Jazz à Vitoria: des petites histoires dans la grande
Il a l’air un peu seul le Wynton, la nuit surtout à l’heure des concerts, dans la pénombre du Parque de la Florida face à l’hôtel quatre étoiles qui fut son repaire lorsqu’il partageait ses étés, en vacances du Lincoln Center entre Marciac et Vitoria, festivals qui l’avaient adoubé. Bien sûr il ne s:agit dans ce cas basque que d’une statue. Mais tout de même. Et à l’instar du bassiste et compositeur espagnol Baldo Martínez qui vient de sortir un album symboliquement intitulé « Musica imaginaria» -formule idiomatique ibérique qu’il n.est sans doute pas nécessaire de traduire- on n’est pas loin de penser que cette première soirée du Festival Jazz a Vitoria nous offrait « un jazz d’hier face á un jazz de demain »
Jazz à Vitoria
Sylvie Courvoisier (p), Wadada Leo Smith (tp), Nate Woodley (tp), Christian Fennesz (g), Drew Gress (b), Nasheet Waits (dm)
Teatro Principal Antzokia, Vitoria/Gasteiz, 17 juillet
Allons sur le fil de l’histoire du jazz donc: de celui d’aujourd’hui avec, en devenir qui sait, une perspective sur un futur sans barrière. Concernant Sylvie Courvoisier on entre dans son jazz via un pavement de mesures composées enlevées sur un tempo médium. Le climat créé d’entrée joue sur des notes étagées , arpégées ( ) La musique écrite de la,main de la pianiste et compositrice suisse s’avère sur scène plutôt ouverte, en recherche d’espace (et de) temps. Côté sonorités elles sortent sur ce chemin plutôt originales, mâtinées d’eau, d’air, de feu ( trafics sonores électroniques de la guitare lorsque enfin celle ci resssort bien audible à partir du second – La joubarbe araguaïneuse -des longs thèmes aux titres mystérieux exposés et fouillés). Et même frappées de glace façon nordique ECM dès lors que l’écho ou la réverbération spatiale enveloppe le flux commun guitare/trompettes. À propos de trompette justement un bon point que de retrouver Wadada Leo Smith. Surprenant dans quelques réminiscences Miles Daviiennes avec sourdine, Caractéristique dans ses attaques atonales lancées telles des flèches déchirant les structures harmoniques. N’en déplaise à certains tenants de fauteuils trop académiques l’esprit aventurier du free n’es pas mort pour tout le monde…Et le piano dans les dits chemins jazzistiques ? Sous les mains de Sylvie Courvoisier, il demeure central, point de rencontre et facteur de montées en intensité. Et de cris, de ruptures harmoniques. Car sa musique, très écrite à priori n’en éclate pas moins au besoin sous la poussées d’envies d’impro assumées en collectif. Avec en bonus une vraie écoute mutuelle.
Pour finir quand on voit Nasheet Waits habituellement grand ordonnateur de façons rythmiques maîtrisées tourner d’un coup sa partition pour enclencher une distribution de frappes en bouquet garni ( Partout des prunelles flamboient) tandis que Drew Gress (quel plaisir de retrouver sa basse toute en précision de son et de rythme) prendre le relai de gardien des enfers du tempo, on se dit que l’on peut parier sur un jazz vivant á l’air de son époque.
Pablo Caminero (b), Moïses Sanchez (p) Borja Barrueta ( dm ) & le !NDR Big Band
Polideportivo Mendizorrotza , 17 juillet
Lorsque le grand orchestre de la radio publique allemande paraît, il n’y a pas de grande surprise. Pas de mauvaises surtout. Tout le travail de fond est garanti qualité requise. Avec d’abord question personnel toute une galerie de cuivres nourris d’expertise. Plus un vivier de solistes en expression instrumentale immédiate, chacun trouvant sa place, au millimètre Orchestre doté aussi bien sûr d’un son d’ensemble carré fort bien distribué. Vous étes Maria Sneider, Abdullah Ibrahim, Omar Sosa ou Bill Frisell etc. vous prenez le Big Band NDR et vous avez un profil routier orchestral parfaitement contrôlé…aucun risque d’accudentologie due au mauvais état de la route ou à la fatigue du conducteur. Le reste est affaire de partitions proposés, donc de compositions.
Cette fois Pablo Caminero était l’impétrant. Le bassiste originaire de Vitoria jouait ici avec son trio une carte importante dans sa ville de naissance et de coeur. Et lui avouait tout de go sur scène « Même si j’ai connu, ici chez moi, quelquesques problèmes techniques lors de précédents concerts, avec cet orchestre, son métier, sa réputation je me sens ce soir en sécurité totale…» C’est dire…Une première composition intitulée paradoxalement «Salto al vacío» pour ouvrir le bal. Le big band l’englobe sans dificulté, et sonne comme de coutume, dense, au carré.
Il faudra attendre deux compositions liées au flamenco, musique dont Caminero est un spécialste attitré pour avoir joué et arrangé des thèmes aux côtés de musiciens gitans, pour ressentir le grain d’une musique plus personnelle, originale, frappe d’intimité : Soleá de Gasteiz puis Trianatron en clin d’œil à Triana, quartier de Sevilla emblématique de l’art gitan. Dans ces chemins de notes, Moisés Sanchez, le pianiste de son trio, a démontré un savoir faire adéquat, un brio et un feeling certains.
Terry Lyne Carrington (dm), Aaron Parks (p, elp), Milena Casado (tp, bugl, voc), Christiana Hinte, (voc, danses), Mats Sandalh (b)
Polideportivo Mendizorrotza
Difficile de caractériser précisément la nature du jazz servi en fin de soirée dans le grand Palais des Sports de la capitale politique du Pays Basque, siège du gouvernement et du Parlement autonome d’Euskadi ( chaque jour, les journaux locaux placent dans leurs pages en photo les VIP de la soirée festivalière) N’était l’absence de sax dans cette formation la sonorité d’ensemble du quintet pourrait résonner comm du post Miles, époque VSOP -le pianiste, dans ses phases d’accompagnement et de soutien surtout ne dépareillerait parmi les suiveurs de Herbie Hancock. Ceci posé en mode d’hypothèse Aaron Parks fait le distinguo notamment dans des phases de piano plutôt rythmique en accord avec le jeu très fin mais dense de Terri Lyne Carrington (travail sur les caisses /tambours très pleins de musique, amplifié en une séquence solo en particulier) Le point positif viendrait de la personnalité de la jeune trompettiste, espagnole originaire de Huesca, de par ses apports originaux. Une façon de privilégier l’interaction harmonique, interplay avec le piano. Et de casser ce versant un peu lisse par des ruptures rythmiques voire de loger dans son discours des effets électroniques générateurs de notes dédoublées et/ou colorations. surprises.
Derniere sungularité : de petits épisodes de trio (piano/basse/batterie) placés comme autant de perles de culture jazz. En revanche le rôle purement plastique de la danse – Christina Hunte- ne paraît pas évident. Au total Terri Lyne Carrington dans les compositions utilisées en dehors des siennes propres avait choisi de célébrer le savoir faire féminin, puisant auprès de Carla Bley, Marylin Crispell, Alice Coltrane et Carla Bley.
Curieuse sensation finale en mode de paradoxe : pas de rappel malgré la demande du public, et un sentiment de froidure qui se dégage de la scène en conclusion du concert.
Jazz a Vitoria , 18 juillet
Clara Peya (p), Ainoa Zanoguera, Carmen Acier (voc, perc), Adrian Gonzales (clav), Dídac Fernandez (dm)
Teatro Principal Antzokia
La pianiste qui dirige tout depuis son piano coeur de chauffe le dit sans ambages « Mon travail n’a ren à voir avec le jazz» Au total on découvre un spectacle total, musique en force, carrée, binaire, gavée de traits électroniques, en explosion permanente de voix, de chants, de volumes sonores maximalisés et de lumières en éclairs tirés à foison. La leader, pianiste et compositrice catalane se veut, se présente, se dit engagée, revendicative, artiste militante libertaire ( d’entrée elle lançait un appel pour une Palestine libre) On sent poindre pourtant dans ses morceaux des lignes de création nimbée d’une poésie aux senteurs, aux graphes, aus sons des murs de la ville et du pavé des rues.
Joel Ross (vibra), María Grand (ts), Jérémy Corren (p), Kanoa Mendenhall (b), Jérémy Dutton (dm)
Polideportivo Mendizorrotza,
Il offre des sonorités instrumentales que l’on retrouve sans nostalgie obligée mais placées sous le sceau majeur du plaisir de l’écoute jazz. Et des retrouvailles avec un instrument particulier aujourd’hui un peu passé au second plan: le vibraphone. Joël Ross présenté depuis un certain temps comme le nouveau prodige du vibraphone est aujourd’hui, après maturation, un musicien de l’idiome jazz in extenso. Il conduit son orchestre, à dessein. Il domine ses lames de métal dans un savoir faire, un élan créatif, une force musicale. tranquille. Il sait rester sobre lorsque il le faut (témoin sa présentation de l’orchestre opérée sans couper avec le flux musical) Et lâcher les chevaux au bon moment sur son instrument au timbre particulier, volubile, inspiré, démonstratif au sens positif du terme. Mais sans une virtuosité par trop exacerbée. Derrière lui, en appui, par lignes parallèles ou croisées le groupe fait le boulot.en continuum, en partage, en connaissance de la cause jazzistiique nécessaire mise en pratique au présent de cette musique. Le ténor de la saxophoniste insuffle de la teneur, de l’épaisseur de vie à sa colonne d’air. Le pianiste, chevelure fournie, veste kaki pour un look d’étudiant protestataire contre la guerre du Vietnam Nam époque MASH, affirme lui une présence forte, expose ses choix de couleurs. La (dite) rythmique conjuguée itou au masculin (batterie) féminin (basse) apporte ses couleurs fortes personnelles.
Sur scène en schémas plus joueurs que préétablis, le temps d’explorations successives au fil de longues séquences imbriquées – on n’aura entendu au total qu’un seul thème, sans séparation, issu majoritairement de son dernier album Nublues à partir de cette seule explication « Nous enchaînons les séquences sans besoin de sésure, en mode work in progress naturel » Ainsi distillée la musique d’aspect libéré vit sa vie sans compter les mesures. Sans basculer non plus dans la démesure sonore.. Le jazz du quintet sans renier des racines perceptibles – on peut y dénicher par exemple quelques réminiscences du Matin des noires, album live partagé de Archie Schepp & John Coltrane avec Bobby Hutcherson au vibra …mais faut-il aller chercher si loin ?- vaut pour son effort de renouvellement. De clarté générique par là même. Joël Ross s’y trouve bien secondé par son pianiste complice attitré, Jérémy Corren lui même praticien savant en la matière. Au sens du rendu collectif la notion d’orchestre de jazz y recueille ici une vraie légitimité.
Cécile Mc Lorrin Salvant (voc), Sullivan Fortner (p), Yasuchi Nakamura (b), Kyle Poole (dm)
Polideportivo Mendizorrotza
Une voix forte, un trio solide, un jazz vocal accompli. Les festivals de jazz en Espagne la place en tête de gondole, ici dans sa partie nord basque, Vitoria Gasteiz et San Sebastian Donostia en particulier. Cécile Mc Lorrin Salvant joue le jeu de la reconnaissance même si, elle l’avoue avec une pincée d’humour « J‘apprends la langue espagnole depuis…vingt ans mais…»
Des classiques tel le Barber’s Song de Kurt Weil, un titre de Sting (Until), des standards tel l’éternel My Funky Valentine objet d’un brillant prolongement de solo piano de l’épatant Sullivan Fortner. Plus quelques compositi9ns de sa plume (Obligations) : en chaque occasion, forte d’un naturel affiché, elle veille à y utiliser à succès toutes la palette d’un grand savoir faire vocal: puissance, nuances, amplitude de tessiture, adaptation à la nature du texte, au sens des mots véhiculés. Cecile Mac Lorrin Salvant un tantinet comediante à l’mage de son jeune batteur, sait bien conter les histoires petites ou grandes que traduisent les chansons interprtées. Y compris celle chantée dans une contine en occitan magnifiée par la résonance magique de la peau du seul tambour venu en accompagnement. Elle expliquait récemment la nature de son travail dans une interview à Jazz Mag, ses recherches, sa vocation à embrasser des chants de différente nature, du jazz à l’Afrique en passant par le ruche monde créole, On sent dans ses attitudes sur scène la,polyvalence de son talent vocal, le parcours et le métier acquis. À Vitoria arpentant les planches de ses souliers verts fluos , elle est passée du jazz à la chanson et vice versa. C’était nature, Et ce fut gagné:. Mendizorrotza était conquis. De quoi en redemander dans une nuit douce.
Robert Latxague
(Photos Robert Latxague, sauf indiqué)