Miracle à Luz !
Un Miracle profane ! C’est à un véritable petit miracle (profane) auquel votre envoyé spécial a assisté. Dans un paysage hexagonal où la musique est presque toujours considérée soit comme un art négligeable, soit comme un simple divertissement qui ne doit surtout pas prétendre à autre chose, et à ce titre souvent victime de coupes budgétaires dans cette période économique difficile, la Communauté de Communes du Pays Toy a voté dans son budget la poursuite de l’altruiste festival Jazz à Luz, qui fête son quart de siècle, l’un des plus sympathiques en terme de propositions créatives.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 10 juillet 2015
Attirés par la programmation singulière d’un festival pas comme les autres (cf. les comptes-rendus sur ce blog à venir), vous avez peut-être découvert grâce au festival les charmes du village de Luz et de ses environs ? Bientôt, vous connaîtrez ceux de Barèges, Betpouey, Chèze, Esquièze-Sère, Esterre, Grust, Saligos, Sassis, Sazos, Sers, Viella, Viey, Viscos et de Vizos. Toutes ces communes appartiennent en effet à la Communauté de Communes du Pays Toy qui a eu l’intelligence de comprendre qu’un festival de jazz tel que celui-ci, avec son état d’esprit particulier – proche de la population locale, créant du lien social, aiguisant la curiosité… – draine avec lui des festivaliers proches de cette éthique. Les élus de la Communauté de Communes du Pays Toy ont bien saisi qu’une culture vivace et indépendante demeure l’un des symptômes essentiels d’une société qui n’a pas basculé (pour combien de temps encore ?) dans la barbarie (le premier travail des tyrans n’est-il pas de contrôler les expressions artistiques ?). C’est ce que l’un des responsables des partenaires du festival a rappelé lors de la soirée d’inauguration en citant ces mots d’Hugo : « Si vous pensez que la culture coûte chère, essayez l’ignorance ! ». Ne considérant la culture ni comme un luxe bourgeois, ni comme un nouvel opium du peuple, les propositions de Jazz à Luz s’avèrent être des aiguillons bénéfiques pour empêcher de penser en rond, en des musiques exigeantes envers elles-mêmes et ne versant jamais dans un élitisme « excluant ».
Laurent Grandsimon, président de la communauté de communes du Pays Toy, et Jean-Pierre Layrac, directeur du festival Jazz à Luz
Hall d’entrée du CÉVÉO, 18h.
Donkey Monkey
Eve Risser (p, vx), Yuko Oshima (dm, vx).
En guise de mise en bouche, les festivaliers ont eu droit (avant les discours officiels) au fort sympathique Donkey Monkey. Pour avoir fort apprécié leur album, la prestation luzienne ne m’a que modérément emporté, leur proverbiale énergie semblant cette fois comme émoussée (entraînant quelques scories de justesse et de mise en place). Deux raisons objectives expliquent cet état de fait : il faisait encore une chaleur étouffante au moment de leur prestation, et surtout j’appris par la suite que Yuko Oshima avait dû parcourir 3000 kilomètres en une journée pour arriver jusqu’à Luz. Le duo parvint toutefois à combler le public, totalement enthousiaste à l’issu de leur concert, notamment par l’humour au second degré et l’autodérision dont les interprètes de Donkey Monkey furent capables.
Chapiteau du Verger, 21h
Sylvie Courvoisier Trio
Sylvie Courvoiser (p), Christian Weber (cb), Julian Sartorius (dm)
Signe de bonne santé de ce festival, les discussions allèrent bon train après la prestation de Sylvie Coursoivier. Elle en déçut quelques-uns par son manifeste attachement à une certaine tradition jazzistique, tandis qu’elle en ravie d’autres par la haute musicalité dont elle fit preuve. Pour ma part, je fus conquis. La pianiste suisse possède la distinction musicale des grands compositeurs, la maestria des vrais leaders et un rapport à l’histoire des musiques d’une grande intelligence. Sur le plan compositionnelle, même si la structure relève souvent du thème – improvisations (en solo ou en collectif) – thème, ses partitions possèdent une force de caractère et une logique de construction singulière qui lancent chaque pièce sous les meilleurs auspices. Pour ce qui concerne la direction de groupe, la pièce inaugurale du concert s’apparenta à une véritable leçon, guidant son trio à la manière d’un Ahmad Jamal – par la place accordée au silence, la manière de créer beaucoup d’espace tant dans le temps que dans le registre –, mais dans une version ayant pris acte des acquis du free jazz. Enfin, le langage improvisé de Sylvie Coursoivier laissa transparaître les rapports fructueux qu’elle entretint avec l’Histoire, que ce soit du côté de Cecil Taylor et Joachim Kühn, ou de Maurice Ravel et Igor Stravinsky (citant ainsi le début du Sacre du printemps dans l’une de ses introductions en solo). Ses deux partenaires ne déméritèrent pas, loin de là. Mais il s’avéra que l’osmose ne fut pas optimum, le contrebassiste Christian Weber donnant son premier concert avec cette formation. Il n’empêche, à n’en pas douter l’un des grands moments du cru 2015 du festival.
Chapiteau du Verger, 23h30
Cabaret Contemporain
Giani Caserotto (elg), Fabrizio Rat (p, kb), Ronan Courty, Simon Drappier (cb), Julien Loutelier (dm, objets)
Place ensuite à la danse et à une plongée dans le son avec le Cabaret Contemporain. Deux versants musicaux semblent fortement attirer les musiciens s’étant frottés au jazz depuis le début du XXIe siècle : le metal et la techno (ou plus exactement les musiques électroniques populaires urbaines). Le Cabaret Sauvage s’inscrit sans contexte dans le sillon du second. La grosse caisse, frappée sur tous les temps, est l’objet d’une attention toute particulière. Ceux qui s’intéressent à l’histoire du jazz se souviendront qu’une telle technique était utilisée dans les années 1930 par nombre d’orchestres swing, formations elles aussi destinées à la danse. Mais tandis qu’au sein de ces dernières les coups de grosse caisse devaient rester dans une nuance douce pour ne pas couvrir les pas des danseurs, dans la version moderne ils
dominent l’ensemble, plongeant de la sorte incessamment les participants dans une enveloppe sonore qui les emporte. Tout en adhérant aux critères renvoyant à la techno – exécution aussi régulière que possible d’un matériau minimaliste répété en boucle, etc. –, le travail du Cabaret Contemporain n’oublie pas d’être subtil, jouant avec les codes et les effets extérieurs du genre pour parfois en décadrer l’évidence. Satisfaisant à l’oreille du musicien, le plaisir manifesté par les instrumentistes sur scène, tous sourire aux lèvres, s’apparenta à une communion avec la joie des spectateurs-danseurs.
Pour les noctambules, une dernière prestation fut donnée par le duo Cantenac Dagar (Stéphane Barascud [banjo, pédales], Aymeric Hainaux [human beatbox, cloches, lecteur cassette]) à plus d’une heure du matin au club de la Maison du Parc National et de la Vallée. Mais le citadin n’a pas l’habitude de l’air pur des hauteurs, et en fin de journée son organisme purgé des mauvaises toxines l’oblige à céder au sommeil, raison pour laquelle il ne me fut pas possible de me rendre sur les lieux, mes pieds et mes paupières ne m’obéissant plus.
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Un Miracle profane ! C’est à un véritable petit miracle (profane) auquel votre envoyé spécial a assisté. Dans un paysage hexagonal où la musique est presque toujours considérée soit comme un art négligeable, soit comme un simple divertissement qui ne doit surtout pas prétendre à autre chose, et à ce titre souvent victime de coupes budgétaires dans cette période économique difficile, la Communauté de Communes du Pays Toy a voté dans son budget la poursuite de l’altruiste festival Jazz à Luz, qui fête son quart de siècle, l’un des plus sympathiques en terme de propositions créatives.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 10 juillet 2015
Attirés par la programmation singulière d’un festival pas comme les autres (cf. les comptes-rendus sur ce blog à venir), vous avez peut-être découvert grâce au festival les charmes du village de Luz et de ses environs ? Bientôt, vous connaîtrez ceux de Barèges, Betpouey, Chèze, Esquièze-Sère, Esterre, Grust, Saligos, Sassis, Sazos, Sers, Viella, Viey, Viscos et de Vizos. Toutes ces communes appartiennent en effet à la Communauté de Communes du Pays Toy qui a eu l’intelligence de comprendre qu’un festival de jazz tel que celui-ci, avec son état d’esprit particulier – proche de la population locale, créant du lien social, aiguisant la curiosité… – draine avec lui des festivaliers proches de cette éthique. Les élus de la Communauté de Communes du Pays Toy ont bien saisi qu’une culture vivace et indépendante demeure l’un des symptômes essentiels d’une société qui n’a pas basculé (pour combien de temps encore ?) dans la barbarie (le premier travail des tyrans n’est-il pas de contrôler les expressions artistiques ?). C’est ce que l’un des responsables des partenaires du festival a rappelé lors de la soirée d’inauguration en citant ces mots d’Hugo : « Si vous pensez que la culture coûte chère, essayez l’ignorance ! ». Ne considérant la culture ni comme un luxe bourgeois, ni comme un nouvel opium du peuple, les propositions de Jazz à Luz s’avèrent être des aiguillons bénéfiques pour empêcher de penser en rond, en des musiques exigeantes envers elles-mêmes et ne versant jamais dans un élitisme « excluant ».
Laurent Grandsimon, président de la communauté de communes du Pays Toy, et Jean-Pierre Layrac, directeur du festival Jazz à Luz
Hall d’entrée du CÉVÉO, 18h.
Donkey Monkey
Eve Risser (p, vx), Yuko Oshima (dm, vx).
En guise de mise en bouche, les festivaliers ont eu droit (avant les discours officiels) au fort sympathique Donkey Monkey. Pour avoir fort apprécié leur album, la prestation luzienne ne m’a que modérément emporté, leur proverbiale énergie semblant cette fois comme émoussée (entraînant quelques scories de justesse et de mise en place). Deux raisons objectives expliquent cet état de fait : il faisait encore une chaleur étouffante au moment de leur prestation, et surtout j’appris par la suite que Yuko Oshima avait dû parcourir 3000 kilomètres en une journée pour arriver jusqu’à Luz. Le duo parvint toutefois à combler le public, totalement enthousiaste à l’issu de leur concert, notamment par l’humour au second degré et l’autodérision dont les interprètes de Donkey Monkey furent capables.
Chapiteau du Verger, 21h
Sylvie Courvoisier Trio
Sylvie Courvoiser (p), Christian Weber (cb), Julian Sartorius (dm)
Signe de bonne santé de ce festival, les discussions allèrent bon train après la prestation de Sylvie Coursoivier. Elle en déçut quelques-uns par son manifeste attachement à une certaine tradition jazzistique, tandis qu’elle en ravie d’autres par la haute musicalité dont elle fit preuve. Pour ma part, je fus conquis. La pianiste suisse possède la distinction musicale des grands compositeurs, la maestria des vrais leaders et un rapport à l’histoire des musiques d’une grande intelligence. Sur le plan compositionnelle, même si la structure relève souvent du thème – improvisations (en solo ou en collectif) – thème, ses partitions possèdent une force de caractère et une logique de construction singulière qui lancent chaque pièce sous les meilleurs auspices. Pour ce qui concerne la direction de groupe, la pièce inaugurale du concert s’apparenta à une véritable leçon, guidant son trio à la manière d’un Ahmad Jamal – par la place accordée au silence, la manière de créer beaucoup d’espace tant dans le temps que dans le registre –, mais dans une version ayant pris acte des acquis du free jazz. Enfin, le langage improvisé de Sylvie Coursoivier laissa transparaître les rapports fructueux qu’elle entretint avec l’Histoire, que ce soit du côté de Cecil Taylor et Joachim Kühn, ou de Maurice Ravel et Igor Stravinsky (citant ainsi le début du Sacre du printemps dans l’une de ses introductions en solo). Ses deux partenaires ne déméritèrent pas, loin de là. Mais il s’avéra que l’osmose ne fut pas optimum, le contrebassiste Christian Weber donnant son premier concert avec cette formation. Il n’empêche, à n’en pas douter l’un des grands moments du cru 2015 du festival.
Chapiteau du Verger, 23h30
Cabaret Contemporain
Giani Caserotto (elg), Fabrizio Rat (p, kb), Ronan Courty, Simon Drappier (cb), Julien Loutelier (dm, objets)
Place ensuite à la danse et à une plongée dans le son avec le Cabaret Contemporain. Deux versants musicaux semblent fortement attirer les musiciens s’étant frottés au jazz depuis le début du XXIe siècle : le metal et la techno (ou plus exactement les musiques électroniques populaires urbaines). Le Cabaret Sauvage s’inscrit sans contexte dans le sillon du second. La grosse caisse, frappée sur tous les temps, est l’objet d’une attention toute particulière. Ceux qui s’intéressent à l’histoire du jazz se souviendront qu’une telle technique était utilisée dans les années 1930 par nombre d’orchestres swing, formations elles aussi destinées à la danse. Mais tandis qu’au sein de ces dernières les coups de grosse caisse devaient rester dans une nuance douce pour ne pas couvrir les pas des danseurs, dans la version moderne ils
dominent l’ensemble, plongeant de la sorte incessamment les participants dans une enveloppe sonore qui les emporte. Tout en adhérant aux critères renvoyant à la techno – exécution aussi régulière que possible d’un matériau minimaliste répété en boucle, etc. –, le travail du Cabaret Contemporain n’oublie pas d’être subtil, jouant avec les codes et les effets extérieurs du genre pour parfois en décadrer l’évidence. Satisfaisant à l’oreille du musicien, le plaisir manifesté par les instrumentistes sur scène, tous sourire aux lèvres, s’apparenta à une communion avec la joie des spectateurs-danseurs.
Pour les noctambules, une dernière prestation fut donnée par le duo Cantenac Dagar (Stéphane Barascud [banjo, pédales], Aymeric Hainaux [human beatbox, cloches, lecteur cassette]) à plus d’une heure du matin au club de la Maison du Parc National et de la Vallée. Mais le citadin n’a pas l’habitude de l’air pur des hauteurs, et en fin de journée son organisme purgé des mauvaises toxines l’oblige à céder au sommeil, raison pour laquelle il ne me fut pas possible de me rendre sur les lieux, mes pieds et mes paupières ne m’obéissant plus.
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Un Miracle profane ! C’est à un véritable petit miracle (profane) auquel votre envoyé spécial a assisté. Dans un paysage hexagonal où la musique est presque toujours considérée soit comme un art négligeable, soit comme un simple divertissement qui ne doit surtout pas prétendre à autre chose, et à ce titre souvent victime de coupes budgétaires dans cette période économique difficile, la Communauté de Communes du Pays Toy a voté dans son budget la poursuite de l’altruiste festival Jazz à Luz, qui fête son quart de siècle, l’un des plus sympathiques en terme de propositions créatives.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 10 juillet 2015
Attirés par la programmation singulière d’un festival pas comme les autres (cf. les comptes-rendus sur ce blog à venir), vous avez peut-être découvert grâce au festival les charmes du village de Luz et de ses environs ? Bientôt, vous connaîtrez ceux de Barèges, Betpouey, Chèze, Esquièze-Sère, Esterre, Grust, Saligos, Sassis, Sazos, Sers, Viella, Viey, Viscos et de Vizos. Toutes ces communes appartiennent en effet à la Communauté de Communes du Pays Toy qui a eu l’intelligence de comprendre qu’un festival de jazz tel que celui-ci, avec son état d’esprit particulier – proche de la population locale, créant du lien social, aiguisant la curiosité… – draine avec lui des festivaliers proches de cette éthique. Les élus de la Communauté de Communes du Pays Toy ont bien saisi qu’une culture vivace et indépendante demeure l’un des symptômes essentiels d’une société qui n’a pas basculé (pour combien de temps encore ?) dans la barbarie (le premier travail des tyrans n’est-il pas de contrôler les expressions artistiques ?). C’est ce que l’un des responsables des partenaires du festival a rappelé lors de la soirée d’inauguration en citant ces mots d’Hugo : « Si vous pensez que la culture coûte chère, essayez l’ignorance ! ». Ne considérant la culture ni comme un luxe bourgeois, ni comme un nouvel opium du peuple, les propositions de Jazz à Luz s’avèrent être des aiguillons bénéfiques pour empêcher de penser en rond, en des musiques exigeantes envers elles-mêmes et ne versant jamais dans un élitisme « excluant ».
Laurent Grandsimon, président de la communauté de communes du Pays Toy, et Jean-Pierre Layrac, directeur du festival Jazz à Luz
Hall d’entrée du CÉVÉO, 18h.
Donkey Monkey
Eve Risser (p, vx), Yuko Oshima (dm, vx).
En guise de mise en bouche, les festivaliers ont eu droit (avant les discours officiels) au fort sympathique Donkey Monkey. Pour avoir fort apprécié leur album, la prestation luzienne ne m’a que modérément emporté, leur proverbiale énergie semblant cette fois comme émoussée (entraînant quelques scories de justesse et de mise en place). Deux raisons objectives expliquent cet état de fait : il faisait encore une chaleur étouffante au moment de leur prestation, et surtout j’appris par la suite que Yuko Oshima avait dû parcourir 3000 kilomètres en une journée pour arriver jusqu’à Luz. Le duo parvint toutefois à combler le public, totalement enthousiaste à l’issu de leur concert, notamment par l’humour au second degré et l’autodérision dont les interprètes de Donkey Monkey furent capables.
Chapiteau du Verger, 21h
Sylvie Courvoisier Trio
Sylvie Courvoiser (p), Christian Weber (cb), Julian Sartorius (dm)
Signe de bonne santé de ce festival, les discussions allèrent bon train après la prestation de Sylvie Coursoivier. Elle en déçut quelques-uns par son manifeste attachement à une certaine tradition jazzistique, tandis qu’elle en ravie d’autres par la haute musicalité dont elle fit preuve. Pour ma part, je fus conquis. La pianiste suisse possède la distinction musicale des grands compositeurs, la maestria des vrais leaders et un rapport à l’histoire des musiques d’une grande intelligence. Sur le plan compositionnelle, même si la structure relève souvent du thème – improvisations (en solo ou en collectif) – thème, ses partitions possèdent une force de caractère et une logique de construction singulière qui lancent chaque pièce sous les meilleurs auspices. Pour ce qui concerne la direction de groupe, la pièce inaugurale du concert s’apparenta à une véritable leçon, guidant son trio à la manière d’un Ahmad Jamal – par la place accordée au silence, la manière de créer beaucoup d’espace tant dans le temps que dans le registre –, mais dans une version ayant pris acte des acquis du free jazz. Enfin, le langage improvisé de Sylvie Coursoivier laissa transparaître les rapports fructueux qu’elle entretint avec l’Histoire, que ce soit du côté de Cecil Taylor et Joachim Kühn, ou de Maurice Ravel et Igor Stravinsky (citant ainsi le début du Sacre du printemps dans l’une de ses introductions en solo). Ses deux partenaires ne déméritèrent pas, loin de là. Mais il s’avéra que l’osmose ne fut pas optimum, le contrebassiste Christian Weber donnant son premier concert avec cette formation. Il n’empêche, à n’en pas douter l’un des grands moments du cru 2015 du festival.
Chapiteau du Verger, 23h30
Cabaret Contemporain
Giani Caserotto (elg), Fabrizio Rat (p, kb), Ronan Courty, Simon Drappier (cb), Julien Loutelier (dm, objets)
Place ensuite à la danse et à une plongée dans le son avec le Cabaret Contemporain. Deux versants musicaux semblent fortement attirer les musiciens s’étant frottés au jazz depuis le début du XXIe siècle : le metal et la techno (ou plus exactement les musiques électroniques populaires urbaines). Le Cabaret Sauvage s’inscrit sans contexte dans le sillon du second. La grosse caisse, frappée sur tous les temps, est l’objet d’une attention toute particulière. Ceux qui s’intéressent à l’histoire du jazz se souviendront qu’une telle technique était utilisée dans les années 1930 par nombre d’orchestres swing, formations elles aussi destinées à la danse. Mais tandis qu’au sein de ces dernières les coups de grosse caisse devaient rester dans une nuance douce pour ne pas couvrir les pas des danseurs, dans la version moderne ils
dominent l’ensemble, plongeant de la sorte incessamment les participants dans une enveloppe sonore qui les emporte. Tout en adhérant aux critères renvoyant à la techno – exécution aussi régulière que possible d’un matériau minimaliste répété en boucle, etc. –, le travail du Cabaret Contemporain n’oublie pas d’être subtil, jouant avec les codes et les effets extérieurs du genre pour parfois en décadrer l’évidence. Satisfaisant à l’oreille du musicien, le plaisir manifesté par les instrumentistes sur scène, tous sourire aux lèvres, s’apparenta à une communion avec la joie des spectateurs-danseurs.
Pour les noctambules, une dernière prestation fut donnée par le duo Cantenac Dagar (Stéphane Barascud [banjo, pédales], Aymeric Hainaux [human beatbox, cloches, lecteur cassette]) à plus d’une heure du matin au club de la Maison du Parc National et de la Vallée. Mais le citadin n’a pas l’habitude de l’air pur des hauteurs, et en fin de journée son organisme purgé des mauvaises toxines l’oblige à céder au sommeil, raison pour laquelle il ne me fut pas possible de me rendre sur les lieux, mes pieds et mes paupières ne m’obéissant plus.
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Un Miracle profane ! C’est à un véritable petit miracle (profane) auquel votre envoyé spécial a assisté. Dans un paysage hexagonal où la musique est presque toujours considérée soit comme un art négligeable, soit comme un simple divertissement qui ne doit surtout pas prétendre à autre chose, et à ce titre souvent victime de coupes budgétaires dans cette période économique difficile, la Communauté de Communes du Pays Toy a voté dans son budget la poursuite de l’altruiste festival Jazz à Luz, qui fête son quart de siècle, l’un des plus sympathiques en terme de propositions créatives.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 10 juillet 2015
Attirés par la programmation singulière d’un festival pas comme les autres (cf. les comptes-rendus sur ce blog à venir), vous avez peut-être découvert grâce au festival les charmes du village de Luz et de ses environs ? Bientôt, vous connaîtrez ceux de Barèges, Betpouey, Chèze, Esquièze-Sère, Esterre, Grust, Saligos, Sassis, Sazos, Sers, Viella, Viey, Viscos et de Vizos. Toutes ces communes appartiennent en effet à la Communauté de Communes du Pays Toy qui a eu l’intelligence de comprendre qu’un festival de jazz tel que celui-ci, avec son état d’esprit particulier – proche de la population locale, créant du lien social, aiguisant la curiosité… – draine avec lui des festivaliers proches de cette éthique. Les élus de la Communauté de Communes du Pays Toy ont bien saisi qu’une culture vivace et indépendante demeure l’un des symptômes essentiels d’une société qui n’a pas basculé (pour combien de temps encore ?) dans la barbarie (le premier travail des tyrans n’est-il pas de contrôler les expressions artistiques ?). C’est ce que l’un des responsables des partenaires du festival a rappelé lors de la soirée d’inauguration en citant ces mots d’Hugo : « Si vous pensez que la culture coûte chère, essayez l’ignorance ! ». Ne considérant la culture ni comme un luxe bourgeois, ni comme un nouvel opium du peuple, les propositions de Jazz à Luz s’avèrent être des aiguillons bénéfiques pour empêcher de penser en rond, en des musiques exigeantes envers elles-mêmes et ne versant jamais dans un élitisme « excluant ».
Laurent Grandsimon, président de la communauté de communes du Pays Toy, et Jean-Pierre Layrac, directeur du festival Jazz à Luz
Hall d’entrée du CÉVÉO, 18h.
Donkey Monkey
Eve Risser (p, vx), Yuko Oshima (dm, vx).
En guise de mise en bouche, les festivaliers ont eu droit (avant les discours officiels) au fort sympathique Donkey Monkey. Pour avoir fort apprécié leur album, la prestation luzienne ne m’a que modérément emporté, leur proverbiale énergie semblant cette fois comme émoussée (entraînant quelques scories de justesse et de mise en place). Deux raisons objectives expliquent cet état de fait : il faisait encore une chaleur étouffante au moment de leur prestation, et surtout j’appris par la suite que Yuko Oshima avait dû parcourir 3000 kilomètres en une journée pour arriver jusqu’à Luz. Le duo parvint toutefois à combler le public, totalement enthousiaste à l’issu de leur concert, notamment par l’humour au second degré et l’autodérision dont les interprètes de Donkey Monkey furent capables.
Chapiteau du Verger, 21h
Sylvie Courvoisier Trio
Sylvie Courvoiser (p), Christian Weber (cb), Julian Sartorius (dm)
Signe de bonne santé de ce festival, les discussions allèrent bon train après la prestation de Sylvie Coursoivier. Elle en déçut quelques-uns par son manifeste attachement à une certaine tradition jazzistique, tandis qu’elle en ravie d’autres par la haute musicalité dont elle fit preuve. Pour ma part, je fus conquis. La pianiste suisse possède la distinction musicale des grands compositeurs, la maestria des vrais leaders et un rapport à l’histoire des musiques d’une grande intelligence. Sur le plan compositionnelle, même si la structure relève souvent du thème – improvisations (en solo ou en collectif) – thème, ses partitions possèdent une force de caractère et une logique de construction singulière qui lancent chaque pièce sous les meilleurs auspices. Pour ce qui concerne la direction de groupe, la pièce inaugurale du concert s’apparenta à une véritable leçon, guidant son trio à la manière d’un Ahmad Jamal – par la place accordée au silence, la manière de créer beaucoup d’espace tant dans le temps que dans le registre –, mais dans une version ayant pris acte des acquis du free jazz. Enfin, le langage improvisé de Sylvie Coursoivier laissa transparaître les rapports fructueux qu’elle entretint avec l’Histoire, que ce soit du côté de Cecil Taylor et Joachim Kühn, ou de Maurice Ravel et Igor Stravinsky (citant ainsi le début du Sacre du printemps dans l’une de ses introductions en solo). Ses deux partenaires ne déméritèrent pas, loin de là. Mais il s’avéra que l’osmose ne fut pas optimum, le contrebassiste Christian Weber donnant son premier concert avec cette formation. Il n’empêche, à n’en pas douter l’un des grands moments du cru 2015 du festival.
Chapiteau du Verger, 23h30
Cabaret Contemporain
Giani Caserotto (elg), Fabrizio Rat (p, kb), Ronan Courty, Simon Drappier (cb), Julien Loutelier (dm, objets)
Place ensuite à la danse et à une plongée dans le son avec le Cabaret Contemporain. Deux versants musicaux semblent fortement attirer les musiciens s’étant frottés au jazz depuis le début du XXIe siècle : le metal et la techno (ou plus exactement les musiques électroniques populaires urbaines). Le Cabaret Sauvage s’inscrit sans contexte dans le sillon du second. La grosse caisse, frappée sur tous les temps, est l’objet d’une attention toute particulière. Ceux qui s’intéressent à l’histoire du jazz se souviendront qu’une telle technique était utilisée dans les années 1930 par nombre d’orchestres swing, formations elles aussi destinées à la danse. Mais tandis qu’au sein de ces dernières les coups de grosse caisse devaient rester dans une nuance douce pour ne pas couvrir les pas des danseurs, dans la version moderne ils
dominent l’ensemble, plongeant de la sorte incessamment les participants dans une enveloppe sonore qui les emporte. Tout en adhérant aux critères renvoyant à la techno – exécution aussi régulière que possible d’un matériau minimaliste répété en boucle, etc. –, le travail du Cabaret Contemporain n’oublie pas d’être subtil, jouant avec les codes et les effets extérieurs du genre pour parfois en décadrer l’évidence. Satisfaisant à l’oreille du musicien, le plaisir manifesté par les instrumentistes sur scène, tous sourire aux lèvres, s’apparenta à une communion avec la joie des spectateurs-danseurs.
Pour les noctambules, une dernière prestation fut donnée par le duo Cantenac Dagar (Stéphane Barascud [banjo, pédales], Aymeric Hainaux [human beatbox, cloches, lecteur cassette]) à plus d’une heure du matin au club de la Maison du Parc National et de la Vallée. Mais le citadin n’a pas l’habitude de l’air pur des hauteurs, et en fin de journée son organisme purgé des mauvaises toxines l’oblige à céder au sommeil, raison pour laquelle il ne me fut pas possible de me rendre sur les lieux, mes pieds et mes paupières ne m’obéissant plus.