Jazz en Comminges
Dixième édition d’un festival conçu à l’origine comme un hommage rendu à Guy Lafitte par sa ville natale, les « Rencontres du saxophone » initiales, muées en « Jazz en Comminges », ont vu leurs ambitions s’affirmer en même temps que s’élargissait la programmation. Au point que, cette année encore, la grande salle du Parc des Expositions a fait le plein, ou quasiment, pour Eddy Louiss, Randy Brecker, Jimmy Cobb et Michel Legrand, tandis que le Off, où se produisaient, entre autres, Contreband et le Paul Chéron Septette avec Nadia Cambours, a vaillamment résisté à l’épreuve du (mauvais) temps.
Eddy Louiss manifeste un amour intact pour l’orgue Hammond. Il l’aborde à sa manière, féline, sensuelle, avec des accès de vigueur, des passages en force qui réveillent les ardeurs d’un instrument difficile à dompter. Entamé sous les auspices du bop et du hard bop (Whisper Not, Tin Tin Deo), son concert évolue, sous l’impact d’une rythmique peu encline à la nuance, vers le funk pur et le groove dur. Pousse des pseudopodes vers le tango et la biguine, voire vers le troisième courant avec l’appoint d’une section de violoncelles dont la présence serait anecdotique si elle ne contribuait à l’impression de disparate. Un hommage à Joe Zawinul, où Xavier Cobo se met en valeur, un autre à Michel Petrucciani (Le Destin), alternance de passages arrangés pour les cordes et d’interventions solistes plus ou moins heureuses. Tout cela, qui éveille fugitivement l’intérêt, manque de fil conducteur. De « concept », pour « causer moderne ».
Randy Brecker a su, pour sa part, s’entourer de musiciens dont chacun suscite l’intérêt, à commencer par David Kikoski, impérial en solo comme à l’accompagnement, et la paire Jones-Holmes, efficace dans le soutien, subtile dans la relance. Quant aux deux souffleurs, le trompettiste, longtemps éclipsé par la renommée de son frère le saxophoniste (n’était-ce pas aussi le cas de Nat, frère de Cannonball Adderley ?), se montre à son avantage tant comme improvisateur, par la logique de solos à l’architecture parfaite (There’s No Greater Love), que comme compositeur (Shanghai, Some Others Folks). La révélation est, évidemment, la jeune Ada Rovatti, nullement dépaysée dans un contexte aussi relevé. Technique déjà éprouvée, imagination, force de conviction. Plus plaisante, toutefois, au ténor qu’au soprano. Ada ou l’ardeur, comme disait Vladimir Nabokov… Invité vedette, Mike Stern, tel qu’en lui-même, multipliant les morceaux de bravoure. Un tantinet cabotin, comme il sied à un guitar hero. En pays de connaissance, même si la coloration générale du concert tend davantage vers le hard bop dans ses formes canoniques que vers la fusion.
La prestation du quartette de Jimmy Cobb restera, à mon sens, le sommet du festival. D’abord parce que, largement octogénaire, le leader n’a rien perdu de son drive, de sa précision, de la sûreté inébranlable de son tempo, de sa subtilité (on souhaiterait que bien des jeunes batteurs s’en inspirent…). Ensuite parce que Javon Jackson confirme tout le bien qu’on pensait de lui. Evoquant en plus d’une occurrence George Coleman – pour le son et la cohérence de ses développements (Softly As In A Morning Sunrise, On Green Dolphin Street donné en rappel) -, il se situe dans la lignée directe de Coltrane. Lequel constitue, avec Miles, l’une des références revendiquées au travers de Blue Train, So What ou Someday My Prince Will Come. Kirk Lightsey, capricant, imprévisible, y compris, parfois, pour ses partenaires, vivant sa musique au travers de mimiques et de contorsions expressives, fourmille d’idées dont certaines ont, semble-t-il, quelque peine à se frayer un chemin jusqu’au bout de ses doigts… Auteur, soyons juste, de quelques belles envolées, il remplaçait George Cables, primitivement annoncé. Ce qui explique peut-être certaines approximations.
Michel Legrand, quant à lui, avait pris à la dernière minute la place de Monty Alexander, hospitalisé, à qui il dédie son concert. Une promenade sans surprise à travers le vaste répertoire du compositeur, des Parapluies de Cherbourg aux Moulins de mon coeur en passant par Les Demoiselles de Rochefort (l’inusable You Must Believe In Spring, où s’illustre Pierre Boussaguet, inventif à souhait) et Un été 42. Sans compter les morceaux écrits pour Miles et enregistrés avec lui, Dingo Lament et Dingo Rock, avec un bon solo de François Laizeau, ou composés pour Barbra Streisand, dont Catherine Michel interprète à la harpe un medley. Si le pianiste est toujours agréable à suivre et même, par instants fugaces, capable de swinguer, le vocaliste, en revanche, semble moins assuré, y compris dans des scats quelque peu émoussés.
Pour être complet, il faut ajouter que la soirée inaugurale, le 17, avait été confiée aux Three Cohens Sextet et à Michel Leeb accompagné par le Big Band Brass de Dominique Rieux. Mon absence à ces concerts m’interdit, évidemment, tout commentaire.
Jacques Aboucaya
Jazz en Comminges.
Saint-Gaudens, Parc des Expositions, du 16 au 20 mai.
Eddy Louiss Octette. Eddie Louiss, (org), Xavier Cobo (ts, fl), Jean-Michel Charbonnel (b, elb), Francis Arnaud (dm), Lucille Gambini, Bastien Mercier, Laurent Gardieux, Alain Martinez (cello). 18 mai.
Randy Brecker Sextette. Randy Brecker (tp), Ada Rovatti (ts, ss), Dave Kikoski (p), Dean Jones (b), Rodney Holmes (dm), Mike Stern (g). 18 mai.
Jimmy Cobb Quartette. Javon Jackson (ts), Kirk Lightsey (p), Nat Reeves (b), Jimmy Cobb (dm). 19 mai.
Michel Legrand Quartette. Michel Legrand (p, voc), Pierre Boussaguet (b), François Laizeau (dm), Catherine Michel (harpe). 19 mai.
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Dixième édition d’un festival conçu à l’origine comme un hommage rendu à Guy Lafitte par sa ville natale, les « Rencontres du saxophone » initiales, muées en « Jazz en Comminges », ont vu leurs ambitions s’affirmer en même temps que s’élargissait la programmation. Au point que, cette année encore, la grande salle du Parc des Expositions a fait le plein, ou quasiment, pour Eddy Louiss, Randy Brecker, Jimmy Cobb et Michel Legrand, tandis que le Off, où se produisaient, entre autres, Contreband et le Paul Chéron Septette avec Nadia Cambours, a vaillamment résisté à l’épreuve du (mauvais) temps.
Eddy Louiss manifeste un amour intact pour l’orgue Hammond. Il l’aborde à sa manière, féline, sensuelle, avec des accès de vigueur, des passages en force qui réveillent les ardeurs d’un instrument difficile à dompter. Entamé sous les auspices du bop et du hard bop (Whisper Not, Tin Tin Deo), son concert évolue, sous l’impact d’une rythmique peu encline à la nuance, vers le funk pur et le groove dur. Pousse des pseudopodes vers le tango et la biguine, voire vers le troisième courant avec l’appoint d’une section de violoncelles dont la présence serait anecdotique si elle ne contribuait à l’impression de disparate. Un hommage à Joe Zawinul, où Xavier Cobo se met en valeur, un autre à Michel Petrucciani (Le Destin), alternance de passages arrangés pour les cordes et d’interventions solistes plus ou moins heureuses. Tout cela, qui éveille fugitivement l’intérêt, manque de fil conducteur. De « concept », pour « causer moderne ».
Randy Brecker a su, pour sa part, s’entourer de musiciens dont chacun suscite l’intérêt, à commencer par David Kikoski, impérial en solo comme à l’accompagnement, et la paire Jones-Holmes, efficace dans le soutien, subtile dans la relance. Quant aux deux souffleurs, le trompettiste, longtemps éclipsé par la renommée de son frère le saxophoniste (n’était-ce pas aussi le cas de Nat, frère de Cannonball Adderley ?), se montre à son avantage tant comme improvisateur, par la logique de solos à l’architecture parfaite (There’s No Greater Love), que comme compositeur (Shanghai, Some Others Folks). La révélation est, évidemment, la jeune Ada Rovatti, nullement dépaysée dans un contexte aussi relevé. Technique déjà éprouvée, imagination, force de conviction. Plus plaisante, toutefois, au ténor qu’au soprano. Ada ou l’ardeur, comme disait Vladimir Nabokov… Invité vedette, Mike Stern, tel qu’en lui-même, multipliant les morceaux de bravoure. Un tantinet cabotin, comme il sied à un guitar hero. En pays de connaissance, même si la coloration générale du concert tend davantage vers le hard bop dans ses formes canoniques que vers la fusion.
La prestation du quartette de Jimmy Cobb restera, à mon sens, le sommet du festival. D’abord parce que, largement octogénaire, le leader n’a rien perdu de son drive, de sa précision, de la sûreté inébranlable de son tempo, de sa subtilité (on souhaiterait que bien des jeunes batteurs s’en inspirent…). Ensuite parce que Javon Jackson confirme tout le bien qu’on pensait de lui. Evoquant en plus d’une occurrence George Coleman – pour le son et la cohérence de ses développements (Softly As In A Morning Sunrise, On Green Dolphin Street donné en rappel) -, il se situe dans la lignée directe de Coltrane. Lequel constitue, avec Miles, l’une des références revendiquées au travers de Blue Train, So What ou Someday My Prince Will Come. Kirk Lightsey, capricant, imprévisible, y compris, parfois, pour ses partenaires, vivant sa musique au travers de mimiques et de contorsions expressives, fourmille d’idées dont certaines ont, semble-t-il, quelque peine à se frayer un chemin jusqu’au bout de ses doigts… Auteur, soyons juste, de quelques belles envolées, il remplaçait George Cables, primitivement annoncé. Ce qui explique peut-être certaines approximations.
Michel Legrand, quant à lui, avait pris à la dernière minute la place de Monty Alexander, hospitalisé, à qui il dédie son concert. Une promenade sans surprise à travers le vaste répertoire du compositeur, des Parapluies de Cherbourg aux Moulins de mon coeur en passant par Les Demoiselles de Rochefort (l’inusable You Must Believe In Spring, où s’illustre Pierre Boussaguet, inventif à souhait) et Un été 42. Sans compter les morceaux écrits pour Miles et enregistrés avec lui, Dingo Lament et Dingo Rock, avec un bon solo de François Laizeau, ou composés pour Barbra Streisand, dont Catherine Michel interprète à la harpe un medley. Si le pianiste est toujours agréable à suivre et même, par instants fugaces, capable de swinguer, le vocaliste, en revanche, semble moins assuré, y compris dans des scats quelque peu émoussés.
Pour être complet, il faut ajouter que la soirée inaugurale, le 17, avait été confiée aux Three Cohens Sextet et à Michel Leeb accompagné par le Big Band Brass de Dominique Rieux. Mon absence à ces concerts m’interdit, évidemment, tout commentaire.
Jacques Aboucaya
Jazz en Comminges.
Saint-Gaudens, Parc des Expositions, du 16 au 20 mai.
Eddy Louiss Octette. Eddie Louiss, (org), Xavier Cobo (ts, fl), Jean-Michel Charbonnel (b, elb), Francis Arnaud (dm), Lucille Gambini, Bastien Mercier, Laurent Gardieux, Alain Martinez (cello). 18 mai.
Randy Brecker Sextette. Randy Brecker (tp), Ada Rovatti (ts, ss), Dave Kikoski (p), Dean Jones (b), Rodney Holmes (dm), Mike Stern (g). 18 mai.
Jimmy Cobb Quartette. Javon Jackson (ts), Kirk Lightsey (p), Nat Reeves (b), Jimmy Cobb (dm). 19 mai.
Michel Legrand Quartette. Michel Legrand (p, voc), Pierre Boussaguet (b), François Laizeau (dm), Catherine Michel (harpe). 19 mai.
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Dixième édition d’un festival conçu à l’origine comme un hommage rendu à Guy Lafitte par sa ville natale, les « Rencontres du saxophone » initiales, muées en « Jazz en Comminges », ont vu leurs ambitions s’affirmer en même temps que s’élargissait la programmation. Au point que, cette année encore, la grande salle du Parc des Expositions a fait le plein, ou quasiment, pour Eddy Louiss, Randy Brecker, Jimmy Cobb et Michel Legrand, tandis que le Off, où se produisaient, entre autres, Contreband et le Paul Chéron Septette avec Nadia Cambours, a vaillamment résisté à l’épreuve du (mauvais) temps.
Eddy Louiss manifeste un amour intact pour l’orgue Hammond. Il l’aborde à sa manière, féline, sensuelle, avec des accès de vigueur, des passages en force qui réveillent les ardeurs d’un instrument difficile à dompter. Entamé sous les auspices du bop et du hard bop (Whisper Not, Tin Tin Deo), son concert évolue, sous l’impact d’une rythmique peu encline à la nuance, vers le funk pur et le groove dur. Pousse des pseudopodes vers le tango et la biguine, voire vers le troisième courant avec l’appoint d’une section de violoncelles dont la présence serait anecdotique si elle ne contribuait à l’impression de disparate. Un hommage à Joe Zawinul, où Xavier Cobo se met en valeur, un autre à Michel Petrucciani (Le Destin), alternance de passages arrangés pour les cordes et d’interventions solistes plus ou moins heureuses. Tout cela, qui éveille fugitivement l’intérêt, manque de fil conducteur. De « concept », pour « causer moderne ».
Randy Brecker a su, pour sa part, s’entourer de musiciens dont chacun suscite l’intérêt, à commencer par David Kikoski, impérial en solo comme à l’accompagnement, et la paire Jones-Holmes, efficace dans le soutien, subtile dans la relance. Quant aux deux souffleurs, le trompettiste, longtemps éclipsé par la renommée de son frère le saxophoniste (n’était-ce pas aussi le cas de Nat, frère de Cannonball Adderley ?), se montre à son avantage tant comme improvisateur, par la logique de solos à l’architecture parfaite (There’s No Greater Love), que comme compositeur (Shanghai, Some Others Folks). La révélation est, évidemment, la jeune Ada Rovatti, nullement dépaysée dans un contexte aussi relevé. Technique déjà éprouvée, imagination, force de conviction. Plus plaisante, toutefois, au ténor qu’au soprano. Ada ou l’ardeur, comme disait Vladimir Nabokov… Invité vedette, Mike Stern, tel qu’en lui-même, multipliant les morceaux de bravoure. Un tantinet cabotin, comme il sied à un guitar hero. En pays de connaissance, même si la coloration générale du concert tend davantage vers le hard bop dans ses formes canoniques que vers la fusion.
La prestation du quartette de Jimmy Cobb restera, à mon sens, le sommet du festival. D’abord parce que, largement octogénaire, le leader n’a rien perdu de son drive, de sa précision, de la sûreté inébranlable de son tempo, de sa subtilité (on souhaiterait que bien des jeunes batteurs s’en inspirent…). Ensuite parce que Javon Jackson confirme tout le bien qu’on pensait de lui. Evoquant en plus d’une occurrence George Coleman – pour le son et la cohérence de ses développements (Softly As In A Morning Sunrise, On Green Dolphin Street donné en rappel) -, il se situe dans la lignée directe de Coltrane. Lequel constitue, avec Miles, l’une des références revendiquées au travers de Blue Train, So What ou Someday My Prince Will Come. Kirk Lightsey, capricant, imprévisible, y compris, parfois, pour ses partenaires, vivant sa musique au travers de mimiques et de contorsions expressives, fourmille d’idées dont certaines ont, semble-t-il, quelque peine à se frayer un chemin jusqu’au bout de ses doigts… Auteur, soyons juste, de quelques belles envolées, il remplaçait George Cables, primitivement annoncé. Ce qui explique peut-être certaines approximations.
Michel Legrand, quant à lui, avait pris à la dernière minute la place de Monty Alexander, hospitalisé, à qui il dédie son concert. Une promenade sans surprise à travers le vaste répertoire du compositeur, des Parapluies de Cherbourg aux Moulins de mon coeur en passant par Les Demoiselles de Rochefort (l’inusable You Must Believe In Spring, où s’illustre Pierre Boussaguet, inventif à souhait) et Un été 42. Sans compter les morceaux écrits pour Miles et enregistrés avec lui, Dingo Lament et Dingo Rock, avec un bon solo de François Laizeau, ou composés pour Barbra Streisand, dont Catherine Michel interprète à la harpe un medley. Si le pianiste est toujours agréable à suivre et même, par instants fugaces, capable de swinguer, le vocaliste, en revanche, semble moins assuré, y compris dans des scats quelque peu émoussés.
Pour être complet, il faut ajouter que la soirée inaugurale, le 17, avait été confiée aux Three Cohens Sextet et à Michel Leeb accompagné par le Big Band Brass de Dominique Rieux. Mon absence à ces concerts m’interdit, évidemment, tout commentaire.
Jacques Aboucaya
Jazz en Comminges.
Saint-Gaudens, Parc des Expositions, du 16 au 20 mai.
Eddy Louiss Octette. Eddie Louiss, (org), Xavier Cobo (ts, fl), Jean-Michel Charbonnel (b, elb), Francis Arnaud (dm), Lucille Gambini, Bastien Mercier, Laurent Gardieux, Alain Martinez (cello). 18 mai.
Randy Brecker Sextette. Randy Brecker (tp), Ada Rovatti (ts, ss), Dave Kikoski (p), Dean Jones (b), Rodney Holmes (dm), Mike Stern (g). 18 mai.
Jimmy Cobb Quartette. Javon Jackson (ts), Kirk Lightsey (p), Nat Reeves (b), Jimmy Cobb (dm). 19 mai.
Michel Legrand Quartette. Michel Legrand (p, voc), Pierre Boussaguet (b), François Laizeau (dm), Catherine Michel (harpe). 19 mai.
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Dixième édition d’un festival conçu à l’origine comme un hommage rendu à Guy Lafitte par sa ville natale, les « Rencontres du saxophone » initiales, muées en « Jazz en Comminges », ont vu leurs ambitions s’affirmer en même temps que s’élargissait la programmation. Au point que, cette année encore, la grande salle du Parc des Expositions a fait le plein, ou quasiment, pour Eddy Louiss, Randy Brecker, Jimmy Cobb et Michel Legrand, tandis que le Off, où se produisaient, entre autres, Contreband et le Paul Chéron Septette avec Nadia Cambours, a vaillamment résisté à l’épreuve du (mauvais) temps.
Eddy Louiss manifeste un amour intact pour l’orgue Hammond. Il l’aborde à sa manière, féline, sensuelle, avec des accès de vigueur, des passages en force qui réveillent les ardeurs d’un instrument difficile à dompter. Entamé sous les auspices du bop et du hard bop (Whisper Not, Tin Tin Deo), son concert évolue, sous l’impact d’une rythmique peu encline à la nuance, vers le funk pur et le groove dur. Pousse des pseudopodes vers le tango et la biguine, voire vers le troisième courant avec l’appoint d’une section de violoncelles dont la présence serait anecdotique si elle ne contribuait à l’impression de disparate. Un hommage à Joe Zawinul, où Xavier Cobo se met en valeur, un autre à Michel Petrucciani (Le Destin), alternance de passages arrangés pour les cordes et d’interventions solistes plus ou moins heureuses. Tout cela, qui éveille fugitivement l’intérêt, manque de fil conducteur. De « concept », pour « causer moderne ».
Randy Brecker a su, pour sa part, s’entourer de musiciens dont chacun suscite l’intérêt, à commencer par David Kikoski, impérial en solo comme à l’accompagnement, et la paire Jones-Holmes, efficace dans le soutien, subtile dans la relance. Quant aux deux souffleurs, le trompettiste, longtemps éclipsé par la renommée de son frère le saxophoniste (n’était-ce pas aussi le cas de Nat, frère de Cannonball Adderley ?), se montre à son avantage tant comme improvisateur, par la logique de solos à l’architecture parfaite (There’s No Greater Love), que comme compositeur (Shanghai, Some Others Folks). La révélation est, évidemment, la jeune Ada Rovatti, nullement dépaysée dans un contexte aussi relevé. Technique déjà éprouvée, imagination, force de conviction. Plus plaisante, toutefois, au ténor qu’au soprano. Ada ou l’ardeur, comme disait Vladimir Nabokov… Invité vedette, Mike Stern, tel qu’en lui-même, multipliant les morceaux de bravoure. Un tantinet cabotin, comme il sied à un guitar hero. En pays de connaissance, même si la coloration générale du concert tend davantage vers le hard bop dans ses formes canoniques que vers la fusion.
La prestation du quartette de Jimmy Cobb restera, à mon sens, le sommet du festival. D’abord parce que, largement octogénaire, le leader n’a rien perdu de son drive, de sa précision, de la sûreté inébranlable de son tempo, de sa subtilité (on souhaiterait que bien des jeunes batteurs s’en inspirent…). Ensuite parce que Javon Jackson confirme tout le bien qu’on pensait de lui. Evoquant en plus d’une occurrence George Coleman – pour le son et la cohérence de ses développements (Softly As In A Morning Sunrise, On Green Dolphin Street donné en rappel) -, il se situe dans la lignée directe de Coltrane. Lequel constitue, avec Miles, l’une des références revendiquées au travers de Blue Train, So What ou Someday My Prince Will Come. Kirk Lightsey, capricant, imprévisible, y compris, parfois, pour ses partenaires, vivant sa musique au travers de mimiques et de contorsions expressives, fourmille d’idées dont certaines ont, semble-t-il, quelque peine à se frayer un chemin jusqu’au bout de ses doigts… Auteur, soyons juste, de quelques belles envolées, il remplaçait George Cables, primitivement annoncé. Ce qui explique peut-être certaines approximations.
Michel Legrand, quant à lui, avait pris à la dernière minute la place de Monty Alexander, hospitalisé, à qui il dédie son concert. Une promenade sans surprise à travers le vaste répertoire du compositeur, des Parapluies de Cherbourg aux Moulins de mon coeur en passant par Les Demoiselles de Rochefort (l’inusable You Must Believe In Spring, où s’illustre Pierre Boussaguet, inventif à souhait) et Un été 42. Sans compter les morceaux écrits pour Miles et enregistrés avec lui, Dingo Lament et Dingo Rock, avec un bon solo de François Laizeau, ou composés pour Barbra Streisand, dont Catherine Michel interprète à la harpe un medley. Si le pianiste est toujours agréable à suivre et même, par instants fugaces, capable de swinguer, le vocaliste, en revanche, semble moins assuré, y compris dans des scats quelque peu émoussés.
Pour être complet, il faut ajouter que la soirée inaugurale, le 17, avait été confiée aux Three Cohens Sextet et à Michel Leeb accompagné par le Big Band Brass de Dominique Rieux. Mon absence à ces concerts m’interdit, évidemment, tout commentaire.
Jacques Aboucaya
Jazz en Comminges.
Saint-Gaudens, Parc des Expositions, du 16 au 20 mai.
Eddy Louiss Octette. Eddie Louiss, (org), Xavier Cobo (ts, fl), Jean-Michel Charbonnel (b, elb), Francis Arnaud (dm), Lucille Gambini, Bastien Mercier, Laurent Gardieux, Alain Martinez (cello). 18 mai.
Randy Brecker Sextette. Randy Brecker (tp), Ada Rovatti (ts, ss), Dave Kikoski (p), Dean Jones (b), Rodney Holmes (dm), Mike Stern (g). 18 mai.
Jimmy Cobb Quartette. Javon Jackson (ts), Kirk Lightsey (p), Nat Reeves (b), Jimmy Cobb (dm). 19 mai.
Michel Legrand Quartette. Michel Legrand (p, voc), Pierre Boussaguet (b), François Laizeau (dm), Catherine Michel (harpe). 19 mai.