Jazz à Luz (II)
Cette année à Luz, un focus est effectué sur les viviers de musiciens improvisateurs de Toulouse et de Bordeaux. Pour cette deuxième journée du festival, c’est l’Ensemble Un qui a présenté son travail.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 11 juillet 2015
Avant cet événement de fin d’après-midi, les festivaliers ont été convié à une excursion de plus de quatre heures la tête dans, puis au-dessus, des nuages. Plusieurs bus les ont transportés une dizaine de kilomètres plus haut, à la station de ski Luz Ardiden-Aulian (normalement fermée à cette époque de l’année). En arrivant, impossible de voir l’horizon, bouché par une brume assez épaisse tombant sur cette partie de la montagne. Une atmosphère idéale pour assister aux numéros concoctés par les Impromptus Cirque, une troupe de quatre circassiens qui se sont appropriés l’espace et les objets de la station pour réaliser leurs prouesses improvisées : équilibrisme, acrobaties, déséquilibres, envols… Dans ce cadre à l’ambiance toute particulière, un instant de grâce se produisit lorsqu’Amanda Righetti mit à mal les lois de l’attraction terrestre depuis son mât. Avec elle, le temps se suspendit.
Après le repas animé par Sylviane Blanquart au chant et à l’orgue de barbarie, les télésièges de la station mènent les festivaliers à 2135 mètresd’altitude. Au cours de la montée, soudain, le soleil, immense, généreux, inonde d’une lumière puissante la mer de nuages au-dessus de laquelle nous nous retrouvons. Descendus des télésièges, une scène sans estrade à même le sol pierreux se présente face à nous. Au loin, des sons de flûtes se rapprochent peu à peu. Trois pâtres paraissent et entament leur spectacle. L’acteur Denis Lavant incarne les personnages du long poème de Samuel Taylor Coleridge, Le dit du vieux marin, un texte hanté de morts et de fantômes, version en quelque sorte revisitée du Vaisseau fantôme (ou, au choix, de la traversée du Styx par l’esprit des morts dans la barque de Charon, ou encore la traversée des cercles infernaux de l’Enfer de Dante). Camille Secheppet (souvent deux saxophones dans la bouche, à la manière de Roland Kirk) et Laurent Paris apposent un commentaire sonore à la déclamation du comédien, entre bruitisme, incantations chamaniques et folklore imaginaire. Un frisson parcourt l’assistance lorsqu’un bout de nuage traverse le lieu du spectacle au moment précis où l’acteur évoque l’épaisseur du brouillard. Intense et sublime.
Chapiteau du Verger, 18h
Ensemble Un
Laurie Batista (vx), Tanguy Bernard (tuba), Eric Camara (cb), Paolo Chatet (tp), David Chiesa (cadre de piano amplifié, tb), Julia Hanadi (électroniques), Juliette Lacroix (vlle), Didier Lasserre (perc), Bruno Laurent (cb), Johann Loiseau (thérémin, fl, perc), Johann Mazé (dm), Mathias Pontévia (perc), Kristof Ratier (bcl), Jean-Marc Reilla (électroniques), Jean Rougier (cb), Frédéric Roumagne, Yan Saboya, Claude Saubole (elg), Julien Sellam (vl), Stéphane Torré Truéba (harmonium indien, vx), Loïc Lachaize (ingénieur du son)
Ce grand orchestre, à l’instrumentarium aussi impressionnant que varié (avec un thérémin !), a pour initiateur David Chiesa. Au début de la première pièce, on ne sait d’abord pas exactement situer l’ensemble – ce qui est un bon point ! Musique improvisée ? Musique préparée ? Aléatoire ? Contemporaine ? Jazz ? La pièce d’ouverture avançant – une composition de Julien Pontévia (Tenir par là) –, on saisit cependant assez vite que nous sommes face à des enfants de l’électro-acoustique. Ces musiciens évacuent le ton (les notes, pour le dire de façon un peu simpliste) au profit d’une concentration sur le son. Grâce à la coordination permise par la présence de plusieurs moniteurs placés devant les musiciens, l’Ensemble Un se retrouve sur des tutti sans avoir besoin de la présence physique d’un chef. Il semble bien que la plupart du temps, les créations de Julien Pontévia, David Chiesa, Jean Rougier et Julien Sellam fonctionnent par gestes musicaux (trémolos, apparition/disparition du son, etc.), aux qualités parfois théâtrales, et par signaux (dans le sens boulezien du terme). De la sorte, l’auditeur peut sans peine élaborer une stratégie d’écoute qui structure chaque pièce. Laissant traîner mes oreilles à l’issu du concert, il semble que le bis (3NS4 de Julien Pontévia) ait fait l’unanimité : après une lente contamination d’un son à tout l’orchestre, deux indomptables solistes (Yan Saboya et David Chiesa au trombone) firent irruption au sein de cet à-plat, tels deux chiens dans un jeu de go. Tout au long du concert, l’Ensemble Un sera resté loin de toute frénésie exutoire, la musique semblant au contraire très guidée sans être absolument figée – cela grâce à l’usage de partitions graphiques et, à coup sûr, de la technique de l’aléatoire contrôlé.
Chapiteau du Verger, 22h30
Trio Kazanchis
Mèssèlè Asmamaw (krar, vx), Jeroen Visser (farfisa, bs), Fabien Duscombs (dm)
Comme chaque soir, après le « concert concert » (comme on dit « jazz jazz ») venait la musique pour la danse. Avec sa drôle de lyre – le krar –, un saxophoniste issu de la scène punk néerlandaise des années 1980 et un batteur tout terrain (qui officie, par exemple, dans l’excellent Whahay), le pari n’était pas gagné d’avance. Surtout après la techno du Cabaret Contemporain de la veille. Quelques allers retours inauguraux sur la lyre suffirent au public pour comprendre que le groove serait bien au centre des débats, mais avec un accent tout à fait particulier, venu d’Ethiopie. Teinté parfois du free de Jeroen Visser, de la puissance rock d
e Fabien Duscombs, il ne fallut pas plus d’un morceau pour amener la foule sur la piste de danse.
Club de la Maison du Parc National et de la Vallée, 1h15
Sax Machine Featuring RacecaR
Pierre Dandin (tb, conques, loopers), Guillaume Sené (as, ts, machines), RacecaR (MC)
Après le repas et une prestation remarquée de la fraîche fanfare Les Fantastics (ex Vagabondu), vivante autant que sentimentale, les couche-tard avaient la possibilité de continuer à danser sur le flow de Sax Machine. Ce trio de musiciens propose un mix d’electro, de hip hop, de soul et de jazz. Construite sur le moment en recourant à de samples, des loopers et diverses machines, leur musique groove sérieusement, les deux vents faisant preuve d’une parfaite connaissance de leur terreau nourricier : James Brown. RacecaR, originaire de Chicago, et acteur de la vague Native Tongue (DeLa Soul, A Tribe Called Quest), ajoute son débit tout en souplesse de paroles anglophones, et aiguise encore le groove de l’ensemble.
Brûlé par le soleil des hauteurs, éreinté par la longue journée au milieu d’une nature environnementale et sonore d’une grande richesse, mon corps entraîna tel un somnambule tout ce qui se trouve contenu dans ma boîte crânienne à son logis temporaire, laissant derrière lui des festivaliers heureux au milieu des ondes énergétiques de Sax Machine et de RacecaR.
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Cette année à Luz, un focus est effectué sur les viviers de musiciens improvisateurs de Toulouse et de Bordeaux. Pour cette deuxième journée du festival, c’est l’Ensemble Un qui a présenté son travail.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 11 juillet 2015
Avant cet événement de fin d’après-midi, les festivaliers ont été convié à une excursion de plus de quatre heures la tête dans, puis au-dessus, des nuages. Plusieurs bus les ont transportés une dizaine de kilomètres plus haut, à la station de ski Luz Ardiden-Aulian (normalement fermée à cette époque de l’année). En arrivant, impossible de voir l’horizon, bouché par une brume assez épaisse tombant sur cette partie de la montagne. Une atmosphère idéale pour assister aux numéros concoctés par les Impromptus Cirque, une troupe de quatre circassiens qui se sont appropriés l’espace et les objets de la station pour réaliser leurs prouesses improvisées : équilibrisme, acrobaties, déséquilibres, envols… Dans ce cadre à l’ambiance toute particulière, un instant de grâce se produisit lorsqu’Amanda Righetti mit à mal les lois de l’attraction terrestre depuis son mât. Avec elle, le temps se suspendit.
Après le repas animé par Sylviane Blanquart au chant et à l’orgue de barbarie, les télésièges de la station mènent les festivaliers à 2135 mètresd’altitude. Au cours de la montée, soudain, le soleil, immense, généreux, inonde d’une lumière puissante la mer de nuages au-dessus de laquelle nous nous retrouvons. Descendus des télésièges, une scène sans estrade à même le sol pierreux se présente face à nous. Au loin, des sons de flûtes se rapprochent peu à peu. Trois pâtres paraissent et entament leur spectacle. L’acteur Denis Lavant incarne les personnages du long poème de Samuel Taylor Coleridge, Le dit du vieux marin, un texte hanté de morts et de fantômes, version en quelque sorte revisitée du Vaisseau fantôme (ou, au choix, de la traversée du Styx par l’esprit des morts dans la barque de Charon, ou encore la traversée des cercles infernaux de l’Enfer de Dante). Camille Secheppet (souvent deux saxophones dans la bouche, à la manière de Roland Kirk) et Laurent Paris apposent un commentaire sonore à la déclamation du comédien, entre bruitisme, incantations chamaniques et folklore imaginaire. Un frisson parcourt l’assistance lorsqu’un bout de nuage traverse le lieu du spectacle au moment précis où l’acteur évoque l’épaisseur du brouillard. Intense et sublime.
Chapiteau du Verger, 18h
Ensemble Un
Laurie Batista (vx), Tanguy Bernard (tuba), Eric Camara (cb), Paolo Chatet (tp), David Chiesa (cadre de piano amplifié, tb), Julia Hanadi (électroniques), Juliette Lacroix (vlle), Didier Lasserre (perc), Bruno Laurent (cb), Johann Loiseau (thérémin, fl, perc), Johann Mazé (dm), Mathias Pontévia (perc), Kristof Ratier (bcl), Jean-Marc Reilla (électroniques), Jean Rougier (cb), Frédéric Roumagne, Yan Saboya, Claude Saubole (elg), Julien Sellam (vl), Stéphane Torré Truéba (harmonium indien, vx), Loïc Lachaize (ingénieur du son)
Ce grand orchestre, à l’instrumentarium aussi impressionnant que varié (avec un thérémin !), a pour initiateur David Chiesa. Au début de la première pièce, on ne sait d’abord pas exactement situer l’ensemble – ce qui est un bon point ! Musique improvisée ? Musique préparée ? Aléatoire ? Contemporaine ? Jazz ? La pièce d’ouverture avançant – une composition de Julien Pontévia (Tenir par là) –, on saisit cependant assez vite que nous sommes face à des enfants de l’électro-acoustique. Ces musiciens évacuent le ton (les notes, pour le dire de façon un peu simpliste) au profit d’une concentration sur le son. Grâce à la coordination permise par la présence de plusieurs moniteurs placés devant les musiciens, l’Ensemble Un se retrouve sur des tutti sans avoir besoin de la présence physique d’un chef. Il semble bien que la plupart du temps, les créations de Julien Pontévia, David Chiesa, Jean Rougier et Julien Sellam fonctionnent par gestes musicaux (trémolos, apparition/disparition du son, etc.), aux qualités parfois théâtrales, et par signaux (dans le sens boulezien du terme). De la sorte, l’auditeur peut sans peine élaborer une stratégie d’écoute qui structure chaque pièce. Laissant traîner mes oreilles à l’issu du concert, il semble que le bis (3NS4 de Julien Pontévia) ait fait l’unanimité : après une lente contamination d’un son à tout l’orchestre, deux indomptables solistes (Yan Saboya et David Chiesa au trombone) firent irruption au sein de cet à-plat, tels deux chiens dans un jeu de go. Tout au long du concert, l’Ensemble Un sera resté loin de toute frénésie exutoire, la musique semblant au contraire très guidée sans être absolument figée – cela grâce à l’usage de partitions graphiques et, à coup sûr, de la technique de l’aléatoire contrôlé.
Chapiteau du Verger, 22h30
Trio Kazanchis
Mèssèlè Asmamaw (krar, vx), Jeroen Visser (farfisa, bs), Fabien Duscombs (dm)
Comme chaque soir, après le « concert concert » (comme on dit « jazz jazz ») venait la musique pour la danse. Avec sa drôle de lyre – le krar –, un saxophoniste issu de la scène punk néerlandaise des années 1980 et un batteur tout terrain (qui officie, par exemple, dans l’excellent Whahay), le pari n’était pas gagné d’avance. Surtout après la techno du Cabaret Contemporain de la veille. Quelques allers retours inauguraux sur la lyre suffirent au public pour comprendre que le groove serait bien au centre des débats, mais avec un accent tout à fait particulier, venu d’Ethiopie. Teinté parfois du free de Jeroen Visser, de la puissance rock d
e Fabien Duscombs, il ne fallut pas plus d’un morceau pour amener la foule sur la piste de danse.
Club de la Maison du Parc National et de la Vallée, 1h15
Sax Machine Featuring RacecaR
Pierre Dandin (tb, conques, loopers), Guillaume Sené (as, ts, machines), RacecaR (MC)
Après le repas et une prestation remarquée de la fraîche fanfare Les Fantastics (ex Vagabondu), vivante autant que sentimentale, les couche-tard avaient la possibilité de continuer à danser sur le flow de Sax Machine. Ce trio de musiciens propose un mix d’electro, de hip hop, de soul et de jazz. Construite sur le moment en recourant à de samples, des loopers et diverses machines, leur musique groove sérieusement, les deux vents faisant preuve d’une parfaite connaissance de leur terreau nourricier : James Brown. RacecaR, originaire de Chicago, et acteur de la vague Native Tongue (DeLa Soul, A Tribe Called Quest), ajoute son débit tout en souplesse de paroles anglophones, et aiguise encore le groove de l’ensemble.
Brûlé par le soleil des hauteurs, éreinté par la longue journée au milieu d’une nature environnementale et sonore d’une grande richesse, mon corps entraîna tel un somnambule tout ce qui se trouve contenu dans ma boîte crânienne à son logis temporaire, laissant derrière lui des festivaliers heureux au milieu des ondes énergétiques de Sax Machine et de RacecaR.
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Cette année à Luz, un focus est effectué sur les viviers de musiciens improvisateurs de Toulouse et de Bordeaux. Pour cette deuxième journée du festival, c’est l’Ensemble Un qui a présenté son travail.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 11 juillet 2015
Avant cet événement de fin d’après-midi, les festivaliers ont été convié à une excursion de plus de quatre heures la tête dans, puis au-dessus, des nuages. Plusieurs bus les ont transportés une dizaine de kilomètres plus haut, à la station de ski Luz Ardiden-Aulian (normalement fermée à cette époque de l’année). En arrivant, impossible de voir l’horizon, bouché par une brume assez épaisse tombant sur cette partie de la montagne. Une atmosphère idéale pour assister aux numéros concoctés par les Impromptus Cirque, une troupe de quatre circassiens qui se sont appropriés l’espace et les objets de la station pour réaliser leurs prouesses improvisées : équilibrisme, acrobaties, déséquilibres, envols… Dans ce cadre à l’ambiance toute particulière, un instant de grâce se produisit lorsqu’Amanda Righetti mit à mal les lois de l’attraction terrestre depuis son mât. Avec elle, le temps se suspendit.
Après le repas animé par Sylviane Blanquart au chant et à l’orgue de barbarie, les télésièges de la station mènent les festivaliers à 2135 mètresd’altitude. Au cours de la montée, soudain, le soleil, immense, généreux, inonde d’une lumière puissante la mer de nuages au-dessus de laquelle nous nous retrouvons. Descendus des télésièges, une scène sans estrade à même le sol pierreux se présente face à nous. Au loin, des sons de flûtes se rapprochent peu à peu. Trois pâtres paraissent et entament leur spectacle. L’acteur Denis Lavant incarne les personnages du long poème de Samuel Taylor Coleridge, Le dit du vieux marin, un texte hanté de morts et de fantômes, version en quelque sorte revisitée du Vaisseau fantôme (ou, au choix, de la traversée du Styx par l’esprit des morts dans la barque de Charon, ou encore la traversée des cercles infernaux de l’Enfer de Dante). Camille Secheppet (souvent deux saxophones dans la bouche, à la manière de Roland Kirk) et Laurent Paris apposent un commentaire sonore à la déclamation du comédien, entre bruitisme, incantations chamaniques et folklore imaginaire. Un frisson parcourt l’assistance lorsqu’un bout de nuage traverse le lieu du spectacle au moment précis où l’acteur évoque l’épaisseur du brouillard. Intense et sublime.
Chapiteau du Verger, 18h
Ensemble Un
Laurie Batista (vx), Tanguy Bernard (tuba), Eric Camara (cb), Paolo Chatet (tp), David Chiesa (cadre de piano amplifié, tb), Julia Hanadi (électroniques), Juliette Lacroix (vlle), Didier Lasserre (perc), Bruno Laurent (cb), Johann Loiseau (thérémin, fl, perc), Johann Mazé (dm), Mathias Pontévia (perc), Kristof Ratier (bcl), Jean-Marc Reilla (électroniques), Jean Rougier (cb), Frédéric Roumagne, Yan Saboya, Claude Saubole (elg), Julien Sellam (vl), Stéphane Torré Truéba (harmonium indien, vx), Loïc Lachaize (ingénieur du son)
Ce grand orchestre, à l’instrumentarium aussi impressionnant que varié (avec un thérémin !), a pour initiateur David Chiesa. Au début de la première pièce, on ne sait d’abord pas exactement situer l’ensemble – ce qui est un bon point ! Musique improvisée ? Musique préparée ? Aléatoire ? Contemporaine ? Jazz ? La pièce d’ouverture avançant – une composition de Julien Pontévia (Tenir par là) –, on saisit cependant assez vite que nous sommes face à des enfants de l’électro-acoustique. Ces musiciens évacuent le ton (les notes, pour le dire de façon un peu simpliste) au profit d’une concentration sur le son. Grâce à la coordination permise par la présence de plusieurs moniteurs placés devant les musiciens, l’Ensemble Un se retrouve sur des tutti sans avoir besoin de la présence physique d’un chef. Il semble bien que la plupart du temps, les créations de Julien Pontévia, David Chiesa, Jean Rougier et Julien Sellam fonctionnent par gestes musicaux (trémolos, apparition/disparition du son, etc.), aux qualités parfois théâtrales, et par signaux (dans le sens boulezien du terme). De la sorte, l’auditeur peut sans peine élaborer une stratégie d’écoute qui structure chaque pièce. Laissant traîner mes oreilles à l’issu du concert, il semble que le bis (3NS4 de Julien Pontévia) ait fait l’unanimité : après une lente contamination d’un son à tout l’orchestre, deux indomptables solistes (Yan Saboya et David Chiesa au trombone) firent irruption au sein de cet à-plat, tels deux chiens dans un jeu de go. Tout au long du concert, l’Ensemble Un sera resté loin de toute frénésie exutoire, la musique semblant au contraire très guidée sans être absolument figée – cela grâce à l’usage de partitions graphiques et, à coup sûr, de la technique de l’aléatoire contrôlé.
Chapiteau du Verger, 22h30
Trio Kazanchis
Mèssèlè Asmamaw (krar, vx), Jeroen Visser (farfisa, bs), Fabien Duscombs (dm)
Comme chaque soir, après le « concert concert » (comme on dit « jazz jazz ») venait la musique pour la danse. Avec sa drôle de lyre – le krar –, un saxophoniste issu de la scène punk néerlandaise des années 1980 et un batteur tout terrain (qui officie, par exemple, dans l’excellent Whahay), le pari n’était pas gagné d’avance. Surtout après la techno du Cabaret Contemporain de la veille. Quelques allers retours inauguraux sur la lyre suffirent au public pour comprendre que le groove serait bien au centre des débats, mais avec un accent tout à fait particulier, venu d’Ethiopie. Teinté parfois du free de Jeroen Visser, de la puissance rock d
e Fabien Duscombs, il ne fallut pas plus d’un morceau pour amener la foule sur la piste de danse.
Club de la Maison du Parc National et de la Vallée, 1h15
Sax Machine Featuring RacecaR
Pierre Dandin (tb, conques, loopers), Guillaume Sené (as, ts, machines), RacecaR (MC)
Après le repas et une prestation remarquée de la fraîche fanfare Les Fantastics (ex Vagabondu), vivante autant que sentimentale, les couche-tard avaient la possibilité de continuer à danser sur le flow de Sax Machine. Ce trio de musiciens propose un mix d’electro, de hip hop, de soul et de jazz. Construite sur le moment en recourant à de samples, des loopers et diverses machines, leur musique groove sérieusement, les deux vents faisant preuve d’une parfaite connaissance de leur terreau nourricier : James Brown. RacecaR, originaire de Chicago, et acteur de la vague Native Tongue (DeLa Soul, A Tribe Called Quest), ajoute son débit tout en souplesse de paroles anglophones, et aiguise encore le groove de l’ensemble.
Brûlé par le soleil des hauteurs, éreinté par la longue journée au milieu d’une nature environnementale et sonore d’une grande richesse, mon corps entraîna tel un somnambule tout ce qui se trouve contenu dans ma boîte crânienne à son logis temporaire, laissant derrière lui des festivaliers heureux au milieu des ondes énergétiques de Sax Machine et de RacecaR.
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Cette année à Luz, un focus est effectué sur les viviers de musiciens improvisateurs de Toulouse et de Bordeaux. Pour cette deuxième journée du festival, c’est l’Ensemble Un qui a présenté son travail.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 11 juillet 2015
Avant cet événement de fin d’après-midi, les festivaliers ont été convié à une excursion de plus de quatre heures la tête dans, puis au-dessus, des nuages. Plusieurs bus les ont transportés une dizaine de kilomètres plus haut, à la station de ski Luz Ardiden-Aulian (normalement fermée à cette époque de l’année). En arrivant, impossible de voir l’horizon, bouché par une brume assez épaisse tombant sur cette partie de la montagne. Une atmosphère idéale pour assister aux numéros concoctés par les Impromptus Cirque, une troupe de quatre circassiens qui se sont appropriés l’espace et les objets de la station pour réaliser leurs prouesses improvisées : équilibrisme, acrobaties, déséquilibres, envols… Dans ce cadre à l’ambiance toute particulière, un instant de grâce se produisit lorsqu’Amanda Righetti mit à mal les lois de l’attraction terrestre depuis son mât. Avec elle, le temps se suspendit.
Après le repas animé par Sylviane Blanquart au chant et à l’orgue de barbarie, les télésièges de la station mènent les festivaliers à 2135 mètresd’altitude. Au cours de la montée, soudain, le soleil, immense, généreux, inonde d’une lumière puissante la mer de nuages au-dessus de laquelle nous nous retrouvons. Descendus des télésièges, une scène sans estrade à même le sol pierreux se présente face à nous. Au loin, des sons de flûtes se rapprochent peu à peu. Trois pâtres paraissent et entament leur spectacle. L’acteur Denis Lavant incarne les personnages du long poème de Samuel Taylor Coleridge, Le dit du vieux marin, un texte hanté de morts et de fantômes, version en quelque sorte revisitée du Vaisseau fantôme (ou, au choix, de la traversée du Styx par l’esprit des morts dans la barque de Charon, ou encore la traversée des cercles infernaux de l’Enfer de Dante). Camille Secheppet (souvent deux saxophones dans la bouche, à la manière de Roland Kirk) et Laurent Paris apposent un commentaire sonore à la déclamation du comédien, entre bruitisme, incantations chamaniques et folklore imaginaire. Un frisson parcourt l’assistance lorsqu’un bout de nuage traverse le lieu du spectacle au moment précis où l’acteur évoque l’épaisseur du brouillard. Intense et sublime.
Chapiteau du Verger, 18h
Ensemble Un
Laurie Batista (vx), Tanguy Bernard (tuba), Eric Camara (cb), Paolo Chatet (tp), David Chiesa (cadre de piano amplifié, tb), Julia Hanadi (électroniques), Juliette Lacroix (vlle), Didier Lasserre (perc), Bruno Laurent (cb), Johann Loiseau (thérémin, fl, perc), Johann Mazé (dm), Mathias Pontévia (perc), Kristof Ratier (bcl), Jean-Marc Reilla (électroniques), Jean Rougier (cb), Frédéric Roumagne, Yan Saboya, Claude Saubole (elg), Julien Sellam (vl), Stéphane Torré Truéba (harmonium indien, vx), Loïc Lachaize (ingénieur du son)
Ce grand orchestre, à l’instrumentarium aussi impressionnant que varié (avec un thérémin !), a pour initiateur David Chiesa. Au début de la première pièce, on ne sait d’abord pas exactement situer l’ensemble – ce qui est un bon point ! Musique improvisée ? Musique préparée ? Aléatoire ? Contemporaine ? Jazz ? La pièce d’ouverture avançant – une composition de Julien Pontévia (Tenir par là) –, on saisit cependant assez vite que nous sommes face à des enfants de l’électro-acoustique. Ces musiciens évacuent le ton (les notes, pour le dire de façon un peu simpliste) au profit d’une concentration sur le son. Grâce à la coordination permise par la présence de plusieurs moniteurs placés devant les musiciens, l’Ensemble Un se retrouve sur des tutti sans avoir besoin de la présence physique d’un chef. Il semble bien que la plupart du temps, les créations de Julien Pontévia, David Chiesa, Jean Rougier et Julien Sellam fonctionnent par gestes musicaux (trémolos, apparition/disparition du son, etc.), aux qualités parfois théâtrales, et par signaux (dans le sens boulezien du terme). De la sorte, l’auditeur peut sans peine élaborer une stratégie d’écoute qui structure chaque pièce. Laissant traîner mes oreilles à l’issu du concert, il semble que le bis (3NS4 de Julien Pontévia) ait fait l’unanimité : après une lente contamination d’un son à tout l’orchestre, deux indomptables solistes (Yan Saboya et David Chiesa au trombone) firent irruption au sein de cet à-plat, tels deux chiens dans un jeu de go. Tout au long du concert, l’Ensemble Un sera resté loin de toute frénésie exutoire, la musique semblant au contraire très guidée sans être absolument figée – cela grâce à l’usage de partitions graphiques et, à coup sûr, de la technique de l’aléatoire contrôlé.
Chapiteau du Verger, 22h30
Trio Kazanchis
Mèssèlè Asmamaw (krar, vx), Jeroen Visser (farfisa, bs), Fabien Duscombs (dm)
Comme chaque soir, après le « concert concert » (comme on dit « jazz jazz ») venait la musique pour la danse. Avec sa drôle de lyre – le krar –, un saxophoniste issu de la scène punk néerlandaise des années 1980 et un batteur tout terrain (qui officie, par exemple, dans l’excellent Whahay), le pari n’était pas gagné d’avance. Surtout après la techno du Cabaret Contemporain de la veille. Quelques allers retours inauguraux sur la lyre suffirent au public pour comprendre que le groove serait bien au centre des débats, mais avec un accent tout à fait particulier, venu d’Ethiopie. Teinté parfois du free de Jeroen Visser, de la puissance rock d
e Fabien Duscombs, il ne fallut pas plus d’un morceau pour amener la foule sur la piste de danse.
Club de la Maison du Parc National et de la Vallée, 1h15
Sax Machine Featuring RacecaR
Pierre Dandin (tb, conques, loopers), Guillaume Sené (as, ts, machines), RacecaR (MC)
Après le repas et une prestation remarquée de la fraîche fanfare Les Fantastics (ex Vagabondu), vivante autant que sentimentale, les couche-tard avaient la possibilité de continuer à danser sur le flow de Sax Machine. Ce trio de musiciens propose un mix d’electro, de hip hop, de soul et de jazz. Construite sur le moment en recourant à de samples, des loopers et diverses machines, leur musique groove sérieusement, les deux vents faisant preuve d’une parfaite connaissance de leur terreau nourricier : James Brown. RacecaR, originaire de Chicago, et acteur de la vague Native Tongue (DeLa Soul, A Tribe Called Quest), ajoute son débit tout en souplesse de paroles anglophones, et aiguise encore le groove de l’ensemble.
Brûlé par le soleil des hauteurs, éreinté par la longue journée au milieu d’une nature environnementale et sonore d’une grande richesse, mon corps entraîna tel un somnambule tout ce qui se trouve contenu dans ma boîte crânienne à son logis temporaire, laissant derrière lui des festivaliers heureux au milieu des ondes énergétiques de Sax Machine et de RacecaR.