Jazz à Luz 2018 : Journée 3
Pour sa troisième journée, Jazz à Luz propose à ses festivaliers une très attendue excursion artistique dans la nature du Pays Toy.
Festival Jazz à Luz
Vendredi 13 juillet, Barèges (65)
9h30, vers le plateau Lienz
Epi-Echo(s)
Elise Caron (vx), Aurélie Maisonneuve (vx, fl), Prune Béchau (vl, objets), Toma Gouband (perc, lithophone), Philippe Foch (perc, objets).
Rendez-vous est donné au restaurant Chez Louisette, proche des départs de parcours sur le plateau de Lienz. On s’attarde devant le café matinale après une nuit très courte. Vers 10h30, le top départ est donné. Nous sommes dirigés vers des sons lointains d’abord, des cris notamment. En nous approchant, nous nous rendons compte qu’il s’agit de Philippe Foch qui joue au berger, de même qu’Elise Caron qui rassemble son troupeau de promeneurs, leur lançant des injonctions humoristiques du type : « Alleeeeeeeeeezz, venez les mémères, on reste en groupe, les mâles avec les mâles, les femelles avec les femelles ». Tout au long du parcours, les musiciens improvisent avec tout ce qu’ils trouvent d’intéressant : pierres, bois, branches, mouvements d’air, rails de remonte pente mécanique abandonné, plus quelques percussions apportées, les happeaux de Prune Béchau, etc. Ils stationnent ainsi de loin en loin pour explorer les sons offerts par la nature, ce jusqu’à une clairière où cette fois il s’agit d’improvisation libre collective avec davantage de hauteurs de notes et de rythmes. De l’aveu de tous, s’il y eut de bons moments, comme l’imitation hilarante d’Anne Montaron par Elise Caron ou le duo rythmé de Toma Gouband et Philippe Foch sur du bois et des tôles rouillées abandonnées, ce ne fut pas l’excursion la plus mémorable du festival.
Après le repas Chez Louisette, Anne Montaron (de France Musique) interviewa les musiciens sur leur rencontre, inédite puisque suscitée par le festival, ainsi que sur l’expérience qu’ils venaient de réaliser. Les musiciens exprimèrent la difficulté de la situation, Toma Gouband précisant sa légère perplexité, lui qui, d’habitude, mène ce genre de recherche sonore seul, sans public ni représentation. Philippe Foch souligna néanmoins l’importance d’une telle action, quelque soit le résultat musical, lançant de manière impromptue ce slogan définitif : « Jazz à Luz, créateur de magie sociale ».
16h, église de Barège
Frantz Loriot solo
Frantz Loriot (violon alto)
Changement complet une fois redescendu dans la ville de Barège. Après l’immensité des paysages, l’intimisme d’une petite église ; après un collectif à l’instrumentarium bigarré, un solo de violon alto. Seul point commun entre Epi-Echo(s) et Frantz Loriot : l’improvisation totale.
L’altiste réalisa une performance remarquable, en plusieurs séquences s’enchaînant avec le plus grand naturel : variations autour d’une note ; travail de répétitions de mouvements en allers-retours ; concentration sur les infimes sons de frottement du crin de son archet, sans la moindre émission de hauteur de note ; mutation des frottements en grincements, puis des grincements en des sons proches du sifflement et du souffle ; pizzicatos au médiator. Répétons que, loin de tout effet de catalogue, Frantz Loriot déduisit chaque moment du précédent, le tout paraissant uni non par les éléments de langage musical employés mais par une même expression d’un intimisme un rien solennel, en parfaite harmonie avec le lieu.
22h, chapiteau du verger
Kill Your Idols
Radek Klukowski (tp), Olivier Bost, Patrick Charbonnier (tp), Marc Démereau, Eric Vagnon (bs), Marc Maffiolo, Florian Nastorg (sax basse).
C’est à l’initiative du festival que ces sept musiciens se trouvent rassemblés. Réunion des deux formations Bampots et No Noise No Reduction, ils ont offert aux festivaliers une prestation remarquable, haute en couleur et énergisante. Pour ce premier projet, travaillé depuis le mois de novembre, et dont il s’agissait de la création ce 13 juillet, Kill Your Idols s’est donné pour objectif de relire en formation acoustique l’œuvre du groupe de rock d’avant-garde Sonic Youth. Que l’on connaisse parfaitement Sonic Youth ou non, tel votre chroniqueur, le résultat fut le même : enthousiasmant. Voilà en effet de la musique festive intelligente, chaque arrangement tenant la gageure de nourrir autant les fêtards que les mélomanes – les auditeurs occupèrent d’ailleurs le chapiteau en deux espaces distincts, les uns debout et dansants devant la scène, les autres à l’arrière assis sur des chaises. Danse, free, jeu de déphasage sur des mises en boucle répétitives, bruitisme spectral, bourdon-transe, trombone à la Gary Valente, meute de saxophones graves : tel est Kill Your Idols, le tout produit avec une puissance et une énergie proprement inouïe. A la fin de chacun de leurs arrangements, la formation reçut une ovation méritée, la dernière, après le bis, étant la plus ardente.
2h15, Maison de la vallée
Roue libre
Quentin Bardiau (kb, ts), Richard Comte (elg), Théo Lanau (dr).
Il fallait que je sois vraiment très motivé pour tenir jusqu’à 2h15 du matin (le concert étant initialement programmé à 1h) afin d’entendre Richard Comte et ses collègues. Je ne le regrettais pas, même si je ne parvins pas à rester jusqu’au bout, je préciserai par la suite pourquoi. La musique que Roue libre produisit s’apparente à du rock free, autrement dit une musique qui s’empare des pratiques communes du rock mais avec une totale liberté, les musiciens improvisant sur l’instant et la forme et le contenu. On pourrait résumer l’ensemble de la prestation à énormissime crescendo. Quentin Bardiau alimenta cette vague irrépressible surtout depuis son clavier. Richard Comte surpris son monde en finissant par hurler son chant collé au micro, lui à la personnalité si douce, faisant passer la musique d’un paysage sonore venu des Sex Pistols, par exemple, à celui de Black Sabbath. Quant à Théo Lanau, il fit une très grande impression à la batterie, réalisant une performance aussi bien musicale que physique. Avec quatre amplis de guitare, un énorme ampli pour le clavier et trois haut-parleurs de diffusion, et un niveau d’emblée assez puissant, le tout sous les voûtes de pierre de la maison de la vallée, le niveau sonore fut énorme. Même si mes bouchons d’oreille m’ont protégé, mes entrailles étaient remuées par les sons de Roue libre. Si je n’avais pas déjà su que le son est la transmission d’une onde d’énergie, je l’aurais compris certainement ce soir-là, raison pour laquelle je finis par quitter les lieux, non pas dépit musical – au contraire ! – mais vaincu par les décibels. Quoi qu’il en soit du chroniqueur, sans aucun doute possible l’une des prestations marquantes du festival 2018.
Ludovic Florin