Illyes Ferfera, l’art de faire chanter les racines
Le jeune saxophoniste Illyes Ferfera célébrait avec une fougue et une allégresse communicatives la sortie de son disque Tawazûn aux studios de l’Ermitage
Illyes Ferfera (ts, as), Simon Chivallon (p), Tom Peyron (dms), Arthur Henn (b), le 13 juin, Studio de l’Ermitage
Avec le premier morceau, Orage sur Recife, le saxophoniste Illyes Ferfera fait apprécier la chaleur et la plénitude de sa sonorité, la puissance de son débit, l’énergie hypnotisante de ses phrases. Mais ce morceau n’est cependant pas le plus représentatif de son premier album, Tawazûn (l’équilibre, en Arabe).
Par la suite, avec des titres comme Kan Ya Ma Khan (Il était une fois en Arabe), ou encore Messiaen fi el houma, où il marie un des modes à transposition limite de Messiaen avec un rythme chaabi, il s’affirme comme un saxophoniste rythmique. Ses compositions s’enracinent dans la richesse rythmique des musiques arabes, celle du diwane algérien ou du gnawa qu’il réinterprète à sa façon, en y ajoutant les équivalences rythmiques virtuoses dont raffolent tous les jazzmen de sa génération. Sa démarche, loin d’être abstraite, est créatrice d’énergie. Cela produit une sorte de tourbillon rythmique qui donne de l’élan à la musique. Cela marche aussi quand il s’empare de grands standards de la chanson française (par exemple dans sa version sensible de A la claire Fontaine, de Brassens) ou du jazz, comme cette magnifique restitution de Con Alma de Dizzy Gillespie, paré de nouvelles couleurs grâce à un ostinato qui étire le thème tout en lui donnant un caractère lancinant.
L’influence des musiques arabes est toujours présente, parfois en filigrane, parfois au premier plan, en particulier quand Illyes Ferfera s’empare des karkabou (ou qarqeb, qui fonctionnent sur le principe des castagnettes mais en beaucoup plus intense). On l’a compris, Illyes Ferfera, comme tous les improvisateurs dit qui il est à travers ce qu’il joue.
Pour ce franco-algérien qui vit à Toulouse, jouer se conçoit la célébration de ses racines, celles qui le relient à la culture algérienne comme à sa culture française, ou à sa culture du jazz. Ces racines diverses Illyes Ferfera les brasse, les tire, les tord, pour mieux les faire chanter. Cela faisait bien longtemps (depuis Karim Ziad, une des grandes influences du saxophonistes) que l’on n’avait pas entendu un syncrétisme aussi réussi entre le jazz et les musiques arabes. De ces racines multiples il réussit à faire une synthèse personnelle et chaleureuse.
Post-scriptum: En première partie du quartet d’Illyes Ferfera, la formation du trompettiste Louis Gachet, qui sort un disque très réussi, Tuca. Beaucoup d’énergie, de fougue, et d’inventivité dans cette musique, à travers un instrumentarium peu commun, (deux guitares! ) et des compositions réussies du trompettiste-leader.
Texte: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (autres dessins, gravures, peintures, à découvrir sur son site www.annie-claire.com)