Jarasum (3) : Caetano et le feu d'artifice
Le beau temps est revenu sur Jarasum. Sur les aire sablonneuses à l’herbe rare les bénévoles tentent à grand coup de pelles de chasser les petites mares d’eau accumulées au bout du déluge. On distingue à nouveau l’horizon mamelonnés de forêt verte type celle inoubliable, filmée en mode obsessionnel par Coppola, derrière les hélicoptères d’Apocalypse Now.
Gee Hye Lee (p), Frank Kuruc (g), Torten Krill (dm), Joël Lacher (b)
Kari Ikonen (p), Olli Rantala (b), Markko Ounaskari (dm)
Airelle Besson (tp), Benjamin Moussay (p, keyb), Isabel Sörling (voc), Fabrice Moreau (dm)
Jose Mienniel (fl, fl, ba fl), Aram Lee (fl), Min Wang Hwang (voc, perc)
Lucky Peterson (voc, org, g), Sam Kellerman (g), Timothy Waites (b), Raul Valdes (dm),Xavie Jackson (keyb)
Caetano Veloso (voc, g), Teresa Cristina (voc), Carlos Santos (g)
Jarasum International Jazz Festival, Corée du Sud, 3 octobre
La mode est au trio de pianos, ici en Corée comme ailleurs. Suite à une première doublette la veille, le Lounge, seconde scène du festival en terme d’affluence potentielle en offre ce jours deux de plus placés à la queue leu leu. Pas davantage de transcendance pour autant. Celui de Gee Hye Lee, pianiste coréenne joue avec en bonus un invité, le guitariste allemand Frank Kuruc. Triangle pianistique jazz plutôt classique dans son expression somme toute. Sonorité soignée, marquée d’une certaine finesse, manière apte à donner de l’air à la musique. Plus des accents très Philippe Catherine, le son, le phrasé souple de la part du guitariste. Pas plus pas moins. Kari Ikonen, autre trio, finlandais celui là. Marque de fabrique essentielle: une cohésion sans faille. Sinon une sonorité globale moins lisse que les habituels pianos traversés de vents du nord. Se dégage un travail de syncopes, de riffs balancés à deux, à l’unisson piano/basse en particulier.
Pour Airelle Besson qui vient après, le pari est relativement simple: en milieu d’après midi accrocher un public qui ne la connait évidemment pas, pris dans la douceur du décor et l’ambiance ensoleillée baignant le lieu campagnard. Un contexte tout autre de celui du concert, deux jours auparavant donné au sein du French Jazz All Stars dans l’écrin moderniste chic choc du Concert Hall de Séoul « Là je jouais pour la première fois avec Henri Texier. J’ai tout de suite trouvé ma place dans l’orchestre, dans une musique magnifiquement mise en place, un contenu riche, des possibilités d’échange avec les autres musiciens. Je dois ajouter que j’ai vraiment été scotchée par l’accueil du public coréen, sa chaleur, son côté spontané. Une autre chose m’a surprise, et beaucoup plu, évidemment: la part très féminine de cette audience, très jeune également dans l’ensemble. A Jarasum, le contexte s’annonçait très différent. J’y allais sous mon nom propre, avec mon orchestre dans une sorte de match retour dans l’échange entamé à Coutances lors de Jazz sous les Pommiers. Le staff du festival coréen m’avait choisi pour les deux étapes. Sur la scène du festival l’équation est simple: gagner sous mon nom… » Un décor naturel, un espace ouvert gigantesque, voilà bien le challenge qu’a relevé la trompettiste avec juste un peu de retard, petite séquence de stress supplémentaire, dont elle ne portait aucune responsabilité. Conséquence fâcheuse: la demande de l’organisation d’écourter un peu son set. Option annulée in fine suite à une intervention de Denis Le Bas. Airelle avec ses armes, sa manière propre, son angle d’originalité. Un mode de scansion caractéristique de son jeu de trompette comme de son filtre de composition. Soit une utilisation de découpe du temps comme l’on fabrique des rimes, une façon de spacialiser la musique, rythmes et harmonies conjuguées histoire de la faire muter vers une vraie poésie sonore. Des rythmes, des airs dans lesquels s’engouffrent Benjamin Moussay (électrique), Fabrice Moreau (synthétique) et, nantie d’un étrange art vocal multiformes tour à tour fragile et fort, Isabelle Sörling. Un message musical parti 4 sur 4 et reçu dans la dimension XXL du lieu. Signe ou non d’un retour positif: Airelle et ses musiciens ont battu cet après midi là le record de photos partagées avec les fans lors de la séquence signatures post concert…
Tard dans la nuit fraiche, sur la scène dite Jazz Cube, seule enceinte couverte style marché de centre ville de Gapyeong, Joce Mienniel retrouve son comparse flutiste coréen, Aram Lee pour poursuivre un dialogue entamé ce printemps à Coutances. En matière de flutes le français utilise le métal, le coréen préfèrant le bois. Joce Mienniel joue sur l’intensité, le mouvement, une sorte de circularité dans les phrases lâchées à vif « A franchement parler Aram me déroute dans sa manière: sur ses flutes de bambou il me paraît reproduire les mêmes effets sonores que moi avec mes pédales bourrées d’électronique » Vibrato, phrase en mode staccato, notes tenues, ruptures: Aram Lee sur son instrument basique ne parait pas souffrir de limite dans l’exposition de sa panoplie de sonorités. Bien aidé par le troisième larron, Min Wang Hwang toujours libre dans ses acrobaties vocales et rythmiques soutenues au tambour traditionnel.
Deux noms de renom, deux manières musicales radicalement opposées pour conclure le festival. Lucky Peterson entre finalement sur une scène secondaire suite à une embrouille d’organisation (du coup l’un des programmateurs parlera d’Unlucky Peterson… » Peu importe. En deux temps trois mouvements il enflamme l’auditoire à coups d’accords groovy plaqués sur son orgue Hammond. Et surtout de par la résonance chaude, grave, bluesy à souhait qu’on lui connait sur toutes les scènes du monde (?) depuis des années. Assis sur son tabouret il fait le show dans se modulations, ses cris, son sourire carnassier, interpelant le public pour mieux le dompter. Du feeling pur jus. Voire du délire lorsqu’il empoigne sa Gibson rouge pour titiller sinon tordre les cordes aïgues le temps de deux chansons, pas plus, pour prendre le relai de son lead guitar, Shawn Kellerman au look de troisième ligne de rugby, visage carré plus biceps adéquats. A Jarasum comme ailleurs, Lucky s’y connait en mise à feu. Rien ne le rapproche, ou plutôt tout l’oppose à Caetano Veloso, voix sucrée et manière de velours. Le chanteur carioca ferme le festival à la nuit tombée. Une voix encore très ferme, une manière experte (à l’instar de certains comédiens ou hommes de radio il veille à très distinctement prononcer chaque syllabe) de phraser, des accords recherchés mais léger déroulés sur les cordes nylon de sa guitare en appui de son chant. Caetano -ainsi que l’appelle tous les Brésiliens- chante d’une apparence simple, appréhensive les histoires simples du quotidien, la vie, l’amour (au passage un magnifique Love for sale, en anglais et a capella), a tristesa, les réalités populaires de son pays actuellement dans la tourmlente. A Jarasum en Corée à l’image d’autres parties de la planète depuis 40 ans qu’il chante, au bout d’un moment, comme par magie, dans le public on reprend avec lui son couplet…Descendant de scène, très accompagné (sécurité ? entourage frappé d’une petite parano? envie de tranquillité ? l’âge ?) il s’arrête un instant avant de monter dans le bus, lève les yeux histoire de regarder, souriant, le beau feu d’artifice signant la fin du 13e Jarasum International Jazz Festival.
La vraie clôture pourtant, le point d’orgue passe symboliquement par la photo de famille en bouquet final. Elle réunit la centaine de bénévoles oeuvrant pour la bonne marche de l’évènement. Tous réunis sur la grand scène face à l’espace vide des milliers de spectateurs évanouis dans la nuit en quelques minutes à peine. Demain huit heures, fin de la fête. A huit heures donc, la Corée sera au boulot.
Eclairage: In Jae Jin (rappel: on l’appelle JJ) porte -c’est le cas de le dire eu égard à son habituel couvre chef style mao– plusieurs casquettes: patron du Festival de Jazz il officie également en tant que consultant dans l’organisation de festivals, d’évènements autour de la musique. Enfin il manage également désormais la chanteuse Youn Sun Nah. Le directeur du festival livre les clefs de Jarasum. Et les raisons du rapprochement enclenché avec Jazz sous les Pommiers à Coutances.
« J’ai eu l’occasion de faire connaissance avec Denis Le Bas à l’occasion de plusieurs rencontres, manifestations autour du jazz. Je n’ai pu me rendre à Coutances pour la première fois que il y a deux ans. Cette année je me suis clairement rendu compte alors de certains points communs avec nous. Le concept du festival, l’ouverture à des musiques différentes me plait. Le programme très éclectique, original également. Avec Denis nous entretenons une confiance mutuelle. Ce sentiment nous a permis de mettre en place cet échange de musiciens, d’orchestres à partir de concerts de Youn Sun Nah. Nous avons tous les deux une même idée de la programmation même s’il est plus facile pour Coutances de trouver de la qualité vu le grand nombre de musiciens de jazz évoluant en Europe. Ceci dit, vous avez pu le vérifier ici, je veux programmer tous les styles de jazz, du traditionnel jusqu’à l’avant garde. Le jazz dans son état actuel. Cet axe de la découverte de nouveaux musiciens le public coréen le reconnait. Nous bénéficions désormais d’un gros crédit auprès de lui. Certains artistes le reconnaissent eux même. Joshua Redman par exemple m’a confié après un concert « JJ, permets-tu que j’emmène une partie de ton public avec moi aux Etats Unis ? Nous n’en avons pas de ce genre, enthousiaste en diable aux Etats Unis ! » De même Daniel Humair m’a écrit une lettre pour me remercier, enchanté par l’accueil de sa musique sur une de nos scènes. Désormais on table sur une participation au festival de 150 à 200 000 personnes.
Bien sur je souhaite aussi faire jouer les musiciens coréens de jazz. Problème: un certain nombre vont se former aux USA ou en Europe. Après quoi, même s’ils en ont envie, ils ont du mal à rentrer au pays. Car les occasions n’y sont pas fréquentes d’y jouer, de travailler pour vivre. Je ne sais pas si vous mesurez la chance d’avoir autant de lieux, d’occasions de jouer en France pour les musiciens de jazz de votre pays…Certes, et c’est mon boulot de l’évaluer au plus juste, le marché du jazz est en développement en Corée. Mais il y a des réalités…le fait qu’à cause de la Corée du Nord nous sommes vécus comme un réduit, une île. Il convient de briser cet isolement, d’ouvrir notre pays à cette musique vivante. L’échange avec Coutances représente un vrai pas en avant dans cette ambition »
Robert Latxague
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Le beau temps est revenu sur Jarasum. Sur les aire sablonneuses à l’herbe rare les bénévoles tentent à grand coup de pelles de chasser les petites mares d’eau accumulées au bout du déluge. On distingue à nouveau l’horizon mamelonnés de forêt verte type celle inoubliable, filmée en mode obsessionnel par Coppola, derrière les hélicoptères d’Apocalypse Now.
Gee Hye Lee (p), Frank Kuruc (g), Torten Krill (dm), Joël Lacher (b)
Kari Ikonen (p), Olli Rantala (b), Markko Ounaskari (dm)
Airelle Besson (tp), Benjamin Moussay (p, keyb), Isabel Sörling (voc), Fabrice Moreau (dm)
Jose Mienniel (fl, fl, ba fl), Aram Lee (fl), Min Wang Hwang (voc, perc)
Lucky Peterson (voc, org, g), Sam Kellerman (g), Timothy Waites (b), Raul Valdes (dm),Xavie Jackson (keyb)
Caetano Veloso (voc, g), Teresa Cristina (voc), Carlos Santos (g)
Jarasum International Jazz Festival, Corée du Sud, 3 octobre
La mode est au trio de pianos, ici en Corée comme ailleurs. Suite à une première doublette la veille, le Lounge, seconde scène du festival en terme d’affluence potentielle en offre ce jours deux de plus placés à la queue leu leu. Pas davantage de transcendance pour autant. Celui de Gee Hye Lee, pianiste coréenne joue avec en bonus un invité, le guitariste allemand Frank Kuruc. Triangle pianistique jazz plutôt classique dans son expression somme toute. Sonorité soignée, marquée d’une certaine finesse, manière apte à donner de l’air à la musique. Plus des accents très Philippe Catherine, le son, le phrasé souple de la part du guitariste. Pas plus pas moins. Kari Ikonen, autre trio, finlandais celui là. Marque de fabrique essentielle: une cohésion sans faille. Sinon une sonorité globale moins lisse que les habituels pianos traversés de vents du nord. Se dégage un travail de syncopes, de riffs balancés à deux, à l’unisson piano/basse en particulier.
Pour Airelle Besson qui vient après, le pari est relativement simple: en milieu d’après midi accrocher un public qui ne la connait évidemment pas, pris dans la douceur du décor et l’ambiance ensoleillée baignant le lieu campagnard. Un contexte tout autre de celui du concert, deux jours auparavant donné au sein du French Jazz All Stars dans l’écrin moderniste chic choc du Concert Hall de Séoul « Là je jouais pour la première fois avec Henri Texier. J’ai tout de suite trouvé ma place dans l’orchestre, dans une musique magnifiquement mise en place, un contenu riche, des possibilités d’échange avec les autres musiciens. Je dois ajouter que j’ai vraiment été scotchée par l’accueil du public coréen, sa chaleur, son côté spontané. Une autre chose m’a surprise, et beaucoup plu, évidemment: la part très féminine de cette audience, très jeune également dans l’ensemble. A Jarasum, le contexte s’annonçait très différent. J’y allais sous mon nom propre, avec mon orchestre dans une sorte de match retour dans l’échange entamé à Coutances lors de Jazz sous les Pommiers. Le staff du festival coréen m’avait choisi pour les deux étapes. Sur la scène du festival l’équation est simple: gagner sous mon nom… » Un décor naturel, un espace ouvert gigantesque, voilà bien le challenge qu’a relevé la trompettiste avec juste un peu de retard, petite séquence de stress supplémentaire, dont elle ne portait aucune responsabilité. Conséquence fâcheuse: la demande de l’organisation d’écourter un peu son set. Option annulée in fine suite à une intervention de Denis Le Bas. Airelle avec ses armes, sa manière propre, son angle d’originalité. Un mode de scansion caractéristique de son jeu de trompette comme de son filtre de composition. Soit une utilisation de découpe du temps comme l’on fabrique des rimes, une façon de spacialiser la musique, rythmes et harmonies conjuguées histoire de la faire muter vers une vraie poésie sonore. Des rythmes, des airs dans lesquels s’engouffrent Benjamin Moussay (électrique), Fabrice Moreau (synthétique) et, nantie d’un étrange art vocal multiformes tour à tour fragile et fort, Isabelle Sörling. Un message musical parti 4 sur 4 et reçu dans la dimension XXL du lieu. Signe ou non d’un retour positif: Airelle et ses musiciens ont battu cet après midi là le record de photos partagées avec les fans lors de la séquence signatures post concert…
Tard dans la nuit fraiche, sur la scène dite Jazz Cube, seule enceinte couverte style marché de centre ville de Gapyeong, Joce Mienniel retrouve son comparse flutiste coréen, Aram Lee pour poursuivre un dialogue entamé ce printemps à Coutances. En matière de flutes le français utilise le métal, le coréen préfèrant le bois. Joce Mienniel joue sur l’intensité, le mouvement, une sorte de circularité dans les phrases lâchées à vif « A franchement parler Aram me déroute dans sa manière: sur ses flutes de bambou il me paraît reproduire les mêmes effets sonores que moi avec mes pédales bourrées d’électronique » Vibrato, phrase en mode staccato, notes tenues, ruptures: Aram Lee sur son instrument basique ne parait pas souffrir de limite dans l’exposition de sa panoplie de sonorités. Bien aidé par le troisième larron, Min Wang Hwang toujours libre dans ses acrobaties vocales et rythmiques soutenues au tambour traditionnel.
Deux noms de renom, deux manières musicales radicalement opposées pour conclure le festival. Lucky Peterson entre finalement sur une scène secondaire suite à une embrouille d’organisation (du coup l’un des programmateurs parlera d’Unlucky Peterson… » Peu importe. En deux temps trois mouvements il enflamme l’auditoire à coups d’accords groovy plaqués sur son orgue Hammond. Et surtout de par la résonance chaude, grave, bluesy à souhait qu’on lui connait sur toutes les scènes du monde (?) depuis des années. Assis sur son tabouret il fait le show dans se modulations, ses cris, son sourire carnassier, interpelant le public pour mieux le dompter. Du feeling pur jus. Voire du délire lorsqu’il empoigne sa Gibson rouge pour titiller sinon tordre les cordes aïgues le temps de deux chansons, pas plus, pour prendre le relai de son lead guitar, Shawn Kellerman au look de troisième ligne de rugby, visage carré plus biceps adéquats. A Jarasum comme ailleurs, Lucky s’y connait en mise à feu. Rien ne le rapproche, ou plutôt tout l’oppose à Caetano Veloso, voix sucrée et manière de velours. Le chanteur carioca ferme le festival à la nuit tombée. Une voix encore très ferme, une manière experte (à l’instar de certains comédiens ou hommes de radio il veille à très distinctement prononcer chaque syllabe) de phraser, des accords recherchés mais léger déroulés sur les cordes nylon de sa guitare en appui de son chant. Caetano -ainsi que l’appelle tous les Brésiliens- chante d’une apparence simple, appréhensive les histoires simples du quotidien, la vie, l’amour (au passage un magnifique Love for sale, en anglais et a capella), a tristesa, les réalités populaires de son pays actuellement dans la tourmlente. A Jarasum en Corée à l’image d’autres parties de la planète depuis 40 ans qu’il chante, au bout d’un moment, comme par magie, dans le public on reprend avec lui son couplet…Descendant de scène, très accompagné (sécurité ? entourage frappé d’une petite parano? envie de tranquillité ? l’âge ?) il s’arrête un instant avant de monter dans le bus, lève les yeux histoire de regarder, souriant, le beau feu d’artifice signant la fin du 13e Jarasum International Jazz Festival.
La vraie clôture pourtant, le point d’orgue passe symboliquement par la photo de famille en bouquet final. Elle réunit la centaine de bénévoles oeuvrant pour la bonne marche de l’évènement. Tous réunis sur la grand scène face à l’espace vide des milliers de spectateurs évanouis dans la nuit en quelques minutes à peine. Demain huit heures, fin de la fête. A huit heures donc, la Corée sera au boulot.
Eclairage: In Jae Jin (rappel: on l’appelle JJ) porte -c’est le cas de le dire eu égard à son habituel couvre chef style mao– plusieurs casquettes: patron du Festival de Jazz il officie également en tant que consultant dans l’organisation de festivals, d’évènements autour de la musique. Enfin il manage également désormais la chanteuse Youn Sun Nah. Le directeur du festival livre les clefs de Jarasum. Et les raisons du rapprochement enclenché avec Jazz sous les Pommiers à Coutances.
« J’ai eu l’occasion de faire connaissance avec Denis Le Bas à l’occasion de plusieurs rencontres, manifestations autour du jazz. Je n’ai pu me rendre à Coutances pour la première fois que il y a deux ans. Cette année je me suis clairement rendu compte alors de certains points communs avec nous. Le concept du festival, l’ouverture à des musiques différentes me plait. Le programme très éclectique, original également. Avec Denis nous entretenons une confiance mutuelle. Ce sentiment nous a permis de mettre en place cet échange de musiciens, d’orchestres à partir de concerts de Youn Sun Nah. Nous avons tous les deux une même idée de la programmation même s’il est plus facile pour Coutances de trouver de la qualité vu le grand nombre de musiciens de jazz évoluant en Europe. Ceci dit, vous avez pu le vérifier ici, je veux programmer tous les styles de jazz, du traditionnel jusqu’à l’avant garde. Le jazz dans son état actuel. Cet axe de la découverte de nouveaux musiciens le public coréen le reconnait. Nous bénéficions désormais d’un gros crédit auprès de lui. Certains artistes le reconnaissent eux même. Joshua Redman par exemple m’a confié après un concert « JJ, permets-tu que j’emmène une partie de ton public avec moi aux Etats Unis ? Nous n’en avons pas de ce genre, enthousiaste en diable aux Etats Unis ! » De même Daniel Humair m’a écrit une lettre pour me remercier, enchanté par l’accueil de sa musique sur une de nos scènes. Désormais on table sur une participation au festival de 150 à 200 000 personnes.
Bien sur je souhaite aussi faire jouer les musiciens coréens de jazz. Problème: un certain nombre vont se former aux USA ou en Europe. Après quoi, même s’ils en ont envie, ils ont du mal à rentrer au pays. Car les occasions n’y sont pas fréquentes d’y jouer, de travailler pour vivre. Je ne sais pas si vous mesurez la chance d’avoir autant de lieux, d’occasions de jouer en France pour les musiciens de jazz de votre pays…Certes, et c’est mon boulot de l’évaluer au plus juste, le marché du jazz est en développement en Corée. Mais il y a des réalités…le fait qu’à cause de la Corée du Nord nous sommes vécus comme un réduit, une île. Il convient de briser cet isolement, d’ouvrir notre pays à cette musique vivante. L’échange avec Coutances représente un vrai pas en avant dans cette ambition »
Robert Latxague
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Le beau temps est revenu sur Jarasum. Sur les aire sablonneuses à l’herbe rare les bénévoles tentent à grand coup de pelles de chasser les petites mares d’eau accumulées au bout du déluge. On distingue à nouveau l’horizon mamelonnés de forêt verte type celle inoubliable, filmée en mode obsessionnel par Coppola, derrière les hélicoptères d’Apocalypse Now.
Gee Hye Lee (p), Frank Kuruc (g), Torten Krill (dm), Joël Lacher (b)
Kari Ikonen (p), Olli Rantala (b), Markko Ounaskari (dm)
Airelle Besson (tp), Benjamin Moussay (p, keyb), Isabel Sörling (voc), Fabrice Moreau (dm)
Jose Mienniel (fl, fl, ba fl), Aram Lee (fl), Min Wang Hwang (voc, perc)
Lucky Peterson (voc, org, g), Sam Kellerman (g), Timothy Waites (b), Raul Valdes (dm),Xavie Jackson (keyb)
Caetano Veloso (voc, g), Teresa Cristina (voc), Carlos Santos (g)
Jarasum International Jazz Festival, Corée du Sud, 3 octobre
La mode est au trio de pianos, ici en Corée comme ailleurs. Suite à une première doublette la veille, le Lounge, seconde scène du festival en terme d’affluence potentielle en offre ce jours deux de plus placés à la queue leu leu. Pas davantage de transcendance pour autant. Celui de Gee Hye Lee, pianiste coréenne joue avec en bonus un invité, le guitariste allemand Frank Kuruc. Triangle pianistique jazz plutôt classique dans son expression somme toute. Sonorité soignée, marquée d’une certaine finesse, manière apte à donner de l’air à la musique. Plus des accents très Philippe Catherine, le son, le phrasé souple de la part du guitariste. Pas plus pas moins. Kari Ikonen, autre trio, finlandais celui là. Marque de fabrique essentielle: une cohésion sans faille. Sinon une sonorité globale moins lisse que les habituels pianos traversés de vents du nord. Se dégage un travail de syncopes, de riffs balancés à deux, à l’unisson piano/basse en particulier.
Pour Airelle Besson qui vient après, le pari est relativement simple: en milieu d’après midi accrocher un public qui ne la connait évidemment pas, pris dans la douceur du décor et l’ambiance ensoleillée baignant le lieu campagnard. Un contexte tout autre de celui du concert, deux jours auparavant donné au sein du French Jazz All Stars dans l’écrin moderniste chic choc du Concert Hall de Séoul « Là je jouais pour la première fois avec Henri Texier. J’ai tout de suite trouvé ma place dans l’orchestre, dans une musique magnifiquement mise en place, un contenu riche, des possibilités d’échange avec les autres musiciens. Je dois ajouter que j’ai vraiment été scotchée par l’accueil du public coréen, sa chaleur, son côté spontané. Une autre chose m’a surprise, et beaucoup plu, évidemment: la part très féminine de cette audience, très jeune également dans l’ensemble. A Jarasum, le contexte s’annonçait très différent. J’y allais sous mon nom propre, avec mon orchestre dans une sorte de match retour dans l’échange entamé à Coutances lors de Jazz sous les Pommiers. Le staff du festival coréen m’avait choisi pour les deux étapes. Sur la scène du festival l’équation est simple: gagner sous mon nom… » Un décor naturel, un espace ouvert gigantesque, voilà bien le challenge qu’a relevé la trompettiste avec juste un peu de retard, petite séquence de stress supplémentaire, dont elle ne portait aucune responsabilité. Conséquence fâcheuse: la demande de l’organisation d’écourter un peu son set. Option annulée in fine suite à une intervention de Denis Le Bas. Airelle avec ses armes, sa manière propre, son angle d’originalité. Un mode de scansion caractéristique de son jeu de trompette comme de son filtre de composition. Soit une utilisation de découpe du temps comme l’on fabrique des rimes, une façon de spacialiser la musique, rythmes et harmonies conjuguées histoire de la faire muter vers une vraie poésie sonore. Des rythmes, des airs dans lesquels s’engouffrent Benjamin Moussay (électrique), Fabrice Moreau (synthétique) et, nantie d’un étrange art vocal multiformes tour à tour fragile et fort, Isabelle Sörling. Un message musical parti 4 sur 4 et reçu dans la dimension XXL du lieu. Signe ou non d’un retour positif: Airelle et ses musiciens ont battu cet après midi là le record de photos partagées avec les fans lors de la séquence signatures post concert…
Tard dans la nuit fraiche, sur la scène dite Jazz Cube, seule enceinte couverte style marché de centre ville de Gapyeong, Joce Mienniel retrouve son comparse flutiste coréen, Aram Lee pour poursuivre un dialogue entamé ce printemps à Coutances. En matière de flutes le français utilise le métal, le coréen préfèrant le bois. Joce Mienniel joue sur l’intensité, le mouvement, une sorte de circularité dans les phrases lâchées à vif « A franchement parler Aram me déroute dans sa manière: sur ses flutes de bambou il me paraît reproduire les mêmes effets sonores que moi avec mes pédales bourrées d’électronique » Vibrato, phrase en mode staccato, notes tenues, ruptures: Aram Lee sur son instrument basique ne parait pas souffrir de limite dans l’exposition de sa panoplie de sonorités. Bien aidé par le troisième larron, Min Wang Hwang toujours libre dans ses acrobaties vocales et rythmiques soutenues au tambour traditionnel.
Deux noms de renom, deux manières musicales radicalement opposées pour conclure le festival. Lucky Peterson entre finalement sur une scène secondaire suite à une embrouille d’organisation (du coup l’un des programmateurs parlera d’Unlucky Peterson… » Peu importe. En deux temps trois mouvements il enflamme l’auditoire à coups d’accords groovy plaqués sur son orgue Hammond. Et surtout de par la résonance chaude, grave, bluesy à souhait qu’on lui connait sur toutes les scènes du monde (?) depuis des années. Assis sur son tabouret il fait le show dans se modulations, ses cris, son sourire carnassier, interpelant le public pour mieux le dompter. Du feeling pur jus. Voire du délire lorsqu’il empoigne sa Gibson rouge pour titiller sinon tordre les cordes aïgues le temps de deux chansons, pas plus, pour prendre le relai de son lead guitar, Shawn Kellerman au look de troisième ligne de rugby, visage carré plus biceps adéquats. A Jarasum comme ailleurs, Lucky s’y connait en mise à feu. Rien ne le rapproche, ou plutôt tout l’oppose à Caetano Veloso, voix sucrée et manière de velours. Le chanteur carioca ferme le festival à la nuit tombée. Une voix encore très ferme, une manière experte (à l’instar de certains comédiens ou hommes de radio il veille à très distinctement prononcer chaque syllabe) de phraser, des accords recherchés mais léger déroulés sur les cordes nylon de sa guitare en appui de son chant. Caetano -ainsi que l’appelle tous les Brésiliens- chante d’une apparence simple, appréhensive les histoires simples du quotidien, la vie, l’amour (au passage un magnifique Love for sale, en anglais et a capella), a tristesa, les réalités populaires de son pays actuellement dans la tourmlente. A Jarasum en Corée à l’image d’autres parties de la planète depuis 40 ans qu’il chante, au bout d’un moment, comme par magie, dans le public on reprend avec lui son couplet…Descendant de scène, très accompagné (sécurité ? entourage frappé d’une petite parano? envie de tranquillité ? l’âge ?) il s’arrête un instant avant de monter dans le bus, lève les yeux histoire de regarder, souriant, le beau feu d’artifice signant la fin du 13e Jarasum International Jazz Festival.
La vraie clôture pourtant, le point d’orgue passe symboliquement par la photo de famille en bouquet final. Elle réunit la centaine de bénévoles oeuvrant pour la bonne marche de l’évènement. Tous réunis sur la grand scène face à l’espace vide des milliers de spectateurs évanouis dans la nuit en quelques minutes à peine. Demain huit heures, fin de la fête. A huit heures donc, la Corée sera au boulot.
Eclairage: In Jae Jin (rappel: on l’appelle JJ) porte -c’est le cas de le dire eu égard à son habituel couvre chef style mao– plusieurs casquettes: patron du Festival de Jazz il officie également en tant que consultant dans l’organisation de festivals, d’évènements autour de la musique. Enfin il manage également désormais la chanteuse Youn Sun Nah. Le directeur du festival livre les clefs de Jarasum. Et les raisons du rapprochement enclenché avec Jazz sous les Pommiers à Coutances.
« J’ai eu l’occasion de faire connaissance avec Denis Le Bas à l’occasion de plusieurs rencontres, manifestations autour du jazz. Je n’ai pu me rendre à Coutances pour la première fois que il y a deux ans. Cette année je me suis clairement rendu compte alors de certains points communs avec nous. Le concept du festival, l’ouverture à des musiques différentes me plait. Le programme très éclectique, original également. Avec Denis nous entretenons une confiance mutuelle. Ce sentiment nous a permis de mettre en place cet échange de musiciens, d’orchestres à partir de concerts de Youn Sun Nah. Nous avons tous les deux une même idée de la programmation même s’il est plus facile pour Coutances de trouver de la qualité vu le grand nombre de musiciens de jazz évoluant en Europe. Ceci dit, vous avez pu le vérifier ici, je veux programmer tous les styles de jazz, du traditionnel jusqu’à l’avant garde. Le jazz dans son état actuel. Cet axe de la découverte de nouveaux musiciens le public coréen le reconnait. Nous bénéficions désormais d’un gros crédit auprès de lui. Certains artistes le reconnaissent eux même. Joshua Redman par exemple m’a confié après un concert « JJ, permets-tu que j’emmène une partie de ton public avec moi aux Etats Unis ? Nous n’en avons pas de ce genre, enthousiaste en diable aux Etats Unis ! » De même Daniel Humair m’a écrit une lettre pour me remercier, enchanté par l’accueil de sa musique sur une de nos scènes. Désormais on table sur une participation au festival de 150 à 200 000 personnes.
Bien sur je souhaite aussi faire jouer les musiciens coréens de jazz. Problème: un certain nombre vont se former aux USA ou en Europe. Après quoi, même s’ils en ont envie, ils ont du mal à rentrer au pays. Car les occasions n’y sont pas fréquentes d’y jouer, de travailler pour vivre. Je ne sais pas si vous mesurez la chance d’avoir autant de lieux, d’occasions de jouer en France pour les musiciens de jazz de votre pays…Certes, et c’est mon boulot de l’évaluer au plus juste, le marché du jazz est en développement en Corée. Mais il y a des réalités…le fait qu’à cause de la Corée du Nord nous sommes vécus comme un réduit, une île. Il convient de briser cet isolement, d’ouvrir notre pays à cette musique vivante. L’échange avec Coutances représente un vrai pas en avant dans cette ambition »
Robert Latxague
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Le beau temps est revenu sur Jarasum. Sur les aire sablonneuses à l’herbe rare les bénévoles tentent à grand coup de pelles de chasser les petites mares d’eau accumulées au bout du déluge. On distingue à nouveau l’horizon mamelonnés de forêt verte type celle inoubliable, filmée en mode obsessionnel par Coppola, derrière les hélicoptères d’Apocalypse Now.
Gee Hye Lee (p), Frank Kuruc (g), Torten Krill (dm), Joël Lacher (b)
Kari Ikonen (p), Olli Rantala (b), Markko Ounaskari (dm)
Airelle Besson (tp), Benjamin Moussay (p, keyb), Isabel Sörling (voc), Fabrice Moreau (dm)
Jose Mienniel (fl, fl, ba fl), Aram Lee (fl), Min Wang Hwang (voc, perc)
Lucky Peterson (voc, org, g), Sam Kellerman (g), Timothy Waites (b), Raul Valdes (dm),Xavie Jackson (keyb)
Caetano Veloso (voc, g), Teresa Cristina (voc), Carlos Santos (g)
Jarasum International Jazz Festival, Corée du Sud, 3 octobre
La mode est au trio de pianos, ici en Corée comme ailleurs. Suite à une première doublette la veille, le Lounge, seconde scène du festival en terme d’affluence potentielle en offre ce jours deux de plus placés à la queue leu leu. Pas davantage de transcendance pour autant. Celui de Gee Hye Lee, pianiste coréenne joue avec en bonus un invité, le guitariste allemand Frank Kuruc. Triangle pianistique jazz plutôt classique dans son expression somme toute. Sonorité soignée, marquée d’une certaine finesse, manière apte à donner de l’air à la musique. Plus des accents très Philippe Catherine, le son, le phrasé souple de la part du guitariste. Pas plus pas moins. Kari Ikonen, autre trio, finlandais celui là. Marque de fabrique essentielle: une cohésion sans faille. Sinon une sonorité globale moins lisse que les habituels pianos traversés de vents du nord. Se dégage un travail de syncopes, de riffs balancés à deux, à l’unisson piano/basse en particulier.
Pour Airelle Besson qui vient après, le pari est relativement simple: en milieu d’après midi accrocher un public qui ne la connait évidemment pas, pris dans la douceur du décor et l’ambiance ensoleillée baignant le lieu campagnard. Un contexte tout autre de celui du concert, deux jours auparavant donné au sein du French Jazz All Stars dans l’écrin moderniste chic choc du Concert Hall de Séoul « Là je jouais pour la première fois avec Henri Texier. J’ai tout de suite trouvé ma place dans l’orchestre, dans une musique magnifiquement mise en place, un contenu riche, des possibilités d’échange avec les autres musiciens. Je dois ajouter que j’ai vraiment été scotchée par l’accueil du public coréen, sa chaleur, son côté spontané. Une autre chose m’a surprise, et beaucoup plu, évidemment: la part très féminine de cette audience, très jeune également dans l’ensemble. A Jarasum, le contexte s’annonçait très différent. J’y allais sous mon nom propre, avec mon orchestre dans une sorte de match retour dans l’échange entamé à Coutances lors de Jazz sous les Pommiers. Le staff du festival coréen m’avait choisi pour les deux étapes. Sur la scène du festival l’équation est simple: gagner sous mon nom… » Un décor naturel, un espace ouvert gigantesque, voilà bien le challenge qu’a relevé la trompettiste avec juste un peu de retard, petite séquence de stress supplémentaire, dont elle ne portait aucune responsabilité. Conséquence fâcheuse: la demande de l’organisation d’écourter un peu son set. Option annulée in fine suite à une intervention de Denis Le Bas. Airelle avec ses armes, sa manière propre, son angle d’originalité. Un mode de scansion caractéristique de son jeu de trompette comme de son filtre de composition. Soit une utilisation de découpe du temps comme l’on fabrique des rimes, une façon de spacialiser la musique, rythmes et harmonies conjuguées histoire de la faire muter vers une vraie poésie sonore. Des rythmes, des airs dans lesquels s’engouffrent Benjamin Moussay (électrique), Fabrice Moreau (synthétique) et, nantie d’un étrange art vocal multiformes tour à tour fragile et fort, Isabelle Sörling. Un message musical parti 4 sur 4 et reçu dans la dimension XXL du lieu. Signe ou non d’un retour positif: Airelle et ses musiciens ont battu cet après midi là le record de photos partagées avec les fans lors de la séquence signatures post concert…
Tard dans la nuit fraiche, sur la scène dite Jazz Cube, seule enceinte couverte style marché de centre ville de Gapyeong, Joce Mienniel retrouve son comparse flutiste coréen, Aram Lee pour poursuivre un dialogue entamé ce printemps à Coutances. En matière de flutes le français utilise le métal, le coréen préfèrant le bois. Joce Mienniel joue sur l’intensité, le mouvement, une sorte de circularité dans les phrases lâchées à vif « A franchement parler Aram me déroute dans sa manière: sur ses flutes de bambou il me paraît reproduire les mêmes effets sonores que moi avec mes pédales bourrées d’électronique » Vibrato, phrase en mode staccato, notes tenues, ruptures: Aram Lee sur son instrument basique ne parait pas souffrir de limite dans l’exposition de sa panoplie de sonorités. Bien aidé par le troisième larron, Min Wang Hwang toujours libre dans ses acrobaties vocales et rythmiques soutenues au tambour traditionnel.
Deux noms de renom, deux manières musicales radicalement opposées pour conclure le festival. Lucky Peterson entre finalement sur une scène secondaire suite à une embrouille d’organisation (du coup l’un des programmateurs parlera d’Unlucky Peterson… » Peu importe. En deux temps trois mouvements il enflamme l’auditoire à coups d’accords groovy plaqués sur son orgue Hammond. Et surtout de par la résonance chaude, grave, bluesy à souhait qu’on lui connait sur toutes les scènes du monde (?) depuis des années. Assis sur son tabouret il fait le show dans se modulations, ses cris, son sourire carnassier, interpelant le public pour mieux le dompter. Du feeling pur jus. Voire du délire lorsqu’il empoigne sa Gibson rouge pour titiller sinon tordre les cordes aïgues le temps de deux chansons, pas plus, pour prendre le relai de son lead guitar, Shawn Kellerman au look de troisième ligne de rugby, visage carré plus biceps adéquats. A Jarasum comme ailleurs, Lucky s’y connait en mise à feu. Rien ne le rapproche, ou plutôt tout l’oppose à Caetano Veloso, voix sucrée et manière de velours. Le chanteur carioca ferme le festival à la nuit tombée. Une voix encore très ferme, une manière experte (à l’instar de certains comédiens ou hommes de radio il veille à très distinctement prononcer chaque syllabe) de phraser, des accords recherchés mais léger déroulés sur les cordes nylon de sa guitare en appui de son chant. Caetano -ainsi que l’appelle tous les Brésiliens- chante d’une apparence simple, appréhensive les histoires simples du quotidien, la vie, l’amour (au passage un magnifique Love for sale, en anglais et a capella), a tristesa, les réalités populaires de son pays actuellement dans la tourmlente. A Jarasum en Corée à l’image d’autres parties de la planète depuis 40 ans qu’il chante, au bout d’un moment, comme par magie, dans le public on reprend avec lui son couplet…Descendant de scène, très accompagné (sécurité ? entourage frappé d’une petite parano? envie de tranquillité ? l’âge ?) il s’arrête un instant avant de monter dans le bus, lève les yeux histoire de regarder, souriant, le beau feu d’artifice signant la fin du 13e Jarasum International Jazz Festival.
La vraie clôture pourtant, le point d’orgue passe symboliquement par la photo de famille en bouquet final. Elle réunit la centaine de bénévoles oeuvrant pour la bonne marche de l’évènement. Tous réunis sur la grand scène face à l’espace vide des milliers de spectateurs évanouis dans la nuit en quelques minutes à peine. Demain huit heures, fin de la fête. A huit heures donc, la Corée sera au boulot.
Eclairage: In Jae Jin (rappel: on l’appelle JJ) porte -c’est le cas de le dire eu égard à son habituel couvre chef style mao– plusieurs casquettes: patron du Festival de Jazz il officie également en tant que consultant dans l’organisation de festivals, d’évènements autour de la musique. Enfin il manage également désormais la chanteuse Youn Sun Nah. Le directeur du festival livre les clefs de Jarasum. Et les raisons du rapprochement enclenché avec Jazz sous les Pommiers à Coutances.
« J’ai eu l’occasion de faire connaissance avec Denis Le Bas à l’occasion de plusieurs rencontres, manifestations autour du jazz. Je n’ai pu me rendre à Coutances pour la première fois que il y a deux ans. Cette année je me suis clairement rendu compte alors de certains points communs avec nous. Le concept du festival, l’ouverture à des musiques différentes me plait. Le programme très éclectique, original également. Avec Denis nous entretenons une confiance mutuelle. Ce sentiment nous a permis de mettre en place cet échange de musiciens, d’orchestres à partir de concerts de Youn Sun Nah. Nous avons tous les deux une même idée de la programmation même s’il est plus facile pour Coutances de trouver de la qualité vu le grand nombre de musiciens de jazz évoluant en Europe. Ceci dit, vous avez pu le vérifier ici, je veux programmer tous les styles de jazz, du traditionnel jusqu’à l’avant garde. Le jazz dans son état actuel. Cet axe de la découverte de nouveaux musiciens le public coréen le reconnait. Nous bénéficions désormais d’un gros crédit auprès de lui. Certains artistes le reconnaissent eux même. Joshua Redman par exemple m’a confié après un concert « JJ, permets-tu que j’emmène une partie de ton public avec moi aux Etats Unis ? Nous n’en avons pas de ce genre, enthousiaste en diable aux Etats Unis ! » De même Daniel Humair m’a écrit une lettre pour me remercier, enchanté par l’accueil de sa musique sur une de nos scènes. Désormais on table sur une participation au festival de 150 à 200 000 personnes.
Bien sur je souhaite aussi faire jouer les musiciens coréens de jazz. Problème: un certain nombre vont se former aux USA ou en Europe. Après quoi, même s’ils en ont envie, ils ont du mal à rentrer au pays. Car les occasions n’y sont pas fréquentes d’y jouer, de travailler pour vivre. Je ne sais pas si vous mesurez la chance d’avoir autant de lieux, d’occasions de jouer en France pour les musiciens de jazz de votre pays…Certes, et c’est mon boulot de l’évaluer au plus juste, le marché du jazz est en développement en Corée. Mais il y a des réalités…le fait qu’à cause de la Corée du Nord nous sommes vécus comme un réduit, une île. Il convient de briser cet isolement, d’ouvrir notre pays à cette musique vivante. L’échange avec Coutances représente un vrai pas en avant dans cette ambition »
Robert Latxague