Jazz live
Publié le 9 Nov 2015

Jazz à Reims, de Daniel Erdmann à Mark Turner

 

La 22e édition Jazz à reims, s’est tenue du 29 octobre au 7 novembre. Les concerts  ont eu lieu dans plusieurs lieux emblématiques de la ville (opéra,  ou caveau Mumm, sponsor du festival). Parmi les beaux moments de cette édition très riche, on citera notamment le concert de Daniel Erdmann et heinz Sauer, et cette belle soirée de clôture qui a rassemblé le quartet de Mark Turner et le projet Snake and Ladders de Sophia Domancich.

 Vendredi 30 octobre, caveau Mumm, Daniel Erdmann (sax ténor), Heinz Sauer (sax ténor ),  Johannes Fink (basse), Christophe Marguet (batterie)

 On ne parle pas assez de Daniel Erdmann, ce grand saxophoniste allemand installé en France et que le pianiste Francis Le Bras a le bon goût de programmer régulièrement au festival de Reims. Ces temps-ci, Erdmann multiplie les projets. On peut l’entendre actuellement avec Samuel Rohrer, ou encore dans le groupe das Kapital avec Hasse Poulsen et Edward Perraud. Ce qui le rend si précieux à  mon sens, c’est cette combinaison de recherche sur le timbre et sur le son (sur scène il change fréquemment de place et de position, attentif à  la manière dont le son se projette dans la salle) mais qui ne s’émancipe jamais de sa quête mélodique. Ce soir – là  à Reims, il retrouvait Heinz Sauer avec qui il a enregistré un disque il y a quelques années. Sauer, 83 ans, est une figure historique du free jazz. Il a été notamment le compagnon de route du grand Albert Mangelsdorff pendant plus de 15 ans.

 

C’est un  plaisir rare et délicieux de pouvoir entendre ensemble ces deux grandx saxophonistes, de générations et d’esthétiques différentes. Le discours de Sauer est plus laconique, plus ramassé.  Il s’exprime souvent sous forme de lambeaux sonores,  joue sur la raucité, sur l’etranglement ce qui donne  une grande intensité à son discours. Erdmann s’exprime sous forme de phrases plus longues, plus construites. Il ménage ses effets. Son son est plus robuste, plus charpenté. Il a une palette très  large qui va d’un son dur, granitique au tressage subtil de petits fils de souffle. Les deux saxophonistes essaient des situations de jeu variées, l’unisson, vrai ou faux, avec Sauer qui fait mine de suivre Erdmann mais qui en fait trace sa propre route, tan-tôt parallèle,  tantôt conjointe), le contre-chant, le contrepoint. La confrontation entre ces deux sonorités produit des choses fort belles. On retient notamment ce moment où ils jouent ensemble, avec ferveur, un hymne sur lequel se projette l’ombre d’Albert Ayler. Cet hymne, Erdmann l’expliquera ensuite, avait été composé pour la RDA par Hans Eisler, mais resilié pour son manque de patriotisme, y compris en 1989 au moment de la réunification. Autre moment magnifique, ce blues acide composé par Sauer, avec quelques écarts de registre inattendus qui rappellent Ornette Coleman.

Il est fascinant d’observer Sauer. Il a une dégaine à la Max Schreck (l’acteur qui incarne Nosferatu chez Murnau), et s’affranchit de toutes les règles avec un naturel confondant. C’est à lui de jouer. Il émet ne note, deux notes. Puis il s’arrête. Friedmann reprend la balle au bond. Parfois c’est un fill, ou un contrechant qui se transforme en chorus. Avec ingenuité et espièglerie,  Sauer refuse de sauter dans les cases des marelles. Comment en serait-il autrement après une vie passée à cultiver la liberté en musique?

 

La rythmique pète le feu. Dès le premier morceau Johannes Fink et Christophe Marguet imposent une intensité grondante qui stimule manifestement les deux solistes. Johannes Fink semble s’inspirer de Sauer en matière d’imprévisibilité. Souvent il abandonne sa ligne de basse pour se lqncer dans une grande envolée à  l’archet. C’est alors à Christophe Marguet dereprendre la balle au bond pour conserver la direction de la musique. Curieux quartet, se dit-on à la fin du concert, deux types qui font tanguer le bateau, et deux qui tentent de tenir le gouvernail. C’est une musique exigeante, par l’engagement des musiciens, mais qui emporte l’adhésion du public tant les musiciens mettent d’intensité dans leur jeu.

 

 

 

Musica Nuda (Petra Magoni, voix, Ferrucio Spinetti, contrebasse)

 

 

 

 

 

En seconde partie, toujours dans le cadre de la cave Mumm, toute autre chose. Musica Nuda, que je découvrais. Ce duo italien présente un curieux alliage: d’un côté un contrebassiste au lyrisme pudique, au son magnifique, et de surcroît fin compositeur, et de l’autre une chanteuse extravertie jusqu’à la gesticulation.Parfois ça marche, comme le très  beau speak low qui ouvre le concert, où Magoni reste sobre, et oú Spinetti réussit à  atteindre une émotion incroyable en deux ou trois notes. A d’autres moments,  petra magoni se déchaîne aux dépens de la musique  (comme lorsqu’elle saute à pieds joints sur ce pauvre Nature Boy qui ne lui avait rien fait  ) mais elle met  le public dans sa poche. Je note qu’elle retrouve sa musicalité sur les trois ou quatre chansons en italien du spectacle, au milieu de chansons pops jazzifiees  (Roxanne, Is this love) qui n’apportent rien ni au jazz, ni à la pop. Le public ravi, s’incline devant une énergie aussi débordante.

 

 

Jazz à  Reims

 

Vendredi 5  novembre, Opéra de Reims, Sophia Domancich ( piano, fender, machines), john greaves (voix), himiko paganotti (voix), eric daniel (guitare)

 

 

 

Le charme puissant de cette  formation repose d’abord sur le contraste entre deux voix. Celle de John Greaves, pleine d’asperités, rapée de mille eclats de verre, possède le delicieux craquement d’un vieux 33 tours. Celle d’Hikimo Paganotti, aux couleurs suaves et diaphanes, évoque parfois une comédie musicale  des années 50. Mais elle est capable aussi d’aller dans le grave en prenant des intonations presque funèbres.Quand ils chantent ensemble à  l’unisson, ce duo offre à l’auditeur une sorte de douceur un peu craquelée.

 

Sophia Domancich enveloppe ces deux voix d’aquarelles abstraites. Elle se sert aussi de son ordinateur pour lancer quelques bruitages ou textures (un ou deux sons, en general répété) sur lequel elle s’appuie dans ses improvisations. Au fender ou au pianoles traits qu’elle produit ressemblent à  des nappes liquides. Elle cree une atmosphère onirique, à laquelle la guitare  d’Eric Daniel vient ajouter quelques rayons de lune. Mais à  certains moments, on cligne des yeux, on sort de cet onirisme. Tout s’emboîte, la musique prend une urgence étonnante. Trois ou quatre de ces moments surviennent ainsi au cours de la soirée , dont un seul aurait suffi à  justifier n’importe quel conceMark Turner quartet

 

Mark Turner (sax ténor) Avishai Cohen (trompette), joe Martin (contrebasse), Obed Calvaire  (batterie)

 

 

 

 

 

Le concert commence par quelques notes du contrebassiste Joe Martin. Elles ont, ces notes, une densité étonnante. Joe Martin est le genre de musicien qui en trois notes vous plante un décor, le fait vivre, palpiter. Tout au long du concert il aère  la musique en lui donnant beaucoup d’espace. Après  ces quelques notes, Mark Turner et Avishai Cohen exposent le thème à  l’unisson. Mais en fait l’unisson ne dure pas, Mark Turner et Avishai Cohen tracent des sillons qui se rejoignent, s’écartent, se répondent. Les thèmes  joués sont des themes de surdoués , qui modulent harmoniquement ou rythmiquement façon virage en epingles à  cheveux. J’avais de Mark Turner l’image d’un gars dont les traits vertigineux aboutissaient à  une musique serrée comme le poing. Dense mais un peu irrespirable . Ici, la musique respire,  Mark Turner procède  toujours par explorations au moyen d’arpèges déviants faussement immobiles, qu’il fait dévier subtilement. Il a quelque chose d’un derviche tourneur dans la manière dont il fait défiler ces gammes ou arpèges pour s’introduire au coeur de la musique. Et quelle finesse dans le son, délicatement ouvragé dans les graves ou dans les aigus, où il explore la frontière entre le souffle et le sifflement.

 

Avishai Cohen, dix ans plus jeune, ne semble pas du tout intimidé par son leader. Il s’appuie sur un son de trompette magnifiquement ample, qui ne se désunit jamais même  dans les aigus. Il possède une sorte de virtuosité typique des trompettistes d’aujourd’hui, qui semble rechercher l’élasticité plus que la rapidité, avec des sauts de registres  et d’intervalles inattendus. Il dialogue avec Turner d’egal à  égal . La rythmique, marche sur des oeufs et semble se donner pour tâche de donner le plus d’espace possible aux deux soufflants. A la fin du concert, le batteur Obed Calvaire prend un chorus avec un crescendo magnifiquement tenu. Le quartet est admirable d’homogénéité.

Dessins Annie-Claire Alvoët

Texte JF Mondot

Post scriptum1: le pianiste Francis le Bras, qui prend une part déterminante dans l’organisation de ce festival, a l’elegance et la délicatesse  (si peu répandue ) de ne pas vouloir se programmer dans son festival. Mais cependant, quelques heures avant le concert de Mark Turner, on a pu écouter ce pianiste (qui participait il y a un an, du très beau De l’estaques aux Goudes, avec Daniel Erdmann) au Conservatoire de Reims dans une confrontation avec des machines élaborées et dirigées par Christian Sebille. Le dialogue fut passionnant. Les machines de Sebille lui permettent de prélever le son, de le traiter, et de le renvoyer avec lune saisissante rapidité de reaction. Cela donna des sortes de boomerang sonores, Le Bras frappant quelques notes ou phrases qui lui revenaient métamorphosée en battements d’ailes, en clapotis, ou en grondements de tonnerre.  Pendant tout le concert, Le Bras et Sebille echangent des regards malicieux. Cette musique à mi chemin entre jazz et musique contemporaine prend un tour extraordinairement ludique et accessible…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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La 22e édition Jazz à reims, s’est tenue du 29 octobre au 7 novembre. Les concerts  ont eu lieu dans plusieurs lieux emblématiques de la ville (opéra,  ou caveau Mumm, sponsor du festival). Parmi les beaux moments de cette édition très riche, on citera notamment le concert de Daniel Erdmann et heinz Sauer, et cette belle soirée de clôture qui a rassemblé le quartet de Mark Turner et le projet Snake and Ladders de Sophia Domancich.

 Vendredi 30 octobre, caveau Mumm, Daniel Erdmann (sax ténor), Heinz Sauer (sax ténor ),  Johannes Fink (basse), Christophe Marguet (batterie)

 On ne parle pas assez de Daniel Erdmann, ce grand saxophoniste allemand installé en France et que le pianiste Francis Le Bras a le bon goût de programmer régulièrement au festival de Reims. Ces temps-ci, Erdmann multiplie les projets. On peut l’entendre actuellement avec Samuel Rohrer, ou encore dans le groupe das Kapital avec Hasse Poulsen et Edward Perraud. Ce qui le rend si précieux à  mon sens, c’est cette combinaison de recherche sur le timbre et sur le son (sur scène il change fréquemment de place et de position, attentif à  la manière dont le son se projette dans la salle) mais qui ne s’émancipe jamais de sa quête mélodique. Ce soir – là  à Reims, il retrouvait Heinz Sauer avec qui il a enregistré un disque il y a quelques années. Sauer, 83 ans, est une figure historique du free jazz. Il a été notamment le compagnon de route du grand Albert Mangelsdorff pendant plus de 15 ans.

 

C’est un  plaisir rare et délicieux de pouvoir entendre ensemble ces deux grandx saxophonistes, de générations et d’esthétiques différentes. Le discours de Sauer est plus laconique, plus ramassé.  Il s’exprime souvent sous forme de lambeaux sonores,  joue sur la raucité, sur l’etranglement ce qui donne  une grande intensité à son discours. Erdmann s’exprime sous forme de phrases plus longues, plus construites. Il ménage ses effets. Son son est plus robuste, plus charpenté. Il a une palette très  large qui va d’un son dur, granitique au tressage subtil de petits fils de souffle. Les deux saxophonistes essaient des situations de jeu variées, l’unisson, vrai ou faux, avec Sauer qui fait mine de suivre Erdmann mais qui en fait trace sa propre route, tan-tôt parallèle,  tantôt conjointe), le contre-chant, le contrepoint. La confrontation entre ces deux sonorités produit des choses fort belles. On retient notamment ce moment où ils jouent ensemble, avec ferveur, un hymne sur lequel se projette l’ombre d’Albert Ayler. Cet hymne, Erdmann l’expliquera ensuite, avait été composé pour la RDA par Hans Eisler, mais resilié pour son manque de patriotisme, y compris en 1989 au moment de la réunification. Autre moment magnifique, ce blues acide composé par Sauer, avec quelques écarts de registre inattendus qui rappellent Ornette Coleman.

Il est fascinant d’observer Sauer. Il a une dégaine à la Max Schreck (l’acteur qui incarne Nosferatu chez Murnau), et s’affranchit de toutes les règles avec un naturel confondant. C’est à lui de jouer. Il émet ne note, deux notes. Puis il s’arrête. Friedmann reprend la balle au bond. Parfois c’est un fill, ou un contrechant qui se transforme en chorus. Avec ingenuité et espièglerie,  Sauer refuse de sauter dans les cases des marelles. Comment en serait-il autrement après une vie passée à cultiver la liberté en musique?

 

La rythmique pète le feu. Dès le premier morceau Johannes Fink et Christophe Marguet imposent une intensité grondante qui stimule manifestement les deux solistes. Johannes Fink semble s’inspirer de Sauer en matière d’imprévisibilité. Souvent il abandonne sa ligne de basse pour se lqncer dans une grande envolée à  l’archet. C’est alors à Christophe Marguet dereprendre la balle au bond pour conserver la direction de la musique. Curieux quartet, se dit-on à la fin du concert, deux types qui font tanguer le bateau, et deux qui tentent de tenir le gouvernail. C’est une musique exigeante, par l’engagement des musiciens, mais qui emporte l’adhésion du public tant les musiciens mettent d’intensité dans leur jeu.

 

 

 

Musica Nuda (Petra Magoni, voix, Ferrucio Spinetti, contrebasse)

 

 

 

 

 

En seconde partie, toujours dans le cadre de la cave Mumm, toute autre chose. Musica Nuda, que je découvrais. Ce duo italien présente un curieux alliage: d’un côté un contrebassiste au lyrisme pudique, au son magnifique, et de surcroît fin compositeur, et de l’autre une chanteuse extravertie jusqu’à la gesticulation.Parfois ça marche, comme le très  beau speak low qui ouvre le concert, où Magoni reste sobre, et oú Spinetti réussit à  atteindre une émotion incroyable en deux ou trois notes. A d’autres moments,  petra magoni se déchaîne aux dépens de la musique  (comme lorsqu’elle saute à pieds joints sur ce pauvre Nature Boy qui ne lui avait rien fait  ) mais elle met  le public dans sa poche. Je note qu’elle retrouve sa musicalité sur les trois ou quatre chansons en italien du spectacle, au milieu de chansons pops jazzifiees  (Roxanne, Is this love) qui n’apportent rien ni au jazz, ni à la pop. Le public ravi, s’incline devant une énergie aussi débordante.

 

 

Jazz à  Reims

 

Vendredi 5  novembre, Opéra de Reims, Sophia Domancich ( piano, fender, machines), john greaves (voix), himiko paganotti (voix), eric daniel (guitare)

 

 

 

Le charme puissant de cette  formation repose d’abord sur le contraste entre deux voix. Celle de John Greaves, pleine d’asperités, rapée de mille eclats de verre, possède le delicieux craquement d’un vieux 33 tours. Celle d’Hikimo Paganotti, aux couleurs suaves et diaphanes, évoque parfois une comédie musicale  des années 50. Mais elle est capable aussi d’aller dans le grave en prenant des intonations presque funèbres.Quand ils chantent ensemble à  l’unisson, ce duo offre à l’auditeur une sorte de douceur un peu craquelée.

 

Sophia Domancich enveloppe ces deux voix d’aquarelles abstraites. Elle se sert aussi de son ordinateur pour lancer quelques bruitages ou textures (un ou deux sons, en general répété) sur lequel elle s’appuie dans ses improvisations. Au fender ou au pianoles traits qu’elle produit ressemblent à  des nappes liquides. Elle cree une atmosphère onirique, à laquelle la guitare  d’Eric Daniel vient ajouter quelques rayons de lune. Mais à  certains moments, on cligne des yeux, on sort de cet onirisme. Tout s’emboîte, la musique prend une urgence étonnante. Trois ou quatre de ces moments surviennent ainsi au cours de la soirée , dont un seul aurait suffi à  justifier n’importe quel conceMark Turner quartet

 

Mark Turner (sax ténor) Avishai Cohen (trompette), joe Martin (contrebasse), Obed Calvaire  (batterie)

 

 

 

 

 

Le concert commence par quelques notes du contrebassiste Joe Martin. Elles ont, ces notes, une densité étonnante. Joe Martin est le genre de musicien qui en trois notes vous plante un décor, le fait vivre, palpiter. Tout au long du concert il aère  la musique en lui donnant beaucoup d’espace. Après  ces quelques notes, Mark Turner et Avishai Cohen exposent le thème à  l’unisson. Mais en fait l’unisson ne dure pas, Mark Turner et Avishai Cohen tracent des sillons qui se rejoignent, s’écartent, se répondent. Les thèmes  joués sont des themes de surdoués , qui modulent harmoniquement ou rythmiquement façon virage en epingles à  cheveux. J’avais de Mark Turner l’image d’un gars dont les traits vertigineux aboutissaient à  une musique serrée comme le poing. Dense mais un peu irrespirable . Ici, la musique respire,  Mark Turner procède  toujours par explorations au moyen d’arpèges déviants faussement immobiles, qu’il fait dévier subtilement. Il a quelque chose d’un derviche tourneur dans la manière dont il fait défiler ces gammes ou arpèges pour s’introduire au coeur de la musique. Et quelle finesse dans le son, délicatement ouvragé dans les graves ou dans les aigus, où il explore la frontière entre le souffle et le sifflement.

 

Avishai Cohen, dix ans plus jeune, ne semble pas du tout intimidé par son leader. Il s’appuie sur un son de trompette magnifiquement ample, qui ne se désunit jamais même  dans les aigus. Il possède une sorte de virtuosité typique des trompettistes d’aujourd’hui, qui semble rechercher l’élasticité plus que la rapidité, avec des sauts de registres  et d’intervalles inattendus. Il dialogue avec Turner d’egal à  égal . La rythmique, marche sur des oeufs et semble se donner pour tâche de donner le plus d’espace possible aux deux soufflants. A la fin du concert, le batteur Obed Calvaire prend un chorus avec un crescendo magnifiquement tenu. Le quartet est admirable d’homogénéité.

Dessins Annie-Claire Alvoët

Texte JF Mondot

Post scriptum1: le pianiste Francis le Bras, qui prend une part déterminante dans l’organisation de ce festival, a l’elegance et la délicatesse  (si peu répandue ) de ne pas vouloir se programmer dans son festival. Mais cependant, quelques heures avant le concert de Mark Turner, on a pu écouter ce pianiste (qui participait il y a un an, du très beau De l’estaques aux Goudes, avec Daniel Erdmann) au Conservatoire de Reims dans une confrontation avec des machines élaborées et dirigées par Christian Sebille. Le dialogue fut passionnant. Les machines de Sebille lui permettent de prélever le son, de le traiter, et de le renvoyer avec lune saisissante rapidité de reaction. Cela donna des sortes de boomerang sonores, Le Bras frappant quelques notes ou phrases qui lui revenaient métamorphosée en battements d’ailes, en clapotis, ou en grondements de tonnerre.  Pendant tout le concert, Le Bras et Sebille echangent des regards malicieux. Cette musique à mi chemin entre jazz et musique contemporaine prend un tour extraordinairement ludique et accessible…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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La 22e édition Jazz à reims, s’est tenue du 29 octobre au 7 novembre. Les concerts  ont eu lieu dans plusieurs lieux emblématiques de la ville (opéra,  ou caveau Mumm, sponsor du festival). Parmi les beaux moments de cette édition très riche, on citera notamment le concert de Daniel Erdmann et heinz Sauer, et cette belle soirée de clôture qui a rassemblé le quartet de Mark Turner et le projet Snake and Ladders de Sophia Domancich.

 Vendredi 30 octobre, caveau Mumm, Daniel Erdmann (sax ténor), Heinz Sauer (sax ténor ),  Johannes Fink (basse), Christophe Marguet (batterie)

 On ne parle pas assez de Daniel Erdmann, ce grand saxophoniste allemand installé en France et que le pianiste Francis Le Bras a le bon goût de programmer régulièrement au festival de Reims. Ces temps-ci, Erdmann multiplie les projets. On peut l’entendre actuellement avec Samuel Rohrer, ou encore dans le groupe das Kapital avec Hasse Poulsen et Edward Perraud. Ce qui le rend si précieux à  mon sens, c’est cette combinaison de recherche sur le timbre et sur le son (sur scène il change fréquemment de place et de position, attentif à  la manière dont le son se projette dans la salle) mais qui ne s’émancipe jamais de sa quête mélodique. Ce soir – là  à Reims, il retrouvait Heinz Sauer avec qui il a enregistré un disque il y a quelques années. Sauer, 83 ans, est une figure historique du free jazz. Il a été notamment le compagnon de route du grand Albert Mangelsdorff pendant plus de 15 ans.

 

C’est un  plaisir rare et délicieux de pouvoir entendre ensemble ces deux grandx saxophonistes, de générations et d’esthétiques différentes. Le discours de Sauer est plus laconique, plus ramassé.  Il s’exprime souvent sous forme de lambeaux sonores,  joue sur la raucité, sur l’etranglement ce qui donne  une grande intensité à son discours. Erdmann s’exprime sous forme de phrases plus longues, plus construites. Il ménage ses effets. Son son est plus robuste, plus charpenté. Il a une palette très  large qui va d’un son dur, granitique au tressage subtil de petits fils de souffle. Les deux saxophonistes essaient des situations de jeu variées, l’unisson, vrai ou faux, avec Sauer qui fait mine de suivre Erdmann mais qui en fait trace sa propre route, tan-tôt parallèle,  tantôt conjointe), le contre-chant, le contrepoint. La confrontation entre ces deux sonorités produit des choses fort belles. On retient notamment ce moment où ils jouent ensemble, avec ferveur, un hymne sur lequel se projette l’ombre d’Albert Ayler. Cet hymne, Erdmann l’expliquera ensuite, avait été composé pour la RDA par Hans Eisler, mais resilié pour son manque de patriotisme, y compris en 1989 au moment de la réunification. Autre moment magnifique, ce blues acide composé par Sauer, avec quelques écarts de registre inattendus qui rappellent Ornette Coleman.

Il est fascinant d’observer Sauer. Il a une dégaine à la Max Schreck (l’acteur qui incarne Nosferatu chez Murnau), et s’affranchit de toutes les règles avec un naturel confondant. C’est à lui de jouer. Il émet ne note, deux notes. Puis il s’arrête. Friedmann reprend la balle au bond. Parfois c’est un fill, ou un contrechant qui se transforme en chorus. Avec ingenuité et espièglerie,  Sauer refuse de sauter dans les cases des marelles. Comment en serait-il autrement après une vie passée à cultiver la liberté en musique?

 

La rythmique pète le feu. Dès le premier morceau Johannes Fink et Christophe Marguet imposent une intensité grondante qui stimule manifestement les deux solistes. Johannes Fink semble s’inspirer de Sauer en matière d’imprévisibilité. Souvent il abandonne sa ligne de basse pour se lqncer dans une grande envolée à  l’archet. C’est alors à Christophe Marguet dereprendre la balle au bond pour conserver la direction de la musique. Curieux quartet, se dit-on à la fin du concert, deux types qui font tanguer le bateau, et deux qui tentent de tenir le gouvernail. C’est une musique exigeante, par l’engagement des musiciens, mais qui emporte l’adhésion du public tant les musiciens mettent d’intensité dans leur jeu.

 

 

 

Musica Nuda (Petra Magoni, voix, Ferrucio Spinetti, contrebasse)

 

 

 

 

 

En seconde partie, toujours dans le cadre de la cave Mumm, toute autre chose. Musica Nuda, que je découvrais. Ce duo italien présente un curieux alliage: d’un côté un contrebassiste au lyrisme pudique, au son magnifique, et de surcroît fin compositeur, et de l’autre une chanteuse extravertie jusqu’à la gesticulation.Parfois ça marche, comme le très  beau speak low qui ouvre le concert, où Magoni reste sobre, et oú Spinetti réussit à  atteindre une émotion incroyable en deux ou trois notes. A d’autres moments,  petra magoni se déchaîne aux dépens de la musique  (comme lorsqu’elle saute à pieds joints sur ce pauvre Nature Boy qui ne lui avait rien fait  ) mais elle met  le public dans sa poche. Je note qu’elle retrouve sa musicalité sur les trois ou quatre chansons en italien du spectacle, au milieu de chansons pops jazzifiees  (Roxanne, Is this love) qui n’apportent rien ni au jazz, ni à la pop. Le public ravi, s’incline devant une énergie aussi débordante.

 

 

Jazz à  Reims

 

Vendredi 5  novembre, Opéra de Reims, Sophia Domancich ( piano, fender, machines), john greaves (voix), himiko paganotti (voix), eric daniel (guitare)

 

 

 

Le charme puissant de cette  formation repose d’abord sur le contraste entre deux voix. Celle de John Greaves, pleine d’asperités, rapée de mille eclats de verre, possède le delicieux craquement d’un vieux 33 tours. Celle d’Hikimo Paganotti, aux couleurs suaves et diaphanes, évoque parfois une comédie musicale  des années 50. Mais elle est capable aussi d’aller dans le grave en prenant des intonations presque funèbres.Quand ils chantent ensemble à  l’unisson, ce duo offre à l’auditeur une sorte de douceur un peu craquelée.

 

Sophia Domancich enveloppe ces deux voix d’aquarelles abstraites. Elle se sert aussi de son ordinateur pour lancer quelques bruitages ou textures (un ou deux sons, en general répété) sur lequel elle s’appuie dans ses improvisations. Au fender ou au pianoles traits qu’elle produit ressemblent à  des nappes liquides. Elle cree une atmosphère onirique, à laquelle la guitare  d’Eric Daniel vient ajouter quelques rayons de lune. Mais à  certains moments, on cligne des yeux, on sort de cet onirisme. Tout s’emboîte, la musique prend une urgence étonnante. Trois ou quatre de ces moments surviennent ainsi au cours de la soirée , dont un seul aurait suffi à  justifier n’importe quel conceMark Turner quartet

 

Mark Turner (sax ténor) Avishai Cohen (trompette), joe Martin (contrebasse), Obed Calvaire  (batterie)

 

 

 

 

 

Le concert commence par quelques notes du contrebassiste Joe Martin. Elles ont, ces notes, une densité étonnante. Joe Martin est le genre de musicien qui en trois notes vous plante un décor, le fait vivre, palpiter. Tout au long du concert il aère  la musique en lui donnant beaucoup d’espace. Après  ces quelques notes, Mark Turner et Avishai Cohen exposent le thème à  l’unisson. Mais en fait l’unisson ne dure pas, Mark Turner et Avishai Cohen tracent des sillons qui se rejoignent, s’écartent, se répondent. Les thèmes  joués sont des themes de surdoués , qui modulent harmoniquement ou rythmiquement façon virage en epingles à  cheveux. J’avais de Mark Turner l’image d’un gars dont les traits vertigineux aboutissaient à  une musique serrée comme le poing. Dense mais un peu irrespirable . Ici, la musique respire,  Mark Turner procède  toujours par explorations au moyen d’arpèges déviants faussement immobiles, qu’il fait dévier subtilement. Il a quelque chose d’un derviche tourneur dans la manière dont il fait défiler ces gammes ou arpèges pour s’introduire au coeur de la musique. Et quelle finesse dans le son, délicatement ouvragé dans les graves ou dans les aigus, où il explore la frontière entre le souffle et le sifflement.

 

Avishai Cohen, dix ans plus jeune, ne semble pas du tout intimidé par son leader. Il s’appuie sur un son de trompette magnifiquement ample, qui ne se désunit jamais même  dans les aigus. Il possède une sorte de virtuosité typique des trompettistes d’aujourd’hui, qui semble rechercher l’élasticité plus que la rapidité, avec des sauts de registres  et d’intervalles inattendus. Il dialogue avec Turner d’egal à  égal . La rythmique, marche sur des oeufs et semble se donner pour tâche de donner le plus d’espace possible aux deux soufflants. A la fin du concert, le batteur Obed Calvaire prend un chorus avec un crescendo magnifiquement tenu. Le quartet est admirable d’homogénéité.

Dessins Annie-Claire Alvoët

Texte JF Mondot

Post scriptum1: le pianiste Francis le Bras, qui prend une part déterminante dans l’organisation de ce festival, a l’elegance et la délicatesse  (si peu répandue ) de ne pas vouloir se programmer dans son festival. Mais cependant, quelques heures avant le concert de Mark Turner, on a pu écouter ce pianiste (qui participait il y a un an, du très beau De l’estaques aux Goudes, avec Daniel Erdmann) au Conservatoire de Reims dans une confrontation avec des machines élaborées et dirigées par Christian Sebille. Le dialogue fut passionnant. Les machines de Sebille lui permettent de prélever le son, de le traiter, et de le renvoyer avec lune saisissante rapidité de reaction. Cela donna des sortes de boomerang sonores, Le Bras frappant quelques notes ou phrases qui lui revenaient métamorphosée en battements d’ailes, en clapotis, ou en grondements de tonnerre.  Pendant tout le concert, Le Bras et Sebille echangent des regards malicieux. Cette musique à mi chemin entre jazz et musique contemporaine prend un tour extraordinairement ludique et accessible…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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La 22e édition Jazz à reims, s’est tenue du 29 octobre au 7 novembre. Les concerts  ont eu lieu dans plusieurs lieux emblématiques de la ville (opéra,  ou caveau Mumm, sponsor du festival). Parmi les beaux moments de cette édition très riche, on citera notamment le concert de Daniel Erdmann et heinz Sauer, et cette belle soirée de clôture qui a rassemblé le quartet de Mark Turner et le projet Snake and Ladders de Sophia Domancich.

 Vendredi 30 octobre, caveau Mumm, Daniel Erdmann (sax ténor), Heinz Sauer (sax ténor ),  Johannes Fink (basse), Christophe Marguet (batterie)

 On ne parle pas assez de Daniel Erdmann, ce grand saxophoniste allemand installé en France et que le pianiste Francis Le Bras a le bon goût de programmer régulièrement au festival de Reims. Ces temps-ci, Erdmann multiplie les projets. On peut l’entendre actuellement avec Samuel Rohrer, ou encore dans le groupe das Kapital avec Hasse Poulsen et Edward Perraud. Ce qui le rend si précieux à  mon sens, c’est cette combinaison de recherche sur le timbre et sur le son (sur scène il change fréquemment de place et de position, attentif à  la manière dont le son se projette dans la salle) mais qui ne s’émancipe jamais de sa quête mélodique. Ce soir – là  à Reims, il retrouvait Heinz Sauer avec qui il a enregistré un disque il y a quelques années. Sauer, 83 ans, est une figure historique du free jazz. Il a été notamment le compagnon de route du grand Albert Mangelsdorff pendant plus de 15 ans.

 

C’est un  plaisir rare et délicieux de pouvoir entendre ensemble ces deux grandx saxophonistes, de générations et d’esthétiques différentes. Le discours de Sauer est plus laconique, plus ramassé.  Il s’exprime souvent sous forme de lambeaux sonores,  joue sur la raucité, sur l’etranglement ce qui donne  une grande intensité à son discours. Erdmann s’exprime sous forme de phrases plus longues, plus construites. Il ménage ses effets. Son son est plus robuste, plus charpenté. Il a une palette très  large qui va d’un son dur, granitique au tressage subtil de petits fils de souffle. Les deux saxophonistes essaient des situations de jeu variées, l’unisson, vrai ou faux, avec Sauer qui fait mine de suivre Erdmann mais qui en fait trace sa propre route, tan-tôt parallèle,  tantôt conjointe), le contre-chant, le contrepoint. La confrontation entre ces deux sonorités produit des choses fort belles. On retient notamment ce moment où ils jouent ensemble, avec ferveur, un hymne sur lequel se projette l’ombre d’Albert Ayler. Cet hymne, Erdmann l’expliquera ensuite, avait été composé pour la RDA par Hans Eisler, mais resilié pour son manque de patriotisme, y compris en 1989 au moment de la réunification. Autre moment magnifique, ce blues acide composé par Sauer, avec quelques écarts de registre inattendus qui rappellent Ornette Coleman.

Il est fascinant d’observer Sauer. Il a une dégaine à la Max Schreck (l’acteur qui incarne Nosferatu chez Murnau), et s’affranchit de toutes les règles avec un naturel confondant. C’est à lui de jouer. Il émet ne note, deux notes. Puis il s’arrête. Friedmann reprend la balle au bond. Parfois c’est un fill, ou un contrechant qui se transforme en chorus. Avec ingenuité et espièglerie,  Sauer refuse de sauter dans les cases des marelles. Comment en serait-il autrement après une vie passée à cultiver la liberté en musique?

 

La rythmique pète le feu. Dès le premier morceau Johannes Fink et Christophe Marguet imposent une intensité grondante qui stimule manifestement les deux solistes. Johannes Fink semble s’inspirer de Sauer en matière d’imprévisibilité. Souvent il abandonne sa ligne de basse pour se lqncer dans une grande envolée à  l’archet. C’est alors à Christophe Marguet dereprendre la balle au bond pour conserver la direction de la musique. Curieux quartet, se dit-on à la fin du concert, deux types qui font tanguer le bateau, et deux qui tentent de tenir le gouvernail. C’est une musique exigeante, par l’engagement des musiciens, mais qui emporte l’adhésion du public tant les musiciens mettent d’intensité dans leur jeu.

 

 

 

Musica Nuda (Petra Magoni, voix, Ferrucio Spinetti, contrebasse)

 

 

 

 

 

En seconde partie, toujours dans le cadre de la cave Mumm, toute autre chose. Musica Nuda, que je découvrais. Ce duo italien présente un curieux alliage: d’un côté un contrebassiste au lyrisme pudique, au son magnifique, et de surcroît fin compositeur, et de l’autre une chanteuse extravertie jusqu’à la gesticulation.Parfois ça marche, comme le très  beau speak low qui ouvre le concert, où Magoni reste sobre, et oú Spinetti réussit à  atteindre une émotion incroyable en deux ou trois notes. A d’autres moments,  petra magoni se déchaîne aux dépens de la musique  (comme lorsqu’elle saute à pieds joints sur ce pauvre Nature Boy qui ne lui avait rien fait  ) mais elle met  le public dans sa poche. Je note qu’elle retrouve sa musicalité sur les trois ou quatre chansons en italien du spectacle, au milieu de chansons pops jazzifiees  (Roxanne, Is this love) qui n’apportent rien ni au jazz, ni à la pop. Le public ravi, s’incline devant une énergie aussi débordante.

 

 

Jazz à  Reims

 

Vendredi 5  novembre, Opéra de Reims, Sophia Domancich ( piano, fender, machines), john greaves (voix), himiko paganotti (voix), eric daniel (guitare)

 

 

 

Le charme puissant de cette  formation repose d’abord sur le contraste entre deux voix. Celle de John Greaves, pleine d’asperités, rapée de mille eclats de verre, possède le delicieux craquement d’un vieux 33 tours. Celle d’Hikimo Paganotti, aux couleurs suaves et diaphanes, évoque parfois une comédie musicale  des années 50. Mais elle est capable aussi d’aller dans le grave en prenant des intonations presque funèbres.Quand ils chantent ensemble à  l’unisson, ce duo offre à l’auditeur une sorte de douceur un peu craquelée.

 

Sophia Domancich enveloppe ces deux voix d’aquarelles abstraites. Elle se sert aussi de son ordinateur pour lancer quelques bruitages ou textures (un ou deux sons, en general répété) sur lequel elle s’appuie dans ses improvisations. Au fender ou au pianoles traits qu’elle produit ressemblent à  des nappes liquides. Elle cree une atmosphère onirique, à laquelle la guitare  d’Eric Daniel vient ajouter quelques rayons de lune. Mais à  certains moments, on cligne des yeux, on sort de cet onirisme. Tout s’emboîte, la musique prend une urgence étonnante. Trois ou quatre de ces moments surviennent ainsi au cours de la soirée , dont un seul aurait suffi à  justifier n’importe quel conceMark Turner quartet

 

Mark Turner (sax ténor) Avishai Cohen (trompette), joe Martin (contrebasse), Obed Calvaire  (batterie)

 

 

 

 

 

Le concert commence par quelques notes du contrebassiste Joe Martin. Elles ont, ces notes, une densité étonnante. Joe Martin est le genre de musicien qui en trois notes vous plante un décor, le fait vivre, palpiter. Tout au long du concert il aère  la musique en lui donnant beaucoup d’espace. Après  ces quelques notes, Mark Turner et Avishai Cohen exposent le thème à  l’unisson. Mais en fait l’unisson ne dure pas, Mark Turner et Avishai Cohen tracent des sillons qui se rejoignent, s’écartent, se répondent. Les thèmes  joués sont des themes de surdoués , qui modulent harmoniquement ou rythmiquement façon virage en epingles à  cheveux. J’avais de Mark Turner l’image d’un gars dont les traits vertigineux aboutissaient à  une musique serrée comme le poing. Dense mais un peu irrespirable . Ici, la musique respire,  Mark Turner procède  toujours par explorations au moyen d’arpèges déviants faussement immobiles, qu’il fait dévier subtilement. Il a quelque chose d’un derviche tourneur dans la manière dont il fait défiler ces gammes ou arpèges pour s’introduire au coeur de la musique. Et quelle finesse dans le son, délicatement ouvragé dans les graves ou dans les aigus, où il explore la frontière entre le souffle et le sifflement.

 

Avishai Cohen, dix ans plus jeune, ne semble pas du tout intimidé par son leader. Il s’appuie sur un son de trompette magnifiquement ample, qui ne se désunit jamais même  dans les aigus. Il possède une sorte de virtuosité typique des trompettistes d’aujourd’hui, qui semble rechercher l’élasticité plus que la rapidité, avec des sauts de registres  et d’intervalles inattendus. Il dialogue avec Turner d’egal à  égal . La rythmique, marche sur des oeufs et semble se donner pour tâche de donner le plus d’espace possible aux deux soufflants. A la fin du concert, le batteur Obed Calvaire prend un chorus avec un crescendo magnifiquement tenu. Le quartet est admirable d’homogénéité.

Dessins Annie-Claire Alvoët

Texte JF Mondot

Post scriptum1: le pianiste Francis le Bras, qui prend une part déterminante dans l’organisation de ce festival, a l’elegance et la délicatesse  (si peu répandue ) de ne pas vouloir se programmer dans son festival. Mais cependant, quelques heures avant le concert de Mark Turner, on a pu écouter ce pianiste (qui participait il y a un an, du très beau De l’estaques aux Goudes, avec Daniel Erdmann) au Conservatoire de Reims dans une confrontation avec des machines élaborées et dirigées par Christian Sebille. Le dialogue fut passionnant. Les machines de Sebille lui permettent de prélever le son, de le traiter, et de le renvoyer avec lune saisissante rapidité de reaction. Cela donna des sortes de boomerang sonores, Le Bras frappant quelques notes ou phrases qui lui revenaient métamorphosée en battements d’ailes, en clapotis, ou en grondements de tonnerre.  Pendant tout le concert, Le Bras et Sebille echangent des regards malicieux. Cette musique à mi chemin entre jazz et musique contemporaine prend un tour extraordinairement ludique et accessible…