Jazz live
Publié le 28 Mai 2017

Jazz à Coutances : “Fables of Shwedagon”, les pérégrinations sphériques d’Anne Paceo

La création aux accents birmans d’Anne Paceo et ses acolytes a hypnotisé et galvanisé le public du théâtre de Coutances. De quoi en faire l’un des points d’orgue de cette semaine d’émois jazzistiques sous les pommiers.

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Ce fut une sorte d’expédition sereine et rêveuse. Une exploration dans plusieurs sphères : celle des fulgurances jazz-pop du quartet “Circles”, celle d’un orchestre ancestral birman, le Hsaing Waing, composant avec l’improvisation jazz, celle d’un quintette composant avec une rythmique traditionnelle toute particulière et enfin, celui d’une contrée inconnue où les tempos glissent, les harmonies virevoltent et nous enveloppent, où deux lieux de nature différente se frottent l’un contre l’autre puis s’entremêlent. Soit une contrée qui consacre la symbiose. “Fables of Shwedagon” n’avait rien de déconcertant. C’était une myriade d’instants suspendus dépourvus de tout exotisme. Aussi, la musique circulaire de cette création tenait de l’évidence…

Le suspense est à son comble quand les musiciens prennent place sur scène. Ils sont dix! Puis viennent les frissons, le souffle coupé et le cœur battant. Anne Paceo est derrière sa batterie. À sa droite, le contrebassiste Joan Eche-Puig, le saxophoniste Christophe Panzani, le guitariste Pierre Perchaud et le pianiste Leonardo Montana. Au premier plan, Hein Tint, leader de l’orchestre birman, et ses musiciens, dont la gestuelle et les instruments sont plus ou moins dissimulés par les petites portes en or disposées sur le devant de la scène. Il y a là cinq instruments : le Pat Waing (une vingtaine de tambours accordés placés de manière circulaire), le Maung Hzaing ( un ensemble de petits gongs), le Chauk Lone Pat ( sept gros tambours accordés), le Hne ( hautbois traditionnel) et le Siwa ( un duo clochette-woodblock). On réalise alors que l’on s’apprête à plonger dans une atmosphère qui relève du divin. C’est que ces instruments ne semblent pas avoir vocation à trop en dire, signe de majesté sans doute, protégés par leurs barrières dorés. Et les percussionnistes eux-mêmes inspirent une sorte de respect empreint de religiosité. Ils sont en tenue traditionnelle, peu communicatifs vis-à-vis du public. Ils sont là pour offrir un peu des vibrations de leur sanctuaire sans grandes démonstrations.

C’est avec le morceau Shwedagon, composition d’Anne Paceo, que commence l’aventure. Les musiciens birmans actionnent leurs instruments. Au début, le concert est encore en deux dimensions. Leonardo Montana, au piano, porte l’ensemble. Pierre Perchaud, à la guitare, s’applique à composer avec la rythmique des percussionnistes. C’est progressivement que ces derniers se font entendre. Bientôt, c’est un véritable jeu de questions-réponses qui se met en place. Celui entre la batterie et les percussions. Mais surtout, entre le souffleur Htun Oo, le joueur de hne, et Christophe Panzani, qui alterne soprano et tenor. C’est précis, épuré et éblouissant. Peu à peu, il n’y a plus qu’une seule dimension. Les frontières sont abolis. Christophe Panzani se montre véloce, magistral, comme transporté. Leonardo Montana mise sur l’aération et l’ouverture. Entre chaque morceau, les percussionnistes raccordent leurs instruments. L’occasion pour Anne Paceo de raconter la genèse de ses compositions d’inspiration birmane (ils reprennent notamment Myanmar Folk Song, titre de son album “Circles“), de nous faire sourire avec quelques anecdotes mais surtout de traduire le nom des morceaux qui s’inscrivent dans la tradition birmane comme La Jeune Fille ou alors certaines des compositions d’Hein Tint (Le Bateau Sur La Rivière).

Hein Tint et Joan Eche-Puig.

Hein Tint et Joan Eche-Puig.

 

Sur La Jeune Fille, mélodique à souhait, le prologue et l’épilogue sont signés par l’orchestre de Hein Tint. L’un des musiciens birmans chante d’une voix nasillarde. Et puis, à la contrebasse, Joan Eche-Puig, habité, improvise. Le souffleur birman, qu’Anne Paceo et ses compères appellent le John Coltrane du hne, improvise-t-il aussi ? Oui… Les mélodies sont scintillantes, méditatives. C’est un somptueux exercice d’équilibriste qui se joue. Le public applaudit à tout rompre, ne semble pas pouvoir s’arrêter. Les musiciens semblent glisser sur l’eau. C’est une suite de scènettes oniriques que nous suivons. Un conte qui se déroule avec grâce et lyrisme. L’ensemble est lumineux et solaire et cela, même quand une voûte céleste semble se former au-dessus de nos têtes, que la nuit semble tomber, au moment où Pierre Perchaud signe un remarquable solo sur une composition d’Hein Tint. Notons que l’instrument de ce dernier, le Pat Waing, sonne parfois comme un balafon…

Les musiciens birmans, taciturnes parce que cérémonieux, se détendent peu à peu. Hein Tint échange des regards et des sourires complices avec Anne Paceo. En guise de final, une sorte de clin d’œil au folklore du Myanmar : La Chanson Du Poulet. Avec son hne, Htun Oo imite le chant du coq. Le public rit. Puis, c’est la communion. Transe et danse. Là, l’ensemble célèbre un échange des plus exaltants. Le public est conquis. La standing ovation, de rigueur, finit de faire éclater les délicates bulles de magie suspendues dans l’air. Dans quelques mois, succédant à la trompettiste Airelle Besson, Anne Paceo inaugurera sa résidence de deux ans à Coutances. Mais, avec ce concert, la musicienne commet déjà son premier coup d’éclat à Jazz Sous Les Pommiers.

Au-delà de l’échange avec le Myanmar traditionnel, mis en avant avec faste, la batteuse a surtout mis en musique une palette d’émotions au centre desquelles gravitaient une énergie toute poétique. On rêve d’un disque (live, bien entendu)!

Katia Touré|La création aux accents birmans d’Anne Paceo et ses acolytes a hypnotisé et galvanisé le public du théâtre de Coutances. De quoi en faire l’un des points d’orgue de cette semaine d’émois jazzistiques sous les pommiers.

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Ce fut une sorte d’expédition sereine et rêveuse. Une exploration dans plusieurs sphères : celle des fulgurances jazz-pop du quartet “Circles”, celle d’un orchestre ancestral birman, le Hsaing Waing, composant avec l’improvisation jazz, celle d’un quintette composant avec une rythmique traditionnelle toute particulière et enfin, celui d’une contrée inconnue où les tempos glissent, les harmonies virevoltent et nous enveloppent, où deux lieux de nature différente se frottent l’un contre l’autre puis s’entremêlent. Soit une contrée qui consacre la symbiose. “Fables of Shwedagon” n’avait rien de déconcertant. C’était une myriade d’instants suspendus dépourvus de tout exotisme. Aussi, la musique circulaire de cette création tenait de l’évidence…

Le suspense est à son comble quand les musiciens prennent place sur scène. Ils sont dix! Puis viennent les frissons, le souffle coupé et le cœur battant. Anne Paceo est derrière sa batterie. À sa droite, le contrebassiste Joan Eche-Puig, le saxophoniste Christophe Panzani, le guitariste Pierre Perchaud et le pianiste Leonardo Montana. Au premier plan, Hein Tint, leader de l’orchestre birman, et ses musiciens, dont la gestuelle et les instruments sont plus ou moins dissimulés par les petites portes en or disposées sur le devant de la scène. Il y a là cinq instruments : le Pat Waing (une vingtaine de tambours accordés placés de manière circulaire), le Maung Hzaing ( un ensemble de petits gongs), le Chauk Lone Pat ( sept gros tambours accordés), le Hne ( hautbois traditionnel) et le Siwa ( un duo clochette-woodblock). On réalise alors que l’on s’apprête à plonger dans une atmosphère qui relève du divin. C’est que ces instruments ne semblent pas avoir vocation à trop en dire, signe de majesté sans doute, protégés par leurs barrières dorés. Et les percussionnistes eux-mêmes inspirent une sorte de respect empreint de religiosité. Ils sont en tenue traditionnelle, peu communicatifs vis-à-vis du public. Ils sont là pour offrir un peu des vibrations de leur sanctuaire sans grandes démonstrations.

C’est avec le morceau Shwedagon, composition d’Anne Paceo, que commence l’aventure. Les musiciens birmans actionnent leurs instruments. Au début, le concert est encore en deux dimensions. Leonardo Montana, au piano, porte l’ensemble. Pierre Perchaud, à la guitare, s’applique à composer avec la rythmique des percussionnistes. C’est progressivement que ces derniers se font entendre. Bientôt, c’est un véritable jeu de questions-réponses qui se met en place. Celui entre la batterie et les percussions. Mais surtout, entre le souffleur Htun Oo, le joueur de hne, et Christophe Panzani, qui alterne soprano et tenor. C’est précis, épuré et éblouissant. Peu à peu, il n’y a plus qu’une seule dimension. Les frontières sont abolis. Christophe Panzani se montre véloce, magistral, comme transporté. Leonardo Montana mise sur l’aération et l’ouverture. Entre chaque morceau, les percussionnistes raccordent leurs instruments. L’occasion pour Anne Paceo de raconter la genèse de ses compositions d’inspiration birmane (ils reprennent notamment Myanmar Folk Song, titre de son album “Circles“), de nous faire sourire avec quelques anecdotes mais surtout de traduire le nom des morceaux qui s’inscrivent dans la tradition birmane comme La Jeune Fille ou alors certaines des compositions d’Hein Tint (Le Bateau Sur La Rivière).

Hein Tint et Joan Eche-Puig.

Hein Tint et Joan Eche-Puig.

 

Sur La Jeune Fille, mélodique à souhait, le prologue et l’épilogue sont signés par l’orchestre de Hein Tint. L’un des musiciens birmans chante d’une voix nasillarde. Et puis, à la contrebasse, Joan Eche-Puig, habité, improvise. Le souffleur birman, qu’Anne Paceo et ses compères appellent le John Coltrane du hne, improvise-t-il aussi ? Oui… Les mélodies sont scintillantes, méditatives. C’est un somptueux exercice d’équilibriste qui se joue. Le public applaudit à tout rompre, ne semble pas pouvoir s’arrêter. Les musiciens semblent glisser sur l’eau. C’est une suite de scènettes oniriques que nous suivons. Un conte qui se déroule avec grâce et lyrisme. L’ensemble est lumineux et solaire et cela, même quand une voûte céleste semble se former au-dessus de nos têtes, que la nuit semble tomber, au moment où Pierre Perchaud signe un remarquable solo sur une composition d’Hein Tint. Notons que l’instrument de ce dernier, le Pat Waing, sonne parfois comme un balafon…

Les musiciens birmans, taciturnes parce que cérémonieux, se détendent peu à peu. Hein Tint échange des regards et des sourires complices avec Anne Paceo. En guise de final, une sorte de clin d’œil au folklore du Myanmar : La Chanson Du Poulet. Avec son hne, Htun Oo imite le chant du coq. Le public rit. Puis, c’est la communion. Transe et danse. Là, l’ensemble célèbre un échange des plus exaltants. Le public est conquis. La standing ovation, de rigueur, finit de faire éclater les délicates bulles de magie suspendues dans l’air. Dans quelques mois, succédant à la trompettiste Airelle Besson, Anne Paceo inaugurera sa résidence de deux ans à Coutances. Mais, avec ce concert, la musicienne commet déjà son premier coup d’éclat à Jazz Sous Les Pommiers.

Au-delà de l’échange avec le Myanmar traditionnel, mis en avant avec faste, la batteuse a surtout mis en musique une palette d’émotions au centre desquelles gravitaient une énergie toute poétique. On rêve d’un disque (live, bien entendu)!

Katia Touré|La création aux accents birmans d’Anne Paceo et ses acolytes a hypnotisé et galvanisé le public du théâtre de Coutances. De quoi en faire l’un des points d’orgue de cette semaine d’émois jazzistiques sous les pommiers.

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Ce fut une sorte d’expédition sereine et rêveuse. Une exploration dans plusieurs sphères : celle des fulgurances jazz-pop du quartet “Circles”, celle d’un orchestre ancestral birman, le Hsaing Waing, composant avec l’improvisation jazz, celle d’un quintette composant avec une rythmique traditionnelle toute particulière et enfin, celui d’une contrée inconnue où les tempos glissent, les harmonies virevoltent et nous enveloppent, où deux lieux de nature différente se frottent l’un contre l’autre puis s’entremêlent. Soit une contrée qui consacre la symbiose. “Fables of Shwedagon” n’avait rien de déconcertant. C’était une myriade d’instants suspendus dépourvus de tout exotisme. Aussi, la musique circulaire de cette création tenait de l’évidence…

Le suspense est à son comble quand les musiciens prennent place sur scène. Ils sont dix! Puis viennent les frissons, le souffle coupé et le cœur battant. Anne Paceo est derrière sa batterie. À sa droite, le contrebassiste Joan Eche-Puig, le saxophoniste Christophe Panzani, le guitariste Pierre Perchaud et le pianiste Leonardo Montana. Au premier plan, Hein Tint, leader de l’orchestre birman, et ses musiciens, dont la gestuelle et les instruments sont plus ou moins dissimulés par les petites portes en or disposées sur le devant de la scène. Il y a là cinq instruments : le Pat Waing (une vingtaine de tambours accordés placés de manière circulaire), le Maung Hzaing ( un ensemble de petits gongs), le Chauk Lone Pat ( sept gros tambours accordés), le Hne ( hautbois traditionnel) et le Siwa ( un duo clochette-woodblock). On réalise alors que l’on s’apprête à plonger dans une atmosphère qui relève du divin. C’est que ces instruments ne semblent pas avoir vocation à trop en dire, signe de majesté sans doute, protégés par leurs barrières dorés. Et les percussionnistes eux-mêmes inspirent une sorte de respect empreint de religiosité. Ils sont en tenue traditionnelle, peu communicatifs vis-à-vis du public. Ils sont là pour offrir un peu des vibrations de leur sanctuaire sans grandes démonstrations.

C’est avec le morceau Shwedagon, composition d’Anne Paceo, que commence l’aventure. Les musiciens birmans actionnent leurs instruments. Au début, le concert est encore en deux dimensions. Leonardo Montana, au piano, porte l’ensemble. Pierre Perchaud, à la guitare, s’applique à composer avec la rythmique des percussionnistes. C’est progressivement que ces derniers se font entendre. Bientôt, c’est un véritable jeu de questions-réponses qui se met en place. Celui entre la batterie et les percussions. Mais surtout, entre le souffleur Htun Oo, le joueur de hne, et Christophe Panzani, qui alterne soprano et tenor. C’est précis, épuré et éblouissant. Peu à peu, il n’y a plus qu’une seule dimension. Les frontières sont abolis. Christophe Panzani se montre véloce, magistral, comme transporté. Leonardo Montana mise sur l’aération et l’ouverture. Entre chaque morceau, les percussionnistes raccordent leurs instruments. L’occasion pour Anne Paceo de raconter la genèse de ses compositions d’inspiration birmane (ils reprennent notamment Myanmar Folk Song, titre de son album “Circles“), de nous faire sourire avec quelques anecdotes mais surtout de traduire le nom des morceaux qui s’inscrivent dans la tradition birmane comme La Jeune Fille ou alors certaines des compositions d’Hein Tint (Le Bateau Sur La Rivière).

Hein Tint et Joan Eche-Puig.

Hein Tint et Joan Eche-Puig.

 

Sur La Jeune Fille, mélodique à souhait, le prologue et l’épilogue sont signés par l’orchestre de Hein Tint. L’un des musiciens birmans chante d’une voix nasillarde. Et puis, à la contrebasse, Joan Eche-Puig, habité, improvise. Le souffleur birman, qu’Anne Paceo et ses compères appellent le John Coltrane du hne, improvise-t-il aussi ? Oui… Les mélodies sont scintillantes, méditatives. C’est un somptueux exercice d’équilibriste qui se joue. Le public applaudit à tout rompre, ne semble pas pouvoir s’arrêter. Les musiciens semblent glisser sur l’eau. C’est une suite de scènettes oniriques que nous suivons. Un conte qui se déroule avec grâce et lyrisme. L’ensemble est lumineux et solaire et cela, même quand une voûte céleste semble se former au-dessus de nos têtes, que la nuit semble tomber, au moment où Pierre Perchaud signe un remarquable solo sur une composition d’Hein Tint. Notons que l’instrument de ce dernier, le Pat Waing, sonne parfois comme un balafon…

Les musiciens birmans, taciturnes parce que cérémonieux, se détendent peu à peu. Hein Tint échange des regards et des sourires complices avec Anne Paceo. En guise de final, une sorte de clin d’œil au folklore du Myanmar : La Chanson Du Poulet. Avec son hne, Htun Oo imite le chant du coq. Le public rit. Puis, c’est la communion. Transe et danse. Là, l’ensemble célèbre un échange des plus exaltants. Le public est conquis. La standing ovation, de rigueur, finit de faire éclater les délicates bulles de magie suspendues dans l’air. Dans quelques mois, succédant à la trompettiste Airelle Besson, Anne Paceo inaugurera sa résidence de deux ans à Coutances. Mais, avec ce concert, la musicienne commet déjà son premier coup d’éclat à Jazz Sous Les Pommiers.

Au-delà de l’échange avec le Myanmar traditionnel, mis en avant avec faste, la batteuse a surtout mis en musique une palette d’émotions au centre desquelles gravitaient une énergie toute poétique. On rêve d’un disque (live, bien entendu)!

Katia Touré|La création aux accents birmans d’Anne Paceo et ses acolytes a hypnotisé et galvanisé le public du théâtre de Coutances. De quoi en faire l’un des points d’orgue de cette semaine d’émois jazzistiques sous les pommiers.

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Ce fut une sorte d’expédition sereine et rêveuse. Une exploration dans plusieurs sphères : celle des fulgurances jazz-pop du quartet “Circles”, celle d’un orchestre ancestral birman, le Hsaing Waing, composant avec l’improvisation jazz, celle d’un quintette composant avec une rythmique traditionnelle toute particulière et enfin, celui d’une contrée inconnue où les tempos glissent, les harmonies virevoltent et nous enveloppent, où deux lieux de nature différente se frottent l’un contre l’autre puis s’entremêlent. Soit une contrée qui consacre la symbiose. “Fables of Shwedagon” n’avait rien de déconcertant. C’était une myriade d’instants suspendus dépourvus de tout exotisme. Aussi, la musique circulaire de cette création tenait de l’évidence…

Le suspense est à son comble quand les musiciens prennent place sur scène. Ils sont dix! Puis viennent les frissons, le souffle coupé et le cœur battant. Anne Paceo est derrière sa batterie. À sa droite, le contrebassiste Joan Eche-Puig, le saxophoniste Christophe Panzani, le guitariste Pierre Perchaud et le pianiste Leonardo Montana. Au premier plan, Hein Tint, leader de l’orchestre birman, et ses musiciens, dont la gestuelle et les instruments sont plus ou moins dissimulés par les petites portes en or disposées sur le devant de la scène. Il y a là cinq instruments : le Pat Waing (une vingtaine de tambours accordés placés de manière circulaire), le Maung Hzaing ( un ensemble de petits gongs), le Chauk Lone Pat ( sept gros tambours accordés), le Hne ( hautbois traditionnel) et le Siwa ( un duo clochette-woodblock). On réalise alors que l’on s’apprête à plonger dans une atmosphère qui relève du divin. C’est que ces instruments ne semblent pas avoir vocation à trop en dire, signe de majesté sans doute, protégés par leurs barrières dorés. Et les percussionnistes eux-mêmes inspirent une sorte de respect empreint de religiosité. Ils sont en tenue traditionnelle, peu communicatifs vis-à-vis du public. Ils sont là pour offrir un peu des vibrations de leur sanctuaire sans grandes démonstrations.

C’est avec le morceau Shwedagon, composition d’Anne Paceo, que commence l’aventure. Les musiciens birmans actionnent leurs instruments. Au début, le concert est encore en deux dimensions. Leonardo Montana, au piano, porte l’ensemble. Pierre Perchaud, à la guitare, s’applique à composer avec la rythmique des percussionnistes. C’est progressivement que ces derniers se font entendre. Bientôt, c’est un véritable jeu de questions-réponses qui se met en place. Celui entre la batterie et les percussions. Mais surtout, entre le souffleur Htun Oo, le joueur de hne, et Christophe Panzani, qui alterne soprano et tenor. C’est précis, épuré et éblouissant. Peu à peu, il n’y a plus qu’une seule dimension. Les frontières sont abolis. Christophe Panzani se montre véloce, magistral, comme transporté. Leonardo Montana mise sur l’aération et l’ouverture. Entre chaque morceau, les percussionnistes raccordent leurs instruments. L’occasion pour Anne Paceo de raconter la genèse de ses compositions d’inspiration birmane (ils reprennent notamment Myanmar Folk Song, titre de son album “Circles“), de nous faire sourire avec quelques anecdotes mais surtout de traduire le nom des morceaux qui s’inscrivent dans la tradition birmane comme La Jeune Fille ou alors certaines des compositions d’Hein Tint (Le Bateau Sur La Rivière).

Hein Tint et Joan Eche-Puig.

Hein Tint et Joan Eche-Puig.

 

Sur La Jeune Fille, mélodique à souhait, le prologue et l’épilogue sont signés par l’orchestre de Hein Tint. L’un des musiciens birmans chante d’une voix nasillarde. Et puis, à la contrebasse, Joan Eche-Puig, habité, improvise. Le souffleur birman, qu’Anne Paceo et ses compères appellent le John Coltrane du hne, improvise-t-il aussi ? Oui… Les mélodies sont scintillantes, méditatives. C’est un somptueux exercice d’équilibriste qui se joue. Le public applaudit à tout rompre, ne semble pas pouvoir s’arrêter. Les musiciens semblent glisser sur l’eau. C’est une suite de scènettes oniriques que nous suivons. Un conte qui se déroule avec grâce et lyrisme. L’ensemble est lumineux et solaire et cela, même quand une voûte céleste semble se former au-dessus de nos têtes, que la nuit semble tomber, au moment où Pierre Perchaud signe un remarquable solo sur une composition d’Hein Tint. Notons que l’instrument de ce dernier, le Pat Waing, sonne parfois comme un balafon…

Les musiciens birmans, taciturnes parce que cérémonieux, se détendent peu à peu. Hein Tint échange des regards et des sourires complices avec Anne Paceo. En guise de final, une sorte de clin d’œil au folklore du Myanmar : La Chanson Du Poulet. Avec son hne, Htun Oo imite le chant du coq. Le public rit. Puis, c’est la communion. Transe et danse. Là, l’ensemble célèbre un échange des plus exaltants. Le public est conquis. La standing ovation, de rigueur, finit de faire éclater les délicates bulles de magie suspendues dans l’air. Dans quelques mois, succédant à la trompettiste Airelle Besson, Anne Paceo inaugurera sa résidence de deux ans à Coutances. Mais, avec ce concert, la musicienne commet déjà son premier coup d’éclat à Jazz Sous Les Pommiers.

Au-delà de l’échange avec le Myanmar traditionnel, mis en avant avec faste, la batteuse a surtout mis en musique une palette d’émotions au centre desquelles gravitaient une énergie toute poétique. On rêve d’un disque (live, bien entendu)!

Katia Touré