Jazz aux écluses remonte l’histoire avec Christophe Monniot et Jacques Schwarz-Bart
Jazz aux écluses remonte l’histoire avec Christophe Monniot et Jacques Schwarz-Bart
Samedi dernier, 20 septembre, à Jazz-aux-écluses au nord de Rennes, on remontait le cours de l’histoire avec une évocation, par Christophe Monniot et son groupe Ozone, du grand discours I Have a Dream de Martin Luther King à Washington en 1963 et un retour de Jacques Schwarz-Bart vers les racines du vaudou.
Jazz aux écluses, Hédé-Bazouges (35), le 20 septembre 2014.
À l’origine de ce festival, comme souvent, une volonté très individualisée si l’on peut considérer le couple Saint-James comme un individu, qui a su fédérer une équipe de bénévoles enthousiastes, voire une localité et ses environs. Nous sommes à l’écluse de la Madeleine, d’un ensemble de onze ouvrages successifs qui permet au canal d’Ille-et-Rance un dénivelé de 27m sur 2,5km au Nord de Rennes. Le Nord du site offre une jolie promenade à l’ombre des châtaigniers et des hêtres dont les bogues à cette saison craquent sous les pieds. Au Sud, l’écluse de la Madeleine domine un bassin où le couple Saint-James a pris possession d’une maison éclusière et où Catherine Saint-James a ouvert un gîte d’étape avec hébergement sur l’eau dans des toues cabanées (embarcation à fond plat typique de la Loire, dotée d’un cabane), tout en veillant sur la communication des différents projets de son époux Guillaume, le saxophoniste et compositeur, qui publiait cette année son projet symphonique “Megapolis”, participait aux célébrations de la Libération avec ses “Brothers in Arts” cosignés avec Chris Brubeck (voir compte rendu de la veille). Et on est assez étonné de voir ces deux personnages sous pression, aborder le festival dont ils tiennent les rennes avec une décontraction aussi durable. Certes, les bénévoles veillent au grain, mais on a les bénévoles qu’on mérite.
Il y a deux ans, dans ces pages, j’écrivais : « Ce que l’on voit d’abord en arrivant sur le site, ce sont les enfants. » Et bien, ça n’a pas changé, sinon que la caravane rose annonçant « bonbons » s’est déplacée et que le petit chapiteau a disparu. Les enfants courent partout dans une espèce de land art fait de bric et de broc (dont une forêt disparate de lances de bois multicolores qui accueille le public dès son arrivée sur le site), sollicités par les activités que proposent les éditions musicales Fuzeau ou l’association Regards de mômes, des mini-concerts d’orchestres scolaires et d’une fanfare new orleans, les Repris de justesse, tandis qu’au bar à vins s’éternisera un bœuf non stop jusque tard dans la nuit. La fourmilière des bénévoles arpente le site comme en un remake du Jour de fête de Jacques Tati, le pianiste Luc Saint-James, le cousin de Guillaume, assurant à vélo, comme “à l’américaine”, le ramassage régulier des différentes caisses (bar à vins, tapas, galettes saucisse, débits de bière et boisson chaudes, huîtres…)
Christophe Monniot Ozone : Christophe Monniot (saxes sopranino, alto, Baryton), Emil Spanyi (claviers), Joe Quitzke (batterie), Sylvie Gasteau (sonographe).
De quel côté remonte-t-on le cours d’un canal ? A Hédé, vu le dénivelé, c’est clair et c’est en amont de l’écluse de la Madeleine que Christophe Monniot investit le Chapiteau des onze écluses pour remonter le cours de l’histoire jusqu’à l’année terrible de 1963 et le fameux discours prononcé par Martin Luther King à l’issue de la grande marche sur Washington. Des fragments de ce discours, traduits dans différentes langues, font l’objet d’un montage sonore réalisé par la sonographe Sylvie Gasteau qui en contrôle la diffusion à l’aide d’un gros magnétophone à bandes disposé sur le côté de la scène. L’intention est belle, la réalisation irréprochable, l’interaction avec la musique discutable, car on la sent piétiner dans les moments de discours, puis décoller lorsqu’elle prend le devant de la scène, faisant rapidement oublier l’évocation historique, si bien que l’on n’est pas certain qu’il s’agisse du même spectacle où alternent de nouvelles pièces et des reprise de répertoires antérieurs de Monniot, telles La Bourrée des Mariés et Ponciana, Amazing Grace servant de fil rouge (confirmé par Monniot après le spectacle, je n’en avais repéré qu’une occurrence sans être foutu d’y mettre un titre), plus des citations récurentes de Summertime, et une autre de Someday My Prince Will Come.
Reste ce charisme et cette illumination intérieure qui habite le rapport à l’improvisation de Christophe Monniot et qui culmine ce soir en un prêche passionné sur Doxy. Reste Joe Quitzke inimitable, hors norme, participant aux atmosphères et aux couleurs d’Ozone, non sans participer aux grooves sombres et puissants qui traversent le programme. Le dispositif instrumental – trio sans basse – sollicite à plusieurs reprises le sax baryton comme basse à vent (voire les seuls clapets de l‘instrument ou même la voix), mais surtout le don d’ubiquité d’Emil Spanyi sur ses différents claviers. Spanyi est un grand connaisseur et collectionneur de claviers et son approche, notamment dans l’ouverture crépusculaire de ce programme, n’est pas sans rappeler certains aspects de l’art de Joe Zawinul. Il a en tout cas une faculté à fondre les différentes matières qu’il tire de ses machines sans aucun hiatus avec son jeu de piano (notamment sur Doxy où un formidable exercice de construction-déconstruction d’une brève cellule débouche sur un solo évoquant tout à la fois Oscar Peterson et Lennie Tristano sans paraître un seul moment néo-classique) ni discontinuité entre son ensemble de claviers électriques ou acoustique et le son global l’orchestre qu’il façonne en grande partie, avec des visions qui lui sont propres. Le lendemain à table où viennent de nous rejoindre le sonorisateur Vincent Mahey et Thierry Virolles (fondateur de la compagnie Aime l’air), nous serons quelques uns à nous étonner qu’un tel musicien fasse un carrière aussi discrète.
Je quitte la fin du concert comme un voleur pour me rendre dans d’anciennes stalles à chevaux transformées en salle de conférence où je dois donner une conférence sur le thème du Jazz s’en va-t-en guerre, reprenant certains éléments du dossier du numéro de juin de Jazz Magazine. Salle déjà pleine lorsque j’arrive sur les lieux faisant face à un léger vent de panique : on me cherchait partout, non sans avoir confié au Repris de justesse le soin de faire patienter. À 18h01, mon ordinateur branché à l’ampli, je commence ma conférence par le récit de la tournée du Quintette du Hot Club de France interrompue et le retour impromptu en France de Django Reinhar
dt à l’annonce de la déclaration de guerre. Le temps d’étaler ma science jusqu’en 1944, de traîner avec quelques auditeurs ou de les retrouver au bar à vin pour trinquer, j’arrive évidemment en retard pour le concert de Jacques Schwarz-Bart.
Jacques Schwarz-Bart Jazz Racines Haïti : Moonlight Benjamin (chant), Jacques Schwarz-Bart (sax ténor), Gregory Privat (piano), Reggie Washington (contrebasse), Arnaud Dolmen (batterie).
La réaction première qui ressort des premières impressions partagées avec quelques-uns sous le chapiteau de Jazz aux écluses nous renvoie à la frustration momentanée exprimée par notre collaborateur Pascal Rozat en ouverture de sa chronique du disque “Jazz Racine Haïti” (Choc tout de même attribué dans notre numéro 659) en constatant le classicisme modern jazz de l’ancien joueur de gwoka au moment même où ce dernier remonte aux sources du vaudou. Car à première vue, c’est un formidable orchestre de jazz qui l’entoure (et de ce point de vue, il n’y a pas lieu de bouder son plaisir), où l’on remarque en premier lieu le pianiste Gregory Privat : abattage mélodique, articulation et placement, assise et apesanteur harmonique, musicalité, très loin des clichés du “piano créole” où les lois de la communication et du marketing auraient tôt fait de l’enfermer. Et c’est ce refus de l’enfermement qui fait la force du nouveau programme de Schwarz-Bart : s’arracher aux clichés de la créolité pour revenir à l’essentiel, les racines du vaudou qu’incarnent sur scène la chanteuse Moonlight Benjamin, vocaliste-prêtresse affranchies des formats de la chanson pour nous entraîner aux abords des zones occultes du sacré. Or, le batteur Arnaud Dolmen y contribue, en dépit des apparences “jazzy”. J’avais signalé la motricité de son jeu dans le dispositif rythmique proposé l’an passé par Jean-Rémy Guédon à Malguénac. Ici, en partenariat avec l’admirable Reggie Washington, il a une façon de multiplier ses frappes en une étourdissante polyrythmie qui fait de son set de batterie un véritable ensemble tambourinaire.
Un concert dont on savourera le souvenir (et quelques autres) en partageant impressions et petits verres à la buvette en compagnie du bassiste Jérôme Séguin, du batteur Christophe Lavergne et de Chris Brubeck qui ne boude pas son plaisir d’être là, avec son épouse, tard dans la nuit, à interroger les Frenchies sur la situation du jazz en France et à répondre à nos questions sur son père Dave, dont je retrouve, bien que mangé par une large barbe, le profil aquilin trahissant les origines amérindiennes modoc chez ce petit-fils de cowboy, le sourire conquérant, le regard intense, l’enthousiasme assorti d’un sens certain de l’entreprise et la généreuse curiosité.
Ma curiosité à moi m’incitera à jeter une oreille au groupe de funk breton Soul’n’pepper (réunion de la fanfare Funky Staff et de la Compagnie Engrenage, d’un efficacité redoutable pour faire se lever le public du chapiteau qu’il entraîne en une grande danse collective emmenée par les deux chorégraphes du groupe, Marie Houdin et Franco. Je surprend le plasticien associé au festival, Vincent Brodin, danseur invétéré, totalement transporté par la musique, mais peu empressé de se fondre dans ces rondes, chenilles et farandoles funky où les uns verront la transposition des bals de noces, voire des fest-noz, lorsque que notre plasticien y reconnaît plutôt le kitsch des animations du Clubmed.
Franck Bergerot
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Jazz aux écluses remonte l’histoire avec Christophe Monniot et Jacques Schwarz-Bart
Samedi dernier, 20 septembre, à Jazz-aux-écluses au nord de Rennes, on remontait le cours de l’histoire avec une évocation, par Christophe Monniot et son groupe Ozone, du grand discours I Have a Dream de Martin Luther King à Washington en 1963 et un retour de Jacques Schwarz-Bart vers les racines du vaudou.
Jazz aux écluses, Hédé-Bazouges (35), le 20 septembre 2014.
À l’origine de ce festival, comme souvent, une volonté très individualisée si l’on peut considérer le couple Saint-James comme un individu, qui a su fédérer une équipe de bénévoles enthousiastes, voire une localité et ses environs. Nous sommes à l’écluse de la Madeleine, d’un ensemble de onze ouvrages successifs qui permet au canal d’Ille-et-Rance un dénivelé de 27m sur 2,5km au Nord de Rennes. Le Nord du site offre une jolie promenade à l’ombre des châtaigniers et des hêtres dont les bogues à cette saison craquent sous les pieds. Au Sud, l’écluse de la Madeleine domine un bassin où le couple Saint-James a pris possession d’une maison éclusière et où Catherine Saint-James a ouvert un gîte d’étape avec hébergement sur l’eau dans des toues cabanées (embarcation à fond plat typique de la Loire, dotée d’un cabane), tout en veillant sur la communication des différents projets de son époux Guillaume, le saxophoniste et compositeur, qui publiait cette année son projet symphonique “Megapolis”, participait aux célébrations de la Libération avec ses “Brothers in Arts” cosignés avec Chris Brubeck (voir compte rendu de la veille). Et on est assez étonné de voir ces deux personnages sous pression, aborder le festival dont ils tiennent les rennes avec une décontraction aussi durable. Certes, les bénévoles veillent au grain, mais on a les bénévoles qu’on mérite.
Il y a deux ans, dans ces pages, j’écrivais : « Ce que l’on voit d’abord en arrivant sur le site, ce sont les enfants. » Et bien, ça n’a pas changé, sinon que la caravane rose annonçant « bonbons » s’est déplacée et que le petit chapiteau a disparu. Les enfants courent partout dans une espèce de land art fait de bric et de broc (dont une forêt disparate de lances de bois multicolores qui accueille le public dès son arrivée sur le site), sollicités par les activités que proposent les éditions musicales Fuzeau ou l’association Regards de mômes, des mini-concerts d’orchestres scolaires et d’une fanfare new orleans, les Repris de justesse, tandis qu’au bar à vins s’éternisera un bœuf non stop jusque tard dans la nuit. La fourmilière des bénévoles arpente le site comme en un remake du Jour de fête de Jacques Tati, le pianiste Luc Saint-James, le cousin de Guillaume, assurant à vélo, comme “à l’américaine”, le ramassage régulier des différentes caisses (bar à vins, tapas, galettes saucisse, débits de bière et boisson chaudes, huîtres…)
Christophe Monniot Ozone : Christophe Monniot (saxes sopranino, alto, Baryton), Emil Spanyi (claviers), Joe Quitzke (batterie), Sylvie Gasteau (sonographe).
De quel côté remonte-t-on le cours d’un canal ? A Hédé, vu le dénivelé, c’est clair et c’est en amont de l’écluse de la Madeleine que Christophe Monniot investit le Chapiteau des onze écluses pour remonter le cours de l’histoire jusqu’à l’année terrible de 1963 et le fameux discours prononcé par Martin Luther King à l’issue de la grande marche sur Washington. Des fragments de ce discours, traduits dans différentes langues, font l’objet d’un montage sonore réalisé par la sonographe Sylvie Gasteau qui en contrôle la diffusion à l’aide d’un gros magnétophone à bandes disposé sur le côté de la scène. L’intention est belle, la réalisation irréprochable, l’interaction avec la musique discutable, car on la sent piétiner dans les moments de discours, puis décoller lorsqu’elle prend le devant de la scène, faisant rapidement oublier l’évocation historique, si bien que l’on n’est pas certain qu’il s’agisse du même spectacle où alternent de nouvelles pièces et des reprise de répertoires antérieurs de Monniot, telles La Bourrée des Mariés et Ponciana, Amazing Grace servant de fil rouge (confirmé par Monniot après le spectacle, je n’en avais repéré qu’une occurrence sans être foutu d’y mettre un titre), plus des citations récurentes de Summertime, et une autre de Someday My Prince Will Come.
Reste ce charisme et cette illumination intérieure qui habite le rapport à l’improvisation de Christophe Monniot et qui culmine ce soir en un prêche passionné sur Doxy. Reste Joe Quitzke inimitable, hors norme, participant aux atmosphères et aux couleurs d’Ozone, non sans participer aux grooves sombres et puissants qui traversent le programme. Le dispositif instrumental – trio sans basse – sollicite à plusieurs reprises le sax baryton comme basse à vent (voire les seuls clapets de l‘instrument ou même la voix), mais surtout le don d’ubiquité d’Emil Spanyi sur ses différents claviers. Spanyi est un grand connaisseur et collectionneur de claviers et son approche, notamment dans l’ouverture crépusculaire de ce programme, n’est pas sans rappeler certains aspects de l’art de Joe Zawinul. Il a en tout cas une faculté à fondre les différentes matières qu’il tire de ses machines sans aucun hiatus avec son jeu de piano (notamment sur Doxy où un formidable exercice de construction-déconstruction d’une brève cellule débouche sur un solo évoquant tout à la fois Oscar Peterson et Lennie Tristano sans paraître un seul moment néo-classique) ni discontinuité entre son ensemble de claviers électriques ou acoustique et le son global l’orchestre qu’il façonne en grande partie, avec des visions qui lui sont propres. Le lendemain à table où viennent de nous rejoindre le sonorisateur Vincent Mahey et Thierry Virolles (fondateur de la compagnie Aime l’air), nous serons quelques uns à nous étonner qu’un tel musicien fasse un carrière aussi discrète.
Je quitte la fin du concert comme un voleur pour me rendre dans d’anciennes stalles à chevaux transformées en salle de conférence où je dois donner une conférence sur le thème du Jazz s’en va-t-en guerre, reprenant certains éléments du dossier du numéro de juin de Jazz Magazine. Salle déjà pleine lorsque j’arrive sur les lieux faisant face à un léger vent de panique : on me cherchait partout, non sans avoir confié au Repris de justesse le soin de faire patienter. À 18h01, mon ordinateur branché à l’ampli, je commence ma conférence par le récit de la tournée du Quintette du Hot Club de France interrompue et le retour impromptu en France de Django Reinhar
dt à l’annonce de la déclaration de guerre. Le temps d’étaler ma science jusqu’en 1944, de traîner avec quelques auditeurs ou de les retrouver au bar à vin pour trinquer, j’arrive évidemment en retard pour le concert de Jacques Schwarz-Bart.
Jacques Schwarz-Bart Jazz Racines Haïti : Moonlight Benjamin (chant), Jacques Schwarz-Bart (sax ténor), Gregory Privat (piano), Reggie Washington (contrebasse), Arnaud Dolmen (batterie).
La réaction première qui ressort des premières impressions partagées avec quelques-uns sous le chapiteau de Jazz aux écluses nous renvoie à la frustration momentanée exprimée par notre collaborateur Pascal Rozat en ouverture de sa chronique du disque “Jazz Racine Haïti” (Choc tout de même attribué dans notre numéro 659) en constatant le classicisme modern jazz de l’ancien joueur de gwoka au moment même où ce dernier remonte aux sources du vaudou. Car à première vue, c’est un formidable orchestre de jazz qui l’entoure (et de ce point de vue, il n’y a pas lieu de bouder son plaisir), où l’on remarque en premier lieu le pianiste Gregory Privat : abattage mélodique, articulation et placement, assise et apesanteur harmonique, musicalité, très loin des clichés du “piano créole” où les lois de la communication et du marketing auraient tôt fait de l’enfermer. Et c’est ce refus de l’enfermement qui fait la force du nouveau programme de Schwarz-Bart : s’arracher aux clichés de la créolité pour revenir à l’essentiel, les racines du vaudou qu’incarnent sur scène la chanteuse Moonlight Benjamin, vocaliste-prêtresse affranchies des formats de la chanson pour nous entraîner aux abords des zones occultes du sacré. Or, le batteur Arnaud Dolmen y contribue, en dépit des apparences “jazzy”. J’avais signalé la motricité de son jeu dans le dispositif rythmique proposé l’an passé par Jean-Rémy Guédon à Malguénac. Ici, en partenariat avec l’admirable Reggie Washington, il a une façon de multiplier ses frappes en une étourdissante polyrythmie qui fait de son set de batterie un véritable ensemble tambourinaire.
Un concert dont on savourera le souvenir (et quelques autres) en partageant impressions et petits verres à la buvette en compagnie du bassiste Jérôme Séguin, du batteur Christophe Lavergne et de Chris Brubeck qui ne boude pas son plaisir d’être là, avec son épouse, tard dans la nuit, à interroger les Frenchies sur la situation du jazz en France et à répondre à nos questions sur son père Dave, dont je retrouve, bien que mangé par une large barbe, le profil aquilin trahissant les origines amérindiennes modoc chez ce petit-fils de cowboy, le sourire conquérant, le regard intense, l’enthousiasme assorti d’un sens certain de l’entreprise et la généreuse curiosité.
Ma curiosité à moi m’incitera à jeter une oreille au groupe de funk breton Soul’n’pepper (réunion de la fanfare Funky Staff et de la Compagnie Engrenage, d’un efficacité redoutable pour faire se lever le public du chapiteau qu’il entraîne en une grande danse collective emmenée par les deux chorégraphes du groupe, Marie Houdin et Franco. Je surprend le plasticien associé au festival, Vincent Brodin, danseur invétéré, totalement transporté par la musique, mais peu empressé de se fondre dans ces rondes, chenilles et farandoles funky où les uns verront la transposition des bals de noces, voire des fest-noz, lorsque que notre plasticien y reconnaît plutôt le kitsch des animations du Clubmed.
Franck Bergerot
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Jazz aux écluses remonte l’histoire avec Christophe Monniot et Jacques Schwarz-Bart
Samedi dernier, 20 septembre, à Jazz-aux-écluses au nord de Rennes, on remontait le cours de l’histoire avec une évocation, par Christophe Monniot et son groupe Ozone, du grand discours I Have a Dream de Martin Luther King à Washington en 1963 et un retour de Jacques Schwarz-Bart vers les racines du vaudou.
Jazz aux écluses, Hédé-Bazouges (35), le 20 septembre 2014.
À l’origine de ce festival, comme souvent, une volonté très individualisée si l’on peut considérer le couple Saint-James comme un individu, qui a su fédérer une équipe de bénévoles enthousiastes, voire une localité et ses environs. Nous sommes à l’écluse de la Madeleine, d’un ensemble de onze ouvrages successifs qui permet au canal d’Ille-et-Rance un dénivelé de 27m sur 2,5km au Nord de Rennes. Le Nord du site offre une jolie promenade à l’ombre des châtaigniers et des hêtres dont les bogues à cette saison craquent sous les pieds. Au Sud, l’écluse de la Madeleine domine un bassin où le couple Saint-James a pris possession d’une maison éclusière et où Catherine Saint-James a ouvert un gîte d’étape avec hébergement sur l’eau dans des toues cabanées (embarcation à fond plat typique de la Loire, dotée d’un cabane), tout en veillant sur la communication des différents projets de son époux Guillaume, le saxophoniste et compositeur, qui publiait cette année son projet symphonique “Megapolis”, participait aux célébrations de la Libération avec ses “Brothers in Arts” cosignés avec Chris Brubeck (voir compte rendu de la veille). Et on est assez étonné de voir ces deux personnages sous pression, aborder le festival dont ils tiennent les rennes avec une décontraction aussi durable. Certes, les bénévoles veillent au grain, mais on a les bénévoles qu’on mérite.
Il y a deux ans, dans ces pages, j’écrivais : « Ce que l’on voit d’abord en arrivant sur le site, ce sont les enfants. » Et bien, ça n’a pas changé, sinon que la caravane rose annonçant « bonbons » s’est déplacée et que le petit chapiteau a disparu. Les enfants courent partout dans une espèce de land art fait de bric et de broc (dont une forêt disparate de lances de bois multicolores qui accueille le public dès son arrivée sur le site), sollicités par les activités que proposent les éditions musicales Fuzeau ou l’association Regards de mômes, des mini-concerts d’orchestres scolaires et d’une fanfare new orleans, les Repris de justesse, tandis qu’au bar à vins s’éternisera un bœuf non stop jusque tard dans la nuit. La fourmilière des bénévoles arpente le site comme en un remake du Jour de fête de Jacques Tati, le pianiste Luc Saint-James, le cousin de Guillaume, assurant à vélo, comme “à l’américaine”, le ramassage régulier des différentes caisses (bar à vins, tapas, galettes saucisse, débits de bière et boisson chaudes, huîtres…)
Christophe Monniot Ozone : Christophe Monniot (saxes sopranino, alto, Baryton), Emil Spanyi (claviers), Joe Quitzke (batterie), Sylvie Gasteau (sonographe).
De quel côté remonte-t-on le cours d’un canal ? A Hédé, vu le dénivelé, c’est clair et c’est en amont de l’écluse de la Madeleine que Christophe Monniot investit le Chapiteau des onze écluses pour remonter le cours de l’histoire jusqu’à l’année terrible de 1963 et le fameux discours prononcé par Martin Luther King à l’issue de la grande marche sur Washington. Des fragments de ce discours, traduits dans différentes langues, font l’objet d’un montage sonore réalisé par la sonographe Sylvie Gasteau qui en contrôle la diffusion à l’aide d’un gros magnétophone à bandes disposé sur le côté de la scène. L’intention est belle, la réalisation irréprochable, l’interaction avec la musique discutable, car on la sent piétiner dans les moments de discours, puis décoller lorsqu’elle prend le devant de la scène, faisant rapidement oublier l’évocation historique, si bien que l’on n’est pas certain qu’il s’agisse du même spectacle où alternent de nouvelles pièces et des reprise de répertoires antérieurs de Monniot, telles La Bourrée des Mariés et Ponciana, Amazing Grace servant de fil rouge (confirmé par Monniot après le spectacle, je n’en avais repéré qu’une occurrence sans être foutu d’y mettre un titre), plus des citations récurentes de Summertime, et une autre de Someday My Prince Will Come.
Reste ce charisme et cette illumination intérieure qui habite le rapport à l’improvisation de Christophe Monniot et qui culmine ce soir en un prêche passionné sur Doxy. Reste Joe Quitzke inimitable, hors norme, participant aux atmosphères et aux couleurs d’Ozone, non sans participer aux grooves sombres et puissants qui traversent le programme. Le dispositif instrumental – trio sans basse – sollicite à plusieurs reprises le sax baryton comme basse à vent (voire les seuls clapets de l‘instrument ou même la voix), mais surtout le don d’ubiquité d’Emil Spanyi sur ses différents claviers. Spanyi est un grand connaisseur et collectionneur de claviers et son approche, notamment dans l’ouverture crépusculaire de ce programme, n’est pas sans rappeler certains aspects de l’art de Joe Zawinul. Il a en tout cas une faculté à fondre les différentes matières qu’il tire de ses machines sans aucun hiatus avec son jeu de piano (notamment sur Doxy où un formidable exercice de construction-déconstruction d’une brève cellule débouche sur un solo évoquant tout à la fois Oscar Peterson et Lennie Tristano sans paraître un seul moment néo-classique) ni discontinuité entre son ensemble de claviers électriques ou acoustique et le son global l’orchestre qu’il façonne en grande partie, avec des visions qui lui sont propres. Le lendemain à table où viennent de nous rejoindre le sonorisateur Vincent Mahey et Thierry Virolles (fondateur de la compagnie Aime l’air), nous serons quelques uns à nous étonner qu’un tel musicien fasse un carrière aussi discrète.
Je quitte la fin du concert comme un voleur pour me rendre dans d’anciennes stalles à chevaux transformées en salle de conférence où je dois donner une conférence sur le thème du Jazz s’en va-t-en guerre, reprenant certains éléments du dossier du numéro de juin de Jazz Magazine. Salle déjà pleine lorsque j’arrive sur les lieux faisant face à un léger vent de panique : on me cherchait partout, non sans avoir confié au Repris de justesse le soin de faire patienter. À 18h01, mon ordinateur branché à l’ampli, je commence ma conférence par le récit de la tournée du Quintette du Hot Club de France interrompue et le retour impromptu en France de Django Reinhar
dt à l’annonce de la déclaration de guerre. Le temps d’étaler ma science jusqu’en 1944, de traîner avec quelques auditeurs ou de les retrouver au bar à vin pour trinquer, j’arrive évidemment en retard pour le concert de Jacques Schwarz-Bart.
Jacques Schwarz-Bart Jazz Racines Haïti : Moonlight Benjamin (chant), Jacques Schwarz-Bart (sax ténor), Gregory Privat (piano), Reggie Washington (contrebasse), Arnaud Dolmen (batterie).
La réaction première qui ressort des premières impressions partagées avec quelques-uns sous le chapiteau de Jazz aux écluses nous renvoie à la frustration momentanée exprimée par notre collaborateur Pascal Rozat en ouverture de sa chronique du disque “Jazz Racine Haïti” (Choc tout de même attribué dans notre numéro 659) en constatant le classicisme modern jazz de l’ancien joueur de gwoka au moment même où ce dernier remonte aux sources du vaudou. Car à première vue, c’est un formidable orchestre de jazz qui l’entoure (et de ce point de vue, il n’y a pas lieu de bouder son plaisir), où l’on remarque en premier lieu le pianiste Gregory Privat : abattage mélodique, articulation et placement, assise et apesanteur harmonique, musicalité, très loin des clichés du “piano créole” où les lois de la communication et du marketing auraient tôt fait de l’enfermer. Et c’est ce refus de l’enfermement qui fait la force du nouveau programme de Schwarz-Bart : s’arracher aux clichés de la créolité pour revenir à l’essentiel, les racines du vaudou qu’incarnent sur scène la chanteuse Moonlight Benjamin, vocaliste-prêtresse affranchies des formats de la chanson pour nous entraîner aux abords des zones occultes du sacré. Or, le batteur Arnaud Dolmen y contribue, en dépit des apparences “jazzy”. J’avais signalé la motricité de son jeu dans le dispositif rythmique proposé l’an passé par Jean-Rémy Guédon à Malguénac. Ici, en partenariat avec l’admirable Reggie Washington, il a une façon de multiplier ses frappes en une étourdissante polyrythmie qui fait de son set de batterie un véritable ensemble tambourinaire.
Un concert dont on savourera le souvenir (et quelques autres) en partageant impressions et petits verres à la buvette en compagnie du bassiste Jérôme Séguin, du batteur Christophe Lavergne et de Chris Brubeck qui ne boude pas son plaisir d’être là, avec son épouse, tard dans la nuit, à interroger les Frenchies sur la situation du jazz en France et à répondre à nos questions sur son père Dave, dont je retrouve, bien que mangé par une large barbe, le profil aquilin trahissant les origines amérindiennes modoc chez ce petit-fils de cowboy, le sourire conquérant, le regard intense, l’enthousiasme assorti d’un sens certain de l’entreprise et la généreuse curiosité.
Ma curiosité à moi m’incitera à jeter une oreille au groupe de funk breton Soul’n’pepper (réunion de la fanfare Funky Staff et de la Compagnie Engrenage, d’un efficacité redoutable pour faire se lever le public du chapiteau qu’il entraîne en une grande danse collective emmenée par les deux chorégraphes du groupe, Marie Houdin et Franco. Je surprend le plasticien associé au festival, Vincent Brodin, danseur invétéré, totalement transporté par la musique, mais peu empressé de se fondre dans ces rondes, chenilles et farandoles funky où les uns verront la transposition des bals de noces, voire des fest-noz, lorsque que notre plasticien y reconnaît plutôt le kitsch des animations du Clubmed.
Franck Bergerot
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Jazz aux écluses remonte l’histoire avec Christophe Monniot et Jacques Schwarz-Bart
Samedi dernier, 20 septembre, à Jazz-aux-écluses au nord de Rennes, on remontait le cours de l’histoire avec une évocation, par Christophe Monniot et son groupe Ozone, du grand discours I Have a Dream de Martin Luther King à Washington en 1963 et un retour de Jacques Schwarz-Bart vers les racines du vaudou.
Jazz aux écluses, Hédé-Bazouges (35), le 20 septembre 2014.
À l’origine de ce festival, comme souvent, une volonté très individualisée si l’on peut considérer le couple Saint-James comme un individu, qui a su fédérer une équipe de bénévoles enthousiastes, voire une localité et ses environs. Nous sommes à l’écluse de la Madeleine, d’un ensemble de onze ouvrages successifs qui permet au canal d’Ille-et-Rance un dénivelé de 27m sur 2,5km au Nord de Rennes. Le Nord du site offre une jolie promenade à l’ombre des châtaigniers et des hêtres dont les bogues à cette saison craquent sous les pieds. Au Sud, l’écluse de la Madeleine domine un bassin où le couple Saint-James a pris possession d’une maison éclusière et où Catherine Saint-James a ouvert un gîte d’étape avec hébergement sur l’eau dans des toues cabanées (embarcation à fond plat typique de la Loire, dotée d’un cabane), tout en veillant sur la communication des différents projets de son époux Guillaume, le saxophoniste et compositeur, qui publiait cette année son projet symphonique “Megapolis”, participait aux célébrations de la Libération avec ses “Brothers in Arts” cosignés avec Chris Brubeck (voir compte rendu de la veille). Et on est assez étonné de voir ces deux personnages sous pression, aborder le festival dont ils tiennent les rennes avec une décontraction aussi durable. Certes, les bénévoles veillent au grain, mais on a les bénévoles qu’on mérite.
Il y a deux ans, dans ces pages, j’écrivais : « Ce que l’on voit d’abord en arrivant sur le site, ce sont les enfants. » Et bien, ça n’a pas changé, sinon que la caravane rose annonçant « bonbons » s’est déplacée et que le petit chapiteau a disparu. Les enfants courent partout dans une espèce de land art fait de bric et de broc (dont une forêt disparate de lances de bois multicolores qui accueille le public dès son arrivée sur le site), sollicités par les activités que proposent les éditions musicales Fuzeau ou l’association Regards de mômes, des mini-concerts d’orchestres scolaires et d’une fanfare new orleans, les Repris de justesse, tandis qu’au bar à vins s’éternisera un bœuf non stop jusque tard dans la nuit. La fourmilière des bénévoles arpente le site comme en un remake du Jour de fête de Jacques Tati, le pianiste Luc Saint-James, le cousin de Guillaume, assurant à vélo, comme “à l’américaine”, le ramassage régulier des différentes caisses (bar à vins, tapas, galettes saucisse, débits de bière et boisson chaudes, huîtres…)
Christophe Monniot Ozone : Christophe Monniot (saxes sopranino, alto, Baryton), Emil Spanyi (claviers), Joe Quitzke (batterie), Sylvie Gasteau (sonographe).
De quel côté remonte-t-on le cours d’un canal ? A Hédé, vu le dénivelé, c’est clair et c’est en amont de l’écluse de la Madeleine que Christophe Monniot investit le Chapiteau des onze écluses pour remonter le cours de l’histoire jusqu’à l’année terrible de 1963 et le fameux discours prononcé par Martin Luther King à l’issue de la grande marche sur Washington. Des fragments de ce discours, traduits dans différentes langues, font l’objet d’un montage sonore réalisé par la sonographe Sylvie Gasteau qui en contrôle la diffusion à l’aide d’un gros magnétophone à bandes disposé sur le côté de la scène. L’intention est belle, la réalisation irréprochable, l’interaction avec la musique discutable, car on la sent piétiner dans les moments de discours, puis décoller lorsqu’elle prend le devant de la scène, faisant rapidement oublier l’évocation historique, si bien que l’on n’est pas certain qu’il s’agisse du même spectacle où alternent de nouvelles pièces et des reprise de répertoires antérieurs de Monniot, telles La Bourrée des Mariés et Ponciana, Amazing Grace servant de fil rouge (confirmé par Monniot après le spectacle, je n’en avais repéré qu’une occurrence sans être foutu d’y mettre un titre), plus des citations récurentes de Summertime, et une autre de Someday My Prince Will Come.
Reste ce charisme et cette illumination intérieure qui habite le rapport à l’improvisation de Christophe Monniot et qui culmine ce soir en un prêche passionné sur Doxy. Reste Joe Quitzke inimitable, hors norme, participant aux atmosphères et aux couleurs d’Ozone, non sans participer aux grooves sombres et puissants qui traversent le programme. Le dispositif instrumental – trio sans basse – sollicite à plusieurs reprises le sax baryton comme basse à vent (voire les seuls clapets de l‘instrument ou même la voix), mais surtout le don d’ubiquité d’Emil Spanyi sur ses différents claviers. Spanyi est un grand connaisseur et collectionneur de claviers et son approche, notamment dans l’ouverture crépusculaire de ce programme, n’est pas sans rappeler certains aspects de l’art de Joe Zawinul. Il a en tout cas une faculté à fondre les différentes matières qu’il tire de ses machines sans aucun hiatus avec son jeu de piano (notamment sur Doxy où un formidable exercice de construction-déconstruction d’une brève cellule débouche sur un solo évoquant tout à la fois Oscar Peterson et Lennie Tristano sans paraître un seul moment néo-classique) ni discontinuité entre son ensemble de claviers électriques ou acoustique et le son global l’orchestre qu’il façonne en grande partie, avec des visions qui lui sont propres. Le lendemain à table où viennent de nous rejoindre le sonorisateur Vincent Mahey et Thierry Virolles (fondateur de la compagnie Aime l’air), nous serons quelques uns à nous étonner qu’un tel musicien fasse un carrière aussi discrète.
Je quitte la fin du concert comme un voleur pour me rendre dans d’anciennes stalles à chevaux transformées en salle de conférence où je dois donner une conférence sur le thème du Jazz s’en va-t-en guerre, reprenant certains éléments du dossier du numéro de juin de Jazz Magazine. Salle déjà pleine lorsque j’arrive sur les lieux faisant face à un léger vent de panique : on me cherchait partout, non sans avoir confié au Repris de justesse le soin de faire patienter. À 18h01, mon ordinateur branché à l’ampli, je commence ma conférence par le récit de la tournée du Quintette du Hot Club de France interrompue et le retour impromptu en France de Django Reinhar
dt à l’annonce de la déclaration de guerre. Le temps d’étaler ma science jusqu’en 1944, de traîner avec quelques auditeurs ou de les retrouver au bar à vin pour trinquer, j’arrive évidemment en retard pour le concert de Jacques Schwarz-Bart.
Jacques Schwarz-Bart Jazz Racines Haïti : Moonlight Benjamin (chant), Jacques Schwarz-Bart (sax ténor), Gregory Privat (piano), Reggie Washington (contrebasse), Arnaud Dolmen (batterie).
La réaction première qui ressort des premières impressions partagées avec quelques-uns sous le chapiteau de Jazz aux écluses nous renvoie à la frustration momentanée exprimée par notre collaborateur Pascal Rozat en ouverture de sa chronique du disque “Jazz Racine Haïti” (Choc tout de même attribué dans notre numéro 659) en constatant le classicisme modern jazz de l’ancien joueur de gwoka au moment même où ce dernier remonte aux sources du vaudou. Car à première vue, c’est un formidable orchestre de jazz qui l’entoure (et de ce point de vue, il n’y a pas lieu de bouder son plaisir), où l’on remarque en premier lieu le pianiste Gregory Privat : abattage mélodique, articulation et placement, assise et apesanteur harmonique, musicalité, très loin des clichés du “piano créole” où les lois de la communication et du marketing auraient tôt fait de l’enfermer. Et c’est ce refus de l’enfermement qui fait la force du nouveau programme de Schwarz-Bart : s’arracher aux clichés de la créolité pour revenir à l’essentiel, les racines du vaudou qu’incarnent sur scène la chanteuse Moonlight Benjamin, vocaliste-prêtresse affranchies des formats de la chanson pour nous entraîner aux abords des zones occultes du sacré. Or, le batteur Arnaud Dolmen y contribue, en dépit des apparences “jazzy”. J’avais signalé la motricité de son jeu dans le dispositif rythmique proposé l’an passé par Jean-Rémy Guédon à Malguénac. Ici, en partenariat avec l’admirable Reggie Washington, il a une façon de multiplier ses frappes en une étourdissante polyrythmie qui fait de son set de batterie un véritable ensemble tambourinaire.
Un concert dont on savourera le souvenir (et quelques autres) en partageant impressions et petits verres à la buvette en compagnie du bassiste Jérôme Séguin, du batteur Christophe Lavergne et de Chris Brubeck qui ne boude pas son plaisir d’être là, avec son épouse, tard dans la nuit, à interroger les Frenchies sur la situation du jazz en France et à répondre à nos questions sur son père Dave, dont je retrouve, bien que mangé par une large barbe, le profil aquilin trahissant les origines amérindiennes modoc chez ce petit-fils de cowboy, le sourire conquérant, le regard intense, l’enthousiasme assorti d’un sens certain de l’entreprise et la généreuse curiosité.
Ma curiosité à moi m’incitera à jeter une oreille au groupe de funk breton Soul’n’pepper (réunion de la fanfare Funky Staff et de la Compagnie Engrenage, d’un efficacité redoutable pour faire se lever le public du chapiteau qu’il entraîne en une grande danse collective emmenée par les deux chorégraphes du groupe, Marie Houdin et Franco. Je surprend le plasticien associé au festival, Vincent Brodin, danseur invétéré, totalement transporté par la musique, mais peu empressé de se fondre dans ces rondes, chenilles et farandoles funky où les uns verront la transposition des bals de noces, voire des fest-noz, lorsque que notre plasticien y reconnaît plutôt le kitsch des animations du Clubmed.
Franck Bergerot