Paul Lay et Michel Portal à Jazz à Foix
Jazz à Foix fête sa 22e édition sous le parrainage artistique du trompettiste Nicolas Gardel. Pour la quatrième (et avant-dernière) soirée du cru 2023, la scène principale accueillait le trio de Paul Lay avec Michel Portal en guest star. Une affiche alléchante puisqu’associant des musiciens séparés par plusieurs générations, et cependant réunis par leurs communes origines basques.
Vendredi 28 juillet 2023, 21h30, École Lucien Goron, Foix, Jazz à Foix
Paul Lay/Michel Portal Quartet
Michel Portal (cl), Paul Lay (p), Matyas Szandaï (b), Donald Kontomanou (dr)
Après une période où le festival de Foix avait fait le pari (gagnant) de souvent présenter à son public des « petits maîtres » du jazz (Roger Kellaway, Azar Lawrence, Steve Kuhn, etc. – l’expression n’est pas heureuse, et se voit ici employée sans aucune connotation péjorative) à même de faire venir de loin des grands passionnés de cette musique, l’équipe de Jazz à Foix (qui a évolué) a repensé l’événement. Tout en conservant un état d’esprit fondé sur un accueil chaleureux, une ambiance détendue et agréable, de même que l’idée de proposer un festival off gratuit avec de bons musiciens plus ou moins locaux réparti entre une scène dédiée à cet effet et les rues de la ville, comme nombre de festivals il s’agit aussi d’attirer le plus grand nombre, et en particulier la jeunesse. À cette dernière, un tarif très attractif lui est ainsi proposé (gratuité ou 10 euros pour les « grands » concerts du soir – vu la conjoncture, qui risque fort de ne pas s’améliorer rapidement, il conviendrait de proposer le même tarif aux demandeurs d’emploi) ; les Jeunes sont aussi mis en valeur sur scène, non seulement pour du jazz-jazz (master class de contrebasse avec Julien Duthu par exemple) mais aussi à travers des pratiques qui leurs sont plus proches, tel le slam, comme ce 28 juillet, en préambule, sur la scène off, du concert de Paul Lay et Michel Portal. Des même pas trentenaires ont ainsi restitué face à un public diversifié (des têtes blondes jusqu’aux têtes blanches [voire chauves…]) le fruit d’une résidence de plusieurs jours intitulée « Le Swing des écritures vivantes ». Les noms de Coltrane, Armstrong et autres grands maîtres du jazz ont ainsi servi aux rimes de slameurs engagés, accompagnés par le Pabloramix Trio (manipulateur de son, contrebasse et guitare). À l’issue de cette prestation remarquée, le public se dirigea vers la cour intérieure de l’école Lucien Goron pour assister au concert principal du soir.
Contrairement à la veille, le temps est au beau fixe : température idéale, un peu de vent, ciel magnifiquement dégagé.
Le concert commence par un duo clarinette-piano, hors tempo. Beau son de Michel Portal qui, à bientôt 88 ans (!), semble encore fringuant. Mon sentiment change lorsque la rythmique se met à jouer a tempo. Dès lors, on ne sent pas le clarinettiste tout à fait à son aise, cherchant parfois son placement, jouant des notes quelques fois assez étranges. Pourtant, à l’image de cette première pièce, African Wind, le répertoire se compose pour l’essentiel de ses propres compositions. Il devrait donc en connaître chaque recoin. Or, souvent, cela cloche peu ou prou. Dans sa Valse celtique ou durant Face to Face (un décalque assez flagrant du How Insensitive de Jobim co-composé avec Richard Galliano), il se prend les pieds dans le tapis, se rattrapant aux rideaux grâce à une expérience pluri-décennale et à la souplesse de Paul Lay. Ce dernier prend soin de son aîné, en plaçant parfois ses partitions sur le pupitre, en lui demandant poliment de laisser jouer (l’excellent, tout du long) Donald Kontomanou en introduction, en le suivant à la trace lors de ses solos à la clarinette. Il n’en demeure pas moins que certains rouages dysfonctionnent. Par exemple, Michel Portal ne cède pas la parole à son pianiste (alors qu’il lui fait des appels du pied pour prendre le relai de l’improvisation) ou la lui coupe en plein milieu d’un chorus. Expérimenté, le trio de Paul Lay rebondit toujours, rattrape le coup, ce qui n’est pas sans charme – ni effets d’ailleurs, le public de Foix accueillant très favorablement chacun des morceaux. Et il est vrai qu’au cours de quasi toutes les interprétations, le quartette atteint toujours une ou plusieurs clairières enchantées, ces lieux où l’expression fait oublier les imperfections techniques précédentes, à l’image d’une belle reprise de Los felice (en particulier les parties hors tempo).
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Ce soir, nul martinet ne strie le ciel de Foix. Connaissez-vous ces oiseaux merveilleux ? Proche des hirondelles, ils sont un peu plus imposants, marrons plutôt que noirs, blancs et rouges (selon l’espèce). Lorsque le soir arrive, après une journée passée à chasser les insectes en tous sens, ils se regroupent et s’engagent dans d’invraisemblables poursuites aériennes, piaillant, zigzaguant, virevoltant. La liberté et la joie incarnées ! J’ai songé à ces oiseaux à l’écoute de ce concert. A-t-on jamais vu un martinet s’épanouir en cage ? Fallait-il placer Michel Portal dans un contexte où dominent les codes de la pratique commune du jazz (tempo fixe, grille harmonique qui défile imperturbablement, langage à base de bop mise à jour, etc.) ? N’aurait-il pas mieux valu l’engager dans une voix plus libertaire ? La réponse arrive au quatrième morceau, une improvisation libre, précisément. Donald Kontomanou lance un tempo rapide ; Matyas Szandaï lui emboite le pas avec une basse ronflante, modale ; Paul Lay se souvient de McCoy Tyner (mais pas seulement) ; et Portal se retrouve empêtré dans un environnement comparable, à peu de choses près, à celui d’un standard. Paul Lay le sent, et oriente finalement la musique vers du free, en un langage devenant plus gestuel, fait de ruades et de clusters (sans jamais violenter son clavier). Aussitôt suivi par toute la rythmique, Portal se délie, l’énergie s’ouvre. Ce n’est pas la panacée, mais voilà une piste qu’il faudrait peut-être suivre, en dépit du fait que le clarinettiste n’a plus ses vingt ans.
Desert Town, une ballade de Portal, Murmures de Paul Lay (des mouches et un vent capricieux faisant voleter la partition de Portal lui interdisant de jouer correctement le thème), une danss basque à 5/4, et Los felice terminent le concert. Nicolas Gardel est invité à venir rejoindre le groupe sur scène pour une reprise d’une Habanera de Portal. Un bis est réclamé. Ce sera Baby Plum de Jacky Terrasson, toujours avec Gardel qui complète-commente-corrige respectueusement et élégamment les phrases de Portal.
La soirée s’achève. Le public vient d’applaudir un martinet pris pour un canari. Mais au fond, peu importe. L’aura de Portal, ses moments de grâce, son humour, la science du rattrapage et le savoir-faire du trio, la bonne énergie de Donald Kontomanou (le sourire attaché aux lèvres, la bonne énergie), et bien d’autres choses auront finalement généré de bonnes ondes auprès du public, et voilà qui importe avant tout le reste. Pari gagné pour Jazz à Foix !
Ludovic Florin