Jazz à Coutances : Céline Bonacina, Boris Vian et la fanfare des gens heureux
Dimanche de 1er mai à Coutances. Défilé dans les rues et sous les pommiers d’orchestres, bands et sarabandes issus du monde entier pour porter haut et fort la bannière multicolore, les revendications du monde du travail jazz et musiques de la planète sachant faire vivre et improviser au pays.
Un monde ouvert, un monde de sons et manières musicales éclatées à la façon de l’idéal Tout Monde créolisé dans les mots éclatants d’Edouard Glissant. La Caraïbe justement on la croise, on la renifle sous les airs de fanfare des Haïtiens de Bande à Pied Follow Jah (mais je laisse à Katia Touré le plaisir de s’y attarder) au pied de la massive Cathédrale. Cinq minutes de marche au milieu des festivaliers de tous âges, toutes couleurs et (sans doute) de confession jazz plus musiques métissées. Au bout de ce petit parcours initiatique citoyen, bon enfant, festif hâlé (le soleil, et oui! est de la partie !) on débouche sur un…cyclone en pays (bas) normand. N’en déplaise aux Œuvres diocésaines présentes dans un beau bâtiment de pierres bordant la place, Chico Trujillo fait diaboliquement exploser l’Esplanade des Unelles ! Installés sur l’estrade tel une horde gangsta rap latino, les musiciens chiliens balancent une cumbia survitaminée à base d’un niveau de décibels étagés plus plus. Les regarder constitue déjà un spectacle en soi: un look d’offensive, couleurs et formes de combat avec chemises mer caraïbe bariolées, lunettes de soleil à reflets, bermudas ou survets en bas, barbes castristes, dread locks ou crânes rasés, couvres chefs de tous ordres au sommet. Cuivres, guitares, instruments traditionnels (quena, tres, timbales et tambours en abondance) sculptent une musique hybride de jazz latino, rock, ska et autres ingrédients salsa (mot détestable mais figuratif) picante. A onze musiciens comme le jeu d’une équipe de foot des quartiers calientes de Santiago ou Valapraiso, à l’évidences ca pousse vers l’avant, ça tire fort! Le public à l’image de la musique se trouve rapidos en fusion. Ça remue de la tête, ça ondule du bassin, ça bouscule du cul. Les chicos de Chico Trujillo n’ont aucune vergogne à inoculer en terre fertile normande leur cumbia (musique de la côte colombienne versant mer Caraïbe à l’origine) rebaptisée Chiliombiania. A défaut d’aguardiente vous reprendrez bien un verre de cidre por favor?
Rien de tel qu’un flash back vers le grand hall de la salle Marcel-Hélie histoire de retrouver ses esprits. Là, hors l’agitation de la rue du dimanche en fanfares, c’est d’une autre musique qu’il s’agit. Convoquée par une femme -tiens on y revient décidément- comme il sied à cette édition de JSLP. Céline Bonacina au vrai sens du terme figure le chef d’orchestre de ce projet monté en co-production entre Les festivals de Coutances et l’Europa Jazz du Mans. Son trio (Hary Ratsimbazafy, dm, Olivier Carole, elb) sert de point d’ancrage et de pilotine à un orchestre rassemblant une soixantaine de musiciens amateurs issus de six départements (Orne, Sarthe, Calvados, Mayenne, Manche, Île et Vilaine) Sous la conduite du saxophoniste et arrangeur Didier Momo cet assemblage fait vivre une musique, une matière de jazz produite pour (et par) grand orchestre. Manière de formation en alternance dans une rencontre, un étalonnement, un échange entre professionnels et amateurs réunis dans une libre entreprise musicale. La musique justement, des traits de jazz pour l’essentiel dessinés au millimètre par la plume de Céline Bonacina, s’organise au travers d’une architecture de lignes très denses, très précisément disposées, étagées. Une forte présence d’instruments percussifs (pupitre de vibraphones, métalophones, marimbas notamment) lui donne une caractéristique rythmique très marquée, riche de moultes ruptures et relances. En complément de cet effet de nombre, de masse la saxophoniste leader se plaît aussi à coloriser le matériau musical en profondeur. Par le biais des graves du sax baryton d’abord. En invitant Airelle Besson a la rejoindre sur scène ensuite. De quoi marquer le travail collectif de la sonorité suave, force tranquille de la trompettiste résidente en ce lieu. Et bénéficier d’un effet ludique surprise le temps d’un petit « chase » sax trompette lancé en mode de jeu entre deux musiciennes amies.
La nuit humide a jeté son ombre sur le 1er mai. Plus de muguet à vendre pour offrir à Coutances. Il est temps de trouver la musique là où elle a pu se réfugier. Cela tombe à pic. La toile de cirque du Magic Mirror offre une soirée cabaret titrée « Boris Vian ! Un cabaret » On entre à l’invitation de la Compagnie Dodeka, une troupe d’acteurs et de musiciens du crû pour une première. Célébrer le travail de Vian, le musicien, le poète, le faiseur de mots et de musiques défenseur du jazz hors d’âge et catégorie, facétieux pourfendeur des versets de Panassié. Pour ce faire les acteurs se font aussi chanteurs. Pas toujours facile, mais à force de travail et d’engagement cela tient la route. Le verbe, la verve de Boris Vian/Vernon Sullivan fait le reste « Il a écrit près de 500 textes de chanson » s’étonne à bon escient l’un des comédiens chanteurs. Mieux: il a fallu retrouver les musiques hors de toute partition « J’ai du tout retranscrire d’oreille » confie le guitariste Freddy Charlou. Mise en scène sobre, musique jouée nature, en trio, avec l’appui d’Airelle Besson et de sa trompette new orléannisée (encore là…où on ne l’attendait pas forcément) pour l’occasion. La (les) voix de Vian ainsi remis en scène jazz restent d’actualité. Sous les pommiers comme partout dans l’ailleurs jazz. Incontestablement, festivement.
Robert Latxague
Au Chili, j’ai préféré Haïti. C’est que l’un de nos confrères – dans les pages du numéro de Jazz Magazine, actuellement en kiosques (n°682) – nous a mis l’eau à la bouche quant à cette troupe d’Haïtiens, la Bande à Pied Follow Jah, dont il a humé le rara lors du Festival de Jazz de Port-au-Prince en janvier dernier. Carnaval au pied de la cathédrale. Défilé de rue sur gazon. Grand soleil, larges sourires. Reginald Joseph, chef de file au bambou, parade avec ses compagnons (natifs de Jacmel pour la plupart), souffleurs de kones (cornets) et tanbouyés battants ardents. Il s’agit bien d’un carnaval, au sens tout caribéen. Avec cette pointe de mélancolie. La faute à ce blues organique, spirituel car, somme toute, c’est bien derrière Jah qu’ils paradent, galvanisés par la foule. « On pourrait jouer et danser comme cela pendant des heures, raconte Reginald Joseph. Comme quand on quitte Pétionville pour rejoindre Port-au-Prince ». À pied, assurément. Festoyant, décidément. Comme ici, à Coutances, où le temps s’est bien voulu clément.
Peu après, Céline Bonacina, celle qui jumpe baryton en main, réapparaît. Après avoir conduit avec brio, son Megapulse Orchestra, pour une création aux confins du jazz et des rythmes de l’Océan Indien, signature faisant partie intégrante de sa musique (la Réunion en première ligne), la voilà prête à repartir pour mieux revenir aux côtés du guitariste Nguyên Lê pour revisiter le « Dark Side Of The Moon » de Pink Floyd (le 5 mai) et du saxophoniste Julien Lourau, car membre de sa formation « The Groove Retrievers » (le 6 mai). Elle évoque le festival comme un véritable tremplin pour sa carrière. « Jazz Sous Les Pommiers est le premier festival qui m’a soutenue et invitée pour jouer dès mon retour de la Réunion, raconte la musicienne. Depuis, je m’y produis tous les deux ans, avec, à chaque fois, des projets différents ». Elle bat son record cette année, avec pas moins de trois projets d’envergure au compteur. « Cette année, la création avec le Megapulse Orchestra est une apothéose », continue-t-elle. C’est un projet sur lequel je travaille depuis un an et demi ». C’est que Céline Bonacina enseigne le saxophone au Conservatoire d’Alençon, ce qui lui permet d’oeuvrer pour la scène jazz en Basse-Normandie. Une dimension locale à laquelle elle dit résolument s’attacher, bluffée par la mise en pratique rigoureuse des jeunes pousses qui l’entourent, parmi les instrumentistes semi-professionnels et professionnels.
Par ailleurs, si Jazz Sous Les Pommiers propose un échange entre un public et des musiciens de tous horizons, il permet aussi des retrouvailles entre les musiciens eux-mêmes. Des retrouvailles qui se jouent en coulisses puis se concrétisent sur scène. En témoigne l’arrivée d’Airelle Besson au cours de la prestation de Céline Bonacina et de son Megapulse Orchestra. La trompettiste et la saxophoniste, qui se connaissent depuis l’adolescence et ont joué, ensemble, au sein du quintet du contrebassiste Didier Levallet, ont totalement improvisé cette rencontre. « C’est aussi pour cette raison que ce festival est une grande fête, pour le public comme pour les musiciens ! ».
Katia Touré
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Dimanche de 1er mai à Coutances. Défilé dans les rues et sous les pommiers d’orchestres, bands et sarabandes issus du monde entier pour porter haut et fort la bannière multicolore, les revendications du monde du travail jazz et musiques de la planète sachant faire vivre et improviser au pays.
Un monde ouvert, un monde de sons et manières musicales éclatées à la façon de l’idéal Tout Monde créolisé dans les mots éclatants d’Edouard Glissant. La Caraïbe justement on la croise, on la renifle sous les airs de fanfare des Haïtiens de Bande à Pied Follow Jah (mais je laisse à Katia Touré le plaisir de s’y attarder) au pied de la massive Cathédrale. Cinq minutes de marche au milieu des festivaliers de tous âges, toutes couleurs et (sans doute) de confession jazz plus musiques métissées. Au bout de ce petit parcours initiatique citoyen, bon enfant, festif hâlé (le soleil, et oui! est de la partie !) on débouche sur un…cyclone en pays (bas) normand. N’en déplaise aux Œuvres diocésaines présentes dans un beau bâtiment de pierres bordant la place, Chico Trujillo fait diaboliquement exploser l’Esplanade des Unelles ! Installés sur l’estrade tel une horde gangsta rap latino, les musiciens chiliens balancent une cumbia survitaminée à base d’un niveau de décibels étagés plus plus. Les regarder constitue déjà un spectacle en soi: un look d’offensive, couleurs et formes de combat avec chemises mer caraïbe bariolées, lunettes de soleil à reflets, bermudas ou survets en bas, barbes castristes, dread locks ou crânes rasés, couvres chefs de tous ordres au sommet. Cuivres, guitares, instruments traditionnels (quena, tres, timbales et tambours en abondance) sculptent une musique hybride de jazz latino, rock, ska et autres ingrédients salsa (mot détestable mais figuratif) picante. A onze musiciens comme le jeu d’une équipe de foot des quartiers calientes de Santiago ou Valapraiso, à l’évidences ca pousse vers l’avant, ça tire fort! Le public à l’image de la musique se trouve rapidos en fusion. Ça remue de la tête, ça ondule du bassin, ça bouscule du cul. Les chicos de Chico Trujillo n’ont aucune vergogne à inoculer en terre fertile normande leur cumbia (musique de la côte colombienne versant mer Caraïbe à l’origine) rebaptisée Chiliombiania. A défaut d’aguardiente vous reprendrez bien un verre de cidre por favor?
Rien de tel qu’un flash back vers le grand hall de la salle Marcel-Hélie histoire de retrouver ses esprits. Là, hors l’agitation de la rue du dimanche en fanfares, c’est d’une autre musique qu’il s’agit. Convoquée par une femme -tiens on y revient décidément- comme il sied à cette édition de JSLP. Céline Bonacina au vrai sens du terme figure le chef d’orchestre de ce projet monté en co-production entre Les festivals de Coutances et l’Europa Jazz du Mans. Son trio (Hary Ratsimbazafy, dm, Olivier Carole, elb) sert de point d’ancrage et de pilotine à un orchestre rassemblant une soixantaine de musiciens amateurs issus de six départements (Orne, Sarthe, Calvados, Mayenne, Manche, Île et Vilaine) Sous la conduite du saxophoniste et arrangeur Didier Momo cet assemblage fait vivre une musique, une matière de jazz produite pour (et par) grand orchestre. Manière de formation en alternance dans une rencontre, un étalonnement, un échange entre professionnels et amateurs réunis dans une libre entreprise musicale. La musique justement, des traits de jazz pour l’essentiel dessinés au millimètre par la plume de Céline Bonacina, s’organise au travers d’une architecture de lignes très denses, très précisément disposées, étagées. Une forte présence d’instruments percussifs (pupitre de vibraphones, métalophones, marimbas notamment) lui donne une caractéristique rythmique très marquée, riche de moultes ruptures et relances. En complément de cet effet de nombre, de masse la saxophoniste leader se plaît aussi à coloriser le matériau musical en profondeur. Par le biais des graves du sax baryton d’abord. En invitant Airelle Besson a la rejoindre sur scène ensuite. De quoi marquer le travail collectif de la sonorité suave, force tranquille de la trompettiste résidente en ce lieu. Et bénéficier d’un effet ludique surprise le temps d’un petit « chase » sax trompette lancé en mode de jeu entre deux musiciennes amies.
La nuit humide a jeté son ombre sur le 1er mai. Plus de muguet à vendre pour offrir à Coutances. Il est temps de trouver la musique là où elle a pu se réfugier. Cela tombe à pic. La toile de cirque du Magic Mirror offre une soirée cabaret titrée « Boris Vian ! Un cabaret » On entre à l’invitation de la Compagnie Dodeka, une troupe d’acteurs et de musiciens du crû pour une première. Célébrer le travail de Vian, le musicien, le poète, le faiseur de mots et de musiques défenseur du jazz hors d’âge et catégorie, facétieux pourfendeur des versets de Panassié. Pour ce faire les acteurs se font aussi chanteurs. Pas toujours facile, mais à force de travail et d’engagement cela tient la route. Le verbe, la verve de Boris Vian/Vernon Sullivan fait le reste « Il a écrit près de 500 textes de chanson » s’étonne à bon escient l’un des comédiens chanteurs. Mieux: il a fallu retrouver les musiques hors de toute partition « J’ai du tout retranscrire d’oreille » confie le guitariste Freddy Charlou. Mise en scène sobre, musique jouée nature, en trio, avec l’appui d’Airelle Besson et de sa trompette new orléannisée (encore là…où on ne l’attendait pas forcément) pour l’occasion. La (les) voix de Vian ainsi remis en scène jazz restent d’actualité. Sous les pommiers comme partout dans l’ailleurs jazz. Incontestablement, festivement.
Robert Latxague
Au Chili, j’ai préféré Haïti. C’est que l’un de nos confrères – dans les pages du numéro de Jazz Magazine, actuellement en kiosques (n°682) – nous a mis l’eau à la bouche quant à cette troupe d’Haïtiens, la Bande à Pied Follow Jah, dont il a humé le rara lors du Festival de Jazz de Port-au-Prince en janvier dernier. Carnaval au pied de la cathédrale. Défilé de rue sur gazon. Grand soleil, larges sourires. Reginald Joseph, chef de file au bambou, parade avec ses compagnons (natifs de Jacmel pour la plupart), souffleurs de kones (cornets) et tanbouyés battants ardents. Il s’agit bien d’un carnaval, au sens tout caribéen. Avec cette pointe de mélancolie. La faute à ce blues organique, spirituel car, somme toute, c’est bien derrière Jah qu’ils paradent, galvanisés par la foule. « On pourrait jouer et danser comme cela pendant des heures, raconte Reginald Joseph. Comme quand on quitte Pétionville pour rejoindre Port-au-Prince ». À pied, assurément. Festoyant, décidément. Comme ici, à Coutances, où le temps s’est bien voulu clément.
Peu après, Céline Bonacina, celle qui jumpe baryton en main, réapparaît. Après avoir conduit avec brio, son Megapulse Orchestra, pour une création aux confins du jazz et des rythmes de l’Océan Indien, signature faisant partie intégrante de sa musique (la Réunion en première ligne), la voilà prête à repartir pour mieux revenir aux côtés du guitariste Nguyên Lê pour revisiter le « Dark Side Of The Moon » de Pink Floyd (le 5 mai) et du saxophoniste Julien Lourau, car membre de sa formation « The Groove Retrievers » (le 6 mai). Elle évoque le festival comme un véritable tremplin pour sa carrière. « Jazz Sous Les Pommiers est le premier festival qui m’a soutenue et invitée pour jouer dès mon retour de la Réunion, raconte la musicienne. Depuis, je m’y produis tous les deux ans, avec, à chaque fois, des projets différents ». Elle bat son record cette année, avec pas moins de trois projets d’envergure au compteur. « Cette année, la création avec le Megapulse Orchestra est une apothéose », continue-t-elle. C’est un projet sur lequel je travaille depuis un an et demi ». C’est que Céline Bonacina enseigne le saxophone au Conservatoire d’Alençon, ce qui lui permet d’oeuvrer pour la scène jazz en Basse-Normandie. Une dimension locale à laquelle elle dit résolument s’attacher, bluffée par la mise en pratique rigoureuse des jeunes pousses qui l’entourent, parmi les instrumentistes semi-professionnels et professionnels.
Par ailleurs, si Jazz Sous Les Pommiers propose un échange entre un public et des musiciens de tous horizons, il permet aussi des retrouvailles entre les musiciens eux-mêmes. Des retrouvailles qui se jouent en coulisses puis se concrétisent sur scène. En témoigne l’arrivée d’Airelle Besson au cours de la prestation de Céline Bonacina et de son Megapulse Orchestra. La trompettiste et la saxophoniste, qui se connaissent depuis l’adolescence et ont joué, ensemble, au sein du quintet du contrebassiste Didier Levallet, ont totalement improvisé cette rencontre. « C’est aussi pour cette raison que ce festival est une grande fête, pour le public comme pour les musiciens ! ».
Katia Touré
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Dimanche de 1er mai à Coutances. Défilé dans les rues et sous les pommiers d’orchestres, bands et sarabandes issus du monde entier pour porter haut et fort la bannière multicolore, les revendications du monde du travail jazz et musiques de la planète sachant faire vivre et improviser au pays.
Un monde ouvert, un monde de sons et manières musicales éclatées à la façon de l’idéal Tout Monde créolisé dans les mots éclatants d’Edouard Glissant. La Caraïbe justement on la croise, on la renifle sous les airs de fanfare des Haïtiens de Bande à Pied Follow Jah (mais je laisse à Katia Touré le plaisir de s’y attarder) au pied de la massive Cathédrale. Cinq minutes de marche au milieu des festivaliers de tous âges, toutes couleurs et (sans doute) de confession jazz plus musiques métissées. Au bout de ce petit parcours initiatique citoyen, bon enfant, festif hâlé (le soleil, et oui! est de la partie !) on débouche sur un…cyclone en pays (bas) normand. N’en déplaise aux Œuvres diocésaines présentes dans un beau bâtiment de pierres bordant la place, Chico Trujillo fait diaboliquement exploser l’Esplanade des Unelles ! Installés sur l’estrade tel une horde gangsta rap latino, les musiciens chiliens balancent une cumbia survitaminée à base d’un niveau de décibels étagés plus plus. Les regarder constitue déjà un spectacle en soi: un look d’offensive, couleurs et formes de combat avec chemises mer caraïbe bariolées, lunettes de soleil à reflets, bermudas ou survets en bas, barbes castristes, dread locks ou crânes rasés, couvres chefs de tous ordres au sommet. Cuivres, guitares, instruments traditionnels (quena, tres, timbales et tambours en abondance) sculptent une musique hybride de jazz latino, rock, ska et autres ingrédients salsa (mot détestable mais figuratif) picante. A onze musiciens comme le jeu d’une équipe de foot des quartiers calientes de Santiago ou Valapraiso, à l’évidences ca pousse vers l’avant, ça tire fort! Le public à l’image de la musique se trouve rapidos en fusion. Ça remue de la tête, ça ondule du bassin, ça bouscule du cul. Les chicos de Chico Trujillo n’ont aucune vergogne à inoculer en terre fertile normande leur cumbia (musique de la côte colombienne versant mer Caraïbe à l’origine) rebaptisée Chiliombiania. A défaut d’aguardiente vous reprendrez bien un verre de cidre por favor?
Rien de tel qu’un flash back vers le grand hall de la salle Marcel-Hélie histoire de retrouver ses esprits. Là, hors l’agitation de la rue du dimanche en fanfares, c’est d’une autre musique qu’il s’agit. Convoquée par une femme -tiens on y revient décidément- comme il sied à cette édition de JSLP. Céline Bonacina au vrai sens du terme figure le chef d’orchestre de ce projet monté en co-production entre Les festivals de Coutances et l’Europa Jazz du Mans. Son trio (Hary Ratsimbazafy, dm, Olivier Carole, elb) sert de point d’ancrage et de pilotine à un orchestre rassemblant une soixantaine de musiciens amateurs issus de six départements (Orne, Sarthe, Calvados, Mayenne, Manche, Île et Vilaine) Sous la conduite du saxophoniste et arrangeur Didier Momo cet assemblage fait vivre une musique, une matière de jazz produite pour (et par) grand orchestre. Manière de formation en alternance dans une rencontre, un étalonnement, un échange entre professionnels et amateurs réunis dans une libre entreprise musicale. La musique justement, des traits de jazz pour l’essentiel dessinés au millimètre par la plume de Céline Bonacina, s’organise au travers d’une architecture de lignes très denses, très précisément disposées, étagées. Une forte présence d’instruments percussifs (pupitre de vibraphones, métalophones, marimbas notamment) lui donne une caractéristique rythmique très marquée, riche de moultes ruptures et relances. En complément de cet effet de nombre, de masse la saxophoniste leader se plaît aussi à coloriser le matériau musical en profondeur. Par le biais des graves du sax baryton d’abord. En invitant Airelle Besson a la rejoindre sur scène ensuite. De quoi marquer le travail collectif de la sonorité suave, force tranquille de la trompettiste résidente en ce lieu. Et bénéficier d’un effet ludique surprise le temps d’un petit « chase » sax trompette lancé en mode de jeu entre deux musiciennes amies.
La nuit humide a jeté son ombre sur le 1er mai. Plus de muguet à vendre pour offrir à Coutances. Il est temps de trouver la musique là où elle a pu se réfugier. Cela tombe à pic. La toile de cirque du Magic Mirror offre une soirée cabaret titrée « Boris Vian ! Un cabaret » On entre à l’invitation de la Compagnie Dodeka, une troupe d’acteurs et de musiciens du crû pour une première. Célébrer le travail de Vian, le musicien, le poète, le faiseur de mots et de musiques défenseur du jazz hors d’âge et catégorie, facétieux pourfendeur des versets de Panassié. Pour ce faire les acteurs se font aussi chanteurs. Pas toujours facile, mais à force de travail et d’engagement cela tient la route. Le verbe, la verve de Boris Vian/Vernon Sullivan fait le reste « Il a écrit près de 500 textes de chanson » s’étonne à bon escient l’un des comédiens chanteurs. Mieux: il a fallu retrouver les musiques hors de toute partition « J’ai du tout retranscrire d’oreille » confie le guitariste Freddy Charlou. Mise en scène sobre, musique jouée nature, en trio, avec l’appui d’Airelle Besson et de sa trompette new orléannisée (encore là…où on ne l’attendait pas forcément) pour l’occasion. La (les) voix de Vian ainsi remis en scène jazz restent d’actualité. Sous les pommiers comme partout dans l’ailleurs jazz. Incontestablement, festivement.
Robert Latxague
Au Chili, j’ai préféré Haïti. C’est que l’un de nos confrères – dans les pages du numéro de Jazz Magazine, actuellement en kiosques (n°682) – nous a mis l’eau à la bouche quant à cette troupe d’Haïtiens, la Bande à Pied Follow Jah, dont il a humé le rara lors du Festival de Jazz de Port-au-Prince en janvier dernier. Carnaval au pied de la cathédrale. Défilé de rue sur gazon. Grand soleil, larges sourires. Reginald Joseph, chef de file au bambou, parade avec ses compagnons (natifs de Jacmel pour la plupart), souffleurs de kones (cornets) et tanbouyés battants ardents. Il s’agit bien d’un carnaval, au sens tout caribéen. Avec cette pointe de mélancolie. La faute à ce blues organique, spirituel car, somme toute, c’est bien derrière Jah qu’ils paradent, galvanisés par la foule. « On pourrait jouer et danser comme cela pendant des heures, raconte Reginald Joseph. Comme quand on quitte Pétionville pour rejoindre Port-au-Prince ». À pied, assurément. Festoyant, décidément. Comme ici, à Coutances, où le temps s’est bien voulu clément.
Peu après, Céline Bonacina, celle qui jumpe baryton en main, réapparaît. Après avoir conduit avec brio, son Megapulse Orchestra, pour une création aux confins du jazz et des rythmes de l’Océan Indien, signature faisant partie intégrante de sa musique (la Réunion en première ligne), la voilà prête à repartir pour mieux revenir aux côtés du guitariste Nguyên Lê pour revisiter le « Dark Side Of The Moon » de Pink Floyd (le 5 mai) et du saxophoniste Julien Lourau, car membre de sa formation « The Groove Retrievers » (le 6 mai). Elle évoque le festival comme un véritable tremplin pour sa carrière. « Jazz Sous Les Pommiers est le premier festival qui m’a soutenue et invitée pour jouer dès mon retour de la Réunion, raconte la musicienne. Depuis, je m’y produis tous les deux ans, avec, à chaque fois, des projets différents ». Elle bat son record cette année, avec pas moins de trois projets d’envergure au compteur. « Cette année, la création avec le Megapulse Orchestra est une apothéose », continue-t-elle. C’est un projet sur lequel je travaille depuis un an et demi ». C’est que Céline Bonacina enseigne le saxophone au Conservatoire d’Alençon, ce qui lui permet d’oeuvrer pour la scène jazz en Basse-Normandie. Une dimension locale à laquelle elle dit résolument s’attacher, bluffée par la mise en pratique rigoureuse des jeunes pousses qui l’entourent, parmi les instrumentistes semi-professionnels et professionnels.
Par ailleurs, si Jazz Sous Les Pommiers propose un échange entre un public et des musiciens de tous horizons, il permet aussi des retrouvailles entre les musiciens eux-mêmes. Des retrouvailles qui se jouent en coulisses puis se concrétisent sur scène. En témoigne l’arrivée d’Airelle Besson au cours de la prestation de Céline Bonacina et de son Megapulse Orchestra. La trompettiste et la saxophoniste, qui se connaissent depuis l’adolescence et ont joué, ensemble, au sein du quintet du contrebassiste Didier Levallet, ont totalement improvisé cette rencontre. « C’est aussi pour cette raison que ce festival est une grande fête, pour le public comme pour les musiciens ! ».
Katia Touré
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Dimanche de 1er mai à Coutances. Défilé dans les rues et sous les pommiers d’orchestres, bands et sarabandes issus du monde entier pour porter haut et fort la bannière multicolore, les revendications du monde du travail jazz et musiques de la planète sachant faire vivre et improviser au pays.
Un monde ouvert, un monde de sons et manières musicales éclatées à la façon de l’idéal Tout Monde créolisé dans les mots éclatants d’Edouard Glissant. La Caraïbe justement on la croise, on la renifle sous les airs de fanfare des Haïtiens de Bande à Pied Follow Jah (mais je laisse à Katia Touré le plaisir de s’y attarder) au pied de la massive Cathédrale. Cinq minutes de marche au milieu des festivaliers de tous âges, toutes couleurs et (sans doute) de confession jazz plus musiques métissées. Au bout de ce petit parcours initiatique citoyen, bon enfant, festif hâlé (le soleil, et oui! est de la partie !) on débouche sur un…cyclone en pays (bas) normand. N’en déplaise aux Œuvres diocésaines présentes dans un beau bâtiment de pierres bordant la place, Chico Trujillo fait diaboliquement exploser l’Esplanade des Unelles ! Installés sur l’estrade tel une horde gangsta rap latino, les musiciens chiliens balancent une cumbia survitaminée à base d’un niveau de décibels étagés plus plus. Les regarder constitue déjà un spectacle en soi: un look d’offensive, couleurs et formes de combat avec chemises mer caraïbe bariolées, lunettes de soleil à reflets, bermudas ou survets en bas, barbes castristes, dread locks ou crânes rasés, couvres chefs de tous ordres au sommet. Cuivres, guitares, instruments traditionnels (quena, tres, timbales et tambours en abondance) sculptent une musique hybride de jazz latino, rock, ska et autres ingrédients salsa (mot détestable mais figuratif) picante. A onze musiciens comme le jeu d’une équipe de foot des quartiers calientes de Santiago ou Valapraiso, à l’évidences ca pousse vers l’avant, ça tire fort! Le public à l’image de la musique se trouve rapidos en fusion. Ça remue de la tête, ça ondule du bassin, ça bouscule du cul. Les chicos de Chico Trujillo n’ont aucune vergogne à inoculer en terre fertile normande leur cumbia (musique de la côte colombienne versant mer Caraïbe à l’origine) rebaptisée Chiliombiania. A défaut d’aguardiente vous reprendrez bien un verre de cidre por favor?
Rien de tel qu’un flash back vers le grand hall de la salle Marcel-Hélie histoire de retrouver ses esprits. Là, hors l’agitation de la rue du dimanche en fanfares, c’est d’une autre musique qu’il s’agit. Convoquée par une femme -tiens on y revient décidément- comme il sied à cette édition de JSLP. Céline Bonacina au vrai sens du terme figure le chef d’orchestre de ce projet monté en co-production entre Les festivals de Coutances et l’Europa Jazz du Mans. Son trio (Hary Ratsimbazafy, dm, Olivier Carole, elb) sert de point d’ancrage et de pilotine à un orchestre rassemblant une soixantaine de musiciens amateurs issus de six départements (Orne, Sarthe, Calvados, Mayenne, Manche, Île et Vilaine) Sous la conduite du saxophoniste et arrangeur Didier Momo cet assemblage fait vivre une musique, une matière de jazz produite pour (et par) grand orchestre. Manière de formation en alternance dans une rencontre, un étalonnement, un échange entre professionnels et amateurs réunis dans une libre entreprise musicale. La musique justement, des traits de jazz pour l’essentiel dessinés au millimètre par la plume de Céline Bonacina, s’organise au travers d’une architecture de lignes très denses, très précisément disposées, étagées. Une forte présence d’instruments percussifs (pupitre de vibraphones, métalophones, marimbas notamment) lui donne une caractéristique rythmique très marquée, riche de moultes ruptures et relances. En complément de cet effet de nombre, de masse la saxophoniste leader se plaît aussi à coloriser le matériau musical en profondeur. Par le biais des graves du sax baryton d’abord. En invitant Airelle Besson a la rejoindre sur scène ensuite. De quoi marquer le travail collectif de la sonorité suave, force tranquille de la trompettiste résidente en ce lieu. Et bénéficier d’un effet ludique surprise le temps d’un petit « chase » sax trompette lancé en mode de jeu entre deux musiciennes amies.
La nuit humide a jeté son ombre sur le 1er mai. Plus de muguet à vendre pour offrir à Coutances. Il est temps de trouver la musique là où elle a pu se réfugier. Cela tombe à pic. La toile de cirque du Magic Mirror offre une soirée cabaret titrée « Boris Vian ! Un cabaret » On entre à l’invitation de la Compagnie Dodeka, une troupe d’acteurs et de musiciens du crû pour une première. Célébrer le travail de Vian, le musicien, le poète, le faiseur de mots et de musiques défenseur du jazz hors d’âge et catégorie, facétieux pourfendeur des versets de Panassié. Pour ce faire les acteurs se font aussi chanteurs. Pas toujours facile, mais à force de travail et d’engagement cela tient la route. Le verbe, la verve de Boris Vian/Vernon Sullivan fait le reste « Il a écrit près de 500 textes de chanson » s’étonne à bon escient l’un des comédiens chanteurs. Mieux: il a fallu retrouver les musiques hors de toute partition « J’ai du tout retranscrire d’oreille » confie le guitariste Freddy Charlou. Mise en scène sobre, musique jouée nature, en trio, avec l’appui d’Airelle Besson et de sa trompette new orléannisée (encore là…où on ne l’attendait pas forcément) pour l’occasion. La (les) voix de Vian ainsi remis en scène jazz restent d’actualité. Sous les pommiers comme partout dans l’ailleurs jazz. Incontestablement, festivement.
Robert Latxague
Au Chili, j’ai préféré Haïti. C’est que l’un de nos confrères – dans les pages du numéro de Jazz Magazine, actuellement en kiosques (n°682) – nous a mis l’eau à la bouche quant à cette troupe d’Haïtiens, la Bande à Pied Follow Jah, dont il a humé le rara lors du Festival de Jazz de Port-au-Prince en janvier dernier. Carnaval au pied de la cathédrale. Défilé de rue sur gazon. Grand soleil, larges sourires. Reginald Joseph, chef de file au bambou, parade avec ses compagnons (natifs de Jacmel pour la plupart), souffleurs de kones (cornets) et tanbouyés battants ardents. Il s’agit bien d’un carnaval, au sens tout caribéen. Avec cette pointe de mélancolie. La faute à ce blues organique, spirituel car, somme toute, c’est bien derrière Jah qu’ils paradent, galvanisés par la foule. « On pourrait jouer et danser comme cela pendant des heures, raconte Reginald Joseph. Comme quand on quitte Pétionville pour rejoindre Port-au-Prince ». À pied, assurément. Festoyant, décidément. Comme ici, à Coutances, où le temps s’est bien voulu clément.
Peu après, Céline Bonacina, celle qui jumpe baryton en main, réapparaît. Après avoir conduit avec brio, son Megapulse Orchestra, pour une création aux confins du jazz et des rythmes de l’Océan Indien, signature faisant partie intégrante de sa musique (la Réunion en première ligne), la voilà prête à repartir pour mieux revenir aux côtés du guitariste Nguyên Lê pour revisiter le « Dark Side Of The Moon » de Pink Floyd (le 5 mai) et du saxophoniste Julien Lourau, car membre de sa formation « The Groove Retrievers » (le 6 mai). Elle évoque le festival comme un véritable tremplin pour sa carrière. « Jazz Sous Les Pommiers est le premier festival qui m’a soutenue et invitée pour jouer dès mon retour de la Réunion, raconte la musicienne. Depuis, je m’y produis tous les deux ans, avec, à chaque fois, des projets différents ». Elle bat son record cette année, avec pas moins de trois projets d’envergure au compteur. « Cette année, la création avec le Megapulse Orchestra est une apothéose », continue-t-elle. C’est un projet sur lequel je travaille depuis un an et demi ». C’est que Céline Bonacina enseigne le saxophone au Conservatoire d’Alençon, ce qui lui permet d’oeuvrer pour la scène jazz en Basse-Normandie. Une dimension locale à laquelle elle dit résolument s’attacher, bluffée par la mise en pratique rigoureuse des jeunes pousses qui l’entourent, parmi les instrumentistes semi-professionnels et professionnels.
Par ailleurs, si Jazz Sous Les Pommiers propose un échange entre un public et des musiciens de tous horizons, il permet aussi des retrouvailles entre les musiciens eux-mêmes. Des retrouvailles qui se jouent en coulisses puis se concrétisent sur scène. En témoigne l’arrivée d’Airelle Besson au cours de la prestation de Céline Bonacina et de son Megapulse Orchestra. La trompettiste et la saxophoniste, qui se connaissent depuis l’adolescence et ont joué, ensemble, au sein du quintet du contrebassiste Didier Levallet, ont totalement improvisé cette rencontre. « C’est aussi pour cette raison que ce festival est une grande fête, pour le public comme pour les musiciens ! ».
Katia Touré