Jazz à Ramatuelle 2017
De Lisa Simone à Yaron Herman en passant par René Urtreger, Michael Wollny et Lou Tavano, retour sur l’édition 2017 du festival varois, à réécouter en intégralité sur le site de TSF Jazz!
Presqu’île de Saint-Tropez, mi-août : la moindre chambre d’hôtel s’arrache à 400 € et plus, les décapotables et 4×4 envahissent les petites routes, le champagne coule à flots sur la plage de Pampelone, tandis que les yachts de milliardaires paradent à l’horizon… Au milieu de tout ça : un festival de jazz. Vu le contexte, on s’attendrait à un événement chic et choc, façon Montreux Jazz Festival ou Casinos Barrière, avec des têtes d’affiche tendance pop/rock et des billets à 200 €. Eh bien, c’est tout le contraire : un rendez-vous authentique, presque familial, que son directeur Denis Antoine et son petit commando de bénévoles font vivre avec passion depuis plus de trente ans.
Une fois n’est pas coutume, le festival débute le 16 août avec une double affiche. Place d’abord à la jeune génération, à laquelle Denis Antoine consacre depuis peu, au mois de mai, un mini-festival réservé aux artistes de moins de 25 ans, Ascension pour le jazz. Vedette de la première édition en 2016, le pianiste Gautier Toux ouvre cette fois le « grand » festival avec son trio. Que dire de leur musique, sinon qu’elle s’inscrit avec beaucoup de savoir-faire – mais aussi de sincérité et de musicalité – dans le vaste courant post-E.S.T. qui a changé la face du piano trio il y a maintenant une bonne quinzaine d’années, pour le meilleur comme pour le pire.
Suit la vedette de la soirée : Lisa Simone. Si elle rend hommage à sa légende de mère en reprenant If You Knew, la chanteuse basée en France ne cherche nullement à l’imiter, et c’est tant mieux. Au fil d’un show hyper rôdé (un peu trop peut-être, mais le public en redemande !), elle affirme son ancrage dans le grand courant de la soul music, sans grande originalité, mais avec un engagement et un abattage certains. Si l’on regrette l’absence inopinée de son guitariste et directeur musical Hervé Samb – même si l’on apprécie les saillies hendrixiennes de son remplaçant Amen Viana –, on savoure la qualité de la rythmique de Reggie Washington (b, elb) et Sonny Troupé (dm), dont l’unique solo demeurera pour moi le sommet de la soirée. Reste que pour ce style de musique, l’instrumentation guitare / basse / batterie demeure un peu légère. On se prend à rêver d’une section de cuivres, par exemple, ou au moins d’un orgue Hammond qui apporterait un peu de liant à l’ensemble.
Le lendemain, 17 août, un pianiste français fait ses premier pas sur la scène ramatuelloise : René Urtreger, 83 ans ! Pour l’occasion, le vétéran s’est entouré d’un trio parfaitement rôdé – Yves Torchinsky (b) et Eric Dervieu (dm) – auquel viennent s’adjoindre, ensemble ou séparément, deux autres musiciens : la toujours époustouflante Géraldine Laurent (as), dont les solos sur la corde raide ne vous laissent pas une seconde pour vous ennuyer, et un nouveau venu au violon, le jeune Alexis Lograda, dont le jeu d’inspiration « grappellienne » manque encore un peu de personnalité et ne s’intègre pas facilement à ce contexte. En rappel, une version en piano solo de ‘Round Midnight, respectueuse de l’original sans pour autant s’y inféoder, représentative en somme de la démarche d’un artiste qui, depuis plus de soixante ans, imprime discrètement sa marque personnelle à l’héritage be-bop.
Le 18 août, piano toujours, mais dans un tout autre style, avec le trio de Michael Wollny. En programmant la star allemande du piano – encore trop rare dans nos contrées –, Denis Antoine a eu du flair : comme l’année dernière au Festival Radio France Occitanie Montpellier, son concert se dégage clairement comme l’un des grands moments du cette édition. Chose étonnante : la musique du trio plait à tous, de l’amateur le plus averti au simple curieux. Réminiscences de musique romantique et post-romantique, échos de blues, impro libre frénétique et grooves irrésistibles s’y mêlent dans une sorte de flot continu, porté par une inépuisable énergie et une formidable cohésion de groupe. À la fin du concert, le pianiste s’avoue heureux et même étonné d’être autorisé à donner un deuxième rappel, à l’inverse de tant de festivals où les prestations des artistes sont chronométrées à la minute… Mention spéciale enfin pour le sonorisateur suédois Jan Ugand qui – c’est assez rare pour être souligné – a su restituer finement toute la palette de nuances de cette musique.
Pour l’avant-dernier soir, retour au jazz vocal, mais dans un esprit résolument différent de celui de Lisa Simone. En effet, Lou Tavano n’est pas de ces chanteuses « qui envoient », préférant jouer de la séduction trouble de sa voix grave et légèrement voilée, tout en sachant à l’occasion donner un peu plus de coffre. Une soirée placée sous le signe de l’intimité, donc, même si une sonorisation légèrement excessive ne permettra jamais de goûter un vrai pianissimo. Entouré d’excellents musiciens – citons notamment Arno de Casanova à la trompette et Nicolas Moreaux, nouveau venu dans le groupe à la contrebasse – la vocaliste déroule un répertoire original de belle facture, cosigné avec son pianiste Alexey Asantcheff en anglais, français et même russe, ouvert à des inspirations venant de la chanson, du folk ou des musiques du monde (certains spectateurs m’ont même affirmé après le concert que ça n’était « pas du jazz » !). Au final, une belle présence, mais peut-être aussi quelque chose d’un peu trop théâtral dans la présentation, comme un léger manque de naturel qui, espérons-le, se décantera bientôt.
C’est à Yaron Herman que revint l’honneur de clôturer cette édition le 20 août. Hélas, les obligations parisiennes nous rappelaient déjà, de sorte que nous n’avons pu y assister. On se consolera en écoutant le concert (et tous les autres susmentionnés) en podcast sur le site de TSF Jazz, qui diffusait les cinq soirées en direct. Profitez-en pour guetter l’arrivée d’un invité de marque en la personne de Dominic Miller, guitariste de Sting, qui se trouvait justement en vacances à Ramatuelle. Pour ne rien vous cacher, on était d’ailleurs logé au même hôtel : la classe, quoi !
Pascal Rozat
Photos: Sylvie Pascarel (un grand merci!)|De Lisa Simone à Yaron Herman en passant par René Urtreger, Michael Wollny et Lou Tavano, retour sur l’édition 2017 du festival varois, à réécouter en intégralité sur le site de TSF Jazz!
Presqu’île de Saint-Tropez, mi-août : la moindre chambre d’hôtel s’arrache à 400 € et plus, les décapotables et 4×4 envahissent les petites routes, le champagne coule à flots sur la plage de Pampelone, tandis que les yachts de milliardaires paradent à l’horizon… Au milieu de tout ça : un festival de jazz. Vu le contexte, on s’attendrait à un événement chic et choc, façon Montreux Jazz Festival ou Casinos Barrière, avec des têtes d’affiche tendance pop/rock et des billets à 200 €. Eh bien, c’est tout le contraire : un rendez-vous authentique, presque familial, que son directeur Denis Antoine et son petit commando de bénévoles font vivre avec passion depuis plus de trente ans.
Une fois n’est pas coutume, le festival débute le 16 août avec une double affiche. Place d’abord à la jeune génération, à laquelle Denis Antoine consacre depuis peu, au mois de mai, un mini-festival réservé aux artistes de moins de 25 ans, Ascension pour le jazz. Vedette de la première édition en 2016, le pianiste Gautier Toux ouvre cette fois le « grand » festival avec son trio. Que dire de leur musique, sinon qu’elle s’inscrit avec beaucoup de savoir-faire – mais aussi de sincérité et de musicalité – dans le vaste courant post-E.S.T. qui a changé la face du piano trio il y a maintenant une bonne quinzaine d’années, pour le meilleur comme pour le pire.
Suit la vedette de la soirée : Lisa Simone. Si elle rend hommage à sa légende de mère en reprenant If You Knew, la chanteuse basée en France ne cherche nullement à l’imiter, et c’est tant mieux. Au fil d’un show hyper rôdé (un peu trop peut-être, mais le public en redemande !), elle affirme son ancrage dans le grand courant de la soul music, sans grande originalité, mais avec un engagement et un abattage certains. Si l’on regrette l’absence inopinée de son guitariste et directeur musical Hervé Samb – même si l’on apprécie les saillies hendrixiennes de son remplaçant Amen Viana –, on savoure la qualité de la rythmique de Reggie Washington (b, elb) et Sonny Troupé (dm), dont l’unique solo demeurera pour moi le sommet de la soirée. Reste que pour ce style de musique, l’instrumentation guitare / basse / batterie demeure un peu légère. On se prend à rêver d’une section de cuivres, par exemple, ou au moins d’un orgue Hammond qui apporterait un peu de liant à l’ensemble.
Le lendemain, 17 août, un pianiste français fait ses premier pas sur la scène ramatuelloise : René Urtreger, 83 ans ! Pour l’occasion, le vétéran s’est entouré d’un trio parfaitement rôdé – Yves Torchinsky (b) et Eric Dervieu (dm) – auquel viennent s’adjoindre, ensemble ou séparément, deux autres musiciens : la toujours époustouflante Géraldine Laurent (as), dont les solos sur la corde raide ne vous laissent pas une seconde pour vous ennuyer, et un nouveau venu au violon, le jeune Alexis Lograda, dont le jeu d’inspiration « grappellienne » manque encore un peu de personnalité et ne s’intègre pas facilement à ce contexte. En rappel, une version en piano solo de ‘Round Midnight, respectueuse de l’original sans pour autant s’y inféoder, représentative en somme de la démarche d’un artiste qui, depuis plus de soixante ans, imprime discrètement sa marque personnelle à l’héritage be-bop.
Le 18 août, piano toujours, mais dans un tout autre style, avec le trio de Michael Wollny. En programmant la star allemande du piano – encore trop rare dans nos contrées –, Denis Antoine a eu du flair : comme l’année dernière au Festival Radio France Occitanie Montpellier, son concert se dégage clairement comme l’un des grands moments du cette édition. Chose étonnante : la musique du trio plait à tous, de l’amateur le plus averti au simple curieux. Réminiscences de musique romantique et post-romantique, échos de blues, impro libre frénétique et grooves irrésistibles s’y mêlent dans une sorte de flot continu, porté par une inépuisable énergie et une formidable cohésion de groupe. À la fin du concert, le pianiste s’avoue heureux et même étonné d’être autorisé à donner un deuxième rappel, à l’inverse de tant de festivals où les prestations des artistes sont chronométrées à la minute… Mention spéciale enfin pour le sonorisateur suédois Jan Ugand qui – c’est assez rare pour être souligné – a su restituer finement toute la palette de nuances de cette musique.
Pour l’avant-dernier soir, retour au jazz vocal, mais dans un esprit résolument différent de celui de Lisa Simone. En effet, Lou Tavano n’est pas de ces chanteuses « qui envoient », préférant jouer de la séduction trouble de sa voix grave et légèrement voilée, tout en sachant à l’occasion donner un peu plus de coffre. Une soirée placée sous le signe de l’intimité, donc, même si une sonorisation légèrement excessive ne permettra jamais de goûter un vrai pianissimo. Entouré d’excellents musiciens – citons notamment Arno de Casanova à la trompette et Nicolas Moreaux, nouveau venu dans le groupe à la contrebasse – la vocaliste déroule un répertoire original de belle facture, cosigné avec son pianiste Alexey Asantcheff en anglais, français et même russe, ouvert à des inspirations venant de la chanson, du folk ou des musiques du monde (certains spectateurs m’ont même affirmé après le concert que ça n’était « pas du jazz » !). Au final, une belle présence, mais peut-être aussi quelque chose d’un peu trop théâtral dans la présentation, comme un léger manque de naturel qui, espérons-le, se décantera bientôt.
C’est à Yaron Herman que revint l’honneur de clôturer cette édition le 20 août. Hélas, les obligations parisiennes nous rappelaient déjà, de sorte que nous n’avons pu y assister. On se consolera en écoutant le concert (et tous les autres susmentionnés) en podcast sur le site de TSF Jazz, qui diffusait les cinq soirées en direct. Profitez-en pour guetter l’arrivée d’un invité de marque en la personne de Dominic Miller, guitariste de Sting, qui se trouvait justement en vacances à Ramatuelle. Pour ne rien vous cacher, on était d’ailleurs logé au même hôtel : la classe, quoi !
Pascal Rozat
Photos: Sylvie Pascarel (un grand merci!)|De Lisa Simone à Yaron Herman en passant par René Urtreger, Michael Wollny et Lou Tavano, retour sur l’édition 2017 du festival varois, à réécouter en intégralité sur le site de TSF Jazz!
Presqu’île de Saint-Tropez, mi-août : la moindre chambre d’hôtel s’arrache à 400 € et plus, les décapotables et 4×4 envahissent les petites routes, le champagne coule à flots sur la plage de Pampelone, tandis que les yachts de milliardaires paradent à l’horizon… Au milieu de tout ça : un festival de jazz. Vu le contexte, on s’attendrait à un événement chic et choc, façon Montreux Jazz Festival ou Casinos Barrière, avec des têtes d’affiche tendance pop/rock et des billets à 200 €. Eh bien, c’est tout le contraire : un rendez-vous authentique, presque familial, que son directeur Denis Antoine et son petit commando de bénévoles font vivre avec passion depuis plus de trente ans.
Une fois n’est pas coutume, le festival débute le 16 août avec une double affiche. Place d’abord à la jeune génération, à laquelle Denis Antoine consacre depuis peu, au mois de mai, un mini-festival réservé aux artistes de moins de 25 ans, Ascension pour le jazz. Vedette de la première édition en 2016, le pianiste Gautier Toux ouvre cette fois le « grand » festival avec son trio. Que dire de leur musique, sinon qu’elle s’inscrit avec beaucoup de savoir-faire – mais aussi de sincérité et de musicalité – dans le vaste courant post-E.S.T. qui a changé la face du piano trio il y a maintenant une bonne quinzaine d’années, pour le meilleur comme pour le pire.
Suit la vedette de la soirée : Lisa Simone. Si elle rend hommage à sa légende de mère en reprenant If You Knew, la chanteuse basée en France ne cherche nullement à l’imiter, et c’est tant mieux. Au fil d’un show hyper rôdé (un peu trop peut-être, mais le public en redemande !), elle affirme son ancrage dans le grand courant de la soul music, sans grande originalité, mais avec un engagement et un abattage certains. Si l’on regrette l’absence inopinée de son guitariste et directeur musical Hervé Samb – même si l’on apprécie les saillies hendrixiennes de son remplaçant Amen Viana –, on savoure la qualité de la rythmique de Reggie Washington (b, elb) et Sonny Troupé (dm), dont l’unique solo demeurera pour moi le sommet de la soirée. Reste que pour ce style de musique, l’instrumentation guitare / basse / batterie demeure un peu légère. On se prend à rêver d’une section de cuivres, par exemple, ou au moins d’un orgue Hammond qui apporterait un peu de liant à l’ensemble.
Le lendemain, 17 août, un pianiste français fait ses premier pas sur la scène ramatuelloise : René Urtreger, 83 ans ! Pour l’occasion, le vétéran s’est entouré d’un trio parfaitement rôdé – Yves Torchinsky (b) et Eric Dervieu (dm) – auquel viennent s’adjoindre, ensemble ou séparément, deux autres musiciens : la toujours époustouflante Géraldine Laurent (as), dont les solos sur la corde raide ne vous laissent pas une seconde pour vous ennuyer, et un nouveau venu au violon, le jeune Alexis Lograda, dont le jeu d’inspiration « grappellienne » manque encore un peu de personnalité et ne s’intègre pas facilement à ce contexte. En rappel, une version en piano solo de ‘Round Midnight, respectueuse de l’original sans pour autant s’y inféoder, représentative en somme de la démarche d’un artiste qui, depuis plus de soixante ans, imprime discrètement sa marque personnelle à l’héritage be-bop.
Le 18 août, piano toujours, mais dans un tout autre style, avec le trio de Michael Wollny. En programmant la star allemande du piano – encore trop rare dans nos contrées –, Denis Antoine a eu du flair : comme l’année dernière au Festival Radio France Occitanie Montpellier, son concert se dégage clairement comme l’un des grands moments du cette édition. Chose étonnante : la musique du trio plait à tous, de l’amateur le plus averti au simple curieux. Réminiscences de musique romantique et post-romantique, échos de blues, impro libre frénétique et grooves irrésistibles s’y mêlent dans une sorte de flot continu, porté par une inépuisable énergie et une formidable cohésion de groupe. À la fin du concert, le pianiste s’avoue heureux et même étonné d’être autorisé à donner un deuxième rappel, à l’inverse de tant de festivals où les prestations des artistes sont chronométrées à la minute… Mention spéciale enfin pour le sonorisateur suédois Jan Ugand qui – c’est assez rare pour être souligné – a su restituer finement toute la palette de nuances de cette musique.
Pour l’avant-dernier soir, retour au jazz vocal, mais dans un esprit résolument différent de celui de Lisa Simone. En effet, Lou Tavano n’est pas de ces chanteuses « qui envoient », préférant jouer de la séduction trouble de sa voix grave et légèrement voilée, tout en sachant à l’occasion donner un peu plus de coffre. Une soirée placée sous le signe de l’intimité, donc, même si une sonorisation légèrement excessive ne permettra jamais de goûter un vrai pianissimo. Entouré d’excellents musiciens – citons notamment Arno de Casanova à la trompette et Nicolas Moreaux, nouveau venu dans le groupe à la contrebasse – la vocaliste déroule un répertoire original de belle facture, cosigné avec son pianiste Alexey Asantcheff en anglais, français et même russe, ouvert à des inspirations venant de la chanson, du folk ou des musiques du monde (certains spectateurs m’ont même affirmé après le concert que ça n’était « pas du jazz » !). Au final, une belle présence, mais peut-être aussi quelque chose d’un peu trop théâtral dans la présentation, comme un léger manque de naturel qui, espérons-le, se décantera bientôt.
C’est à Yaron Herman que revint l’honneur de clôturer cette édition le 20 août. Hélas, les obligations parisiennes nous rappelaient déjà, de sorte que nous n’avons pu y assister. On se consolera en écoutant le concert (et tous les autres susmentionnés) en podcast sur le site de TSF Jazz, qui diffusait les cinq soirées en direct. Profitez-en pour guetter l’arrivée d’un invité de marque en la personne de Dominic Miller, guitariste de Sting, qui se trouvait justement en vacances à Ramatuelle. Pour ne rien vous cacher, on était d’ailleurs logé au même hôtel : la classe, quoi !
Pascal Rozat
Photos: Sylvie Pascarel (un grand merci!)|De Lisa Simone à Yaron Herman en passant par René Urtreger, Michael Wollny et Lou Tavano, retour sur l’édition 2017 du festival varois, à réécouter en intégralité sur le site de TSF Jazz!
Presqu’île de Saint-Tropez, mi-août : la moindre chambre d’hôtel s’arrache à 400 € et plus, les décapotables et 4×4 envahissent les petites routes, le champagne coule à flots sur la plage de Pampelone, tandis que les yachts de milliardaires paradent à l’horizon… Au milieu de tout ça : un festival de jazz. Vu le contexte, on s’attendrait à un événement chic et choc, façon Montreux Jazz Festival ou Casinos Barrière, avec des têtes d’affiche tendance pop/rock et des billets à 200 €. Eh bien, c’est tout le contraire : un rendez-vous authentique, presque familial, que son directeur Denis Antoine et son petit commando de bénévoles font vivre avec passion depuis plus de trente ans.
Une fois n’est pas coutume, le festival débute le 16 août avec une double affiche. Place d’abord à la jeune génération, à laquelle Denis Antoine consacre depuis peu, au mois de mai, un mini-festival réservé aux artistes de moins de 25 ans, Ascension pour le jazz. Vedette de la première édition en 2016, le pianiste Gautier Toux ouvre cette fois le « grand » festival avec son trio. Que dire de leur musique, sinon qu’elle s’inscrit avec beaucoup de savoir-faire – mais aussi de sincérité et de musicalité – dans le vaste courant post-E.S.T. qui a changé la face du piano trio il y a maintenant une bonne quinzaine d’années, pour le meilleur comme pour le pire.
Suit la vedette de la soirée : Lisa Simone. Si elle rend hommage à sa légende de mère en reprenant If You Knew, la chanteuse basée en France ne cherche nullement à l’imiter, et c’est tant mieux. Au fil d’un show hyper rôdé (un peu trop peut-être, mais le public en redemande !), elle affirme son ancrage dans le grand courant de la soul music, sans grande originalité, mais avec un engagement et un abattage certains. Si l’on regrette l’absence inopinée de son guitariste et directeur musical Hervé Samb – même si l’on apprécie les saillies hendrixiennes de son remplaçant Amen Viana –, on savoure la qualité de la rythmique de Reggie Washington (b, elb) et Sonny Troupé (dm), dont l’unique solo demeurera pour moi le sommet de la soirée. Reste que pour ce style de musique, l’instrumentation guitare / basse / batterie demeure un peu légère. On se prend à rêver d’une section de cuivres, par exemple, ou au moins d’un orgue Hammond qui apporterait un peu de liant à l’ensemble.
Le lendemain, 17 août, un pianiste français fait ses premier pas sur la scène ramatuelloise : René Urtreger, 83 ans ! Pour l’occasion, le vétéran s’est entouré d’un trio parfaitement rôdé – Yves Torchinsky (b) et Eric Dervieu (dm) – auquel viennent s’adjoindre, ensemble ou séparément, deux autres musiciens : la toujours époustouflante Géraldine Laurent (as), dont les solos sur la corde raide ne vous laissent pas une seconde pour vous ennuyer, et un nouveau venu au violon, le jeune Alexis Lograda, dont le jeu d’inspiration « grappellienne » manque encore un peu de personnalité et ne s’intègre pas facilement à ce contexte. En rappel, une version en piano solo de ‘Round Midnight, respectueuse de l’original sans pour autant s’y inféoder, représentative en somme de la démarche d’un artiste qui, depuis plus de soixante ans, imprime discrètement sa marque personnelle à l’héritage be-bop.
Le 18 août, piano toujours, mais dans un tout autre style, avec le trio de Michael Wollny. En programmant la star allemande du piano – encore trop rare dans nos contrées –, Denis Antoine a eu du flair : comme l’année dernière au Festival Radio France Occitanie Montpellier, son concert se dégage clairement comme l’un des grands moments du cette édition. Chose étonnante : la musique du trio plait à tous, de l’amateur le plus averti au simple curieux. Réminiscences de musique romantique et post-romantique, échos de blues, impro libre frénétique et grooves irrésistibles s’y mêlent dans une sorte de flot continu, porté par une inépuisable énergie et une formidable cohésion de groupe. À la fin du concert, le pianiste s’avoue heureux et même étonné d’être autorisé à donner un deuxième rappel, à l’inverse de tant de festivals où les prestations des artistes sont chronométrées à la minute… Mention spéciale enfin pour le sonorisateur suédois Jan Ugand qui – c’est assez rare pour être souligné – a su restituer finement toute la palette de nuances de cette musique.
Pour l’avant-dernier soir, retour au jazz vocal, mais dans un esprit résolument différent de celui de Lisa Simone. En effet, Lou Tavano n’est pas de ces chanteuses « qui envoient », préférant jouer de la séduction trouble de sa voix grave et légèrement voilée, tout en sachant à l’occasion donner un peu plus de coffre. Une soirée placée sous le signe de l’intimité, donc, même si une sonorisation légèrement excessive ne permettra jamais de goûter un vrai pianissimo. Entouré d’excellents musiciens – citons notamment Arno de Casanova à la trompette et Nicolas Moreaux, nouveau venu dans le groupe à la contrebasse – la vocaliste déroule un répertoire original de belle facture, cosigné avec son pianiste Alexey Asantcheff en anglais, français et même russe, ouvert à des inspirations venant de la chanson, du folk ou des musiques du monde (certains spectateurs m’ont même affirmé après le concert que ça n’était « pas du jazz » !). Au final, une belle présence, mais peut-être aussi quelque chose d’un peu trop théâtral dans la présentation, comme un léger manque de naturel qui, espérons-le, se décantera bientôt.
C’est à Yaron Herman que revint l’honneur de clôturer cette édition le 20 août. Hélas, les obligations parisiennes nous rappelaient déjà, de sorte que nous n’avons pu y assister. On se consolera en écoutant le concert (et tous les autres susmentionnés) en podcast sur le site de TSF Jazz, qui diffusait les cinq soirées en direct. Profitez-en pour guetter l’arrivée d’un invité de marque en la personne de Dominic Miller, guitariste de Sting, qui se trouvait justement en vacances à Ramatuelle. Pour ne rien vous cacher, on était d’ailleurs logé au même hôtel : la classe, quoi !
Pascal Rozat
Photos: Sylvie Pascarel (un grand merci!)