Jazz en Comminges. Omer Avital. Lisa Simone.
Ouvert le 8 mai, au cinéma Le Régent, par un ciné-concert de Christophe Chassol (fort réussi, aux dires de ceux qui ont eu la chance d’y assister), le festival s’est poursuivi le lendemain, au Parc des Expositions de Saint-Gaudens, par la prestation d’Omer Avital en quintette.
Omer Avital (b), Eden Ladin (p, claviers), Ofri Nehemya (dm), Asaf Yuria (ts, ss), Alexander Levin (ts).
Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 9 mai.
Celui que l’on a parfois surnommé le Mingus israélien, pour sa capacité à explorer des univers musicaux contrastés et à galvaniser ses partenaires par un accompagnement vigoureux, a prouvé que sa réputation n’était en rien usurpée. C’est un contrebassiste à la fois puissant et véloce. Spectaculaire. Cheville ouvrière d’un groupe qu’il dirige du geste et de la voix, se livrant autour de son instrument à des pantomimes expressives. Improvisateur inspiré, notamment sur le blues. Il n’hésite pas à persiller ses soli de citations puisées à diverses sources, dont J.S. Bach à qui il emprunte quelques mesures d’une suite pour violoncelle.
Ses partenaires manifestent semblable énergie et font montre, eux aussi, de réelles qualités d’improvisateurs. Ainsi peut-on apprécier, dans des configurations variables – du solo absolu au quintette en passant par le classique trio piano-contrebasse-batterie – la fougue d’Asaf Yuria, singulièrement au soprano où il évoque parfois Coltrane, la technique d’Eden Ladin ou le drive constant d’Ofri Nehemya. D’autant que le leader leur laisse la bride sur le cou et leur autorise de longs développements.
En ressort, par contraste, la qualité d’arrangements visant avant tout à l’efficacité. Assez élaborés toutefois pour valoriser l’alliance des deux saxophonistes, tant dans les passages dialogués que lorsqu’ils privilégient l’unisson. Quant au répertoire, difficile de lui assigner une quelconque définition. Du funk, du blues (mais « revisité »), du hard bop, quelques échappées vers l’improvisation libre, des bribes de mélopées orientales, des réminiscences folkloriques, voire des emprunts furtifs à la soul. Le tout brassé dans le creuset d’un enthousiasme assez communicatif pour y acquérir une originalité certaine. Si bien que le public, nombreux, adhère d’emblée à un concert mené tambour battant – et pas seulement par le drumming stimulant d’Ofri Nehemya.
Lisa Simone (voc), Hervé Samb (g), Gino Chantoiseau (cb, b), Sonny Troupé (dm).
Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 9 mai.
En seconde partie, Lisa Simone. Fille de Nina, elle a connu une existence chaotique à maints égards. Et aussi la difficulté des descendants à se faire un prénom. De fait, elle a attendu l’enregistrement de son premier disque pour l’ajouter à son patronyme. Connue jusque là comme comédienne et interprète des grands shows de Broadway, elle a, après la disparition de sa mère en 2003, entamé une nouvelle carrière de chanteuse, reprenant ainsi l’héritage maternel. Un héritage qu’elle revendique haut et fort et qui nourrit en grande partie la thématique de ses chansons.
Son dernier album, « My World » (2016) donne une idée assez juste de son talent et des influences qui innervent son répertoire. Celui-ci constitue le fonds dans lequel elle puise. Assez profond pour émouvoir, assez attrayant pour séduire un public sensible à la qualité de sa voix de mezzo soprano. Elle en reprend ce soir les morceaux, les commente, détaille leur genèse. Un véritable show où elle est soutenue par le tempo rigoureux de Gino Chantoiseau, la subtilité de Sonny Troupé, fin coloriste usant à bon escient des contrastes sonores, la verve d’Hervé Samb.
De son passé de comédienne, Lisa a retenu l’art de la scène, et d’abord celui d’utiliser toutes les ressources d’un corps resté gracile. La démonstration vivante que la danse et la musique sont inséparables. Jusqu’à ses mains, virevoltantes, expressives. Elles font irrésistiblement penser à celles des ballerines balinaises. Surtout, elle connaît toutes les astuces permettent de séduire le public, établissant avec lui un dialogue d’autant plus savoureux que son français reste (à dessein ?) hésitant. Elle évoque sa mère, invite l’assistance à reprendre en chœur un refrain, parcourt les travées pour serrer quelques mains et semer l’effervescence parmi les amateurs de selfies… Bref, toute la lyre. Et tous les ingrédients réunis pour que sa prestation, convaincante, réponde pleinement à ce qu’on pouvait en attendre.
Jacques Aboucaya