Jazz à Reims : Julien Lourau à son meilleur
Avec l’Electric Biddle, son groupe anglais, Julien Lourau a délivré une prestation de grande intensité clôturant idéalement la première semaine de Jazz à Reims.
Julien Lourau electric biddle , julien Lourau (saxophones), Hannes Riepter (guitar), Jon Scott (dm), Dave Maric (p, claviers), Atelier de la Comédie, Reims, dans le cadre du festival Jazz à Reims.
Une scène du concert m’a marqué. Lors du troisième morceau, un bref moment, les musiciens, absorbés par le maniement de leurs bidules éléctroniques, avaient l’air de laborantins penchés sur leur paillasse. Dans ce groupe en effet, chaque instrumentiste sauf le batteur dispose de bécanes diverses pour élargir leur palette. Ce bref et fugitif moment m’a frappé car mon impression visuelle, à ce moment-là, était en complet décalage avec mon impression auditive. Car cette musique enrichie d’échos, de halos, de textures, coule de source. Elle est fluide, claire, et semble même étrangement organique. L’une des qualités de ce groupe, l’Electric Biddle, réside précisément dans l’utilisation subtile et intelligente de l’éléctronique. Celle-ci n’est ni totalitaire ni vassalisée. Elle sait se faire discrète et ménager de splendides moments accoustiques, nous y reviendrons. Pour autant, elle est réellement au coeur des improvisations du groupe, dans le positionnement des musiciens les uns par rapport aux autres, ou dans la logique avec laquelle la musique se construit, avec cette prédilection pour les tourneries hypnotiques, et leur art de se résoudre en comptines accrocheuses. Cette éléctronique utilisée avec goût ménage donc de superbes moments accoustiques. L’entame du concert est un bon exemple. Lourau, à l’alto, a capella, entre résolument dans le vif du sujet, et met la musique à un niveau d’intensité qu’elle ne quittera plus pendant tout le concert. Aux claviers, Dave Maric exploite un riche arsenal de « zip, shebam, wiz », comme dans Comic Strip, la chanson de Gainsbourg à laquelle j’ai parfois pensé en l’écoutant, car ses effets ont quelque chose de vif, de mordant et presque d’humoristique. De temps en temps, sur un tout autre registre, il propulse des basses synthétiques minérales, étrangement désincarnées. Mais il revient aussi régulièrement à son piano où il fait entendre un toucher d’une grande délicatesse. Le guitariste Hannes Riepler affiche également un magnifique toucher, une grande économie de moyens. Trois ou quatre notes lui suffisent pour changer la couleur d’une atmosphère. Il sait faire preuve aussi d’une intensité brûlante dans certains de ses solos. Bref un interlocuteur à la mesure (ou à la démesure) de Lourau. Avec ces deux là, nourris par le feu crépitant et les arithmétiques complexes du batteur Jon Scott, la musique peut voyager loin. Elle peut même renverser les montagnes. Lourau, finalement se montre assez sage avec les effets éléctroniques dont il dispose. Mais c’est sans doute qu’il a une telle ressource d’effets « naturels » (slaps, jeu sur les attaques, sur le timbre…) qu’il n’en a pas besoin pour donner de l’intensité et de l’expressivité à son propos. Il a toujours cette manière énergique de se lancer dans son chorus comme s’il se frayait un chemin dans la jungle à grands coups de poings lyriques. A la fin du concert, la participation du chanteur André Ze Jam Afane fait un peu retomber l’intensité mais apporte autre chose : de la douceur, un mystère un peu planant, et je me laisse bercer par des phrases comme « chaque poussière est la somme de tout un monde ».
Après le concert, je me faufile avec Pierre Tenne, mon excellent confrère de Djam, pour recueillir quelques paroles de Lourau. Il nous parle de ses « bécanes » comme il dit, et de la difficulté à les utiliser en temps réel: « Ma bécane de base c’est un multieffect de DJ, j’ai aussi un Harmonizer avec un filtre me permettant de jouer sur les textures… ». Quand Pierre Tenne lui demande à quoi servent tous ces effets, il répond mi-énigmatique, mi-provocant: « A ne pas faire de saxophone » et cette réponse me trotte dans la tête pendant que la conversation dérive sur autre chose, je me demande s’il veut dire qu’en se détachant de sa logique de saxophoniste il a le sentiment de percevoir plus facilement la globalité de la musique. Je n’ai pas le temps de rebondir là-dessus car Lourau, tranquillement, vient de laisser tomber une autre phrase qui me sidère: « Toute la musique jouée ce soir était improvisée ». Cette fois il précise: « C’est possible parce qu’on se connaît bien…On a développé un vocabulaire commun, des positionnements les uns par rapport aux autres…tout cela s’obtient par la réécoute. Après les concerts, en buvant un coup, on réécoute ce qui vient d’être joué. On se construit ainsi des réflexes communs… ». Je demande au batteur Jon Scott, impressionnant par son activité inlassable à la batterie, s’il vient du rock. Fausse route. Il vient de Steve Coleman et de Majik Malik. Il soutient que les algèbres rythmiques de Coleman sont enracinés dans la musique africaine. Moue dubitative de Lourau: « Pour sentir un rythme il faut sentir la danse qui va avec. C’est ce que j’ai compris avec la musique des Balkans. Mais avec Coleman, je n’arrive pas toujours à sentir la danse… ». Le champagne, dans les verres, s’est évaporé. Je consulte Pierre Tenne du regard et nous tombons d’accords. C’est le moment de partir.
JF Mondot
|Avec l’Electric Biddle, son groupe anglais, Julien Lourau a délivré une prestation de grande intensité clôturant idéalement la première semaine de Jazz à Reims.
Julien Lourau electric biddle , julien Lourau (saxophones), Hannes Riepter (guitar), Jon Scott (dm), Dave Maric (p, claviers), Atelier de la Comédie, Reims, dans le cadre du festival Jazz à Reims.
Une scène du concert m’a marqué. Lors du troisième morceau, un bref moment, les musiciens, absorbés par le maniement de leurs bidules éléctroniques, avaient l’air de laborantins penchés sur leur paillasse. Dans ce groupe en effet, chaque instrumentiste sauf le batteur dispose de bécanes diverses pour élargir leur palette. Ce bref et fugitif moment m’a frappé car mon impression visuelle, à ce moment-là, était en complet décalage avec mon impression auditive. Car cette musique enrichie d’échos, de halos, de textures, coule de source. Elle est fluide, claire, et semble même étrangement organique. L’une des qualités de ce groupe, l’Electric Biddle, réside précisément dans l’utilisation subtile et intelligente de l’éléctronique. Celle-ci n’est ni totalitaire ni vassalisée. Elle sait se faire discrète et ménager de splendides moments accoustiques, nous y reviendrons. Pour autant, elle est réellement au coeur des improvisations du groupe, dans le positionnement des musiciens les uns par rapport aux autres, ou dans la logique avec laquelle la musique se construit, avec cette prédilection pour les tourneries hypnotiques, et leur art de se résoudre en comptines accrocheuses. Cette éléctronique utilisée avec goût ménage donc de superbes moments accoustiques. L’entame du concert est un bon exemple. Lourau, à l’alto, a capella, entre résolument dans le vif du sujet, et met la musique à un niveau d’intensité qu’elle ne quittera plus pendant tout le concert. Aux claviers, Dave Maric exploite un riche arsenal de « zip, shebam, wiz », comme dans Comic Strip, la chanson de Gainsbourg à laquelle j’ai parfois pensé en l’écoutant, car ses effets ont quelque chose de vif, de mordant et presque d’humoristique. De temps en temps, sur un tout autre registre, il propulse des basses synthétiques minérales, étrangement désincarnées. Mais il revient aussi régulièrement à son piano où il fait entendre un toucher d’une grande délicatesse. Le guitariste Hannes Riepler affiche également un magnifique toucher, une grande économie de moyens. Trois ou quatre notes lui suffisent pour changer la couleur d’une atmosphère. Il sait faire preuve aussi d’une intensité brûlante dans certains de ses solos. Bref un interlocuteur à la mesure (ou à la démesure) de Lourau. Avec ces deux là, nourris par le feu crépitant et les arithmétiques complexes du batteur Jon Scott, la musique peut voyager loin. Elle peut même renverser les montagnes. Lourau, finalement se montre assez sage avec les effets éléctroniques dont il dispose. Mais c’est sans doute qu’il a une telle ressource d’effets « naturels » (slaps, jeu sur les attaques, sur le timbre…) qu’il n’en a pas besoin pour donner de l’intensité et de l’expressivité à son propos. Il a toujours cette manière énergique de se lancer dans son chorus comme s’il se frayait un chemin dans la jungle à grands coups de poings lyriques. A la fin du concert, la participation du chanteur André Ze Jam Afane fait un peu retomber l’intensité mais apporte autre chose : de la douceur, un mystère un peu planant, et je me laisse bercer par des phrases comme « chaque poussière est la somme de tout un monde ».
Après le concert, je me faufile avec Pierre Tenne, mon excellent confrère de Djam, pour recueillir quelques paroles de Lourau. Il nous parle de ses « bécanes » comme il dit, et de la difficulté à les utiliser en temps réel: « Ma bécane de base c’est un multieffect de DJ, j’ai aussi un Harmonizer avec un filtre me permettant de jouer sur les textures… ». Quand Pierre Tenne lui demande à quoi servent tous ces effets, il répond mi-énigmatique, mi-provocant: « A ne pas faire de saxophone » et cette réponse me trotte dans la tête pendant que la conversation dérive sur autre chose, je me demande s’il veut dire qu’en se détachant de sa logique de saxophoniste il a le sentiment de percevoir plus facilement la globalité de la musique. Je n’ai pas le temps de rebondir là-dessus car Lourau, tranquillement, vient de laisser tomber une autre phrase qui me sidère: « Toute la musique jouée ce soir était improvisée ». Cette fois il précise: « C’est possible parce qu’on se connaît bien…On a développé un vocabulaire commun, des positionnements les uns par rapport aux autres…tout cela s’obtient par la réécoute. Après les concerts, en buvant un coup, on réécoute ce qui vient d’être joué. On se construit ainsi des réflexes communs… ». Je demande au batteur Jon Scott, impressionnant par son activité inlassable à la batterie, s’il vient du rock. Fausse route. Il vient de Steve Coleman et de Majik Malik. Il soutient que les algèbres rythmiques de Coleman sont enracinés dans la musique africaine. Moue dubitative de Lourau: « Pour sentir un rythme il faut sentir la danse qui va avec. C’est ce que j’ai compris avec la musique des Balkans. Mais avec Coleman, je n’arrive pas toujours à sentir la danse… ». Le champagne, dans les verres, s’est évaporé. Je consulte Pierre Tenne du regard et nous tombons d’accords. C’est le moment de partir.
JF Mondot
|Avec l’Electric Biddle, son groupe anglais, Julien Lourau a délivré une prestation de grande intensité clôturant idéalement la première semaine de Jazz à Reims.
Julien Lourau electric biddle , julien Lourau (saxophones), Hannes Riepter (guitar), Jon Scott (dm), Dave Maric (p, claviers), Atelier de la Comédie, Reims, dans le cadre du festival Jazz à Reims.
Une scène du concert m’a marqué. Lors du troisième morceau, un bref moment, les musiciens, absorbés par le maniement de leurs bidules éléctroniques, avaient l’air de laborantins penchés sur leur paillasse. Dans ce groupe en effet, chaque instrumentiste sauf le batteur dispose de bécanes diverses pour élargir leur palette. Ce bref et fugitif moment m’a frappé car mon impression visuelle, à ce moment-là, était en complet décalage avec mon impression auditive. Car cette musique enrichie d’échos, de halos, de textures, coule de source. Elle est fluide, claire, et semble même étrangement organique. L’une des qualités de ce groupe, l’Electric Biddle, réside précisément dans l’utilisation subtile et intelligente de l’éléctronique. Celle-ci n’est ni totalitaire ni vassalisée. Elle sait se faire discrète et ménager de splendides moments accoustiques, nous y reviendrons. Pour autant, elle est réellement au coeur des improvisations du groupe, dans le positionnement des musiciens les uns par rapport aux autres, ou dans la logique avec laquelle la musique se construit, avec cette prédilection pour les tourneries hypnotiques, et leur art de se résoudre en comptines accrocheuses. Cette éléctronique utilisée avec goût ménage donc de superbes moments accoustiques. L’entame du concert est un bon exemple. Lourau, à l’alto, a capella, entre résolument dans le vif du sujet, et met la musique à un niveau d’intensité qu’elle ne quittera plus pendant tout le concert. Aux claviers, Dave Maric exploite un riche arsenal de « zip, shebam, wiz », comme dans Comic Strip, la chanson de Gainsbourg à laquelle j’ai parfois pensé en l’écoutant, car ses effets ont quelque chose de vif, de mordant et presque d’humoristique. De temps en temps, sur un tout autre registre, il propulse des basses synthétiques minérales, étrangement désincarnées. Mais il revient aussi régulièrement à son piano où il fait entendre un toucher d’une grande délicatesse. Le guitariste Hannes Riepler affiche également un magnifique toucher, une grande économie de moyens. Trois ou quatre notes lui suffisent pour changer la couleur d’une atmosphère. Il sait faire preuve aussi d’une intensité brûlante dans certains de ses solos. Bref un interlocuteur à la mesure (ou à la démesure) de Lourau. Avec ces deux là, nourris par le feu crépitant et les arithmétiques complexes du batteur Jon Scott, la musique peut voyager loin. Elle peut même renverser les montagnes. Lourau, finalement se montre assez sage avec les effets éléctroniques dont il dispose. Mais c’est sans doute qu’il a une telle ressource d’effets « naturels » (slaps, jeu sur les attaques, sur le timbre…) qu’il n’en a pas besoin pour donner de l’intensité et de l’expressivité à son propos. Il a toujours cette manière énergique de se lancer dans son chorus comme s’il se frayait un chemin dans la jungle à grands coups de poings lyriques. A la fin du concert, la participation du chanteur André Ze Jam Afane fait un peu retomber l’intensité mais apporte autre chose : de la douceur, un mystère un peu planant, et je me laisse bercer par des phrases comme « chaque poussière est la somme de tout un monde ».
Après le concert, je me faufile avec Pierre Tenne, mon excellent confrère de Djam, pour recueillir quelques paroles de Lourau. Il nous parle de ses « bécanes » comme il dit, et de la difficulté à les utiliser en temps réel: « Ma bécane de base c’est un multieffect de DJ, j’ai aussi un Harmonizer avec un filtre me permettant de jouer sur les textures… ». Quand Pierre Tenne lui demande à quoi servent tous ces effets, il répond mi-énigmatique, mi-provocant: « A ne pas faire de saxophone » et cette réponse me trotte dans la tête pendant que la conversation dérive sur autre chose, je me demande s’il veut dire qu’en se détachant de sa logique de saxophoniste il a le sentiment de percevoir plus facilement la globalité de la musique. Je n’ai pas le temps de rebondir là-dessus car Lourau, tranquillement, vient de laisser tomber une autre phrase qui me sidère: « Toute la musique jouée ce soir était improvisée ». Cette fois il précise: « C’est possible parce qu’on se connaît bien…On a développé un vocabulaire commun, des positionnements les uns par rapport aux autres…tout cela s’obtient par la réécoute. Après les concerts, en buvant un coup, on réécoute ce qui vient d’être joué. On se construit ainsi des réflexes communs… ». Je demande au batteur Jon Scott, impressionnant par son activité inlassable à la batterie, s’il vient du rock. Fausse route. Il vient de Steve Coleman et de Majik Malik. Il soutient que les algèbres rythmiques de Coleman sont enracinés dans la musique africaine. Moue dubitative de Lourau: « Pour sentir un rythme il faut sentir la danse qui va avec. C’est ce que j’ai compris avec la musique des Balkans. Mais avec Coleman, je n’arrive pas toujours à sentir la danse… ». Le champagne, dans les verres, s’est évaporé. Je consulte Pierre Tenne du regard et nous tombons d’accords. C’est le moment de partir.
JF Mondot
|Avec l’Electric Biddle, son groupe anglais, Julien Lourau a délivré une prestation de grande intensité clôturant idéalement la première semaine de Jazz à Reims.
Julien Lourau electric biddle , julien Lourau (saxophones), Hannes Riepter (guitar), Jon Scott (dm), Dave Maric (p, claviers), Atelier de la Comédie, Reims, dans le cadre du festival Jazz à Reims.
Une scène du concert m’a marqué. Lors du troisième morceau, un bref moment, les musiciens, absorbés par le maniement de leurs bidules éléctroniques, avaient l’air de laborantins penchés sur leur paillasse. Dans ce groupe en effet, chaque instrumentiste sauf le batteur dispose de bécanes diverses pour élargir leur palette. Ce bref et fugitif moment m’a frappé car mon impression visuelle, à ce moment-là, était en complet décalage avec mon impression auditive. Car cette musique enrichie d’échos, de halos, de textures, coule de source. Elle est fluide, claire, et semble même étrangement organique. L’une des qualités de ce groupe, l’Electric Biddle, réside précisément dans l’utilisation subtile et intelligente de l’éléctronique. Celle-ci n’est ni totalitaire ni vassalisée. Elle sait se faire discrète et ménager de splendides moments accoustiques, nous y reviendrons. Pour autant, elle est réellement au coeur des improvisations du groupe, dans le positionnement des musiciens les uns par rapport aux autres, ou dans la logique avec laquelle la musique se construit, avec cette prédilection pour les tourneries hypnotiques, et leur art de se résoudre en comptines accrocheuses. Cette éléctronique utilisée avec goût ménage donc de superbes moments accoustiques. L’entame du concert est un bon exemple. Lourau, à l’alto, a capella, entre résolument dans le vif du sujet, et met la musique à un niveau d’intensité qu’elle ne quittera plus pendant tout le concert. Aux claviers, Dave Maric exploite un riche arsenal de « zip, shebam, wiz », comme dans Comic Strip, la chanson de Gainsbourg à laquelle j’ai parfois pensé en l’écoutant, car ses effets ont quelque chose de vif, de mordant et presque d’humoristique. De temps en temps, sur un tout autre registre, il propulse des basses synthétiques minérales, étrangement désincarnées. Mais il revient aussi régulièrement à son piano où il fait entendre un toucher d’une grande délicatesse. Le guitariste Hannes Riepler affiche également un magnifique toucher, une grande économie de moyens. Trois ou quatre notes lui suffisent pour changer la couleur d’une atmosphère. Il sait faire preuve aussi d’une intensité brûlante dans certains de ses solos. Bref un interlocuteur à la mesure (ou à la démesure) de Lourau. Avec ces deux là, nourris par le feu crépitant et les arithmétiques complexes du batteur Jon Scott, la musique peut voyager loin. Elle peut même renverser les montagnes. Lourau, finalement se montre assez sage avec les effets éléctroniques dont il dispose. Mais c’est sans doute qu’il a une telle ressource d’effets « naturels » (slaps, jeu sur les attaques, sur le timbre…) qu’il n’en a pas besoin pour donner de l’intensité et de l’expressivité à son propos. Il a toujours cette manière énergique de se lancer dans son chorus comme s’il se frayait un chemin dans la jungle à grands coups de poings lyriques. A la fin du concert, la participation du chanteur André Ze Jam Afane fait un peu retomber l’intensité mais apporte autre chose : de la douceur, un mystère un peu planant, et je me laisse bercer par des phrases comme « chaque poussière est la somme de tout un monde ».
Après le concert, je me faufile avec Pierre Tenne, mon excellent confrère de Djam, pour recueillir quelques paroles de Lourau. Il nous parle de ses « bécanes » comme il dit, et de la difficulté à les utiliser en temps réel: « Ma bécane de base c’est un multieffect de DJ, j’ai aussi un Harmonizer avec un filtre me permettant de jouer sur les textures… ». Quand Pierre Tenne lui demande à quoi servent tous ces effets, il répond mi-énigmatique, mi-provocant: « A ne pas faire de saxophone » et cette réponse me trotte dans la tête pendant que la conversation dérive sur autre chose, je me demande s’il veut dire qu’en se détachant de sa logique de saxophoniste il a le sentiment de percevoir plus facilement la globalité de la musique. Je n’ai pas le temps de rebondir là-dessus car Lourau, tranquillement, vient de laisser tomber une autre phrase qui me sidère: « Toute la musique jouée ce soir était improvisée ». Cette fois il précise: « C’est possible parce qu’on se connaît bien…On a développé un vocabulaire commun, des positionnements les uns par rapport aux autres…tout cela s’obtient par la réécoute. Après les concerts, en buvant un coup, on réécoute ce qui vient d’être joué. On se construit ainsi des réflexes communs… ». Je demande au batteur Jon Scott, impressionnant par son activité inlassable à la batterie, s’il vient du rock. Fausse route. Il vient de Steve Coleman et de Majik Malik. Il soutient que les algèbres rythmiques de Coleman sont enracinés dans la musique africaine. Moue dubitative de Lourau: « Pour sentir un rythme il faut sentir la danse qui va avec. C’est ce que j’ai compris avec la musique des Balkans. Mais avec Coleman, je n’arrive pas toujours à sentir la danse… ». Le champagne, dans les verres, s’est évaporé. Je consulte Pierre Tenne du regard et nous tombons d’accords. C’est le moment de partir.
JF Mondot