Jazz à Megève II: Norah Jones, un jazz minimaliste
Surprenant son monde, elle rentre en scène directement sans aucun présentation, s’assoit au piano et sans un mot au public plaque ses accords sur le clavier. Habituellement Jean René Palacio, Directeur dArtistique et Laurent Gerra, le parrain du festival introduisent les artistes en un duo plutôt tourné vers l’humour. Là, Norah Jones les a comme qui dirait carrément plantés, exigeant silence ainsi que la fermeture des portes de la salle en guise de préambule. Ambiance…
Norah Jones (voc, p), Chris Thomas (b), Brian Blade (dm)
Jazz à Megève, Palais des Sports, Megève (74120), 1er avril
Une sorte de minimalisme. Sur cette tournée Norah Jones joue sur la formule du trio. Rien de plus rien de moins. Elle joue d’abord sur sa voix, bien entendu, celle qu’on lui connait, empreinte d’une certaine douceur, d’une bonne dose de souplesse également, apte à sculpter au plus près les phrases d’un jazz tirant vers un blues léger, voire la country music. De par son timbre de voix, Norah Jones c’est vrai, réussit aussi à faire entrer son audience dans le lien d’une certaine intimité (Tragedy) Elle joue du piano également. En appui de sa voix, en contrechants et soutien façon mainstream bien assimilé, assumé. Ainsi installe-t-elle ses petits rituels, musique et paroles pour conter en chanson des histoires de vies. Bref, une heure et demie de tour de chant, pas une minute de plus, rappels (2) compris. Le temps de puiser largement dans les 21 morceaux de Day Breaks, son album référence. Des chansons diffusées partout (Flipside, Carry on, its a wonderful time for love…), quelques titres hissés au rang de hit (Don’t know why, Don’t be denied) le tout exposé avec plus de simplicité dans l’effet live que dans l’orchestration riche et les arrangements de l’album paru en 2016. Reste à noter au sein du trio le boulot net, propre, précis de Chris Thomas basse acoustique ou électrique en (bonnes) mains. Et puis surtout le bonus que constitue la présence à la batterie de Brian Blade. Dans cette forme de trio il ne peut bien sur pas s’exposer autant que dans celui formé avec Danilo Perez et John Patitucci voire les mêmes oeuvrant derrière Wayne Shorter. Sauf que l’art de la batterie veut que Brian Blade s’exprime avec autant de talent dans le minimalisme que dans l’effervescence. On l’a aura même surpris, visage toujours inondé d’un sourire, à jouer sur les temps et les contretemps, histoire de porter des petits riens de richesse à un musique frappée d’une certaine évidence. Brian Blade, fidèle à lui même: talentueux, inventif, espiègle !
Le public de cette ultime soirée aura réagi favorablement à ce parti pris de minimalisme malgré la relation initiale un peu froide distillée par la chanteuse un tantinet starisée dans le monde du jazz et au delà désormais. Au bout de trois ans d’existence Jazz à Megève a trouvé un public. Trois soirées sold out. Certes le public de la station chic haut-savoyarde a des moyens, il n’est que de regarder les véhicules stationnés sur les parkings avoisinants. Mais ce public draine aussi de jeunes amateurs vers les musiques présentées. Un peu plus d’animation dans la cité autour et par le jazz, dans les rues, de par quelques lieux favorables aux « afters »: voilà une perspective intéressante à développer dans une ville où un club a présenté dans son histoire nocturne des figures comme Sydney Bechet, Lionel Hampton ou même Eddy Barclay, cigare aux lèvres et à l’oeuvre au piano.Le parrain du festival, Laurent Gerra lui vit, voit l’événement sous de bonnes augures « J’ai accepté de patronner ce festival à la demande de Jean René Palacio, non seulement parce que je suis originalre de cette région mais aussi parce que je sens que le festival apporte du plaisir aux gens. J’aime le jazz pour cette raison d’ailleurs. J’ai toujours pensé que cette musique, surtout jouée sur une scène, apporte ce plaisir. D’ailleurs moi le jazz me donne le moral. Ainsi tous les matins ou presque avant de penser à bosser, je m’écoute un titre de Count Basie, en big band surtout. Et lorsque je fais une grande salle style l’Olympia, je me mets du jazz dans les oreilles avant de monter sur scène. J’ai des souvenirs de concerts fantastiques, par exemple pour avoir eu l’occasion d’écouter Oscar Peterson à Montréal. Ici j’ai découvert Marcus Miller, et vraiment ce qu’il fait, ce qu’il dégage sur scène me parait fabuleux J’aime le swing en général, les sections de cuivres des grands orchestres. Et j’adore les crooners lorsqu’ils font leur leur show. J’ai eu l’occasion également, par le métier de chanter un jour aux côtés de Tony Bennet, un super souvenir. Le jazz pour moi, ça part de loin car mon grand père jouait de la grosse caisse dans une fanfare de Bourg en Bresse, ma ville natale. Il adorait déjà le dixieland, et m’a fait découvrir cette musique. Je regrette de ne pas avoir pratiqué un instrument. Mais un jour que je m’en plaignais auprès de Fred Manoukian, le chef d’orchestre avec qui je travaillais, il m’a répliqué en riant « Ta voix est le vingt et unième instrument de l’orchestre, c’est déjà pas mal…! » Pour revenir à Megève, le festival ma paraît avoir trouvé ses marques. Et pour moi patronner un évènement lié au jazz est un plaisir, un honneur même »
Robert Latxague