Jazz à Oloron: les petits secrets de Bill Frisell
Du premier rang on voyait des petites formes un peu floues empilées devant l’ampli de guitare utilisé par Bill Frisell sur la scène de la salle Jeliote. À y regarder de plus près on pouvait distinguer de drôles de peluches, animaux familiers type doudous pour petits gosses en mal de sommeil calme. Impossible de demander à l’intéressé le pourquoi du comment de cette présence fétiche. Arrivé tard des pays nordiques il devait prendre un avion très tôt le lendemain matin pour la Sicile depuis l’aéroport de Toulouse. Mystère parti dans un van aussi gris que la nuit…
Iiro Rantala (p, électr)
Bill Frisell (elg), Thomas Morgan (b), Rudy Royston (dm)
Des Rives et des Notes/Jazz à Oloron, Salle Jéliote, Oloron Sainte Marie (64400), 6 juillet
Avec Iiro Rantala lâché seul sur une scène il faut s’attendre à tout. Surtout ne rien prévoir. Par exemple il prépare maintenant “ un opéra jazz comique “ qu’il mettra en scène cet hiver à l’Opéra de Berlin avec l’Orchestre Symphonique de la capitale allemande. On peut voir le pianiste finlandais à nul autre pareil d’un côté ou de l’autre du miroir musical. Du jazz ou pas seulement. Le musicien se raconte dans son jeu. Ou le piano dit tout de sa personnalité vue de l’intérieur. À Oloron il a utilisé son calendrier personnel. Soit douze thèmes illustrant chaque mois de l’année avec le filtre d’un feeling finnois très personnel. (L’album My finish calendar devrait sortir chez ACT fin août prochain)
Rantala en introduction explique systématiquement son sentiment, son ressenti avec une bonne dose d’humour vis à vis de celui de ses compatriotes à propos du temps qui passe sur 365 jours divisés en séquences mensuelles. Le propos musical se trouve abondamment introduit en mots, en justificatif de la tonalité musicale du morceau. Une phase de contexte appuyée par des images vidéo reproduites en grand format en fond de scène. Ciel, mer, rochers, forêt, neige, soleil se trouvent ainsi passés en revue avec en flashs ponctuels la figure du pianiste intervenant dans un ròle d’acteur…muet.
Question propos musical les couleurs contrastées défilent sous les doigts du pianiste. Les rythmes, les cadences diffèrent selon l’illustration du temps, des réalités de la météo du pays nordique. Grandes vagues d’accords sombres, registres de basse sous la main gauche pour raconter un “avril de jours gris, froids” Des sons plus électroniques injectés en mode binaire appuyé racontent son vécu de mai. Les cordes dans le ventre du piano se retrouvent bloquées avec une serviette éponge à but de notes sèches, dénuées de toute résonnance “parce que je n’aime pas ce mois d’août chez nous où tout le monde doit reprendre le boulot…” Il faut attendre l’evocation des trois derniers mois de l’année pour goûter chez lui dans l’expression pianistique un maximum d’expressvité, une emphase libératoire dans l’élan donné d’improvisation dominante. Ou lorsque Rantala se lâche enfin. Et ses kyrielles de notes fortes avec. Jusqu’à ce rappel en hommage à son ami disparu Esbjorn Svensson du trio EST, moment d’émotion pure pétri d’une grande sensibilité.
Avant de claquer le couvercle sur le clavier. En mot de fin tonitruant. Sans appel.
Pourquoi ne pas l’avouer? L’exercice s’avère assez fascinant que de voir sans mot dire ce corpus musical aux formes mouvantes se construire à trois voix discrètes, dans l’instant. À partir de petits blocs de notes égrénées, d’accords comme volontairement isolés. Motifs imprimées sans beaucoup de substance de liaison gravées sur le manche de sa guitare. Bill Frisell sans y paraître a l’art de faire naître sous ses doigts experts une musique toujours pertinente en matière d’impact, d’accroche question attention à conquérir de la part de son auditoire. Originale dans le déroulement de la trame harmonique comme dans la gamme de couleurs offertes. Le trio enchaine les compositions personnelles ou non quasi sans coupure ( du standardissime Moon River à Baba Drame une chanson de Boubacar Traoré) Fort d’une évidente écoute mutuelle, un savoir faire in fine peu démonstratif. Le batteur pourtant très prolixe en relances, soulignements, Rudy Royston, intervient toujours avec finesse dans et autour de lignes de mélodies tracées.
Il aura fallu patienter -mot pertinent ? Pas sûr … – près de trois quart d’heure ce soir de juillet un peu orageux à Oloron pour entendre la matérialisation de ce que l’on a coutume d’appeler un solo de guitare…Au sortir de ce développement unique Frisell sourit en regardant son bassiste sculpter des notes rondes. Le guitariste entame une mélodie figurant une chanson, presqu’une contine (Days of wine and roses d’Henri Mancini) L’improvisation douce se trouve poussée jusqu’à son état le plus naturel. Dans le public on doit avoir envie de fredonner. L’instant d’avant pourtant Bill Frisell s’était penché un instant sur ses quelques pédales d’effet, projetant en mode séquenceur des bouquets de notes en boucle, petite frise sonore spacialisée en déco surprise. Pour étonner sans doute par une sorte de clin d’oeil il sert aussi une version inattendue, très lisse également, du Goldfinger extrait de la VO du James Bond signées John Barry.
Bill Frisell avec son look de vieux sage ordinaire garde le génie de l’improvisation garantie vivante.
Il demeure un guitariste de jazz décidément pas comme les autres.
Robert Latxague
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