JAZZ à COUCHES 2019, première escale
Nouvelle mouture et 33ème édition de ce festival sans pareil, en terre rurale d’une fécondité musicale inouïe où ressources régionales (musicales, mais pas que….) et têtes d’affiches se mêlent pour une événement joyeusement singulier
Plaisir de retrouver Couches, dont une méchante polyarthrite m’avait privé l’an dernier. Festival doublement cher à mon cœur de mélomane jazzophile et de fils de paysan picard dont un neveu taquine la vigne dans une autre région viti-vinicole. Ici comme dans beaucoup d’autres festivals, les bénévoles jouent un rôle prépondérant dans l’organisation et la viabilité de l’événement. Rien d’étonnant donc que, dans le fond de décor de la buvette (endroit hautement stratégique!) on découvre un trombinoscope géant des bénévoles.
À l’heure des balances on s’affaire, au chapiteau et à son entour, sous le cagnard de saison. Dans la moiteur du chapiteau, j’assiste à la balance d’ARK TRIO. Belle concentration, belle écoute mutuelle, tout laisse présager une belle soirée.
ARK TRIO
Joseph Bijon (guitare), Benoît Keller (contrebasse), Clément Drigon (batterie)
Couches, Zone de loisirs, 3 juillet 2019, 20h
Deux jeunes musiciens d’à peine plus de 20 ans, le guitariste et le batteur, et un presque vétéran à cette aune, le contrebassiste Benoît Keller, qui les épaules de ses 45 ans (dont plus de vingt années de musique en bonne compagnie :Alain Blessing, Bruno Tocanne, Lionel Martin, Franck Tortiller….). Joseph est le fils de l’accordéoniste Éric Bijon, et le batteur Christophe Drigon est le père de Clément, batteur de ce trio : bon sang ne saurait mentir. Les deux jeunes musiciens sont un peu les héritiers de ce courant qui vit fleurir chez ECM, et ailleurs, Bill Frisell ou Paul Motian, et ils ont une passion pour les productions du label norvégien Hubro, qui d’une certaine manière prolonge ces esthétiques. Les thèmes sont souvent de cette couleur un peu folky qui fleure bon le Grand Ouest états-unien. Après des exposés retenus et souvent nostalgiques, les membres du trio parlent à tour de rôle le langage de leur instrument, puis les dialogues (des trilogues même) se nouent en forme de crescendo jusqu’à un point d’effervescence, avant que l’intensité ne soit mise en suspens par un retour à la douceur du pianissimo.
Un bel engagement dans une esthétique choisie et assumée, qui s’épanouit brillamment dans un jeu très collectif.
Des infos et des liens d’écoute sur http://arktrio.fr
Pendant l’entracte on sacrifie au rite presque immuable d’une nature morte couchoise : un tonneau, le programme du festival et un verre de maranges premier cru, en bref une certaine idée du bonheur…. Après un vigoureux changement de plateau pour installer le big band, le concert reprend. En prélude Franck Tortiller rend, avec des mots choisis, un vibrant et touchant hommage à Christian Villebœuf, soubassophoniste, arrangeur, chef de big band et d’harmonie, pédagogue, humaniste avéré, et par ailleurs figure de la vie associative, culturelle et politique de Chalon-sur-Saône. Pilier et mentor du big band de Chalon depuis son origine, il avait aussi signé le dessin de l’affiche du premier festival, en 1987, et participé à toutes les éditions jusqu’en 2018.
Il est mort trois semaines avant le festival, et nous sommes nombreux à nous souvenir de lui, enroulé dans son soubassophone, au sein du groupe ‘Les Sourdines à l’huile’, qui donnait souvent au public l’aubade d’accueil, ici en 2016.
BIG BAND CHALON-BOURGOGNE Création ‘Tout pour Lopez’
Aymeric Descharrières (saxophones alto & soprano), Grégory Sallet (saxophone alto), Cédric Ricard (saxophone ténor & flûte), Joseph Lapchine (saxophone ténor), Philippe Simonet (saxophone baryton), Aurélien Joly (trompette et bugle), Christophe Metra, Bob Pleinet, Vincent Stephan (trompettes), Simon Girard, Florence Borg-Descharrières, Constantin Meyer, Brice Parizot (trombones), Olivier Truchot (clavier), Thibaut François (guitare), Benoît Keller (contrebasse & guitare basse), Denis Desbrières (batterie). Aymeric Descharrières, Cédric Ricard (direction artistique et arrangements).
Couches, Zone de loisirs, 3 juillet 2019, 21h30
L’aventure est audacieuse, et même un peu folle : arranger pour big band de jazz des extraits des opérettes de Francis Lopez, grand faiseur de féeries qui enchantèrent les amateurs du Théâtre du Châtelet, de Mogador et d’une foule d’autres scènes. Le concert commence avec La belle de Cadix (celle qui a des yeux de velours….). L’arrangement joue avec les phrases musicales, les transpose, les altère avec pertinence : on est bien dans le jazz, dont la vocation première fut souvent d’altérer, dans le meilleur sens du terme – faire autre-, une musique. Se souvenir que Embraceable You par Charlies Parker c’est quand même autre chose que la bluette de Gershwin, sauf le respect que je dois au compositeur de Porgy and Bess. Tout ça fonctionne pleinement : on sourit en entendant, au détour de l’arrangement, surgir le fameux «Chi-ca! Chi-ca! Chic! Ay! Ay! Ay!». Après une intro futuriste pour La Route fleurie voici un beau solo du trompettiste Aurélien Joly.
D’ailleurs, au fil du concert, on découvrira quelques (très) bons improvisateurs, en regrettant qu’ils ne soient pas présentés individuellement après le thème où ils se sont exprimés. Après divers avatars de Mexico , de la Fiesta Bohémienne, et du Rossignol de mes amours, habillés parfois de jazz funky façon années 50, ou d’un furieux funk des années 70 et au-delà, une composition originale conclura le programme. En rappel, un nouvel hommage à Christian Villebœuf avec un thème qu’il avait composé pour célébrer une victoire du Big Band dans un tournoi parisien de grands orchestres de jazz : Rochechouart Boulevard. Pour la circonstance sa fille Émilie Desbrières, épouse du batteur de l’orchestre, se joint au big band avec sa flûte, et le percussionniste Florent Guillamin vient compléter la rythmique. Belle réussite donc, que cette métamorphose musicale du roi de l’opérette du vingtième siècle en jazzman du vingt-et-unième.
Xavier Prévost