Jazz à Coutances : de Vincent Peirani à Christian Scott, visions nocturnes et musiques étirées
Deux jours à garder les yeux presque clos, éblouis par les voix qui s’enchaînent et les voies qui se tracent. Celles d’un ensemble de sonorités qui s’entremêlent, d’harmonies qui s’effleurent, d’improvisations qui riment, à tel point que le jazz n’est plus seulement musique. C’est un esprit qui, paisiblement, plane au-dessus des pommiers.
MARDI 3 MAI. Tandis que la voix volcanique et soulfureuse de Betty Lavette fait sans doute trembler les murs de la salle Marcel-Hélie – avant que le bluesman Taj Mahal ne prenne possession des lieux – j’opte pour une soirée portée par deux prestations inédites au Théâtre Municipal de Coutances. Incipit aérien avec le duo coréen [Su:m] (prononcez “Soum”) avant la mise en place de l’intrigue assurée par le quintet de Vincent Peirani. Ce dernier réinterprète le répertoire du disque “Living Being” avec visions à l’appui…
[Su:m] ou l’hypnotisme coréen
“Prenez le temps, laissez-vous porter par leur musique”, nous prévient-on. L’une est vêtue de blanc, Jiha Park, et l’autre de noir, Jungmin Seo. Minutieuse préparation avant le premier morceau. L’ensemble de leurs instruments nous est inconnu. À quoi doit-on s’attendre ? Nul ne le sait. C’est la toute première fois que les deux musiciennes se produisent en France. Au commencement, quelques visages crispés. Qu’est-ce donc que cette flûte au son quelque peu déroutant ? C’est une sorte de crissement, presque désagréable. Un son qui s’harmonise peu avec les cordes pincées de cette sorte de harpe appelée gayageum. Soudain, le temps est comme suspendu. Car suit une ballade chantée en coréen pour une balade contemplative. Folk, rock alternatif, space music… Harold Budd ne serait-il pas dans la salle par hasard ? Il y a bel et bien harmonie. Des scintillements aussi. Parfois, le morceau se veut annonciateur de quelque chose d’apocalyptique, d’inquiétant et de mystérieux.
Duel entre instrumentistes fusionnelles. Elles semblent nous conduire vers un inconnu où la sérénité est reine. D’ailleurs, Jungmin Seo semble prier, en pleine méditation. Les yeux fermés, elle pince les cordes comme si elle mettait en mouvement l’intérieur de son propre organisme. La chair qui s’ébranle un brin avant de se figer afin que l’esprit ne rejoigne le grand néant. Morbide ? Pas le moins du monde. Plutôt merveilleusement transcendant. Et puis, cet instrument à vent aux milles tuyaux. “Bizarre”, chuchote un spectateur. Jiha Park le manie avec grâce et se laisse emporter par son propre souffle. Un son entre la cornemuse et l’accordéon. Il y a fort à parier que Vincent Peirani a tendu l’oreille. Nous nous retrouvons finalement sous le charme des deux instrumentistes, cheffes d’orchestre d’une musique hypnotique. “Nos instruments sont traditionnels et coréens mais nous ne jouons pas de musique traditionnelle”, nous confie Jiha Park à la fin de leur prestation. Qu’était-ce donc alors ?
Les courts-métrages de Vincent Peirani Quintet
“C’est extraordinaire !”. Celle qui s’exclame de la sorte doit bien avoir 70 ans passés. Et tout, comme moi, il lui a été difficile de ne pas bondir de son siège. C’est qu’entre un accordéon qui groove, une batterie frénétique, un Fender Rhodes tout en distorsions psychédéliques, un saxophone en furie, une basse électrisante à souhait et des jeux de lumières éblouissants, il est bien difficile de rester stoïque. C’est une création, née à Coutances même, autour du “Living Being” de Vincent Peirani et ses quatre acolytes. L’accordéoniste aux pieds nus s’attache à explorer la dimension cinématographique du disque avec une mise en scène chargée en flashs que l’on croirait inspirée d’une rave party. Il est certain qu’il y en a eu des visions même si, à l’origine, ces visions devaient nous être suggérées par les images du vidéaste Laurent Gaschet, qui, malencontreusement, manque à l’appel. Un aléa sans grande importance au final…
Entre chaque morceau, le noir complet. Et entre ces chutes de rideaux, un spectacle quasi-monumental. C’est volcanique et ça se joue entre ombres et lumières. Tony Paeleman est au Fender Rhodes, ouvre l’espace, et permet l’installation de cette atmosphère électrique (également portée par le bassiste Julien Herné), met en lumière “les doutes et les angoisses sans regrets”, confie Peirani, que dépeignent, parmi d’autres émotions, les morceaux de “Living Being”. À la batterie, Yoann Serra tient l’ensemble, de façon ingénieuse, avec une densité fulgurante et implacable. À l’électro, s’ajoute donc la pop. Structure architectural, pyramidale même, car, au sommet, il y a cet éternel duo, toujours en parfaite symbiose : le saxophoniste-danseur Émile Parisien, au souffle arabisant, et, enfin Vincent Peirani, accordéon en main, improvisateur bluffant qui distille de parfaits traits d’humour. Après un tel concert, également imprégné d’électro house, on est tenté de s’en jeter un petit à plus de 40 degrés. Pour ma pomme, un verre de cidre fera l’affaire.
MERCREDI 4 MAI. Là ou l’on comprend que JSLP est bien plus qu’un festival… C’est aussi l’histoire d’une grande famille, qui, chaque année, se retrouve pour une semaine où Coutances change un brin de visage pour le plaisir de tous, me confient deux bénévoles visiblement passionnés. Dans cette famille, on retrouve une certaine Dee Dee Bridgewater, qui a sonné le gong pour une virée direction Congo Square. Christian Scott n’est pas en reste même si, lui, ce soir, il “étire sa musique”. Enfin, pour apaiser un brin l’excitation induite par l’explosion cuivrée de ce hipster de la trompette, rien ne vaut la voix rocailleuse et bleutée de Hugh Coltman qui, avec son flegme dandyesque, puise, avec brio, dans le répertoire de Nat King Cole.
Dee Dee, Irving Mayfield & The New Orleans 7
Dee Dee Bridgewater était très attendue. Celle qui porte Coutances dans son cœur, a choisi de partager avec le public les morceaux à l’esprit orléanesque de son dernier disque : “Dee Dee’s Feathers”. Le trompettiste Irvin Mayfield est donc de la partie. Pas diva pour un sou, somptueuse dans sa robe lilas bleu, elle assure le spectacle et titille l’équipe de musiciens qui l’entourent. Elle revêt son costume d’actrice de Broadway, tout en jouant sur des performances scéniques à couper le souffle. Charismatique et joueuse, elle chante l’amour, la séduction, la joie et la chaleur d’une ville qui ne nous semble plus si loin : la Nouvelle-Orléans. Oublions un brin Katrina. Cette ville n’a rien perdu de sa parure de cuivre. En témoignent des solos bienheureux de trompette et saxophone, entrecoupés de silences de soulagement quant à l’ambiance de fête qui se propage dans la salle Marcel-Hélie. Nous remercierons Coutances pour cet instant de magie, car je suis finalement en mesure de faire croire que j’ai un jour mis les pieds à la Nouvelle-Orléans.
La “stretch music” de Christian Scott
En parlant de New Orleans, le trompettiste Christian Scott aTunde Adjuah est également au programme. Peu avant de monter sur scène, il retrouve Dee Dee Bridgewater. Cette dernière le serre fort dans ses bras, tel un fils, et le questionne, en se moquant gentiment, sur son look. Un look de rappeur-hipster. Et le reste de son quintet n’est pas en reste. S’il s’est déplacé l’après-midi dans les rues de Coutances avec son t-shirt gris représentant la pochette du disque “Revolver” des Beatles, on le retrouve cette fois, tout en noir, avec une pointe de couleur : celle de la pochette du disque “Blood” de Lianne La Havas. Gageons que ces deux-là vont bientôt nous enregistrer quelque chose ensemble.
“À mon avis, c’est un peu électrique. Ils sont comme ça les jeunes du jazz”, entend-on dans l’auditoire. Tournée de boules Quies. “Il paraît que ça va taper fort, déjà hier…”. “Moi, comme je joue de la trompette, je suis habitué”. “Si c’était Ibrahim Maalouf, on n’aurait pas besoin de se protéger les oreilles”. Ou Airelle Besson, trompettiste star de Coutances, continue une autre spectatrice. Le quintet de Christian Scott est donc attendu avec une certaine appréhension. Eh bien, ces commentateurs avant l’heure ne s’y sont pas trompés. La “stretch music” de Scott est furieuse, enragée et indomptable. Après deux morceaux, où le hip-hop se fait clairement entendre, car Scott rappe bel et bien avec sa trompette, le musicien lance avec un bagout qui confirme son charisme : “À Londres, on a appelé ma musique du gangsta jazz, et, franchement, le gangsta jazz, je ne sais pas ce que c’est. Moi, je fais de la stretch music”.
Vingt ans qu’il joue avec le contrebassiste Luques Curtis et le batteur Corey Fonville. Il présente également le pianiste français Tony Tixier, qui a quitté Paris (et le Babilo !) pour New-York et le saxophoniste Logan Richardson, celui qui ne sourit jamais, et avec qui il avait enregistré ce “Cover Art” au sein d’une formation de jeunes musiciens dénommée « Next Collective » il y a bien trois ans. Voilà un quintet où la complicité entre le trompettiste et le batteur se joue indéniablement sur scène. Scott lâche très rarement Fonville des yeux. D’ailleurs, ce batteur est un prodigieux coloriste sur lequel Christian Scott s’appuie à la moindre note.
Au saxophone, Logan Richardson se veut passionné et romantique, raisons pour lesquels Christian Scott a d’ailleurs fait appel à lui. À travers cette “musique étirée”, Christian Scott cultive son héritage multiculturel, entre ses racines afro-américaines et amérindiennes, pétri de revendications sociales admirablement retranscrites. Coolitude et branchitude cachent des riffs de révolte et de blues, un son brut et farouche qui finissent par venir à bout de certains spectateurs, sans doute trop sensibles et peu au fait de la portée historico-sociologique de titres tels que The Last Chieftain. Pour ma part, je m’incline. Un live brillant et sans fard !
Hugh Coltman et Nat King Cole
Ambiance intimiste et violacée au Magic Mirrors, ce chapiteau aux allures de cabaret. Le parfait décor pour le concert de Hugh Coltman. Accompagné par Thomas Naim (g), Gaël Rakotondrabe (p), Raphaël Chassin (dm) et un contrebassiste que nous n’avons pas reconnu (on doute fort qu’il s’agisse de Christophe Minck, car où est passé sa chevelure ?), il reprend quelques chansons du répertoire de Nat King Cole. Elles sonnent rock, elles sonnent blues. Le public anticipe les titres de morceaux quand Coltman se laisse aller à leur genèse. Le public, sous le charme, fredonne. Au fond, une danseuse. Le chanteur offre là une dernière occasion de se laisser aller à l’extase, une dernière fois, après une journée ponctuée de coups d’éclats salvateurs.
Katia Touré |Deux jours à garder les yeux presque clos, éblouis par les voix qui s’enchaînent et les voies qui se tracent. Celles d’un ensemble de sonorités qui s’entremêlent, d’harmonies qui s’effleurent, d’improvisations qui riment, à tel point que le jazz n’est plus seulement musique. C’est un esprit qui, paisiblement, plane au-dessus des pommiers.
MARDI 3 MAI. Tandis que la voix volcanique et soulfureuse de Betty Lavette fait sans doute trembler les murs de la salle Marcel-Hélie – avant que le bluesman Taj Mahal ne prenne possession des lieux – j’opte pour une soirée portée par deux prestations inédites au Théâtre Municipal de Coutances. Incipit aérien avec le duo coréen [Su:m] (prononcez “Soum”) avant la mise en place de l’intrigue assurée par le quintet de Vincent Peirani. Ce dernier réinterprète le répertoire du disque “Living Being” avec visions à l’appui…
[Su:m] ou l’hypnotisme coréen
“Prenez le temps, laissez-vous porter par leur musique”, nous prévient-on. L’une est vêtue de blanc, Jiha Park, et l’autre de noir, Jungmin Seo. Minutieuse préparation avant le premier morceau. L’ensemble de leurs instruments nous est inconnu. À quoi doit-on s’attendre ? Nul ne le sait. C’est la toute première fois que les deux musiciennes se produisent en France. Au commencement, quelques visages crispés. Qu’est-ce donc que cette flûte au son quelque peu déroutant ? C’est une sorte de crissement, presque désagréable. Un son qui s’harmonise peu avec les cordes pincées de cette sorte de harpe appelée gayageum. Soudain, le temps est comme suspendu. Car suit une ballade chantée en coréen pour une balade contemplative. Folk, rock alternatif, space music… Harold Budd ne serait-il pas dans la salle par hasard ? Il y a bel et bien harmonie. Des scintillements aussi. Parfois, le morceau se veut annonciateur de quelque chose d’apocalyptique, d’inquiétant et de mystérieux.
Duel entre instrumentistes fusionnelles. Elles semblent nous conduire vers un inconnu où la sérénité est reine. D’ailleurs, Jungmin Seo semble prier, en pleine méditation. Les yeux fermés, elle pince les cordes comme si elle mettait en mouvement l’intérieur de son propre organisme. La chair qui s’ébranle un brin avant de se figer afin que l’esprit ne rejoigne le grand néant. Morbide ? Pas le moins du monde. Plutôt merveilleusement transcendant. Et puis, cet instrument à vent aux milles tuyaux. “Bizarre”, chuchote un spectateur. Jiha Park le manie avec grâce et se laisse emporter par son propre souffle. Un son entre la cornemuse et l’accordéon. Il y a fort à parier que Vincent Peirani a tendu l’oreille. Nous nous retrouvons finalement sous le charme des deux instrumentistes, cheffes d’orchestre d’une musique hypnotique. “Nos instruments sont traditionnels et coréens mais nous ne jouons pas de musique traditionnelle”, nous confie Jiha Park à la fin de leur prestation. Qu’était-ce donc alors ?
Les courts-métrages de Vincent Peirani Quintet
“C’est extraordinaire !”. Celle qui s’exclame de la sorte doit bien avoir 70 ans passés. Et tout, comme moi, il lui a été difficile de ne pas bondir de son siège. C’est qu’entre un accordéon qui groove, une batterie frénétique, un Fender Rhodes tout en distorsions psychédéliques, un saxophone en furie, une basse électrisante à souhait et des jeux de lumières éblouissants, il est bien difficile de rester stoïque. C’est une création, née à Coutances même, autour du “Living Being” de Vincent Peirani et ses quatre acolytes. L’accordéoniste aux pieds nus s’attache à explorer la dimension cinématographique du disque avec une mise en scène chargée en flashs que l’on croirait inspirée d’une rave party. Il est certain qu’il y en a eu des visions même si, à l’origine, ces visions devaient nous être suggérées par les images du vidéaste Laurent Gaschet, qui, malencontreusement, manque à l’appel. Un aléa sans grande importance au final…
Entre chaque morceau, le noir complet. Et entre ces chutes de rideaux, un spectacle quasi-monumental. C’est volcanique et ça se joue entre ombres et lumières. Tony Paeleman est au Fender Rhodes, ouvre l’espace, et permet l’installation de cette atmosphère électrique (également portée par le bassiste Julien Herné), met en lumière “les doutes et les angoisses sans regrets”, confie Peirani, que dépeignent, parmi d’autres émotions, les morceaux de “Living Being”. À la batterie, Yoann Serra tient l’ensemble, de façon ingénieuse, avec une densité fulgurante et implacable. À l’électro, s’ajoute donc la pop. Structure architectural, pyramidale même, car, au sommet, il y a cet éternel duo, toujours en parfaite symbiose : le saxophoniste-danseur Émile Parisien, au souffle arabisant, et, enfin Vincent Peirani, accordéon en main, improvisateur bluffant qui distille de parfaits traits d’humour. Après un tel concert, également imprégné d’électro house, on est tenté de s’en jeter un petit à plus de 40 degrés. Pour ma pomme, un verre de cidre fera l’affaire.
MERCREDI 4 MAI. Là ou l’on comprend que JSLP est bien plus qu’un festival… C’est aussi l’histoire d’une grande famille, qui, chaque année, se retrouve pour une semaine où Coutances change un brin de visage pour le plaisir de tous, me confient deux bénévoles visiblement passionnés. Dans cette famille, on retrouve une certaine Dee Dee Bridgewater, qui a sonné le gong pour une virée direction Congo Square. Christian Scott n’est pas en reste même si, lui, ce soir, il “étire sa musique”. Enfin, pour apaiser un brin l’excitation induite par l’explosion cuivrée de ce hipster de la trompette, rien ne vaut la voix rocailleuse et bleutée de Hugh Coltman qui, avec son flegme dandyesque, puise, avec brio, dans le répertoire de Nat King Cole.
Dee Dee, Irving Mayfield & The New Orleans 7
Dee Dee Bridgewater était très attendue. Celle qui porte Coutances dans son cœur, a choisi de partager avec le public les morceaux à l’esprit orléanesque de son dernier disque : “Dee Dee’s Feathers”. Le trompettiste Irvin Mayfield est donc de la partie. Pas diva pour un sou, somptueuse dans sa robe lilas bleu, elle assure le spectacle et titille l’équipe de musiciens qui l’entourent. Elle revêt son costume d’actrice de Broadway, tout en jouant sur des performances scéniques à couper le souffle. Charismatique et joueuse, elle chante l’amour, la séduction, la joie et la chaleur d’une ville qui ne nous semble plus si loin : la Nouvelle-Orléans. Oublions un brin Katrina. Cette ville n’a rien perdu de sa parure de cuivre. En témoignent des solos bienheureux de trompette et saxophone, entrecoupés de silences de soulagement quant à l’ambiance de fête qui se propage dans la salle Marcel-Hélie. Nous remercierons Coutances pour cet instant de magie, car je suis finalement en mesure de faire croire que j’ai un jour mis les pieds à la Nouvelle-Orléans.
La “stretch music” de Christian Scott
En parlant de New Orleans, le trompettiste Christian Scott aTunde Adjuah est également au programme. Peu avant de monter sur scène, il retrouve Dee Dee Bridgewater. Cette dernière le serre fort dans ses bras, tel un fils, et le questionne, en se moquant gentiment, sur son look. Un look de rappeur-hipster. Et le reste de son quintet n’est pas en reste. S’il s’est déplacé l’après-midi dans les rues de Coutances avec son t-shirt gris représentant la pochette du disque “Revolver” des Beatles, on le retrouve cette fois, tout en noir, avec une pointe de couleur : celle de la pochette du disque “Blood” de Lianne La Havas. Gageons que ces deux-là vont bientôt nous enregistrer quelque chose ensemble.
“À mon avis, c’est un peu électrique. Ils sont comme ça les jeunes du jazz”, entend-on dans l’auditoire. Tournée de boules Quies. “Il paraît que ça va taper fort, déjà hier…”. “Moi, comme je joue de la trompette, je suis habitué”. “Si c’était Ibrahim Maalouf, on n’aurait pas besoin de se protéger les oreilles”. Ou Airelle Besson, trompettiste star de Coutances, continue une autre spectatrice. Le quintet de Christian Scott est donc attendu avec une certaine appréhension. Eh bien, ces commentateurs avant l’heure ne s’y sont pas trompés. La “stretch music” de Scott est furieuse, enragée et indomptable. Après deux morceaux, où le hip-hop se fait clairement entendre, car Scott rappe bel et bien avec sa trompette, le musicien lance avec un bagout qui confirme son charisme : “À Londres, on a appelé ma musique du gangsta jazz, et, franchement, le gangsta jazz, je ne sais pas ce que c’est. Moi, je fais de la stretch music”.
Vingt ans qu’il joue avec le contrebassiste Luques Curtis et le batteur Corey Fonville. Il présente également le pianiste français Tony Tixier, qui a quitté Paris (et le Babilo !) pour New-York et le saxophoniste Logan Richardson, celui qui ne sourit jamais, et avec qui il avait enregistré ce “Cover Art” au sein d’une formation de jeunes musiciens dénommée « Next Collective » il y a bien trois ans. Voilà un quintet où la complicité entre le trompettiste et le batteur se joue indéniablement sur scène. Scott lâche très rarement Fonville des yeux. D’ailleurs, ce batteur est un prodigieux coloriste sur lequel Christian Scott s’appuie à la moindre note.
Au saxophone, Logan Richardson se veut passionné et romantique, raisons pour lesquels Christian Scott a d’ailleurs fait appel à lui. À travers cette “musique étirée”, Christian Scott cultive son héritage multiculturel, entre ses racines afro-américaines et amérindiennes, pétri de revendications sociales admirablement retranscrites. Coolitude et branchitude cachent des riffs de révolte et de blues, un son brut et farouche qui finissent par venir à bout de certains spectateurs, sans doute trop sensibles et peu au fait de la portée historico-sociologique de titres tels que The Last Chieftain. Pour ma part, je m’incline. Un live brillant et sans fard !
Hugh Coltman et Nat King Cole
Ambiance intimiste et violacée au Magic Mirrors, ce chapiteau aux allures de cabaret. Le parfait décor pour le concert de Hugh Coltman. Accompagné par Thomas Naim (g), Gaël Rakotondrabe (p), Raphaël Chassin (dm) et un contrebassiste que nous n’avons pas reconnu (on doute fort qu’il s’agisse de Christophe Minck, car où est passé sa chevelure ?), il reprend quelques chansons du répertoire de Nat King Cole. Elles sonnent rock, elles sonnent blues. Le public anticipe les titres de morceaux quand Coltman se laisse aller à leur genèse. Le public, sous le charme, fredonne. Au fond, une danseuse. Le chanteur offre là une dernière occasion de se laisser aller à l’extase, une dernière fois, après une journée ponctuée de coups d’éclats salvateurs.
Katia Touré |Deux jours à garder les yeux presque clos, éblouis par les voix qui s’enchaînent et les voies qui se tracent. Celles d’un ensemble de sonorités qui s’entremêlent, d’harmonies qui s’effleurent, d’improvisations qui riment, à tel point que le jazz n’est plus seulement musique. C’est un esprit qui, paisiblement, plane au-dessus des pommiers.
MARDI 3 MAI. Tandis que la voix volcanique et soulfureuse de Betty Lavette fait sans doute trembler les murs de la salle Marcel-Hélie – avant que le bluesman Taj Mahal ne prenne possession des lieux – j’opte pour une soirée portée par deux prestations inédites au Théâtre Municipal de Coutances. Incipit aérien avec le duo coréen [Su:m] (prononcez “Soum”) avant la mise en place de l’intrigue assurée par le quintet de Vincent Peirani. Ce dernier réinterprète le répertoire du disque “Living Being” avec visions à l’appui…
[Su:m] ou l’hypnotisme coréen
“Prenez le temps, laissez-vous porter par leur musique”, nous prévient-on. L’une est vêtue de blanc, Jiha Park, et l’autre de noir, Jungmin Seo. Minutieuse préparation avant le premier morceau. L’ensemble de leurs instruments nous est inconnu. À quoi doit-on s’attendre ? Nul ne le sait. C’est la toute première fois que les deux musiciennes se produisent en France. Au commencement, quelques visages crispés. Qu’est-ce donc que cette flûte au son quelque peu déroutant ? C’est une sorte de crissement, presque désagréable. Un son qui s’harmonise peu avec les cordes pincées de cette sorte de harpe appelée gayageum. Soudain, le temps est comme suspendu. Car suit une ballade chantée en coréen pour une balade contemplative. Folk, rock alternatif, space music… Harold Budd ne serait-il pas dans la salle par hasard ? Il y a bel et bien harmonie. Des scintillements aussi. Parfois, le morceau se veut annonciateur de quelque chose d’apocalyptique, d’inquiétant et de mystérieux.
Duel entre instrumentistes fusionnelles. Elles semblent nous conduire vers un inconnu où la sérénité est reine. D’ailleurs, Jungmin Seo semble prier, en pleine méditation. Les yeux fermés, elle pince les cordes comme si elle mettait en mouvement l’intérieur de son propre organisme. La chair qui s’ébranle un brin avant de se figer afin que l’esprit ne rejoigne le grand néant. Morbide ? Pas le moins du monde. Plutôt merveilleusement transcendant. Et puis, cet instrument à vent aux milles tuyaux. “Bizarre”, chuchote un spectateur. Jiha Park le manie avec grâce et se laisse emporter par son propre souffle. Un son entre la cornemuse et l’accordéon. Il y a fort à parier que Vincent Peirani a tendu l’oreille. Nous nous retrouvons finalement sous le charme des deux instrumentistes, cheffes d’orchestre d’une musique hypnotique. “Nos instruments sont traditionnels et coréens mais nous ne jouons pas de musique traditionnelle”, nous confie Jiha Park à la fin de leur prestation. Qu’était-ce donc alors ?
Les courts-métrages de Vincent Peirani Quintet
“C’est extraordinaire !”. Celle qui s’exclame de la sorte doit bien avoir 70 ans passés. Et tout, comme moi, il lui a été difficile de ne pas bondir de son siège. C’est qu’entre un accordéon qui groove, une batterie frénétique, un Fender Rhodes tout en distorsions psychédéliques, un saxophone en furie, une basse électrisante à souhait et des jeux de lumières éblouissants, il est bien difficile de rester stoïque. C’est une création, née à Coutances même, autour du “Living Being” de Vincent Peirani et ses quatre acolytes. L’accordéoniste aux pieds nus s’attache à explorer la dimension cinématographique du disque avec une mise en scène chargée en flashs que l’on croirait inspirée d’une rave party. Il est certain qu’il y en a eu des visions même si, à l’origine, ces visions devaient nous être suggérées par les images du vidéaste Laurent Gaschet, qui, malencontreusement, manque à l’appel. Un aléa sans grande importance au final…
Entre chaque morceau, le noir complet. Et entre ces chutes de rideaux, un spectacle quasi-monumental. C’est volcanique et ça se joue entre ombres et lumières. Tony Paeleman est au Fender Rhodes, ouvre l’espace, et permet l’installation de cette atmosphère électrique (également portée par le bassiste Julien Herné), met en lumière “les doutes et les angoisses sans regrets”, confie Peirani, que dépeignent, parmi d’autres émotions, les morceaux de “Living Being”. À la batterie, Yoann Serra tient l’ensemble, de façon ingénieuse, avec une densité fulgurante et implacable. À l’électro, s’ajoute donc la pop. Structure architectural, pyramidale même, car, au sommet, il y a cet éternel duo, toujours en parfaite symbiose : le saxophoniste-danseur Émile Parisien, au souffle arabisant, et, enfin Vincent Peirani, accordéon en main, improvisateur bluffant qui distille de parfaits traits d’humour. Après un tel concert, également imprégné d’électro house, on est tenté de s’en jeter un petit à plus de 40 degrés. Pour ma pomme, un verre de cidre fera l’affaire.
MERCREDI 4 MAI. Là ou l’on comprend que JSLP est bien plus qu’un festival… C’est aussi l’histoire d’une grande famille, qui, chaque année, se retrouve pour une semaine où Coutances change un brin de visage pour le plaisir de tous, me confient deux bénévoles visiblement passionnés. Dans cette famille, on retrouve une certaine Dee Dee Bridgewater, qui a sonné le gong pour une virée direction Congo Square. Christian Scott n’est pas en reste même si, lui, ce soir, il “étire sa musique”. Enfin, pour apaiser un brin l’excitation induite par l’explosion cuivrée de ce hipster de la trompette, rien ne vaut la voix rocailleuse et bleutée de Hugh Coltman qui, avec son flegme dandyesque, puise, avec brio, dans le répertoire de Nat King Cole.
Dee Dee, Irving Mayfield & The New Orleans 7
Dee Dee Bridgewater était très attendue. Celle qui porte Coutances dans son cœur, a choisi de partager avec le public les morceaux à l’esprit orléanesque de son dernier disque : “Dee Dee’s Feathers”. Le trompettiste Irvin Mayfield est donc de la partie. Pas diva pour un sou, somptueuse dans sa robe lilas bleu, elle assure le spectacle et titille l’équipe de musiciens qui l’entourent. Elle revêt son costume d’actrice de Broadway, tout en jouant sur des performances scéniques à couper le souffle. Charismatique et joueuse, elle chante l’amour, la séduction, la joie et la chaleur d’une ville qui ne nous semble plus si loin : la Nouvelle-Orléans. Oublions un brin Katrina. Cette ville n’a rien perdu de sa parure de cuivre. En témoignent des solos bienheureux de trompette et saxophone, entrecoupés de silences de soulagement quant à l’ambiance de fête qui se propage dans la salle Marcel-Hélie. Nous remercierons Coutances pour cet instant de magie, car je suis finalement en mesure de faire croire que j’ai un jour mis les pieds à la Nouvelle-Orléans.
La “stretch music” de Christian Scott
En parlant de New Orleans, le trompettiste Christian Scott aTunde Adjuah est également au programme. Peu avant de monter sur scène, il retrouve Dee Dee Bridgewater. Cette dernière le serre fort dans ses bras, tel un fils, et le questionne, en se moquant gentiment, sur son look. Un look de rappeur-hipster. Et le reste de son quintet n’est pas en reste. S’il s’est déplacé l’après-midi dans les rues de Coutances avec son t-shirt gris représentant la pochette du disque “Revolver” des Beatles, on le retrouve cette fois, tout en noir, avec une pointe de couleur : celle de la pochette du disque “Blood” de Lianne La Havas. Gageons que ces deux-là vont bientôt nous enregistrer quelque chose ensemble.
“À mon avis, c’est un peu électrique. Ils sont comme ça les jeunes du jazz”, entend-on dans l’auditoire. Tournée de boules Quies. “Il paraît que ça va taper fort, déjà hier…”. “Moi, comme je joue de la trompette, je suis habitué”. “Si c’était Ibrahim Maalouf, on n’aurait pas besoin de se protéger les oreilles”. Ou Airelle Besson, trompettiste star de Coutances, continue une autre spectatrice. Le quintet de Christian Scott est donc attendu avec une certaine appréhension. Eh bien, ces commentateurs avant l’heure ne s’y sont pas trompés. La “stretch music” de Scott est furieuse, enragée et indomptable. Après deux morceaux, où le hip-hop se fait clairement entendre, car Scott rappe bel et bien avec sa trompette, le musicien lance avec un bagout qui confirme son charisme : “À Londres, on a appelé ma musique du gangsta jazz, et, franchement, le gangsta jazz, je ne sais pas ce que c’est. Moi, je fais de la stretch music”.
Vingt ans qu’il joue avec le contrebassiste Luques Curtis et le batteur Corey Fonville. Il présente également le pianiste français Tony Tixier, qui a quitté Paris (et le Babilo !) pour New-York et le saxophoniste Logan Richardson, celui qui ne sourit jamais, et avec qui il avait enregistré ce “Cover Art” au sein d’une formation de jeunes musiciens dénommée « Next Collective » il y a bien trois ans. Voilà un quintet où la complicité entre le trompettiste et le batteur se joue indéniablement sur scène. Scott lâche très rarement Fonville des yeux. D’ailleurs, ce batteur est un prodigieux coloriste sur lequel Christian Scott s’appuie à la moindre note.
Au saxophone, Logan Richardson se veut passionné et romantique, raisons pour lesquels Christian Scott a d’ailleurs fait appel à lui. À travers cette “musique étirée”, Christian Scott cultive son héritage multiculturel, entre ses racines afro-américaines et amérindiennes, pétri de revendications sociales admirablement retranscrites. Coolitude et branchitude cachent des riffs de révolte et de blues, un son brut et farouche qui finissent par venir à bout de certains spectateurs, sans doute trop sensibles et peu au fait de la portée historico-sociologique de titres tels que The Last Chieftain. Pour ma part, je m’incline. Un live brillant et sans fard !
Hugh Coltman et Nat King Cole
Ambiance intimiste et violacée au Magic Mirrors, ce chapiteau aux allures de cabaret. Le parfait décor pour le concert de Hugh Coltman. Accompagné par Thomas Naim (g), Gaël Rakotondrabe (p), Raphaël Chassin (dm) et un contrebassiste que nous n’avons pas reconnu (on doute fort qu’il s’agisse de Christophe Minck, car où est passé sa chevelure ?), il reprend quelques chansons du répertoire de Nat King Cole. Elles sonnent rock, elles sonnent blues. Le public anticipe les titres de morceaux quand Coltman se laisse aller à leur genèse. Le public, sous le charme, fredonne. Au fond, une danseuse. Le chanteur offre là une dernière occasion de se laisser aller à l’extase, une dernière fois, après une journée ponctuée de coups d’éclats salvateurs.
Katia Touré |Deux jours à garder les yeux presque clos, éblouis par les voix qui s’enchaînent et les voies qui se tracent. Celles d’un ensemble de sonorités qui s’entremêlent, d’harmonies qui s’effleurent, d’improvisations qui riment, à tel point que le jazz n’est plus seulement musique. C’est un esprit qui, paisiblement, plane au-dessus des pommiers.
MARDI 3 MAI. Tandis que la voix volcanique et soulfureuse de Betty Lavette fait sans doute trembler les murs de la salle Marcel-Hélie – avant que le bluesman Taj Mahal ne prenne possession des lieux – j’opte pour une soirée portée par deux prestations inédites au Théâtre Municipal de Coutances. Incipit aérien avec le duo coréen [Su:m] (prononcez “Soum”) avant la mise en place de l’intrigue assurée par le quintet de Vincent Peirani. Ce dernier réinterprète le répertoire du disque “Living Being” avec visions à l’appui…
[Su:m] ou l’hypnotisme coréen
“Prenez le temps, laissez-vous porter par leur musique”, nous prévient-on. L’une est vêtue de blanc, Jiha Park, et l’autre de noir, Jungmin Seo. Minutieuse préparation avant le premier morceau. L’ensemble de leurs instruments nous est inconnu. À quoi doit-on s’attendre ? Nul ne le sait. C’est la toute première fois que les deux musiciennes se produisent en France. Au commencement, quelques visages crispés. Qu’est-ce donc que cette flûte au son quelque peu déroutant ? C’est une sorte de crissement, presque désagréable. Un son qui s’harmonise peu avec les cordes pincées de cette sorte de harpe appelée gayageum. Soudain, le temps est comme suspendu. Car suit une ballade chantée en coréen pour une balade contemplative. Folk, rock alternatif, space music… Harold Budd ne serait-il pas dans la salle par hasard ? Il y a bel et bien harmonie. Des scintillements aussi. Parfois, le morceau se veut annonciateur de quelque chose d’apocalyptique, d’inquiétant et de mystérieux.
Duel entre instrumentistes fusionnelles. Elles semblent nous conduire vers un inconnu où la sérénité est reine. D’ailleurs, Jungmin Seo semble prier, en pleine méditation. Les yeux fermés, elle pince les cordes comme si elle mettait en mouvement l’intérieur de son propre organisme. La chair qui s’ébranle un brin avant de se figer afin que l’esprit ne rejoigne le grand néant. Morbide ? Pas le moins du monde. Plutôt merveilleusement transcendant. Et puis, cet instrument à vent aux milles tuyaux. “Bizarre”, chuchote un spectateur. Jiha Park le manie avec grâce et se laisse emporter par son propre souffle. Un son entre la cornemuse et l’accordéon. Il y a fort à parier que Vincent Peirani a tendu l’oreille. Nous nous retrouvons finalement sous le charme des deux instrumentistes, cheffes d’orchestre d’une musique hypnotique. “Nos instruments sont traditionnels et coréens mais nous ne jouons pas de musique traditionnelle”, nous confie Jiha Park à la fin de leur prestation. Qu’était-ce donc alors ?
Les courts-métrages de Vincent Peirani Quintet
“C’est extraordinaire !”. Celle qui s’exclame de la sorte doit bien avoir 70 ans passés. Et tout, comme moi, il lui a été difficile de ne pas bondir de son siège. C’est qu’entre un accordéon qui groove, une batterie frénétique, un Fender Rhodes tout en distorsions psychédéliques, un saxophone en furie, une basse électrisante à souhait et des jeux de lumières éblouissants, il est bien difficile de rester stoïque. C’est une création, née à Coutances même, autour du “Living Being” de Vincent Peirani et ses quatre acolytes. L’accordéoniste aux pieds nus s’attache à explorer la dimension cinématographique du disque avec une mise en scène chargée en flashs que l’on croirait inspirée d’une rave party. Il est certain qu’il y en a eu des visions même si, à l’origine, ces visions devaient nous être suggérées par les images du vidéaste Laurent Gaschet, qui, malencontreusement, manque à l’appel. Un aléa sans grande importance au final…
Entre chaque morceau, le noir complet. Et entre ces chutes de rideaux, un spectacle quasi-monumental. C’est volcanique et ça se joue entre ombres et lumières. Tony Paeleman est au Fender Rhodes, ouvre l’espace, et permet l’installation de cette atmosphère électrique (également portée par le bassiste Julien Herné), met en lumière “les doutes et les angoisses sans regrets”, confie Peirani, que dépeignent, parmi d’autres émotions, les morceaux de “Living Being”. À la batterie, Yoann Serra tient l’ensemble, de façon ingénieuse, avec une densité fulgurante et implacable. À l’électro, s’ajoute donc la pop. Structure architectural, pyramidale même, car, au sommet, il y a cet éternel duo, toujours en parfaite symbiose : le saxophoniste-danseur Émile Parisien, au souffle arabisant, et, enfin Vincent Peirani, accordéon en main, improvisateur bluffant qui distille de parfaits traits d’humour. Après un tel concert, également imprégné d’électro house, on est tenté de s’en jeter un petit à plus de 40 degrés. Pour ma pomme, un verre de cidre fera l’affaire.
MERCREDI 4 MAI. Là ou l’on comprend que JSLP est bien plus qu’un festival… C’est aussi l’histoire d’une grande famille, qui, chaque année, se retrouve pour une semaine où Coutances change un brin de visage pour le plaisir de tous, me confient deux bénévoles visiblement passionnés. Dans cette famille, on retrouve une certaine Dee Dee Bridgewater, qui a sonné le gong pour une virée direction Congo Square. Christian Scott n’est pas en reste même si, lui, ce soir, il “étire sa musique”. Enfin, pour apaiser un brin l’excitation induite par l’explosion cuivrée de ce hipster de la trompette, rien ne vaut la voix rocailleuse et bleutée de Hugh Coltman qui, avec son flegme dandyesque, puise, avec brio, dans le répertoire de Nat King Cole.
Dee Dee, Irving Mayfield & The New Orleans 7
Dee Dee Bridgewater était très attendue. Celle qui porte Coutances dans son cœur, a choisi de partager avec le public les morceaux à l’esprit orléanesque de son dernier disque : “Dee Dee’s Feathers”. Le trompettiste Irvin Mayfield est donc de la partie. Pas diva pour un sou, somptueuse dans sa robe lilas bleu, elle assure le spectacle et titille l’équipe de musiciens qui l’entourent. Elle revêt son costume d’actrice de Broadway, tout en jouant sur des performances scéniques à couper le souffle. Charismatique et joueuse, elle chante l’amour, la séduction, la joie et la chaleur d’une ville qui ne nous semble plus si loin : la Nouvelle-Orléans. Oublions un brin Katrina. Cette ville n’a rien perdu de sa parure de cuivre. En témoignent des solos bienheureux de trompette et saxophone, entrecoupés de silences de soulagement quant à l’ambiance de fête qui se propage dans la salle Marcel-Hélie. Nous remercierons Coutances pour cet instant de magie, car je suis finalement en mesure de faire croire que j’ai un jour mis les pieds à la Nouvelle-Orléans.
La “stretch music” de Christian Scott
En parlant de New Orleans, le trompettiste Christian Scott aTunde Adjuah est également au programme. Peu avant de monter sur scène, il retrouve Dee Dee Bridgewater. Cette dernière le serre fort dans ses bras, tel un fils, et le questionne, en se moquant gentiment, sur son look. Un look de rappeur-hipster. Et le reste de son quintet n’est pas en reste. S’il s’est déplacé l’après-midi dans les rues de Coutances avec son t-shirt gris représentant la pochette du disque “Revolver” des Beatles, on le retrouve cette fois, tout en noir, avec une pointe de couleur : celle de la pochette du disque “Blood” de Lianne La Havas. Gageons que ces deux-là vont bientôt nous enregistrer quelque chose ensemble.
“À mon avis, c’est un peu électrique. Ils sont comme ça les jeunes du jazz”, entend-on dans l’auditoire. Tournée de boules Quies. “Il paraît que ça va taper fort, déjà hier…”. “Moi, comme je joue de la trompette, je suis habitué”. “Si c’était Ibrahim Maalouf, on n’aurait pas besoin de se protéger les oreilles”. Ou Airelle Besson, trompettiste star de Coutances, continue une autre spectatrice. Le quintet de Christian Scott est donc attendu avec une certaine appréhension. Eh bien, ces commentateurs avant l’heure ne s’y sont pas trompés. La “stretch music” de Scott est furieuse, enragée et indomptable. Après deux morceaux, où le hip-hop se fait clairement entendre, car Scott rappe bel et bien avec sa trompette, le musicien lance avec un bagout qui confirme son charisme : “À Londres, on a appelé ma musique du gangsta jazz, et, franchement, le gangsta jazz, je ne sais pas ce que c’est. Moi, je fais de la stretch music”.
Vingt ans qu’il joue avec le contrebassiste Luques Curtis et le batteur Corey Fonville. Il présente également le pianiste français Tony Tixier, qui a quitté Paris (et le Babilo !) pour New-York et le saxophoniste Logan Richardson, celui qui ne sourit jamais, et avec qui il avait enregistré ce “Cover Art” au sein d’une formation de jeunes musiciens dénommée « Next Collective » il y a bien trois ans. Voilà un quintet où la complicité entre le trompettiste et le batteur se joue indéniablement sur scène. Scott lâche très rarement Fonville des yeux. D’ailleurs, ce batteur est un prodigieux coloriste sur lequel Christian Scott s’appuie à la moindre note.
Au saxophone, Logan Richardson se veut passionné et romantique, raisons pour lesquels Christian Scott a d’ailleurs fait appel à lui. À travers cette “musique étirée”, Christian Scott cultive son héritage multiculturel, entre ses racines afro-américaines et amérindiennes, pétri de revendications sociales admirablement retranscrites. Coolitude et branchitude cachent des riffs de révolte et de blues, un son brut et farouche qui finissent par venir à bout de certains spectateurs, sans doute trop sensibles et peu au fait de la portée historico-sociologique de titres tels que The Last Chieftain. Pour ma part, je m’incline. Un live brillant et sans fard !
Hugh Coltman et Nat King Cole
Ambiance intimiste et violacée au Magic Mirrors, ce chapiteau aux allures de cabaret. Le parfait décor pour le concert de Hugh Coltman. Accompagné par Thomas Naim (g), Gaël Rakotondrabe (p), Raphaël Chassin (dm) et un contrebassiste que nous n’avons pas reconnu (on doute fort qu’il s’agisse de Christophe Minck, car où est passé sa chevelure ?), il reprend quelques chansons du répertoire de Nat King Cole. Elles sonnent rock, elles sonnent blues. Le public anticipe les titres de morceaux quand Coltman se laisse aller à leur genèse. Le public, sous le charme, fredonne. Au fond, une danseuse. Le chanteur offre là une dernière occasion de se laisser aller à l’extase, une dernière fois, après une journée ponctuée de coups d’éclats salvateurs.
Katia Touré