif. Intégrant la famille du jazz, Jean-François s’est construit un langage personnel qui lui permettait de s’inscrire dans ce paysage sans en adopter les codes convenus. Bel exemple d’une personnalité originale prenant sa part de parole dans la musique la plus individuelle qui soit. D’où une liberté dans le propos qui a été le plus souvent la marque d’un artiste, sans doute modeste dans son attitude, mais tout à fait identifiable, avec un cœur “gros comme ça” qui cachait mal une sensibilité très affinée. Une voix comme populaire ayant trouvé son chemin lyrique dans les musiques improvisées. Compagnon de pupitre d’instrumentistes aussi divers que remarquables (Roger Guérin, Michel Marre et aussi Glenn Ferris) dans diverses formations que j’ai pu conduire entre les années 70 et 90, il savait trouver tout naturellement son exacte place.
Sylvain Kassap
Fanfounet, mon p’tit lapin, tu nous manques déjà… Ça fait un petit moment que je n’ai pas entendu ta trompette, mais de savoir que maintenant il n’y a plus que les disques pour ça, ça ne met pas de bonne humeur…
Il y a plein de blagues de musicien sur le supposé orchestre mirifique du Paradis… Si jamais ce truc là existe (ce dont tu as toujours douté), les anges qu’on voit souvent jouer de la trompette sur les images pieuses ont du mouron à se faire !
Médéric Collignon
C’est avec Jean-François que tout s’est débloqué, à 15 ans, lors d’un stage à Sedan avec la “garde royale” du jazz français. Il m’a secoué, engueulé, poussé dans le vide afin de réaliser qu’il m’était permis de jouer de la musique, ma musique, celle du corps, en toute liberté, sans contrainte esthétique de séduction, sans vouloir vendre un son, juste en étant soi-même, avec défauts et qualités non délimités. Je me souviens d’avoir joué dans « La Nouvelle Orleans » de Claude Barthélémy avec lui. A la fin d’un solo vocal au centre du groupe, je cours en chaussettes vers Canape pour jouer une note aiguë que je rate avec la plus grande assurance, au demi-ton et à la double croche près, et tout le monde a trouvé ça génial. Et le son du groupe a gonflé comme une équipe de rugby pour fracasser sur les rochers (le public) une fin dantesque. Qu’est-ce qu’on a ri ! C’est de sa faute si je défends plus mes fausses notes que les bonnes, car elles sont les plus fragiles.
Patrick Fabert
A l’âge 20 ans, Jean François avait étudié avec l’un des Maîtres de la trompette classique, Roger Delmotte, légendaire trompette solo de l’Opéra de Paris, concertiste international et professeur au Conservatoire de Versailles. Son enseignement assez rigoureux était de grande qualité, mais le courant n’était pas vraiment passé, d’après les dires de JF. Quand nous étions dans l’ONJ, il me disait souvent qu’il regrettait de ne jamais avoir travaillé professionnellement dans le domaine de la musique classique et qu’il auraitt bien aimé connaître au moins une ou deux expériences dans ce domaine. Nous avons eu alors une proposition avec Eutépé, l’Ensemble de trompettes de Paris (quintette de trompettes) pour donner deux concerts à Istambul. J’ai profité de l’occasion pour proposer à JF de faire ces concerts avec nous. Il a tout de suite accepté. Nous avons tous les deux travaillé avec acharnement le répertoire (renaissance, baroque romantique…). Bien qu’il ne fût pas habitué à cette musique, j’ai constaté qu’il avait très rapidement assimilé ce répertoire difficile. Les deux concerts se sont passés de la meilleure manière. JF était tout heureux et très fier de donner un concert en frac pour la première fois de sa vie. Les copains d’Eutépé étaient ravis de cette expérience au point de lui commander une pièce pour trompette solo et quintette de trompettes à Claude Barthélemy que nous avons créée avec évidement JF dans le rôle du soliste au cours d’un concert du collectif Zhivaro. Quand nous avons fêté les quinze ans d’Eutépé en 1997, nous avions donné trois concerts à Paris dont un au Théâtre de l’Empire, sous le parrainage de Jacques Martin, avec de nombreux de nombreux invités et plusieurs centaines de trompettes venus de toute la France dans le public. J’avais réservé une place de choix à JF avec un arrangement que j’avais écrit, pour le final du concert. Il y jouait en soliste accompagné par une vingtaine de trompettistes, à savoir l’élite des trompettistes classiques français (quelques concertistes, les profs du CNSMDP, les solistes des plus grands orchestres symphoniques et lyriques français), ainsi que Jacques Mahieux à la batterie, Jacques Bolognesi l’accordéon, François Thuillier au tuba et François Mechali à la contrebasse. Il était vraiment tout ému de jouer devant cette salle remplie de trompettistes et, quand il se retournait, de voir l’élite des trompettistes français qui l’accompagnaient avec respect et sourire.
Je pourrais en dire beaucoup plus sur JF. Le sujet est inépuisable, mais en anecdotes pas toujours racontables…
Poème original du compositeur américain Hugh Levick
THE MUSIC
For Jean-François Canape
Life is a mask
Worn by time
The hand touches stone
Or brings wine
To the lips
And nothing is revealed
But today my friend,
Whose trumpets made moments
Intact and whole
Our hearts,
Took off his mask
And in my grief
I immediately heard
The music
We had all been playing